Quand l'animatrice libanaise Maria Maalouf invite un représentant du mouvement de Lyndon LaRouche pour parler politique internationale, la théorie du complot n'est jamais très loin.
Le 31 mai 2006, la télévision libanaise New TV diffuse une émission animée par sa présentatrice vedette Maria Maalouf. Il s’agit d’un entretien avec Uwe Friesecke, de l’Executive Intelligence Review. Maria Maalouf ouvre son émission par une longue introduction en langue arabe ; puis elle dialogue avec Uwe Friesecke, en direct d’Allemagne (ils se parlent en anglais, et leurs propos sont sous-titrés en arabe).
Maria Maalouf, Uwe Friesecke, Executive Intelligence Review : ces noms, figurant dans un programme d’une télévision arabe, ne disent peut-être rien au lecteur français. Quelques informations complémentaires ne sont donc pas inutiles.
Commençons par l’Executive Intelligence Review. Un nom qui sonne scientifique, sérieux, respectable. Il s’agit, en fait, de l’organe hebdomadaire d’une secte dirigée par un Américain nommé Lyndon LaRouche. Ce dernier, après avoir milité chez les trotskistes, a viré à l’extrême droite. L’Institut Schiller, dont il est le fondateur et qui est dirigé par sa femme, Helga Zepp-LaRouche, est le lieu d’une intense activité sectaire axée sur une adoration quasi-mystique de l’homme qui assure « sa direction intellectuelle et morale ».
Comme souvent en pareil cas, l’esprit sectaire va de pair avec des dérives conspirationnistes et paranoïaques, des pressions exercées sur les membres et une dissimulation systématique vis-à-vis de l’extérieur. Le discours proprement « politique » de Lyndon LaRouche (on trouve aussi chez lui des élucubrations sur la musique, les arts et la philosophie) relève de l’espèce « rouge brun », c’est-à-dire que sous des dehors anti-impérialistes il ravive des haines primaires.
Dans une note consacrée au phénomène LaRouche, l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (UNADFI), un organisme français reconnu par l’Éducation nationale, voué à l’étude des mouvements sectaires, indique que la « théorie du complot » et, plus particulièrement, « le complot juif mondial » est le « fonds de commerce de LaRouche » ; c’est pourquoi « ses attaques envers les personnalités politiques ou artistiques visent la plupart du temps des personnalités juives ».
La structure française appartenant à la « galaxie LaRouche » est le parti politique Solidarité et Progrès, dirigé par Jacques Cheminade, dont l’organe se nomme Nouvelle solidarité. Les « LaRouchistes » français font montre d’une certaine prudence dans leur discours public, citant toujours avec révérence « les écrits de Lyndon LaRouche » (1) mais évitant de trop annoncer leur véritable couleur idéologique. En revanche, leurs homologues allemands sont plus diserts.
Le parti « LaRouchiste » allemand, dirigé par Helga Zepp-LaRouche, l’épouse allemande du chef, est le Bürgerrechtsbewegung Solidarität (BüSo), dont l’organe est Neue Solidarität. Une note de l’Informationsdienst gegen Rechtsextremismus (Service d’information contre l’extrême droite) définit le programme du parti comme « imprégné de connotations antisémites et autoritaristes ». La note cite ainsi un texte publié par Helga Zepp-LaRouche pour protester contre la diffusion de la série télévisée Holocauste, fruit selon elle de l’action d’un « réseau sioniste opérant en Allemagne ».
Uwe Friesecke, l’invité allemand de Maria Maalouf, représentait le BüSo lors des élections européennes de 2004 dans l’État de Hesse. Il apparaît aussi, à l’occasion, en tant que représentant de l’autre structure LaRouchiste, l’Institut Schiller (2). Mais lorsqu’il est interviewé à la télévision libanaise, c’est en tant que collaborateur de l’hebdomadaire Executive Intelligence Review dont il est le spécialiste des questions africaines (3).
QUI MENACE L’AVENIR DU MONDE ?
