Les premiers éléments de l’enquête sur l’assassinat de Boris Nemtsov permettent de porter un jugement rétrospectif sur les théories du complot qui n’ont pas manqué d’apparaître immédiatement après la mort de l’opposant russe.
Le soir du 27 février 2015, l’opposant russe Boris Nemtsov était assassiné à Moscou. L’événement a suscité en très peu de temps la diffusion d’un très large éventail de spéculations sur les possibles commanditaires de l’assassinat. Dès le 1er mars 2015, Catherine A. Fitzpatrick les recensait sur le magazine en ligne The Interpreter.
« Il est trop tôt pour tirer des conclusions sur la mort de Boris Nemtsov, mais avec une certitude absolue, nous pouvons dire que ceci est une provocation ». Tels sont les mots prononcés sur Russia Today par Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, au lendemain de l’assassinat. Ce n'est pas la première fois que Moscou parle de « provocation ». On se souvient que Vladimir Poutine lui-même avait déjà utilisé ce terme pour parler de l’attaque chimique de la Ghouta en août 2013, suggérant une opération de déstabilisation du régime de Bachar el-Assad visant à justifier une intervention occidentale en Syrie.
La thèse de la « provocation » est simple : l'assassinat de Nemtsov aurait été commandité par des leaders d’opposition ou par des forces obscures à l’intérieur de la Russie liées à des puissances étrangères (les Etats-Unis, l’Ukraine…) afin de discréditer Vladimir Poutine et de « déchaîner l'hystérie antirusse à l'étranger ». C’est l’une des thèses énumérées par Vladimir Markin, porte-parole du très officiel Comité d’enquête de la Fédération de Russie :
« Le meurtre a pu être une provocation pour déstabiliser la situation politique dans le pays. Nemtsov a pu être choisi comme une sorte de "victime sacrificielle" par ceux qui n’hésitent pas à utiliser n’importe quelle méthode pour arriver à leurs fins ».
Cette thèse s’est répandue dans les médias russes dès l’annonce de l’assassinat. Quelques heures seulement après l’annonce de l’attentat contre Nemtsov, Valery Rashkin, député communiste à la Douma, dénonçait un « acte de guerre contre l’élite russe » et accusait « un groupe transnational de l’élite financière basée aux Etats-Unis ».
Peu de temps après, Ramzan Kadyrov, vassal de Poutine et président de la petite république de Tchétchénie, avait quant à lui clairement accusé la main des services secrets occidentaux :
« Il ne fait aucun doute que le meurtre de Nemtsov a été organisé par les services secrets occidentaux pour provoquer un conflit intérieur en Russie. (…) C'est leur façon de faire : d’abord on prend quelqu'un sous son aile, on l'appelle "ami des Etats-Unis et de l'Europe" et puis on le sacrifie pour accuser les autorités locales. La condamnation à mort (de Nemtsov) prononcée dans une capitale occidentale a très bien pu être exécutée par les services secrets ukrainiens ».
Des déclarations qui sont loin d'être isolées :
• Guennadi Seleznev, ancien responsable communiste et ex-président de la Douma : « C'est une opération dans laquelle on voit bien la main des services secrets occidentaux. »
• Alexeï Martynov, politologue : « Je voudrais attirer votre attention sur le fait que les Américains ont réagi avec une rapidité suspecte (au meurtre de Nemtsov). Le texte était manifestement déjà prêt. »
• Nikolaï Kovalev, ancien chef du FSB (services secrets) et député du parti de Poutine, Russie Unie : « Tout cela s'inscrit dans la guerre de l'information que mènent les Etats-Unis et l'Europe contre Poutine et la Russie. »
• Ivan Melnikov, premier vice-président de la Douma : « Si on regarde le moment choisi, cela a tout l'air d'une provocation sanglante organisée avec les mêmes objectifs que quand le Boeing (malaisien) a été abattu. » (lire : La piste russe semble se préciser dans le crash du vol MH17 en Ukraine)
• Moti Nissani, professeur émérite à la Wayne State University (Michigan) : « La CIA est probablement derrière l'assassinat de Boris Nemtsov. »
En France, le premier texte développant de manière systématique la thèse de la provocation apparaît moins de 48 heures après les faits sur le blog de l’économiste français Jacques Sapir pour qui « l’hypothèse d’une implication, directe ou indirecte, du gouvernement russe apparaît (…) comme très peu probable » (sic) tandis que celle d’une « provocation » visant à accuser Poutine serait « la plus cohérente ». Le texte de Jacques Sapir fut rapidement repris sur le site d’Etat russe Sputnik sous le titre : « Nemtsov, à qui profite le crime ? ».
