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Décapitation de James Foley : à qui profite la théorie du complot ?

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Publié par Rudy Reichstadt07 septembre 2014

La complosphère s’ingénie à faire passer l’assassinat du journaliste américain James Foley pour un « canular », un « fake », une « mise en scène » ou encore une « supercherie hollywoodienne ».

Vidéo de la décapitation du journaliste américain James Foley (capture d'écran YouTube, 21/08/2014).

N’était l’ouverture d’une enquête le visant pour apologie d’actes de terrorisme, la dernière vidéo de Dieudonné serait restée dans les égouts du web. Intitulée « Dieudonné sur feu Foley !! », l’humoriste y développe ce singulier mélange de théorie du complot et de compétition victimaire qui, sur fond de goguenardise antisémite, fait sa marque de fabrique.

Tournant en dérision la décapitation de James Foley, Dieudonné compare l’indignation générale soulevée par les images diffusées par l’Etat islamique dans son « Message à l’Amérique » du 19 août dernier et la relative indolence ayant accompagné celles du lynchage du colonel Kadhafi (2011) ou de la pendaison de Saddam Hussein (2006). Appelant les parents du journaliste américain à se « détendre », il évoque une « arnaque » destinée à justifier une intervention occidentale au Moyen-Orient et à laquelle ne seraient pas étrangers « les cadres de la mafia des Rothschild ».

« Canular »

La théorie du complot sur l’assassinat de James Foley ne tombe évidemment pas du ciel. Lorsque Dieudonné met en ligne sa vidéo le 27 août, cela fait cinq jours que la complosphère – et tout particulièrement les réseaux liés à Dieudonné et Alain Soral – s’ingénie à faire passer l’exécution du journaliste pour un « canular », un « fake », une « mise en scène » ou encore une « supercherie hollywoodienne » (1).

C’est Égalité & Réconciliation (E&R), le site de l’association de Soral, qui ouvre le bal, trois jours seulement après l'annonce de la mort du journaliste. Bien que revendiquée par les djihadistes de l’Etat islamique, l’assassinat de Foley est mis en doute de toutes les manières possibles. E&R se lance ainsi dans un semblant d’analyse filmique où l’on peut lire des phrases comme : « Foley et son comparse semblent en bonne santé » ; « bien qu’il soit à quelques minutes de perdre la vie, Foley ne sourcille pas, ne bafouille pas, ne transpire pas » ; « le débit de Foley ressemble à un jeu d’acteur » ; etc. L’intox est censée profiter naturellement aux Etats-Unis, qui n’auraient de cesse de chercher un alibi pour bombarder la Syrie (2).

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Vidéo de la décapitation du journaliste américain James Foley (capture d'écran YouTube, 21/08/2014).

N’était l’ouverture d’une enquête le visant pour apologie d’actes de terrorisme, la dernière vidéo de Dieudonné serait restée dans les égouts du web. Intitulée « Dieudonné sur feu Foley !! », l’humoriste y développe ce singulier mélange de théorie du complot et de compétition victimaire qui, sur fond de goguenardise antisémite, fait sa marque de fabrique.

Tournant en dérision la décapitation de James Foley, Dieudonné compare l’indignation générale soulevée par les images diffusées par l’Etat islamique dans son « Message à l’Amérique » du 19 août dernier et la relative indolence ayant accompagné celles du lynchage du colonel Kadhafi (2011) ou de la pendaison de Saddam Hussein (2006). Appelant les parents du journaliste américain à se « détendre », il évoque une « arnaque » destinée à justifier une intervention occidentale au Moyen-Orient et à laquelle ne seraient pas étrangers « les cadres de la mafia des Rothschild ».

« Canular »

La théorie du complot sur l’assassinat de James Foley ne tombe évidemment pas du ciel. Lorsque Dieudonné met en ligne sa vidéo le 27 août, cela fait cinq jours que la complosphère – et tout particulièrement les réseaux liés à Dieudonné et Alain Soral – s’ingénie à faire passer l’exécution du journaliste pour un « canular », un « fake », une « mise en scène » ou encore une « supercherie hollywoodienne » (1).

