Un reportage diffusé le 16 juillet dernier sur la très respectable chaîne de télévision allemande ZDF prouverait que l’enlèvement et les meurtres de Naftali Fraenkel, Gilad Shaar et Eyal Yifrach seraient en réalité « un crime civil commis par un citoyen de confession juive pour des raisons d’ordre économique » (sic). C'est en tous cas ce que l'on peut lire sur Croah.fr, site administré par le dieudonniste Joe Le Corbeau, dans un article en date du 25 juillet.
Il suffit pourtant de visionner le reportage pour prendre la mesure du travestissement des faits dont se rendent coupables les conspirationnistes. Non seulement Sievers n'évoque-t-il à aucun moment la culpabilité d'un « citoyen de confession juive » ni ne fait allusion à « des raisons d'ordre économique », mais il ne prétend en plus nulle part que « l’assassinat des trois jeunes Israéliens le 12 juin dernier n’a pas été commis par des Palestiniens ». Du reste, le journaliste allemand a récusé en personne, sur son compte Twitter, l’instrumentalisation éhontée de son reportage.
« Cellule isolée »
Au même moment, la presse conventionnelle se fait pourtant l’écho d’une version soft des élucubrations complotistes. « Le Hamas n'est finalement pas à l'origine du kidnapping et meurtre des 3 adolescents Israéliens le mois dernier » lit-on le 26 juillet sur Al Huffington Post Maghreb (l'édition algérienne du Huffington Post). « Le Hamas responsable de la mort des trois ados israéliens ? Plus si sûr » titre quant à lui Rue89. Les deux articles s’appuient sur les tweets des journalistes Sheera Frenkel (Buzzfeed) et Jon Donnison (BBC), révélant que les deux suspects de l’enlèvement et des meurtres des trois Israéliens, bien qu’affiliés au Hamas, n’auraient pas agi sur ordre direct de l’organisation islamiste palestinienne. Les journalistes citent le porte-parole de la police israélienne en personne, Micky Rosenfeld, qui parle de « cellule isolée » (« lone cell ») agissant de manière autonome par rapport au Hamas. En outre, ajoute Rosenfeld, si le kidnapping avait été ordonné par les dirigeants du Hamas, la police israélienne l'aurait nécessairement su à l'avance.
S’agit-il d’un scoop ? Pas vraiment. Dès le 15 juin, Sheera Frenkel citait déjà sur Buzzfeed le témoignage d’un officier israélien anonyme affecté en Cisjordanie affirmant, au sujet du kidnapping : « Ce que nous savons, c’est que c’était probablement un geste opportuniste. Les hommes qui sont derrière ça ont peut-être des liens avec un groupe terroriste plus large, mais cela ne ressemble pas à une opération planifiée et complexe ».
La direction politique du Hamas a-t-elle ordonné l’enlèvement des trois Israéliens ? Selon toute vraisemblance, non. Cela signifie-t-il pour autant que le Hamas n’a aucune responsabilité dans ces enlèvements ? Oui, à condition de considérer que le fait d’encourager quotidiennement les Palestiniens à agir à la manière de Marwan Qawasmeh et d'Amar Abu Aisha (jusqu’à distribuer dans ses rangs un manuel pratique du ravisseur (2) ) n’engage pas la responsabilité d’un mouvement politique qui préside officiellement aux destinées des Gazaouis depuis sept ans, et à oublier que même si le clan Qawasmeh n'agit pas sous les ordres direct du Hamas, il ne lui est pas moins affilié.
Connus des autorités israéliennes (ils avaient été emprisonnés en Israël puis libérés en 2011 avec plusieurs centaines d’autres prisonniers palestiniens en contrepartie de la libération du caporal israélien Guilad Shalit, détenu par le Hamas), les deux suspects, qui ont un passé de militants pour le compte de l'organisation islamiste, restent à ce jour introuvables.
Notes :
(1) Les trois jeunes âgés de 16 ans pour deux d'entre eux et de 19 ans pour le dernier, étaient en réalité étudiants dans une yeshiva, une école religieuse talmudique.
(2) Le document de 18 pages a été distribué par le Hamas aux membres de sa branche armée, les Brigades Izz al-Din al-Qassam. Le manuel explique en détail comment les opérations d'enlèvement doivent être effectuées. Il recommande aux ravisseurs d'apprendre à parler l'hébreu couramment. Il recommande également de cibler des individus chétifs, d'utiliser des pistolets à silencieux et de se débarrasser du véhicule utilisé pour l'enlèvement (source : Al-Monitor.com, 28 avril 2013).
