Le régime des mollahs est aux abois. Son recours désormais systématique à la théorie du complot pour expliquer le mécontentement populaire qui s’exprime dans la rue suite à l'élection présidentielle contestée du 12 juin, suffit à convaincre que le clan ultraconservateur réuni autour du Guide suprême Ali Khamenei et du président Mahmoud Ahmadinejad ne s’attendait pas à des manifestations d’une telle ampleur ni d’une telle intensité.
C’est ainsi que dimanche, sur la télévision iranienne, le ministre des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, a accusé la Grande-Bretagne d'avoir « comploté contre l'élection présidentielle depuis plus de deux ans ». D'après lui, « des éléments liés aux services de renseignements britanniques étaient arrivés en masse avant l'élection présidentielle ». La « preuve », selon lui : la compagnie aérienne assurant la ligne Londres-Téhéran avait dû avoir recours à un avion plus gros, « de type 747 ». « La Grande-Bretagne (...) voulait que personne n'aille voter, c'était la ligne des médias britanniques » a affirmé le ministre.
De son côté, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hassan Qashqavi, a déclaré : « En contradiction avec les normes internationalement reconnues, de nombreux pays européens et l'Amérique soutiennent les émeutiers et les opportunistes au lieu d'inviter le peuple à s'en remettre aux institutions de la démocratie ». « La promotion de l'anarchie et du vandalisme par les puissances ainsi que par les médias occidentaux est absolument inacceptable », a-t-il ajouté, qualifiant également la Voix de l'Amérique – la radio financée par le Congrès américain – et la BBC de « postes de commandement des émeutes ». Peu après, le correspondant permanent de la BBC à Téhéran, Jon Leyne, a reçu l'ordre de quitter le pays sous 24 heures au motif qu’il aurait, selon l'agence de presse pro-gouvernementale Fars, manqué de neutralité dans ses reportages et diffusé des « fausses nouvelles ».
Dans le même temps, la télévision iranienne a diffusé des reportages sur les Moudjahidine du peuple (OMPI), la principale force d'opposition en exil. Le ministère des Renseignements a annoncé l'arrestation de plusieurs membres de l’OMPI qui sont apparus à la télévision le visage flouté et « avouant » avoir été entraînés militairement dans des camps avec le soutien de la Grande-Bretagne.
Dans son prêche à l'Université de Téhéran, le 19 juin, l'ayatollah Khamenei s'en est ouvertement pris à l'« Angleterre diabolique », qu'il accuse de téléguider les manifestations :
« Ils montrent leur vraie hostilité envers l'Etat islamique iranien, et le plus mauvais d'eux est le gouvernement britannique (...). [Ce sont] des loups affamés en embuscade, prêts à retirer le masque diplomatique de leur visage. Ne négligez pas ces gens-là ! ».
Khamenei a également évoqué les « ennemis » de l'Iran qui « prennent pour cible la légitimité du pouvoir islamique en remettant en cause l'élection et sa validité, avant et après le scrutin. (...) A la suite des manifestations de rue, certaines puissances étrangères ont commencé à s'ingérer dans les affaires de l'Etat d'Iran en mettant en cause le résultat du scrutin ». Evoquant, sans la nommer, la radio publique israélienne (qui émet des programmes en farsi), le Guide suprême a également vilipendé « la radio sioniste (...) qui tente de modifier le sens de l'élection ».
Les fidèles du Guide suprême venus écouter le prêche du vendredi scandaient des « Marg bar Ingles » (« Mort à l'Angleterre » - NDLR). Le Monde rapporte qu'ils étaient nombreux à porter une curieuse pancarte : « Bahaï BC ». Il s'agit de vilipender la BBC en l'accusant d'être contrôlée par les bahaïs, une secte apparue en Iran au XIXe siècle et férocement combattue par la République islamique. Tous les journaux distribués gratuitement autour de l'Université dévoilaient un complot « ourdi de longue date par les ennemis » de l'Iran, qui consistait à faire descendre des gens dans la rue après l'annonce des résultats et à renverser le régime. On y lit que l'ex-président réformateur Khatami aurait effectué cette semaine un voyage secret en Egypte pour y rencontrer des officiels américains qui lui auraient remis des moyens de communication cryptés ainsi que des conseils pour mener à bien une insurrection urbaine. Ou encore que l'autre ex-président, Hachemi Rafsandjani, a fait creuser une entrée secrète dans son bureau de la rue Pasteur, à Téhéran, pour que les nombreux visiteurs qu'il y reçoit ne soient pas repérés par la sécurité (qui dépend du Guide).