C’est Égalité & Réconciliation (E&R), le site de l’association de Soral, qui ouvre le bal, trois jours seulement après l'annonce de la mort du journaliste. Bien que revendiquée par les djihadistes de l’Etat islamique, l’assassinat de Foley est mis en doute de toutes les manières possibles. E&R se lance ainsi dans un semblant d’analyse filmique où l’on peut lire des phrases comme : « Foley et son comparse semblent en bonne santé » ; « bien qu’il soit à quelques minutes de perdre la vie, Foley ne sourcille pas, ne bafouille pas, ne transpire pas » ; « le débit de Foley ressemble à un jeu d’acteur » ; etc. L’intox est censée profiter naturellement aux Etats-Unis, qui n’auraient de cesse de chercher un alibi pour bombarder la Syrie (2).

Par la méthode et les arguments mobilisés, l’analyse d’E&R rappelle de manière saisissante celle proposée par Thierry Meyssan... il y a dix ans. Il s’agissait alors de mettre en doute l’authenticité d’une vidéo montrant une autre décapitation, celle de Nicholas Berg, un ressortissant américain enlevé par Al-Qaïda en Irak, « l’ancêtre » de l’Etat islamique.

Dès le 23 août, la complosphère transforme James Foley en « espion de la CIA déguisé en journaliste ». C’est Croah.fr, le site du dessinateur dieudonniste Noël Gérard alias Joe Le Corbeau, qui relaie cette rumeur apparue sur les réseaux sociaux et suggérant que Foley n’était pas la victime innocente que « les médias » essaient de nous vendre. On apprend au passage que « 90% des journalistes de l’Occident (Français, Britanniques, USA) sont des agents ou bien liés directement avec les services secrets ».

Pour Croah.fr, en effet, « la décapitation de James Foley est un canular du complexe militaro-industriel américain ». Le bourreau de Foley, quand à lui, est décrit comme un « opérateur du Mossad » (3).

« Le père fait semblant de pleurer »

Le 24 août, c’est au tour de la famille de James Foley d'être prise pour cible par les conspirationnistes. Le Cercle des Volontaires, un site gravitant dans la galaxie dieudonniste et fondé par Jonathan Moadab et Raphaël Berland, s’illustre tout particulièrement dans le décorticage de l’interview des proches du journaliste accusés de jouer la comédie. Dans ce texte où le ridicule le dispute à l'obscène, on peut lire par exemple que « la mère ne montre aucun signe de tristesse », que « le père essaie de pleurer brièvement », qu’« ils ne se souviennent plus combien de fils ils ont (4 fils, puis 3) puis le père en fait une blague et ils rient », que « le frère de James montre des signes de mensonge lorsqu’un journaliste lui pose une question (il se gratte le nez puis l’arrière de la tête) »...

Le 26 août, c’est Agence Info Libre, autre site pro-Dieudonné co-fondé par Jonathan Moadab, qui met en ligne la traduction en français d'un texte issu du site du conspirationniste américain Alex Jones citant les déclarations de Bouthaina Shaaban. Selon cette proche conseillère du président syrien Bachar el-Assad, James Foley a été tué un an auparavant par des djihadistes de l’EIIL.

Agence Info Libre (capture d'écran, 26/08/2014).

Le 27 août, RéseauInternational.net, Al-Manar et le site du conférencier conspirationniste Salim Laïbi, alias Le Libre Penseur, reprennent cette thèse à leur compte en titrant « le James Foley "décapité" N'EST PAS James Foley ». Laïbi va jusqu'à présenter le journaliste comme « un spécialiste des enlèvements » et l'accuser de faire « partie des organes du Renseignement du système hégémonique » (sic).

C’est ce même jour que la vidéo de Dieudonné est mise en ligne. Mais la machine à fabriquer de la théorie du complot ne s’arrête pas pour autant.

Steven Sotloff, israélo-américain donc agent du Mossad ?