Voir aussi :
* Assassinat des trois ados Israéliens : la théorie du complot fait son chemin
Mise à jour (05/08/2014 - 23:29) :
Les autorités israéliennes ont annoncé mardi 5 août avoir arrêté un Palestinien, Hussam Qawasmeh, soupçonné d'être impliqué dans l'enlèvement et le meurtre de Naftali Fraenkel, Gilad Shaar et Eyal Yifrach. Résident de la ville d'Hébron, en Cisjordanie, Hussam Qawasmeh aurait avoué avoir aidé à organiser l'enlèvement en s'assurant le soutien financier d'« agents du Hamas de la Bande de Gaza » et en achetant des armes qu'il aurait ensuite fournies à ses deux complices, Marwan Qawasmeh et Amar Abou Aycha, pour qu'ils mènent l'attaque. Il aurait également aidé à enterrer les trois victimes dans un lopin de terre qu'il avait acheté quelques mois plus tôt (sources : Yedioth Ahronoth ; Le Figaro, 5 août 2014).
Mise à jour (07/08/2014) :
The Times of Israel révèle que frère de Hussam Qawasmeh travaille à Gaza sous l'autorité de deux hiérarques du Hamas, Fathi Hammad (ancien ministre de l'Intérieur palestinien) et Saleh el-Arouri (un responsable du Hamas installé à Ankara) qui, d'après les informations recueillies par le journal israélien, sont responsables de l'organisation de dizaines d'attaques en Cisjordanie. L'ordre de perpétrer l'enlèvement aurait ainsi été donné depuis Gaza. Enfin, selon des sources sécuritaires palestiniennes, il ferait peu de doutes que les ravisseurs soient liés à la direction du Hamas à l'étranger (source : The Times of Israel, 5 août 2014).
Dans une interview réalisée à Doha (Qatar) et mise en ligne sur Yahoo News vendredi 22 août 2014, Khaled Mechaal, le leader du Hamas, a quant à lui reconnu pour la première fois que les ravisseurs et assassins des trois jeunes Israéliens étaient bien des membres du Hamas bien que n'agissant pas sous le contrôle direct de l'organisation terroriste : « Nous n'étions pas au courant à l'avance de l'action prise par ce
groupe de membres du Hamas. Mais nous comprenons la frustration des gens qui vivent sous l'occupation et l'oppression et ils décident de toutes sortes d'actions » (source : Yahoo News, 22 août 2014)
Un reportage diffusé le 16 juillet dernier sur la très respectable chaîne de télévision allemande ZDF prouverait que l’enlèvement et les meurtres de Naftali Fraenkel, Gilad Shaar et Eyal Yifrach seraient en réalité « un crime civil commis par un citoyen de confession juive pour des raisons d’ordre économique » (sic). C'est en tous cas ce que l'on peut lire sur Croah.fr, site administré par le dieudonniste Joe Le Corbeau, dans un article en date du 25 juillet.
Il suffit pourtant de visionner le reportage pour prendre la mesure du travestissement des faits dont se rendent coupables les conspirationnistes. Non seulement Sievers n'évoque-t-il à aucun moment la culpabilité d'un « citoyen de confession juive » ni ne fait allusion à « des raisons d'ordre économique », mais il ne prétend en plus nulle part que « l’assassinat des trois jeunes Israéliens le 12 juin dernier n’a pas été commis par des Palestiniens ». Du reste, le journaliste allemand a récusé en personne, sur son compte Twitter, l’instrumentalisation éhontée de son reportage.
« Cellule isolée »
Au même moment, la presse conventionnelle se fait pourtant l’écho d’une version soft des élucubrations complotistes. « Le Hamas n'est finalement pas à l'origine du kidnapping et meurtre des 3 adolescents Israéliens le mois dernier » lit-on le 26 juillet sur Al Huffington Post Maghreb (l'édition algérienne du Huffington Post). « Le Hamas responsable de la mort des trois ados israéliens ? Plus si sûr » titre quant à lui Rue89. Les deux articles s’appuient sur les tweets des journalistes Sheera Frenkel (Buzzfeed) et Jon Donnison (BBC), révélant que les deux suspects de l’enlèvement et des meurtres des trois Israéliens, bien qu’affiliés au Hamas, n’auraient pas agi sur ordre direct de l’organisation islamiste palestinienne. Les journalistes citent le porte-parole de la police israélienne en personne, Micky Rosenfeld, qui parle de « cellule isolée » (« lone cell ») agissant de manière autonome par rapport au Hamas. En outre, ajoute Rosenfeld, si le kidnapping avait été ordonné par les dirigeants du Hamas, la police israélienne l'aurait nécessairement su à l'avance.