Le 17 juin, l'ambassadeur suisse à Téhéran – qui représente les intérêts américains en Iran, les Etats-Unis ne disposant pas d’ambassade – avait été convoqué : Washington avait été accusé par le régime iranien d’être derrière les manifestations contre la fraude électorale. Quelques heures plus tôt, le procureur général de la province d'Ispahan, Mohammadreza Habibi, avait menacé les manifestants en ces termes :
« Nous prévenons ces quelques éléments contrôlés par l'étranger qui cherchent à perturber la sécurité intérieure en incitant des individus à détruire et à commettre des incendies criminels que le code pénal islamique prévoit l'exécution pour de tels individus faisant la guerre à Dieu (…) Par conséquent, avant d'être frappés par le châtiment de la loi, ils seraient avisés de revenir dans le giron de la nation et de s'abstenir d'activités criminelles ».
Blanchis par la télévision d'Etat, qui accuse des « agents terroristes » d'être à l'origine des morts parmi les manifestants, le corps des Gardiens de la révolution (pasdarans) ont quant à eux reproché aux médias en ligne de « promouvoir les émeutes ».
Sou
rces : L'Express ; Le Monde ; Le Progrès ; dépêches AFP.
Mise à jour (24/06/2009) :
Les autorités iraniennes ont arrêté aujourd'hui 25 journalistes et membres du personnel du quotidien Kalemeh Sabz de Mir Hossein Moussavi. Dans un communiqué publié par l'agence officielle Irna, la police, parlant d'une descente des forces de sécurité au siège du journal, a affirmé que des « documents prouvant l'existence d'un complot contre la sécurité nationale » y avaient été trouvés. « Après l'examen attentif du bâtiment, qui était le siège de campagne d'un des candidats, il a été prouvé qu'on y menait des activités pour organiser les récentes manifestations et émeutes (...) et des actions contre la sécurité nationale », selon la même source. Le communiqué précise : « les documents sur les liens avec les médias hostiles, l'ingérence des étrangers et l'organisation d'un complot y ont été trouvés (...) et ce lieu était devenu le centre de commandement de la guerre psychologique contre la sécurité du pays ». « Les comploteurs qui se trouvaient dans ce bâtiment ont été arrêtés et sont actuellement interrogés », a ajouté la police.
Voir aussi :
* Tristan Mendès-France, « Iran : après Marianne, L’Expansion victime de l’islamo-gauchisme », egoblog.net, 24 juin 2009.
* Christopher Hitchens, “ Iran's leaders love their Western plots ”, The Australian, June 30, 2009. Publié en version française sous le titre « L'Iran d'Ahmadinejad en proie aux démons », Slate.fr, 26 juin 2009 (traduction : Bérengère Viennot).
Mise à jour (06/07/2009) :
Dans un entretien diffusé le 17 juin 2009 sur la deuxième chaîne iranienne, Gholam Ali Haddad Adel, président du Parlement iranien, a déclaré que la BBC « grouillait de Bahaïs ». Voici la citation intégrale :
« La BBC est solidaire de ces gens. C´est ce même réseau de la BBC grouillant de Bahaïs qui se venge des Iraniens. En fait, les directeurs de plusieurs départements de la BBC en farsi, qui diffuse depuis quelques mois, sont des Bahaïs. Je pense que le peuple iranien ne devrait plus considérer les initiales "BBC" comme celles de "British Broadcasting Company", mais comme celles de "Bahai Broadcasting Company". En d´autres termes, elle est la voix des Bahaïs – non qu´il y ait une si grande différence entre les deux… Après tout, ce sont les Anglais qui ont créé les Bahaïs. On ne devrait pas faire confiance à ce réseau ».
Depuis la Révolution islamique (1979) les Bahaïs font figure d’ennemis de l’intérieur du régime des mollahs. Les membres de cette communauté religieuse interdite font l’objet de nombreuses persécutions.