Le 3 septembre, l'annonce de l’exécution de Steven Sotloff inspire au blogueur conspirationniste Hicham Hamza un article prétendant démontrer que le journaliste américain – dont on a appris, après sa mort, qu’il avait également la nationalité israélienne – était en réalité... un agent du Mossad ! (4)

Foley « agent de la CIA », Sotloff « agent du Mossad » : conspirationnisme ne rime décidément pas avec respect des faits. Quant au souci de la cohérence, il est à l’avenant. Les conspirationnistes nous ont en effet dit successivement que Foley et sa famille jouaient la comédie, que le journaliste américain n'est probablement pas mort, puis qu'il travaillait sans doute pour la CIA (ce qui atténuerait le scandale de son exécution), enfin que l’homme de la vidéo présenté comme étant Foley n’est pas Foley, que le « vrai » Foley a été tué il y a plus d’un an ! Comment soutenir des thèses qui, pourtant, s'excluent mutuellement ?

Panamza (capture d'écran, 03/09/2014).

Une étude de psychologie sociale menée par une équipe de chercheurs britanniques de l’Université du Kent a montré il y a quelques années que les personnes qui adhèrent à des théories du complot ont tendance à prêter foi, simultanément, à des récits conspirationnistes contradictoires (5). C’est dire si la logique est secondaire dans la vision complotiste du monde.

Au fond, l’essentiel est moins de convaincre que Foley est mort depuis plus d'un an ou qu'au contraire il est encore en vie que d’insinuer le doute dans le public, de faire éclater notre commune réalité pour lui substituer une autre. Une telle opération suppose, pour réussir, qu’on lui ait préparé le terrain, qu’ait été élaboré au préalable un récit explicatif plus large sur lequel la version alternative peut prendre appui et dans lequel elle peut s'insérer. C’est à la fabrication de ce récit, de cette autre réalité, que travaillent inlassablement Thierry Meyssan, Alain Soral, Dieudonné et leurs « compagnons de doute ». Remplaçant les menaces réelles qui pèsent sur le monde par celle, chimérique, du Grand Complot, ces mercenaires de la désinformation ne font pas que détourner notre attention et endormir notre vigilance. Ils exonèrent des criminels de leurs responsabilités. Partant, ne s'en font-ils pas aussi les complices ?

 

Notes :
(1) Des experts médico-légaux interrogés sous le sceau de l'anonymat par la presse britannique sont d'avis que la vidéo de l'exécution de Foley diffusée le 19 août a fait l’objet d’un montage : de toute évidence, Foley n'a pas improvisé sa déclaration, il lisait à haute voix un texte que ses ravisseurs lui faisaient défiler sous les yeux. En outre, la vidéo ne montre pas l’acte de décapitation, elle s’interrompt lorsque le djihadiste masqué qui vient de proférer ses menaces à l'encontre du gouvernement américain commence à égorger Foley pour enchaîner sur un plan montrant la tête tranchée du journaliste reposant sur son corps inerte. Pourquoi avoir coupé au montage la scène de décapitation ? L'égorgement a-t-il été simulé ? Toutes les spéculations sont possibles à cet égard, même si aucune ne permet d'affirmer que Foley n'a pas été exécuté. Le quotidien libanais An-Nahar suggère que le djihadiste, « choisi pour ses compétences en langue anglaise, n'était pas habitué à accomplir ce geste. La vidéo aurait risqué de pâtir de longueurs, avec un bourreau trahissant sa maladresse au moment de couper la tête, jusqu'à ce que quelqu'un lui vienne en aide. On a donc choisi de couper l'image à ce moment-là, pour enchaîner directement sur la tête tranchée et posée sur le cadavre ».
(2) Mobile qui peut surprendre attendu qu'il va à rebours de toute la politique étrangère de l'Administration Obama, réticente à l'idée de s’engager à nouveau militairement au Moyen-Orient après avoir retiré les dernières troupes américaines d’Irak fin 2011.
(3) Extrait d'une vidéo conspirationniste mise en ligne sur Dailymotion et publiée sur Croah.fr.
(4) La « preuve » apportée par Hicham Hamza en dit plus sur ses propres obsessions que sur Steven Sotloff. Ce dernier a en effet vécu pendant trois ans en Israël où il a étudié, une année durant, au Centre interdisciplinaire d’Herzliya, une université privée israélienne. Or, cette université, Hicham Hamza la considère comme « une antenne du Mossad ». La démonstration s'arrête là. L’établissement compte pourtant pas moins de 6500 inscrits. Tous des agents du Mossad ?! Rien d'étonnant de la part d'Hicham Hamza qui présente deux des victimes de l’attentat du Musée juif de Bruxelles, comptables de profession, comme « des ex-agents secrets israéliens » et suspecte également Israël d’avoir joué un rôle de premier plan dans la préparation des attentats du 11-Septembre ainsi que dans les meurtres commis par Mohamed Merah.
(5) Voir Pierre Barthélémy, « Ben Laden et Lady Di sont morts-vivants... », LeMonde.fr, 2 février 2012.