Revenons donc à cette émission de la télévision libanaise New TV, dont on peut consulter de larges extraits sur le site internet www.memritv.org (lire la transcription). Avant de donner la parole à Uwe Friesecke, la présentatrice Maria Maalouf s’adresse directement au public, en langue arabe :
« Dites-moi ce que vous lisez, et je vous dirai qui vous êtes. S’agissant des Juifs : dites-moi ce qu’on lit dans leur ancienne Torah, et je vous dirai ce que se passe dans le monde aujourd’hui. Face au sida, au SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère, ndlr], à l’anthrax, à la grippe aviaire, et à ce qui est encore à venir, il est utile de revenir à l’Ancien Testament. Non pas pour proférer des accusations, mais pour enquêter sur le secret qui est à l’origine de la grande similarité – voire de l’identité – entre les épidémies qui se sont répandues dans le monde entier et le secret du Livre de l’Exode dans l’Ancien Testament, en ce qui concerne l’affrontement entre les Juifs et les Égyptiens, lorsque les Hébreux ont transformé l’eau du Nil en sang et ont contaminé les poissons avec une maladie qui a empêché les Égyptiens de manger et de boire, et quand des divisions de grenouilles, de puces et de mouches ont envahi le peuple égyptien, tout comme les millions d’oiseaux que nous voyons aujourd’hui étouffer.
Ce jour-là, tout le bétail et tous les moutons ont été frappés de maladies, tout comme la maladie de la vache folle qui a frappé aujourd’hui les peuples du monde entier.
Ce jour-là, Dieu dit à Moïse, comme toujours dans l’Ancien Testament : “Demain, j’enverrai des sauterelles sur l’Égypte, et elles recouvriront la surface de la terre de sorte que personne ne pourra rien voir. Les sauterelles rempliront les maisons des Égyptiens, elles mangeront leurs arbres et les détruiront.” Tout comme les maladies et les épidémies qui menacent l’avenir du monde.
Par qui ? Telle est la question, et tel est le problème, comme disait Shakespeare. Nos téléspectateurs recevront la réponse avec cette émission de la série “Sans censure”, dont le sujet est : “Après le sida, l’anthrax et la maladie de la vache folle : la grippe aviaire, le secret caché”. »
L’introduction est limpide. L’explication des malheurs du monde actuel est à chercher dans une entreprise « secrète ». La clé de l’énigme se trouve dans les livres des Juifs. Et les épidémies qui affolent les contemporains sont une réédition des malheurs que les Hébreux ont infligés aux Égyptiens. Comment, pourquoi ? Uwe Friesecke, de l’Executive Intelligence Review, est là pour nous le dire.
On passe à l’interview. Maria Maalouf pose à son invité la première question : « Selon les prévisions, la population mondiale sera de dix milliards de personnes en l’an 2050. Ce chiffre inquiète les États-Unis, qui préparent une réduction de la population de l’Asie et de l’Afrique. Êtes-vous d’accord avec ce point de vue ? »
Gêne manifeste de l’interviewé. La ficelle est vraiment trop grosse. Chez Lyndon LaRouche, le discours conspirationniste vise le « gouvernement mondial » et ses représentants américains, mais non les États-Unis en tant que tels (c’est le pays du vénéré fondateur, et c’est là qu’il a ses plus fidèles disciples et ses principales sources de fonds). Uwe Friesecke se contorsionne : « Eh bien, pas tout à fait, parce que ce n’est pas ainsi que les États-Unis, en tant que pays, voient le problème. Mais il y a un certain groupe politique, qui a des représentants aux États-Unis mais qui est un groupe international, qui est intéressé à réduire assez fortement la population mondiale. C’est vrai, mais ce n’est un problème typiquement ou spécifiquement réservé aux États-Unis. » Maria Maalouf revient à la charge : « Mais, vous savez, la guerre, par la guerre, les États-Unis dirigent des tas de guerres, la guerre de Corée dans les années cinquante, les guerres au Vietnam, les Philippines, l’Indonésie, l’Amérique centrale, et aussi le Golfe, et dernièrement la guerre en Afghanistan et en Irak. Comme contribuent-ils à réduire la population en faisant la guerre à… spécialement au monde arabe, si vous voulez parler du monde arabe ? »