Le régime des mollahs est aux abois. Son recours désormais systématique à la théorie du complot pour expliquer le mécontentement populaire qui s’exprime dans la rue suite à l'élection présidentielle contestée du 12 juin, suffit à convaincre que le clan ultraconservateur réuni autour du Guide suprême Ali Khamenei et du président Mahmoud Ahmadinejad ne s’attendait pas à des manifestations d’une telle ampleur ni d’une telle intensité.
C’est ainsi que dimanche, sur la télévision iranienne, le ministre des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, a accusé la Grande-Bretagne d'avoir « comploté contre l'élection présidentielle depuis plus de deux ans ». D'après lui, « des éléments liés aux services de renseignements britanniques étaient arrivés en masse avant l'élection présidentielle ». La « preuve », selon lui : la compagnie aérienne assurant la ligne Londres-Téhéran avait dû avoir recours à un avion plus gros, « de type 747 ». « La Grande-Bretagne (...) voulait que personne n'aille voter, c'était la ligne des médias britanniques » a affirmé le ministre.
De son côté, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hassan Qashqavi, a déclaré : « En contradiction avec les normes internationalement reconnues, de nombreux pays européens et l'Amérique soutiennent les émeutiers et les opportunistes au lieu d'inviter le peuple à s'en remettre aux institutions de la démocratie ». « La promotion de l'anarchie et du vandalisme par les puissances ainsi que par les médias occidentaux est absolument inacceptable », a-t-il ajouté, qualifiant également la Voix de l'Amérique – la radio financée par le Congrès américain – et la BBC de « postes de commandement des émeutes ». Peu après, le correspondant permanent de la BBC à Téhéran, Jon Leyne, a reçu l'ordre de quitter le pays sous 24 heures au motif qu’il aurait, selon l'agence de presse pro-gouvernementale Fars, manqué de neutralité dans ses reportages et diffusé des « fausses nouvelles ».
Dans le même temps, la télévision iranienne a diffusé des reportages sur les Moudjahidine du peuple (OMPI), la principale force d'opposition en exil. Le ministère des Renseignements a annoncé l'arrestation de plusieurs membres de l’OMPI qui sont apparus à la télévision le visage flouté et « avouant » avoir été entraînés militairement dans des camps avec le soutien de la Grande-Bretagne.
Dans son prêche à l'Université de Téhéran, le 19 juin, l'ayatollah Khamenei s'en est ouvertement pris à l'« Angleterre diabolique », qu'il accuse de téléguider les manifestations :
« Ils montrent leur vraie hostilité envers l'Etat islamique iranien, et le plus mauvais d'eux est le gouvernement britannique (...). [Ce sont] des loups affamés en embuscade, prêts à retirer le masque diplomatique de leur visage. Ne négligez pas ces gens-là ! ».
Khamenei a également évoqué les « ennemis » de l'Iran qui « prennent pour cible la légitimité du pouvoir islamique en remettant en cause l'élection et sa validité, avant et après le scrutin. (...) A la suite des manifestations de rue, certaines puissances étrangères ont commencé à s'ingérer dans les affaires de l'Etat d'Iran en mettant en cause le résultat du scrutin ». Evoquant, sans la nommer, la radio publique israélienne (qui émet des programmes en farsi), le Guide suprême a également vilipendé « la radio sioniste (...) qui tente de modifier le sens de l'élection ».
Les fidèles du Guide suprême venus écouter le prêche du vendredi scandaient des « Marg bar Ingles » (« Mort à l'Angleterre » - NDLR). Le Monde rapporte qu'ils étaient nombreux à porter une curieuse pancarte : « Bahaï BC ». Il s'agit de vilipender la BBC en l'accusant d'être contrôlée par les bahaïs, une secte apparue en Iran au XIXe siècle et férocement combattue par la République islamique. Tous les journaux distribués gratuitement autour de l'Université dévoilaient un complot « ourdi de longue date par les ennemis » de l'Iran, qui consistait à faire descendre des gens dans la rue après l'annonce des résultats et à renverser le régime. On y lit que l'ex-président réformateur Khatami aurait effectué cette semaine un voyage secret en Egypte pour y rencontrer des officiels américains qui lui auraient remis des moyens de communication cryptés ainsi que des conseils pour mener à bien une insurrection urbaine. Ou encore que l'autre ex-président, Hachemi Rafsandjani, a fait creuser une entrée secrète dans son bureau de la rue Pasteur, à Téhéran, pour que les nombreux visiteurs qu'il y reçoit ne soient pas repérés par la sécurité (qui dépend du Guide).