 

(Co-écrit avec Norma Mabovitz)

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Vidéo de la décapitation du journaliste américain James Foley (capture d'écran YouTube, 21/08/2014).

N’était l’ouverture d’une enquête le visant pour apologie d’actes de terrorisme, la dernière vidéo de Dieudonné serait restée dans les égouts du web. Intitulée « Dieudonné sur feu Foley !! », l’humoriste y développe ce singulier mélange de théorie du complot et de compétition victimaire qui, sur fond de goguenardise antisémite, fait sa marque de fabrique.

Tournant en dérision la décapitation de James Foley, Dieudonné compare l’indignation générale soulevée par les images diffusées par l’Etat islamique dans son « Message à l’Amérique » du 19 août dernier et la relative indolence ayant accompagné celles du lynchage du colonel Kadhafi (2011) ou de la pendaison de Saddam Hussein (2006). Appelant les parents du journaliste américain à se « détendre », il évoque une « arnaque » destinée à justifier une intervention occidentale au Moyen-Orient et à laquelle ne seraient pas étrangers « les cadres de la mafia des Rothschild ».

« Canular »

La théorie du complot sur l’assassinat de James Foley ne tombe évidemment pas du ciel. Lorsque Dieudonné met en ligne sa vidéo le 27 août, cela fait cinq jours que la complosphère – et tout particulièrement les réseaux liés à Dieudonné et Alain Soral – s’ingénie à faire passer l’exécution du journaliste pour un « canular », un « fake », une « mise en scène » ou encore une « supercherie hollywoodienne » (1).

C’est Égalité & Réconciliation (E&R), le site de l’association de Soral, qui ouvre le bal, trois jours seulement après l'annonce de la mort du journaliste. Bien que revendiquée par les djihadistes de l’Etat islamique, l’assassinat de Foley est mis en doute de toutes les manières possibles. E&R se lance ainsi dans un semblant d’analyse filmique où l’on peut lire des phrases comme : « Foley et son comparse semblent en bonne santé » ; « bien qu’il soit à quelques minutes de perdre la vie, Foley ne sourcille pas, ne bafouille pas, ne transpire pas » ; « le débit de Foley ressemble à un jeu d’acteur » ; etc. L’intox est censée profiter naturellement aux Etats-Unis, qui n’auraient de cesse de chercher un alibi pour bombarder la Syrie (2).

Par la méthode et les arguments mobilisés, l’analyse d’E&R rappelle de manière saisissante celle proposée par Thierry Meyssan... il y a dix ans. Il s’agissait alors de mettre en doute l’authenticité d’une vidéo montrant une autre décapitation, celle de Nicholas Berg, un ressortissant américain enlevé par Al-Qaïda en Irak, « l’ancêtre » de l’Etat islamique.

Dès le 23 août, la complosphère transforme James Foley en « espion de la CIA déguisé en journaliste ». C’est Croah.fr, le site du dessinateur dieudonniste Noël Gérard alias Joe Le Corbeau, qui relaie cette rumeur apparue sur les réseaux sociaux et suggérant que Foley n’était pas la victime innocente que « les médias » essaient de nous vendre. On apprend au passage que « 90% des journalistes de l’Occident (Français, Britanniques, USA) sont des agents ou bien liés directement avec les services secrets ».