Une année plus tard, on en sait davantage sur les motivations des probables assassins de Nemtsov. Les premiers éléments de l’enquête rendus publics réduisent à néant la thèse de la provocation.
Le principal suspect de l’assassinat était un membre des forces spéciales tchétchènes, où il a servi dix ans, jusqu’au 28 février 2015. Il s’appelle Zaour Dadaïev. Ce proche de Ramzan Kadyrov est passé aux aveux une semaine après avoir participé à l’attentat. D'autres suspects, tous Tchétchènes ont également été identifiés et parmi eux, deux travaillaient pour les forces de sécurité tchétchènes :
• Khamzat Bach, Temirlan Eskerhanov, Anzor Gubashevy et son frère Shadid Gubashevy ont été arrêtés.
• Beslan Shavanova, s’est suicidé au moment de son arrestation.
• Le dernier suspect, Ruslan Muhudinov, est en fuite à l’étranger et fait l’objet d’un mandat d’arrêt internatio
nal. Il vivrait aux Emirats arabes unis qu’il aurait gagnés muni d’un faux passeport.
Le commando tchétchène, dont tous les membres sont de confession musulmane, a-t-il voulu punir Boris Nemtsov en raison de son soutien à Charlie Hebdo après les attentats de janvier 2015 ? Cette thèse, avancée par Vladimir Markin, a longtemps été privilégiée dans le camp des partisans de Vladimir Poutine. Pourtant, elle ne résiste pas à l’analyse. Dans leurs dépositions, les suspects disent s’en être pris à Nemtsov parce qu’il aurait été « à la solde d’Obama », « pro-ukrainien » ou encore en raison de son statut d’« opposant ». De plus, l’analyse d'images de caméras de surveillance a révélé que Nemtsov était suivi par les suspects depuis octobre 2014, soit trois mois avant l’attentat du 7 janvier 2015 contre la rédaction du journal satirique français.
Jean-Luc Mélenchon avait qualifié Nemtsov d’« illustrissime inconnu avant son meurtre ». Une opinion que ne partage aucun des spécialistes sérieux de la vie politique russe. Comme l’explique Alexis Prokopiev, président de l’association Russie-Libertés, Boris Nemtsov était au contraire certainement « l’opposant le plus connu en Russie et de loin ». Pour la politologue Marie Mendras, chercheur au CNRS et au CERI, « Nemtsov gênait plus qu'on ne le dit et qu'on ne s'accorde à le penser ». Au moment de sa mort, il s’apprêtait à organiser une manifestation contre la guerre en Ukraine. Il travaillait également sur un rapport, publié ces jours-ci chez Actes Sud, dévoilant la politique de subversion menée en Ukraine par le Kremlin.
Le contexte de l’assassinat de Nemtsov est celui d’une succession de disparitions suspectes de journalistes ou de militants des droits de l’homme dont le travail était jugé trop critique à l’égard de la politique de Vladimir Poutine : Anna Politkovskaïa, Natalia Estemirova, Igor Domnikov, Youri Chekotchikhine, Stanislav Markelov, Anastasia Babourova ou encore Alexandre Litvinenko.
Aujourd’hui, de lourds soupçons pèsent sur Ramzan Kadyrov. Est-ce à dire que Nemtsov a été assassiné sur ordre du président tchétchène pour le compte du Kremlin ? C’est une conclusion qu’il n’est pas possible de tirer en l'état. Si la disparition de Nemtsov accroît encore la pression sur l'opposition au régime de Poutine, cela ne signifie pas pour autant que le président russe en soit l’instigateur. Reste que les amis de Boris Nemtsov, comme le leader du mouvement Solidarnost, Ilia Iachine, prédisent déjà que les commanditaires du meurtre ne seront jamais inquiétés.