Le 17 juin, l'ambassadeur suisse à Téhéran – qui représente les intérêts américains en Iran, les Etats-Unis ne disposant pas d’ambassade – avait été convoqué : Washington avait été accusé par le régime iranien d’être derrière les manifestations contre la fraude électorale. Quelques heures plus tôt, le procureur général de la province d'Ispahan, Mohammadreza Habibi, avait menacé les manifestants en ces termes :
« Nous prévenons ces quelques éléments contrôlés par l'étranger qui cherchent à perturber la sécurité intérieure en incitant des individus à détruire et à commettre des incendies criminels que le code pénal islamique prévoit l'exécution pour de tels individus faisant la guerre à Dieu (…) Par conséquent, avant d'être frappés par le châtiment de la loi, ils seraient avisés de revenir dans le giron de la nation et de s'abstenir d'activités criminelles ».
Blanchis par la télévision d'Etat, qui accuse des « agents terroristes » d'être à l'origine des morts parmi les manifestants, le corps des Gardiens de la révolution (pasdarans) ont quant à eux reproché aux médias en ligne de « promouvoir les émeutes ».
Sou
rces : L'Express ; Le Monde ; Le Progrès ; dépêches AFP.
Mise à jour (24/06/2009) :
Les autorités iraniennes ont arrêté aujourd'hui 25 journalistes et membres du personnel du quotidien Kalemeh Sabz de Mir Hossein Moussavi. Dans un communiqué publié par l'agence officielle Irna, la police, parlant d'une descente des forces de sécurité au siège du journal, a affirmé que des « documents prouvant l'existence d'un complot contre la sécurité nationale » y avaient été trouvés. « Après l'examen attentif du bâtiment, qui était le siège de campagne d'un des candidats, il a été prouvé qu'on y menait des activités pour organiser les récentes manifestations et émeutes (...) et des actions contre la sécurité nationale », selon la même source. Le communiqué précise : « les documents sur les liens avec les médias hostiles, l'ingérence des étrangers et l'organisation d'un complot y ont été trouvés (...) et ce lieu était devenu le centre de commandement de la guerre psychologique contre la sécurité du pays ». « Les comploteurs qui se trouvaient dans ce bâtiment ont été arrêtés et sont actuellement interrogés », a ajouté la police.
Voir aussi :
* Tristan Mendès-France, « Iran : après Marianne, L’Expansion victime de l’islamo-gauchisme », egoblog.net, 24 juin 2009.
* Christopher Hitchens, “ Iran's leaders love their Western plots ”, The Australian, June 30, 2009. Publié en version française sous le titre « L'Iran d'Ahmadinejad en proie aux démons », Slate.fr, 26 juin 2009 (traduction : Bérengère Viennot).
Mise à jour (06/07/2009) :
Dans un entretien diffusé le 17 juin 2009 sur la deuxième chaîne iranienne, Gholam Ali Haddad Adel, président du Parlement iranien, a déclaré que la BBC « grouillait de Bahaïs ». Voici la citation intégrale :
« La BBC est solidaire de ces gens. C´est ce même réseau de la BBC grouillant de Bahaïs qui se venge des Iraniens. En fait, les directeurs de plusieurs départements de la BBC en farsi, qui diffuse depuis quelques mois, sont des Bahaïs. Je pense que le peuple iranien ne devrait plus considérer les initiales "BBC" comme celles de "British Broadcasting Company", mais comme celles de "Bahai Broadcasting Company". En d´autres termes, elle est la voix des Bahaïs – non qu´il y ait une si grande différence entre les deux… Après tout, ce sont les Anglais qui ont créé les Bahaïs. On ne devrait pas faire confiance à ce réseau ».
Depuis la Révolution islamique (1979) les Bahaïs font figure d’ennemis de l’intérieur du régime des mollahs. Les membres de cette communauté religieuse interdite font l’objet de nombreuses persécutions.
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