Pour Croah.fr, en effet, « la décapitation de James Foley est un canular du complexe militaro-industriel américain ». Le bourreau de Foley, quand à lui, est décrit comme un « opérateur du Mossad » (3).

« Le père fait semblant de pleurer »

Le 24 août, c’est au tour de la famille de James Foley d'être prise pour cible par les conspirationnistes. Le Cercle des Volontaires, un site gravitant dans la galaxie dieudonniste et fondé par Jonathan Moadab et Raphaël Berland, s’illustre tout particulièrement dans le décorticage de l’interview des proches du journaliste accusés de jouer la comédie. Dans ce texte où le ridicule le dispute à l'obscène, on peut lire par exemple que « la mère ne montre aucun signe de tristesse », que « le père essaie de pleurer brièvement », qu’« ils ne se souviennent plus combien de fils ils ont (4 fils, puis 3) puis le père en fait une blague et ils rient », que « le frère de James montre des signes de mensonge lorsqu’un journaliste lui pose une question (il se gratte le nez puis l’arrière de la tête) »...

Le 26 août, c’est Agence Info Libre, autre site pro-Dieudonné co-fondé par Jonathan Moadab, qui met en ligne la traduction en français d'un texte issu du site du conspirationniste américain Alex Jones citant les déclarations de Bouthaina Shaaban. Selon cette proche conseillère du président syrien Bachar el-Assad, James Foley a été tué un an auparavant par des djihadistes de l’EIIL.

Agence Info Libre (capture d'écran, 26/08/2014).

Le 27 août, RéseauInternational.net, Al-Manar et le site du conférencier conspirationniste Salim Laïbi, alias Le Libre Penseur, reprennent cette thèse à leur compte en titrant « le James Foley "décapité" N'EST PAS James Foley ». Laïbi va jusqu'à présenter le journaliste comme « un spécialiste des enlèvements » et l'accuser de faire « partie des organes du Renseignement du système hégémonique » (sic).

C’est ce même jour que la vidéo de Dieudonné est mise en ligne. Mais la machine à fabriquer de la théorie du complot ne s’arrête pas pour autant.

Steven Sotloff, israélo-américain donc agent du Mossad ?

Le 3 septembre, l'annonce de l’exécution de Steven Sotloff inspire au blogueur conspirationniste Hicham Hamza un article prétendant démontrer que le journaliste américain – dont on a appris, après sa mort, qu’il avait également la nationalité israélienne – était en réalité... un agent du Mossad ! (4)

Foley « agent de la CIA », Sotloff « agent du Mossad » : conspirationnisme ne rime décidément pas avec respect des faits. Quant au souci de la cohérence, il est à l’avenant. Les conspirationnistes nous ont en effet dit successivement que Foley et sa famille jouaient la comédie, que le journaliste américain n'est probablement pas mort, puis qu'il travaillait sans doute pour la CIA (ce qui atténuerait le scandale de son exécution), enfin que l’homme de la vidéo présenté comme étant Foley n’est pas Foley, que le « vrai » Foley a été tué il y a plus d’un an ! Comment soutenir des thèses qui, pourtant, s'excluent mutuellement ?

Panamza (capture d'écran, 03/09/2014).

Une étude de psychologie sociale menée par une équipe de chercheurs britanniques de l’Université du Kent a montré il y a quelques années que les personnes qui adhèrent à des théories du complot ont tendance à prêter foi, simultanément, à des récits conspirationnistes contradictoires (5). C’est dire si la logique est secondaire dans la vision complotiste du monde.

