Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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22% des Français approuveraient l’idée qu’il existe un « complot sioniste mondial »

Publié par La Rédaction11 février 2019

De toute évidence, ce vieux mythe complotiste a encore un avenir...

Banderole antisémite déployée sur un rond-point de la commune de Saint-Romain-de-Popey (18 décembre 2018).

« Vous, personnellement, estimez-vous que Dieudonné a plutôt raison ou plutôt tort quand il dit qu’il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale ? ». C’est l’une des questions posées dans le cadre d’une enquête d’opinion réalisée par l’Ifop en septembre 2014 sur la persistance des préjugés antisémites dans l’opinion publique française pour le compte de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) [1]. 16% des participants estimaient que le comédien plusieurs fois condamné pour antisémitisme avait, en cette matière, « plutôt raison », 45% « plutôt tort ». 39% ne se prononçaient pas.

En décembre 2018, Conspiracy Watch et la Fondation Jean-Jaurès ont commandité, pour la deuxième année consécutive, une enquête d’opinion sur le complotisme en France auprès de l’Ifop. Parmi les différentes théories du complot soumise à un échantillon représentatif de 1760 personnes, l’affirmation « il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale » a à nouveau été proposée. Il résulte de cette enquête que 22% des sondés sont d’accord avec cet énoncé (7% « tout à fait d’accord », 15% « plutôt d’accord » et 32% sans opinion). 33% de ceux qui avaient déjà entendu parler de cette thèse avant l’enquête l’approuvent (contre 13% chez ceux qui n’en avaient jamais entendu parler auparavant sachant qu’environ la moitié des participants de l’enquête ne connaissait pas cette thèse).

Quel est le profil socio-économique de ces 22% de sondés d’accord avec l’idée d’un complot sioniste mondial ? Les données dont nous disposons indiquent d’abord qu’ils sont surreprésentés chez les moins de 35 ans (29% contre « seulement » 16% chez les plus de 65 ans), chez les chômeurs (29%), et les ouvriers (33%). Cette opinion complotiste croît également à mesure que diminue le niveau de diplôme (13% chez les diplômés des 2e et 3e cycles du supérieur contre 31% chez les non diplômés). Le niveau de vie apparaît comme l’une des variables les plus prédictives de l’adhésion à cette théorie du complot : 12% chez les catégories aisées contre 39% chez les catégories pauvres… Autrement dit, un rapport de un à quatre.

Politiquement, les plus sensibles à cette thèse sont surreprésentés chez les sympathisants du Rassemblement national (36%) et de la France insoumise (33%) et nettement sous-représentés chez les sympathisants de la majorité présidentielle (12% République en Marche, 9% Modem). Mais ils sont encore plus surreprésentés (44%) chez ceux des participants à l’enquête assurant se considérer comme des « gilets jaunes ».

Le mythe du « complot sioniste mondial » est contemporain de la naissance du sionisme politique. Selon Pierre-André Taguieff [2], dès les premières publications des Protocoles des Sages de Sion, ce faux antisémite forgé par la police secrète tsariste dans les toutes premières années du XXe siècle, « le sionisme était fictionné comme un projet secret de domination du monde ». Le texte des Protocoles fut même interprété par certains comme « les minutes de séances tenues secrètement au cours du premier Congrès sioniste (Bâle, 29-31 août 1897) »

Loin de relever d’une hostilité intellectuelle à l’option sioniste – dont on sait qu’elle était répandue, avant la création de l’Etat d’Israël en 1948, dans une fraction du judaïsme orthodoxe et dans des organisations socialistes juives voyant le mouvement national juif comme une étape inutile sinon contraire à l’édification d’une société sans classe dans laquelle les Juifs vivraient en égaux parmi les autres hommes –, cet antisionisme paranoïaque, qui réactualise le mythe du complot juif mondial, est décelable aussi bien dans la Charte de l’Organisation de Libération de la Palestine (1968) que dans celle du Mouvement de la Résistance islamique Hamas (1988). Constitutive du cœur nucléaire de la doctrine négationniste, elle est aussi centrale dans la vision du monde d’un site comme Egalité & Réconciliation, qui fait sans doute figure de plateforme la plus dynamique de la complosphère actuelle.

Compagnon de route de longue date de Dieudonné et d’Alain Soral, le théoricien du complot Thierry Meyssan explique ainsi, au mépris de tout scrupule intellectuel, que le sionisme n’est « pas du tout une idéologie nationaliste ». « Il n’y a aucun nationalisme dans le sionisme. […] Les Britanniques avaient besoin de têtes de pont pour dominer le monde […]. Ils avaient besoin d’une île des pirates qui leur permettraient de faire des mauvais coups. C’est ce qui va devenir l’État d’Israël ». Des propos qui font étrangement écho à ceux que l’on peut lire dans… Mein Kampf (1925) : « Lorsque le sionisme cherche à faire croire au reste du monde que la conscience nationale des Juifs trouverait satisfaction dans la création d’un Etat palestinien [i.e. d’un Etat en Palestine], les Juifs dupent encore une fois les sots goïmes de la façon la plus patente. Ils n’ont pas du tout l’intention d’édifier en Palestine un Etat Juif pour aller s’y fixer ; ils ont simplement en vue d’y établir l’organisation centrale de leur entreprise charlatanesque d’internationalisme universel. »

De toute évidence, le mythe du complot sioniste mondial a encore un avenir.

 

Notes :

[1] Dominique Reynié, « L’antisémitisme dans l’opinion publique française. Nouveaux éclairages », Fondapol, novembre 2014. URL : http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2014/11/CONF2press-Antisemitisme-DOC-6-web11h51.pdf

[2] Court traité de complotologie, Paris, Mille et une nuits/Fayard, 2013.