Uwe Friesecke est à l’agonie. Dans quel pétrin s’est-il fourré ? Cette animatrice libanaise est une novice en conspirationnisme. Le complot mondial, ce n’est pas une puissance dominante, c’est un réseau avec des agents un peu partout. Il essaie d’expliquer : « Eh bien, je veux dire, il est certain que le genre de politique impériale que représentent le vice-président Cheney, le secrétaire à la défense Rumsfeld,et ce qu’on appelle le groupe des neo-cons, constitue une politique génocidaire. Il n’y a pas de doute là-dessus. Mais souvenez-vous qu’il s’agit d’une politique qui n’est pas limitée à cette partie de l’establishment américain. On a en Grande-Bretagne des partisans très résolus de cette politique. »
Maria Maalouf a retenu qu’il faut dire du mal du gouvernement Bush et des neo-cons, ces « néoconservateurs » dont le nom est devenu synonyme de « Juifs » dans la mouvance conspirationniste. Elle tente de pousser maintenant son invité sur le terrain des épidémies, puisque tel est le thème de l’émission. Le sida en Afrique, l’anthrax, la grippe aviaire, et les guerres civiles dans de nombreux pays africains et asiatiques, tout cela ne relève-t-il pas d’une même politique d’extermination ? « Eh bien, dit Uwe Friesecke, plus prudent que jamais, il faut considérer le cas africain en détail. » Mais il se souvient qu’on l’a fait venir dans le studio pour entendre de lui des paroles fortes. Et il se lâche un peu : « Vous avez raison, c’est un désastre, la manière dont le sida fait des victimes, c’est un génocide en Afrique, sans aucun doute. »
LE GÉNOCIDE PLANIFIÉ PAR KISSINGER
Il est évident, y compris pour les personnes qui n’appartiennent pas à la galaxie conspirationniste, que le sida en Afrique est une épouvantable catastrophe. Cependant, le terme de « génocide » n’a de sens que s’il y a une intention génocidaire et des auteurs du génocide. Uwe Friesecke a parlé de « génocide », cela veut dire qu’il y a un complot. Maria Maalouf croit avoir trouvé enfin son angle d’attaque : « Selon certains spécialistes, il est facile pour n’importe quel pays de répandre des maladies dans un autre pays. » Et d’interroger : « Peut-on relier cela à un motif politique, et à ce mémorandum de Kissinger ? Est-il vrai que lui et son groupe avaient cela pour objectif, qu’ils avaient rédigé leur mémorandum à cette fin ? »
Ici, un mot d’explication s’impose, à l’usage du lecteur peu familier de la littérature conspirationniste. Maria Maalouf parle du « mémorandum de Kissinger » comme s’il s’agissait d’un objet connu de tous. Sans doute veut-elle toucher ainsi une corde sensible chez son invité, Uwe Friesecke. Peut-être juge-t-elle également que le seul nom de Kissinger, incarnant l’image honnie du Juif américain, est suffisamment parlant pour ses téléspectateurs. Mais la vérité est que le lien entre son sujet et le « mémorandum de Kissinger » est pour le moins ténu.
Pour savoir ce qu’il en retourne, il faut revenir aux sources et consulter un gros dossier publié le 8 décembre 1995 par… l’Executive Intelligence Review et diffusé par… l’Institut Schiller. C’est dire si on reste en famille. Sous le titre « Qui est responsable du manque de nourriture à l’échelle mondiale », ce dossier dénonce un prétendu « programme de Kissinger pour le génocide par le contrôle de la nourriture ».