La fébrilité des médias d’Etat russes, leur tendance patente à traiter de toutes les thèses possibles à l’exception notable de celles qui mettent en cause le Kremlin est en soi éloquente. Elle en dit long sur le degré d’indépendance des médias officiels russes à l’égard du gouvernement. Pour le Guardian, cette attitude est emblématique d’une technique de désinformation éprouvée. Voici quelques extraits de son édito paru le 2 mars 2015 :
« Dans les heures qui ont suivi le meurtre du leader d'opposition Boris Nemtsov, plusieurs explications sur ce qui s'était passé sont apparues dans la presse. L’assassinat de Nemtsov serait, pêle-mêle : une vengeance pour avoir forcé sa petite amie à avorter, une manipulation des nationalistes ukrainiens, un règlement de comptes ou encore une action menée en représailles de ses prises de position en faveur de Charlie Hebdo.
[…] Cette tactique, qui rappelle les leurres électroniques largués depuis la soute d'un bombardier Tupolev pour semer un missile, a été mise au point pour embrouiller ceux qui cherchent la vérité en les entraînant sur de fausses pistes. Elle consiste à créer autant de récits que possible… puis à filer en douce, comme si de rien n’était, une fois la confusion répandue.
C'est une tactique issue du manuel du KGB de M. Poutine qui date des années soixante-dix. Créer une pluralité de récits afin que la vérité en soit obscurcie. Dans ces conditions, l'idée même qu'il puisse y avoir quelque chose comme « la vérité » peut elle-même poser question. Comme le dit Margarita Simonyan, l’éditrice en chef de la chaîne pro-Kremlin Russia Today : "L'objectivité n'existe pas, on ne peut que s'approcher de la vérité en donnant la parole à autant de voix différentes que possible". Telle est la définition du relativisme « armé » promu par le Kremlin. (…) Il y a la manière dont la BBC voit les choses ; la manière dont Fox News voit les choses ; la manière dont Russia Today voit les choses. Chacune d'elles exprime des intérêts particuliers.
[…] Cette vision des choses s'accorde à merveille avec la philosophie paresseuse, courante en Occident, selon laquelle tous les points de vue sont légitimes dès lors qu’ils expriment une opinion individuelle. L'idée qu’un point de vue est vrai et un autre faux peut ainsi être perçue comme un acte d'autorité injustifié. On entend déjà l’objection : "Qui a le droit de déterminer ce qui est juste et ce qui ne l'est pas ?" […] Aucune entreprise de presse ne devrait rien concéder à cette stratégie. Car, si on a le droit de dire tout ce qu’on veut, les faits en revanche sont sacrés. »
Le soir du 27 février 2015, l’opposant russe Boris Nemtsov était assassiné à Moscou. L’événement a suscité en très peu de temps la diffusion d’un très large éventail de spéculations sur les possibles commanditaires de l’assassinat. Dès le 1er mars 2015, Catherine A. Fitzpatrick les recensait sur le magazine en ligne The Interpreter.
« Il est trop tôt pour tirer des conclusions sur la mort de Boris Nemtsov, mais avec une certitude absolue, nous pouvons dire que ceci est une provocation ». Tels sont les mots prononcés sur Russia Today par Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, au lendemain de l’assassinat. Ce n'est pas la première fois que Moscou parle de « provocation ». On se souvient que Vladimir Poutine lui-même avait déjà utilisé ce terme pour parler de l’attaque chimique de la Ghouta en août 2013, suggérant une opération de déstabilisation du régime de Bachar el-Assad visant à justifier une intervention occidentale en Syrie.
La thèse de la « provocation » est simple : l'assassinat de Nemtsov aurait été commandité par des leaders d’opposition ou par des forces obscures à l’intérieur de la Russie liées à des puissances étrangères (les Etats-Unis, l’Ukraine…) afin de discréditer Vladimir Poutine et de « déchaîner l'hystérie antirusse à l'étranger ». C’est l’une des thèses énumérées par Vladimir Markin, porte-parole du très officiel Comité d’enquête de la Fédération de Russie :
« Le meurtre a pu être une provocation pour déstabiliser la situation politique dans le pays. Nemtsov a pu être choisi comme une sorte de "victime sacrificielle" par ceux qui n’hésitent pas à utiliser n’importe quelle méthode pour arriver à leurs fins ».
Cette thèse s’est répandue dans les médias russes dès l’annonce de l’assassinat. Quelques heures seulement après l’annonce de l’attentat contre Nemtsov, Valery Rashkin, député communiste à la Douma, dénonçait un « acte de guerre contre l’élite russe » et accusait « un groupe transnational de l’élite financière basée aux Etats-Unis ».