S’agit-il d’un scoop ? Pas vraiment. Dès le 15 juin, Sheera Frenkel citait déjà sur Buzzfeed le témoignage d’un officier israélien anonyme affecté en Cisjordanie affirmant, au sujet du kidnapping : « Ce que nous savons, c’est que c’était probablement un geste opportuniste. Les hommes qui sont derrière ça ont peut-être des liens avec un groupe terroriste plus large, mais cela ne ressemble pas à une opération planifiée et complexe ».
La direction politique du Hamas a-t-elle ordonné l’enlèvement des trois Israéliens ? Selon toute vraisemblance, non. Cela signifie-t-il pour autant que le Hamas n’a aucune responsabilité dans ces enlèvements ? Oui, à condition de considérer que le fait d’encourager quotidiennement les Palestiniens à agir à la manière de Marwan Qawasmeh et d'Amar Abu Aisha (jusqu’à distribuer dans ses rangs un manuel pratique du ravisseur (2) ) n’engage pas la responsabilité d’un mouvement politique qui préside officiellement aux destinées des Gazaouis depuis sept ans, et à oublier que même si le clan Qawasmeh n'agit pas sous les ordres direct du Hamas, il ne lui est pas moins affilié.
Connus des autorités israéliennes (ils avaient été emprisonnés en Israël puis libérés en 2011 avec plusieurs centaines d’autres prisonniers palestiniens en contrepartie de la libération du caporal israélien Guilad Shalit, détenu par le Hamas), les deux suspects, qui ont un passé de militants pour le compte de l'organisation islamiste, restent à ce jour introuvables.
Notes :
(1) Les trois jeunes âgés de 16 ans pour deux d'entre eux et de 19 ans pour le dernier, étaient en réalité étudiants dans une yeshiva, une école religieuse talmudique.
(2) Le document de 18 pages a été distribué par le Hamas aux membres de sa branche armée, les Brigades Izz al-Din al-Qassam. Le manuel explique en détail comment les opérations d'enlèvement doivent être effectuées. Il recommande aux ravisseurs d'apprendre à parler l'hébreu couramment. Il recommande également de cibler des individus chétifs, d'utiliser des pistolets à silencieux et de se débarrasser du véhicule utilisé pour l'enlèvement (source : Al-Monitor.com, 28 avril 2013).
Voir aussi :
* Assassinat des trois ados Israéliens : la théorie du complot fait son chemin
Mise à jour (05/08/2014 - 23:29) :
Les autorités israéliennes ont annoncé mardi 5 août avoir arrêté un Palestinien, Hussam Qawasmeh, soupçonné d'être impliqué dans l'enlèvement et le meurtre de Naftali Fraenkel, Gilad Shaar et Eyal Yifrach. Résident de la ville d'Hébron, en Cisjordanie, Hussam Qawasmeh aurait avoué avoir aidé à organiser l'enlèvement en s'assurant le soutien financier d'« agents du Hamas de la Bande de Gaza » et en achetant des armes qu'il aurait ensuite fournies à ses deux complices, Marwan Qawasmeh et Amar Abou Aycha, pour qu'ils mènent l'attaque. Il aurait également aidé à enterrer les trois victimes dans un lopin de terre qu'il avait acheté quelques mois plus tôt (sources : Yedioth Ahronoth ; Le Figaro, 5 août 2014).
Mise à jour (07/08/2014) :
The Times of Israel révèle que frère de Hussam Qawasmeh travaille à Gaza sous l'autorité de deux hiérarques du Hamas, Fathi Hammad (ancien ministre de l'Intérieur palestinien) et Saleh el-Arouri (un responsable du Hamas installé à Ankara) qui, d'après les informations recueillies par le journal israélien, sont responsables de l'organisation de dizaines d'attaques en Cisjordanie. L'ordre de perpétrer l'enlèvement aurait ainsi été donné depuis Gaza. Enfin, selon des sources sécuritaires palestiniennes, il ferait peu de doutes que les ravisseurs soient liés à la direction du Hamas à l'étranger (source : The Times of Israel, 5 août 2014).
Dans une interview réalisée à Doha (Qatar) et mise en ligne sur Yahoo News vendredi 22 août 2014, Khaled Mechaal, le leader du Hamas, a quant à lui reconnu pour la première fois que les ravisseurs et assassins des trois jeunes Israéliens étaient bien des membres du Hamas bien que n'agissant pas sous le contrôle direct de l'organisation terroriste : « Nous n'étions pas au courant à l'avance de l'action prise par ce
groupe de membres du Hamas. Mais nous comprenons la frustration des gens qui vivent sous l'occupation et l'oppression et ils décident de toutes sortes d'actions » (source : Yahoo News, 22 août 2014)
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