La « pièce à conviction » présentée par les fidèles de Lyndon LaRouche est un document de travail rédigé en 1974 par le Conseil pour la sécurité nationale des États-Unis (dont Henry Kissinger était alors le responsable), portant sur la croissance de la population mondiale et ses conséquences géopolitiques. Seuls des esprits malades ont pu lire un tel document comme un « programme génocidaire » : par exemple, lorsque le texte s’inquiète des futurs problèmes d’approvisionnement dans le tiers-monde, ils traduisent cela comme une volonté de réduire la population de ces pays en créant une famine artificielle. Afin de compléter le tableau, les « experts » de Lyndon LaRouche font la liste des grandes sociétés de commerce alimentaire dans le monde, dont il ressort à l’évidence que quelques individus contrôlent et manipulent à leur gré l’alimentation de tous les hommes.
La « campagne pour nourrir le monde » lancée par Lyndon LaRouche a fait long feu, ainsi que toutes les « campagnes » abracadabrantes qui fleurissent à intervalles réguliers dans cette mouvance afin d’entretenir l’enthousiasme des militants et d’attirer de nouveaux adeptes. Mais le « mémorandum de Kissinger » est resté dans la mémoire collective de la secte et de quelques autres filières conspirationnistes. Il s’y est enrichi, ultérieurement, d’une nouvelle facette liée à l’épidémie du sida en Afrique.
Le raisonnement peut paraître bizarre à qui n’a pas la fibre conspirationniste – mais, pour un adapte du complot, tout se tient. Puisque l’épidémie du sida est une création artificielle, et puisque Kissinger planifiait dès 1974 la réduction de la population mondiale, il est évident que le sida a été inventé par des agents de la CIA (sur l’ordre de Kissinger) afin de commettre un génocide dans le monde africain.
Maria Maalouf n’improvise donc pas quand elle évoque le « mémorandum de Kissinger ». En introduisant l’émission, elle avait rappelé le temps où « les Hébreux ont transformé l’eau du Nil en sang et ont contaminé les poissons avec une maladie qui a empêché les Égyptiens de manger et de boire » et suggéré aussitôt un rapprochement avec « les maladies et les épidémies qui menacent l’avenir du monde ». Nous y voilà. Uwe Friesecke abonde dans son sens, mais en évitant de citer des noms : « Parmi ces gens-là, au plus haut niveau, il y a des gens très cyniques. Oui, l’idée existe que si la maladie se répand c’est bon pour limiter la population ; ou s’il y a des guerres, après tout c’est bon pour limiter la population. »
LA GRIPPE AVIAIRE ET LE COMPLOT
L’émission va sur sa fin. Maria Maalouf propose à « Monsieur Uwe » de « revenir à notre sujet, directement, au sujet de la grippe aviaire ». Mais tout ce qu’elle trouve à dire est que le secrétaire américain à la défense, Donald Rumsfeld, était « probablement » membre du conseil d’administration du groupe de recherche pharmaceutique Gilead, « la société qui a produit le Tamiflu, le médicament contre la grippe aviaire ». (En réalité, Donald Rumsfeld était président de Gilead avant d’entrer au gouvernement Bush.) Et elle demande à son invité de commenter le fait que Gilead est une société bénéficiaire.
La réponse d’Uwe Friesecke est un modèle du genre : « Eh bien, il est certainement vrai qu’il existe des moyens pour combattre ces maladies. Il est possible de fabriquer des médicaments qui permettront de contrôler ces maladies. Et il y a évidemment des gens à de hautes positions qui contrôlent ces sociétés, et qui empêchent cela pour des raisons personnelles qui relèvent de la corruption. C’est certainement vrai, et il n’y a qu’une manière d’y remédier. Nous devons modifier radicalement la politique dans ces centres de pouvoir internationaux, qui auraient la capacité de veiller à ce que soient prises les mesures nécessaires pour contrôler les maladies. »
Essayons de décrypter les propos de l’« expert » allemand : il est possible de traiter les maladies, mais les conspirateurs qui dominent le monde empêchent que cela se sache afin d’accaparer les prof its dans leurs sociétés pharmaceutiques. Par exemple, pour traiter la grippe aviaire il suffit de boire un jus de carotte chaque matin ; mais Donald Rumsfeld veille à ce que les gens l’ignorent car il faut développer les ventes de Tamiflu. On a là un bon exemple de la vacuité totale du discours conspirationniste, en même temps que de son extrême violence : en l’absence de toute information concrète, le public est invité à fantasmer sur les moyens miraculeux qui permettraient de résoudre les problèmes du monde entier, et donc à s’emporter contre les comploteurs qui dissimulent ces moyens miraculeux par esprit de lucre et de pouvoir.