Peu de temps après, Ramzan Kadyrov, vassal de Poutine et président de la petite république de Tchétchénie, avait quant à lui clairement accusé la main des services secrets occidentaux :
« Il ne fait aucun doute que le meurtre de Nemtsov a été organisé par les services secrets occidentaux pour provoquer un conflit intérieur en Russie. (…) C'est leur façon de faire : d’abord on prend quelqu'un sous son aile, on l'appelle "ami des Etats-Unis et de l'Europe" et puis on le sacrifie pour accuser les autorités locales. La condamnation à mort (de Nemtsov) prononcée dans une capitale occidentale a très bien pu être exécutée par les services secrets ukrainiens ».
Des déclarations qui sont loin d'être isolées :
• Guennadi Seleznev, ancien responsable communiste et ex-président de la Douma : « C'est une opération dans laquelle on voit bien la main des services secrets occidentaux. »
• Alexeï Martynov, politologue : « Je voudrais attirer votre attention sur le fait que les Américains ont réagi avec une rapidité suspecte (au meurtre de Nemtsov). Le texte était manifestement déjà prêt. »
• Nikolaï Kovalev, ancien chef du FSB (services secrets) et député du parti de Poutine, Russie Unie : « Tout cela s'inscrit dans la guerre de l'information que mènent les Etats-Unis et l'Europe contre Poutine et la Russie. »
• Ivan Melnikov, premier vice-président de la Douma : « Si on regarde le moment choisi, cela a tout l'air d'une provocation sanglante organisée avec les mêmes objectifs que quand le Boeing (malaisien) a été abattu. » (lire : La piste russe semble se préciser dans le crash du vol MH17 en Ukraine)
• Moti Nissani, professeur émérite à la Wayne State University (Michigan) : « La CIA est probablement derrière l'assassinat de Boris Nemtsov. »
En France, le premier texte développant de manière systématique la thèse de la provocation apparaît moins de 48 heures après les faits sur le blog de l’économiste français Jacques Sapir pour qui « l’hypothèse d’une implication, directe ou indirecte, du gouvernement russe apparaît (…) comme très peu probable » (sic) tandis que celle d’une « provocation » visant à accuser Poutine serait « la plus cohérente ». Le texte de Jacques Sapir fut rapidement repris sur le site d’Etat russe Sputnik sous le titre : « Nemtsov, à qui profite le crime ? ».
Une année plus tard, on en sait davantage sur les motivations des probables assassins de Nemtsov. Les premiers éléments de l’enquête rendus publics réduisent à néant la thèse de la provocation.
Le principal suspect de l’assassinat était un membre des forces spéciales tchétchènes, où il a servi dix ans, jusqu’au 28 février 2015. Il s’appelle Zaour Dadaïev. Ce proche de Ramzan Kadyrov est passé aux aveux une semaine après avoir participé à l’attentat. D'autres suspects, tous Tchétchènes ont également été identifiés et parmi eux, deux travaillaient pour les forces de sécurité tchétchènes :
• Khamzat Bach, Temirlan Eskerhanov, Anzor Gubashevy et son frère Shadid Gubashevy ont été arrêtés.
• Beslan Shavanova, s’est suicidé au moment de son arrestation.
• Le dernier suspect, Ruslan Muhudinov, est en fuite à l’étranger et fait l’objet d’un mandat d’arrêt internatio
nal. Il vivrait aux Emirats arabes unis qu’il aurait gagnés muni d’un faux passeport.
Le commando tchétchène, dont tous les membres sont de confession musulmane, a-t-il voulu punir Boris Nemtsov en raison de son soutien à Charlie Hebdo après les attentats de janvier 2015 ? Cette thèse, avancée par Vladimir Markin, a longtemps été privilégiée dans le camp des partisans de Vladimir Poutine. Pourtant, elle ne résiste pas à l’analyse. Dans leurs dépositions, les suspects disent s’en être pris à Nemtsov parce qu’il aurait été « à la solde d’Obama », « pro-ukrainien » ou encore en raison de son statut d’« opposant ». De plus, l’analyse d'images de caméras de surveillance a révélé que Nemtsov était suivi par les suspects depuis octobre 2014, soit trois mois avant l’attentat du 7 janvier 2015 contre la rédaction du journal satirique français.