 

[Texte publié initialement dans le magazine Regardsn°1037, 1er février 2019.]

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De toute évidence, ce vieux mythe complotiste a encore un avenir...

Banderole antisémite déployée sur un rond-point de la commune de Saint-Romain-de-Popey (18 décembre 2018).

« Vous, personnellement, estimez-vous que Dieudonné a plutôt raison ou plutôt tort quand il dit qu’il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale ? ». C’est l’une des questions posées dans le cadre d’une enquête d’opinion réalisée par l’Ifop en septembre 2014 sur la persistance des préjugés antisémites dans l’opinion publique française pour le compte de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) [1]. 16% des participants estimaient que le comédien plusieurs fois condamné pour antisémitisme avait, en cette matière, « plutôt raison », 45% « plutôt tort ». 39% ne se prononçaient pas.

En décembre 2018, Conspiracy Watch et la Fondation Jean-Jaurès ont commandité, pour la deuxième année consécutive, une enquête d’opinion sur le complotisme en France auprès de l’Ifop. Parmi les différentes théories du complot soumise à un échantillon représentatif de 1760 personnes, l’affirmation « il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale » a à nouveau été proposée. Il résulte de cette enquête que 22% des sondés sont d’accord avec cet énoncé (7% « tout à fait d’accord », 15% « plutôt d’accord » et 32% sans opinion). 33% de ceux qui avaient déjà entendu parler de cette thèse avant l’enquête l’approuvent (contre 13% chez ceux qui n’en avaient jamais entendu parler auparavant sachant qu’environ la moitié des participants de l’enquête ne connaissait pas cette thèse).

Quel est le profil socio-économique de ces 22% de sondés d’accord avec l’idée d’un complot sioniste mondial ? Les données dont nous disposons indiquent d’abord qu’ils sont surreprésentés chez les moins de 35 ans (29% contre « seulement » 16% chez les plus de 65 ans), chez les chômeurs (29%), et les ouvriers (33%). Cette opinion complotiste croît également à mesure que diminue le niveau de diplôme (13% chez les diplômés des 2e et 3e cycles du supérieur contre 31% chez les non diplômés). Le niveau de vie apparaît comme l’une des variables les plus prédictives de l’adhésion à cette théorie du complot : 12% chez les catégories aisées contre 39% chez les catégories pauvres… Autrement dit, un rapport de un à quatre.

Politiquement, les plus sensibles à cette thèse sont surreprésentés chez les sympathisants du Rassemblement national (36%) et de la France insoumise (33%) et nettement sous-représentés chez les sympathisants de la majorité présidentielle (12% République en Marche, 9% Modem). Mais ils sont encore plus surreprésentés (44%) chez ceux des participants à l’enquête assurant se considérer comme des « gilets jaunes ».

Le mythe du « complot sioniste mondial » est contemporain de la naissance du sionisme politique. Selon Pierre-André Taguieff [2], dès les premières publications des Protocoles des Sages de Sion, ce faux antisémite forgé par la police secrète tsariste dans les toutes premières années du XXe siècle, « le sionisme était fictionné comme un projet secret de domination du monde ». Le texte des Protocoles fut même interprété par certains comme « les minutes de séances tenues secrètement au cours du premier Congrès sioniste (Bâle, 29-31 août 1897) »

Loin de relever d’une hostilité intellectuelle à l’option sioniste – dont on sait qu’elle était répandue, avant la création de l’Etat d’Israël en 1948, dans une fraction du judaïsme orthodoxe et dans des organisations socialistes juives voyant le mouvement national juif comme une étape inutile sinon contraire à l’édification d’une société sans classe dans laquelle les Juifs vivraient en égaux parmi les autres hommes –, cet antisionisme paranoïaque, qui réactualise le mythe du complot juif mondial, est décelable aussi bien dans la Charte de l’Organisation de Libération de la Palestine (1968) que dans celle du Mouvement de la Résistance islamique Hamas (1988). Constitutive du cœur nucléaire de la doctrine négationniste, elle est aussi centrale dans la vision du monde d’un site comme Egalité & Réconciliation, qui fait sans doute figure de plateforme la plus dynamique de la complosphère actuelle.

Compagnon de route de longue date de Dieudonné et d’Alain Soral, le théoricien du complot Thierry Meyssan explique ainsi, au mépris de tout scrupule intellectuel, que le sionisme n’est « pas du tout une idéologie nationaliste ». « Il n’y a aucun nationalisme dans le sionisme. […] Les Britanniques avaient besoin de têtes de pont pour dominer le monde […]. Ils avaient besoin d’une île des pirates qui leur permettraient de faire des mauvais coups. C’est ce qui va devenir l’État d’Israël ». Des propos qui font étrangement écho à ceux que l’on peut lire dans… Mein Kampf (1925) : « Lorsque le sionisme cherche à faire croire au reste du monde que la conscience nationale des Juifs trouverait satisfaction dans la création d’un Etat palestinien [i.e. d’un Etat en Palestine], les Juifs dupent encore une fois les sots goïmes de la façon la plus patente. Ils n’ont pas du tout l’intention d’édifier en Palestine un Etat Juif pour aller s’y fixer ; ils ont simplement en vue d’y établir l’organisation centrale de leur entreprise charlatanesque d’internationalisme universel. »

De toute évidence, le mythe du complot sioniste mondial a encore un avenir.

 

Notes :

[1] Dominique Reynié, « L’antisémitisme dans l’opinion publique française. Nouveaux éclairages », Fondapol, novembre 2014. URL : http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2014/11/CONF2press-Antisemitisme-DOC-6-web11h51.pdf

[2] Court traité de complotologie, Paris, Mille et une nuits/Fayard, 2013.

 

[Texte publié initialement dans le magazine Regardsn°1037, 1er février 2019.]

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