LYNDON LAROUCHE CHEZ MARIA MAALOUF
Il manque une chose au tableau. C’est ce Deus ex machina que Maria Maalouf avait pourtant annoncé dans son introduction : la dimension juive du complot. N’avait-elle pas déclaré que son propos était d’« enquêter sur le secret qui est à l’origine de la grande similarité – voire de l’identité – entre les épidémies qui se sont répandues dans le monde entier et le secret du Livre de l’Exode dans l’Ancien Testament » ? Peut-être fait-elle confiance à ses téléspectateurs arabophones pour combler les vides laissés par la trop grande prudence de son invité allemand. Car ce dernier, malgré tout, a fourni l’essentiel de ce qu’on lui demandait : les épidémies et le complot international. Or Maria Maalouf a livré par avance le principe explicatif : « S’agissant des Juifs : dites-moi ce qu’on lit dans leur ancienne Torah, et je vous dirai ce que se passe dans le monde aujourd’hui ». Les fidèles de Maria Maalouf comprendront sans doute par eux-mêmes que les épidémies et les complots ne sauraient être que l’œuvre des Juifs.
Lorsque nous disons : « les fidèles de Maria Maalouf », nous ne parlons pas à la légère. En effet, la même Maria Maalouf s’était déjà illustrée, sur la même chaîne de télévision libanaise, par des propos ouvertement antisémites dans la même veine complotiste. C’était le 27 octobre 2004. Elle déclarait alors :
« Adolf Hitler a montré comment les Juifs ont pris le contrôle de la Bourse allemande, ce qui leur a permis de contrôler la nation allemande dans tous les domaines. Mais Hitler n’a pas vécu assez longtemps pour assister à la prise de contrôle de la politique américaine par le lobby juif. Un article d’Anton Chaitkin dans l’Executive Intelligence Review affirme que la politique israélienne n’est pas définie par la Knesset ou par le premier ministre mais par un groupe qui dirige l’industrie des jeux, par des groupes de criminels, de blanchisseurs d’argent et de trafiquants de drogues aux États-Unis. Ces fonds vont droit dans les poches de l’administration Bush pro-sioniste, tout comme ils vont en Israël où ils soutiennent les activités du Likoud et d’Ariel Sharon. »
Le lecteur attentif aura remarqué un autre point commun entre cette déclaration datant de 2004 et la toute dernière émission : c’est l’Executive Intelligence Review, encore elle, la revue de Lyndon LaRouche où Maria Maalouf trouve son inspiration et où elle recrute ses « experts ». On ne s’étonnera donc pas de découvrir qu’entre ces deux dates, le 17 août 2005 pour être précis, Maria Maalouf avait accueilli sur New TV un invité de marque : Lyndon LaRouche. Celui-ci lui avait alors révélé l’existence d’une menace immédiate pour la paix mondiale : des responsables américains s’apprêtaient à « provoquer ou organiser une attaque terroriste à l’intérieur des États-Unis ». Pourquoi ? Afin de justifier un bombardement de l’Iran.
Pour appuyer ses dires et bien montrer la noirceur d’âme des dirigeants américains, Lyndon LaRouche déclara à Maria Maalouf qu’en avril 1975 il avait lui-même annoncé à une réunion du Baas irakien – à laquelle il participait « en tant qu’invité » – que « Henry Kissinger était sur le point de déclencher une guerre civile au Liban ». Et, dit-il modestement, « c’est ce qui est arrivé ». Comme quoi, même si ses capacités divinatoires ne s’exercent guère que de manière rétrospective, Lyndon LaRouche demeure fidèle à son schéma conspirationniste.