Jean-Luc Mélenchon avait qualifié Nemtsov d’« illustrissime inconnu avant son meurtre ». Une opinion que ne partage aucun des spécialistes sérieux de la vie politique russe. Comme l’explique Alexis Prokopiev, président de l’association Russie-Libertés, Boris Nemtsov était au contraire certainement « l’opposant le plus connu en Russie et de loin ». Pour la politologue Marie Mendras, chercheur au CNRS et au CERI, « Nemtsov gênait plus qu'on ne le dit et qu'on ne s'accorde à le penser ». Au moment de sa mort, il s’apprêtait à organiser une manifestation contre la guerre en Ukraine. Il travaillait également sur un rapport, publié ces jours-ci chez Actes Sud, dévoilant la politique de subversion menée en Ukraine par le Kremlin.
Le contexte de l’assassinat de Nemtsov est celui d’une succession de disparitions suspectes de journalistes ou de militants des droits de l’homme dont le travail était jugé trop critique à l’égard de la politique de Vladimir Poutine : Anna Politkovskaïa, Natalia Estemirova, Igor Domnikov, Youri Chekotchikhine, Stanislav Markelov, Anastasia Babourova ou encore Alexandre Litvinenko.
Aujourd’hui, de lourds soupçons pèsent sur Ramzan Kadyrov. Est-ce à dire que Nemtsov a été assassiné sur ordre du président tchétchène pour le compte du Kremlin ? C’est une conclusion qu’il n’est pas possible de tirer en l'état. Si la disparition de Nemtsov accroît encore la pression sur l'opposition au régime de Poutine, cela ne signifie pas pour autant que le président russe en soit l’instigateur. Reste que les amis de Boris Nemtsov, comme le leader du mouvement Solidarnost, Ilia Iachine, prédisent déjà que les commanditaires du meurtre ne seront jamais inquiétés.
La fébrilité des médias d’Etat russes, leur tendance patente à traiter de toutes les thèses possibles à l’exception notable de celles qui mettent en cause le Kremlin est en soi éloquente. Elle en dit long sur le degré d’indépendance des médias officiels russes à l’égard du gouvernement. Pour le Guardian, cette attitude est emblématique d’une technique de désinformation éprouvée. Voici quelques extraits de son édito paru le 2 mars 2015 :
« Dans les heures qui ont suivi le meurtre du leader d'opposition Boris Nemtsov, plusieurs explications sur ce qui s'était passé sont apparues dans la presse. L’assassinat de Nemtsov serait, pêle-mêle : une vengeance pour avoir forcé sa petite amie à avorter, une manipulation des nationalistes ukrainiens, un règlement de comptes ou encore une action menée en représailles de ses prises de position en faveur de Charlie Hebdo.
[…] Cette tactique, qui rappelle les leurres électroniques largués depuis la soute d'un bombardier Tupolev pour semer un missile, a été mise au point pour embrouiller ceux qui cherchent la vérité en les entraînant sur de fausses pistes. Elle consiste à créer autant de récits que possible… puis à filer en douce, comme si de rien n’était, une fois la confusion répandue.
C'est une tactique issue du manuel du KGB de M. Poutine qui date des années soixante-dix. Créer une pluralité de récits afin que la vérité en soit obscurcie. Dans ces conditions, l'idée même qu'il puisse y avoir quelque chose comme « la vérité » peut elle-même poser question. Comme le dit Margarita Simonyan, l’éditrice en chef de la chaîne pro-Kremlin Russia Today : "L'objectivité n'existe pas, on ne peut que s'approcher de la vérité en donnant la parole à autant de voix différentes que possible". Telle est la définition du relativisme « armé » promu par le Kremlin. (…) Il y a la manière dont la BBC voit les choses ; la manière dont Fox News voit les choses ; la manière dont Russia Today voit les choses. Chacune d'elles exprime des intérêts particuliers.
[…] Cette vision des choses s'accorde à merveille avec la philosophie paresseuse, courante en Occident, selon laquelle tous les points de vue sont légitimes dès lors qu’ils expriment une opinion individuelle. L'idée qu’un point de vue est vrai et un autre faux peut ainsi être perçue comme un acte d'autorité injustifié. On entend déjà l’objection : "Qui a le droit de déterminer ce qui est juste et ce qui ne l'est pas ?" […] Aucune entreprise de presse ne devrait rien concéder à cette stratégie. Car, si on a le droit de dire tout ce qu’on veut, les faits en revanche sont sacrés. »
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