Au fond, l’essentiel est moins de convaincre que Foley est mort depuis plus d'un an ou qu'au contraire il est encore en vie que d’insinuer le doute dans le public, de faire éclater notre commune réalité pour lui substituer une autre. Une telle opération suppose, pour réussir, qu’on lui ait préparé le terrain, qu’ait été élaboré au préalable un récit explicatif plus large sur lequel la version alternative peut prendre appui et dans lequel elle peut s'insérer. C’est à la fabrication de ce récit, de cette autre réalité, que travaillent inlassablement Thierry Meyssan, Alain Soral, Dieudonné et leurs « compagnons de doute ». Remplaçant les menaces réelles qui pèsent sur le monde par celle, chimérique, du Grand Complot, ces mercenaires de la désinformation ne font pas que détourner notre attention et endormir notre vigilance. Ils exonèrent des criminels de leurs responsabilités. Partant, ne s'en font-ils pas aussi les complices ?

 

Notes :
(1) Des experts médico-légaux interrogés sous le sceau de l'anonymat par la presse britannique sont d'avis que la vidéo de l'exécution de Foley diffusée le 19 août a fait l’objet d’un montage : de toute évidence, Foley n'a pas improvisé sa déclaration, il lisait à haute voix un texte que ses ravisseurs lui faisaient défiler sous les yeux. En outre, la vidéo ne montre pas l’acte de décapitation, elle s’interrompt lorsque le djihadiste masqué qui vient de proférer ses menaces à l'encontre du gouvernement américain commence à égorger Foley pour enchaîner sur un plan montrant la tête tranchée du journaliste reposant sur son corps inerte. Pourquoi avoir coupé au montage la scène de décapitation ? L'égorgement a-t-il été simulé ? Toutes les spéculations sont possibles à cet égard, même si aucune ne permet d'affirmer que Foley n'a pas été exécuté. Le quotidien libanais An-Nahar suggère que le djihadiste, « choisi pour ses compétences en langue anglaise, n'était pas habitué à accomplir ce geste. La vidéo aurait risqué de pâtir de longueurs, avec un bourreau trahissant sa maladresse au moment de couper la tête, jusqu'à ce que quelqu'un lui vienne en aide. On a donc choisi de couper l'image à ce moment-là, pour enchaîner directement sur la tête tranchée et posée sur le cadavre ».
(2) Mobile qui peut surprendre attendu qu'il va à rebours de toute la politique étrangère de l'Administration Obama, réticente à l'idée de s’engager à nouveau militairement au Moyen-Orient après avoir retiré les dernières troupes américaines d’Irak fin 2011.
(3) Extrait d'une vidéo conspirationniste mise en ligne sur Dailymotion et publiée sur Croah.fr.
(4) La « preuve » apportée par Hicham Hamza en dit plus sur ses propres obsessions que sur Steven Sotloff. Ce dernier a en effet vécu pendant trois ans en Israël où il a étudié, une année durant, au Centre interdisciplinaire d’Herzliya, une université privée israélienne. Or, cette université, Hicham Hamza la considère comme « une antenne du Mossad ». La démonstration s'arrête là. L’établissement compte pourtant pas moins de 6500 inscrits. Tous des agents du Mossad ?! Rien d'étonnant de la part d'Hicham Hamza qui présente deux des victimes de l’attentat du Musée juif de Bruxelles, comptables de profession, comme « des ex-agents secrets israéliens » et suspecte également Israël d’avoir joué un rôle de premier plan dans la préparation des attentats du 11-Septembre ainsi que dans les meurtres commis par Mohamed Merah.
(5) Voir Pierre Barthélémy, « Ben Laden et Lady Di sont morts-vivants... », LeMonde.fr, 2 février 2012.

 

(Co-écrit avec Norma Mabovitz)

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à propos de l'auteur
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Rudy Reichstadt
Directeur de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt est expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et chroniqueur pour l'hebdomadaire Franc-Tireur. Co-auteur du film documentaire « Complotisme : les alibis de la terreur », il a publié chez Grasset L'Opium des imbéciles. Essai sur la question complotiste (2019) et Au cœur du complot (2023) et a co-dirigé Histoire politique de l'antisémitisme en France. De 1967 à nos jours, chez Robert Laffont (2024). Il a également participé à l'élaboration du rapport « Les Lumières à l’ère numérique » dans le cadre de la commission Bronner (2022). Depuis 2021, il co-anime le podcast « Complorama » sur France Info.
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