EN CONGRÈS CHEZ THIERRY MEYSSAN
Le 17 novembre 2005, Maria Maalouf était annoncée à Bruxelles. C’était à l’occasion d’une conférence internationale intitulée « Axis for Peace », organisée par le conspirationniste français Thierry Meyssan (celui qui a édifié son fonds de commerce sur l’affirmation que les attentats du 11-Septembre sont une gigantesque mise en scène). Présentée comme « journaliste à New TV », Maria Maalouf devait animer une table ronde à partir des questions suivantes :
« Quels enjeux se cachent derrière les pressions étatsuniennes et françaises à l’encontre de la Syrie ? Quels scénarios sont possibles pour prendre le contrôle du pays ? Comment les Syriens peuvent-ils garantir à la fois leur indépendance et leurs libertés ? » Deux des participants annoncés venaient directement de Damas ; le troisième était Charles Saint-Prot, un vieux militant français d’extrême droite (4).
On ne sait pas si la table ronde s’est tenue comme prévu, car les organisateurs ont été très sélectifs quant au compte rendu de la rencontre. On a eu cependant l’écho d’une protestation des amis de Thierry Meyssan contre les autorités françaises, qui avaient refusé d’accorder à Maria Maalouf un droit de passage sur le territoire national. Quant aux autres participants à ce raout conspirationniste, on relevait parmi eux le nom de Jacques Cheminade, « président de Solidarité et Progrès, un parti politique qui défend les idées de Lyndon LaRouche ». Il y avait aussi Christine Bierre, rédactrice en chef de Nouvelle solidarité, l’organe de Solidarité et Progrès. Et il y avait… Helga Zepp-LaRouche, l’épouse de Lyndon LaRouche. Question : est-ce par hasard que tous ces gens-là se retrouvaient au colloque conspirationniste organisé par Thierry Meyssan ?
Notes :
(1) Ainsi, le 12 avril 2006, ils publient un texte halluciné de Lyndon LaRouche décrivant « un système de “gouvernement mondial” (encore baptisé “globalisation”), dans lequel des armées et des polices secrètes privées au service de consortiums financiers privés, genre Halliburton et Bechtel, imposent une nouvelle forme de dictature mondiale ».
(2) C’est à ce titre qu’en juin 2002 il tenta – vainement – de témoigner devant le Tribunal criminel international sur le Rwanda, pour le compte des défenseurs d’un ancien ministre rwandais accusé de participation au génocide de 1994.
(3) Voir, par exemple, son article du 6 août 2004 où il tente de disculper le gouvernement soudanais de l’accusation de génocide au Darfour.
(4) Charles Saint-Prot est le pseudonyme de Michel-André Mathieu, un admirateur de Xavier Vallat, premier directeur du Commissariat général aux questions juives sous Vichy. Il est le fondateur en 1974 d'une revue gaullo-maurassienne appelée La Pensée nationale et a animé la revue Proche-Orient et tiers-monde.
Source : L'Arche, n° 579-580, juillet-août 2006.
Quand l'animatrice libanaise Maria Maalouf invite un représentant du mouvement de Lyndon LaRouche pour parler politique internationale, la théorie du complot n'est jamais très loin.
Le 31 mai 2006, la télévision libanaise New TV diffuse une émission animée par sa présentatrice vedette Maria Maalouf. Il s’agit d’un entretien avec Uwe Friesecke, de l’Executive Intelligence Review. Maria Maalouf ouvre son émission par une longue introduction en langue arabe ; puis elle dialogue avec Uwe Friesecke, en direct d’Allemagne (ils se parlent en anglais, et leurs propos sont sous-titrés en arabe).
Maria Maalouf, Uwe Friesecke, Executive Intelligence Review : ces noms, figurant dans un programme d’une télévision arabe, ne disent peut-être rien au lecteur français. Quelques informations complémentaires ne sont donc pas inutiles.
Commençons par l’Executive Intelligence Review. Un nom qui sonne scientifique, sérieux, respectable. Il s’agit, en fait, de l’organe hebdomadaire d’une secte dirigée par un Américain nommé Lyndon LaRouche. Ce dernier, après avoir milité chez les trotskistes, a viré à l’extrême droite. L’Institut Schiller, dont il est le fondateur et qui est dirigé par sa femme, Helga Zepp-LaRouche, est le lieu d’une intense activité sectaire axée sur une adoration quasi-mystique de l’homme qui assure « sa direction intellectuelle et morale ».
Comme souvent en pareil cas, l’esprit sectaire va de pair avec des dérives conspirationnistes et paranoïaques, des pressions exercées sur les membres et une dissimulation systématique vis-à-vis de l’extérieur. Le discours proprement « politique » de Lyndon LaRouche (on trouve aussi chez lui des élucubrations sur la musique, les arts et la philosophie) relève de l’espèce « rouge brun », c’est-à-dire que sous des dehors anti-impérialistes il ravive des haines primaires.
Dans une note consacrée au phénomène LaRouche, l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (UNADFI), un organisme français reconnu par l’Éducation nationale, voué à l’étude des mouvements sectaires, indique que la « théorie du complot » et, plus particulièrement, « le complot juif mondial » est le « fonds de commerce de LaRouche » ; c’est pourquoi « ses attaques envers les personnalités politiques ou artistiques visent la plupart du temps des personnalités juives ».
La structure française appartenant à la « galaxie LaRouche » est le parti politique Solidarité et Progrès, dirigé par Jacques Cheminade, dont l’organe se nomme Nouvelle solidarité. Les « LaRouchistes » français font montre d’une certaine prudence dans leur discours public, citant toujours avec révérence « les écrits de Lyndon LaRouche » (1) mais évitant de trop annoncer leur véritable couleur idéologique. En revanche, leurs homologues allemands sont plus diserts.
Le parti « LaRouchiste » allemand, dirigé par Helga Zepp-LaRouche, l’épouse allemande du chef, est le Bürgerrechtsbewegung Solidarität (BüSo), dont l’organe est Neue Solidarität. Une note de l’Informationsdienst gegen Rechtsextremismus (Service d’information contre l’extrême droite) définit le programme du parti comme « imprégné de connotations antisémites et autoritaristes ». La note cite ainsi un texte publié par Helga Zepp-LaRouche pour protester contre la diffusion de la série télévisée Holocauste, fruit selon elle de l’action d’un « réseau sioniste opérant en Allemagne ».
Uwe Friesecke, l’invité allemand de Maria Maalouf, représentait le BüSo lors des élections européennes de 2004 dans l’État de Hesse. Il apparaît aussi, à l’occasion, en tant que représentant de l’autre structure LaRouchiste, l’Institut Schiller (2). Mais lorsqu’il est interviewé à la télévision libanaise, c’est en tant que collaborateur de l’hebdomadaire Executive Intelligence Review dont il est le spécialiste des questions africaines (3).
QUI MENACE L’AVENIR DU MONDE ?
Revenons donc à cette émission de la télévision libanaise New TV, dont on peut consulter de larges extraits sur le site internet www.memritv.org (lire la transcription). Avant de donner la parole à Uwe Friesecke, la présentatrice Maria Maalouf s’adresse directement au public, en langue arabe :
« Dites-moi ce que vous lisez, et je vous dirai qui vous êtes. S’agissant des Juifs : dites-moi ce qu’on lit dans leur ancienne Torah, et je vous dirai ce que se passe dans le monde aujourd’hui. Face au sida, au SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère, ndlr], à l’anthrax, à la grippe aviaire, et à ce qui est encore à venir, il est utile de revenir à l’Ancien Testament. Non pas pour proférer des accusations, mais pour enquêter sur le secret qui est à l’origine de la grande similarité – voire de l’identité – entre les épidémies qui se sont répandues dans le monde entier et le secret du Livre de l’Exode dans l’Ancien Testament, en ce qui concerne l’affrontement entre les Juifs et les Égyptiens, lorsque les Hébreux ont transformé l’eau du Nil en sang et ont contaminé les poissons avec une maladie qui a empêché les Égyptiens de manger et de boire, et quand des divisions de grenouilles, de puces et de mouches ont envahi le peuple égyptien, tout comme les millions d’oiseaux que nous voyons aujourd’hui étouffer.
Ce jour-là, tout le bétail et tous les moutons ont été frappés de maladies, tout comme la maladie de la vache folle qui a frappé aujourd’hui les peuples du monde entier.
Ce jour-là, Dieu dit à Moïse, comme toujours dans l’Ancien Testament : “Demain, j’enverrai des sauterelles sur l’Égypte, et elles recouvriront la surface de la terre de sorte que personne ne pourra rien voir. Les sauterelles rempliront les maisons des Égyptiens, elles mangeront leurs arbres et les détruiront.” Tout comme les maladies et les épidémies qui menacent l’avenir du monde.
Par qui ? Telle est la question, et tel est le problème, comme disait Shakespeare. Nos téléspectateurs recevront la réponse avec cette émission de la série “Sans censure”, dont le sujet est : “Après le sida, l’anthrax et la maladie de la vache folle : la grippe aviaire, le secret caché”. »
L’introduction est limpide. L’explication des malheurs du monde actuel est à chercher dans une entreprise « secrète ». La clé de l’énigme se trouve dans les livres des Juifs. Et les épidémies qui affolent les contemporains sont une réédition des malheurs que les Hébreux ont infligés aux Égyptiens. Comment, pourquoi ? Uwe Friesecke, de l’Executive Intelligence Review, est là pour nous le dire.
On passe à l’interview. Maria Maalouf pose à son invité la première question : « Selon les prévisions, la population mondiale sera de dix milliards de personnes en l’an 2050. Ce chiffre inquiète les États-Unis, qui préparent une réduction de la population de l’Asie et de l’Afrique. Êtes-vous d’accord avec ce point de vue ? »
Gêne manifeste de l’interviewé. La ficelle est vraiment trop grosse. Chez Lyndon LaRouche, le discours conspirationniste vise le « gouvernement mondial » et ses représentants américains, mais non les États-Unis en tant que tels (c’est le pays du vénéré fondateur, et c’est là qu’il a ses plus fidèles disciples et ses principales sources de fonds). Uwe Friesecke se contorsionne : « Eh bien, pas tout à fait, parce que ce n’est pas ainsi que les États-Unis, en tant que pays, voient le problème. Mais il y a un certain groupe politique, qui a des représentants aux États-Unis mais qui est un groupe international, qui est intéressé à réduire assez fortement la population mondiale. C’est vrai, mais ce n’est un problème typiquement ou spécifiquement réservé aux États-Unis. » Maria Maalouf revient à la charge : « Mais, vous savez, la guerre, par la guerre, les États-Unis dirigent des tas de guerres, la guerre de Corée dans les années cinquante, les guerres au Vietnam, les Philippines, l’Indonésie, l’Amérique centrale, et aussi le Golfe, et dernièrement la guerre en Afghanistan et en Irak. Comme contribuent-ils à réduire la population en faisant la guerre à… spécialement au monde arabe, si vous voulez parler du monde arabe ? »
Uwe Friesecke est à l’agonie. Dans quel pétrin s’est-il fourré ? Cette animatrice libanaise est une novice en conspirationnisme. Le complot mondial, ce n’est pas une puissance dominante, c’est un réseau avec des agents un peu partout. Il essaie d’expliquer : « Eh bien, je veux dire, il est certain que le genre de politique impériale que représentent le vice-président Cheney, le secrétaire à la défense Rumsfeld,et ce qu’on appelle le groupe des neo-cons, constitue une politique génocidaire. Il n’y a pas de doute là-dessus. Mais souvenez-vous qu’il s’agit d’une politique qui n’est pas limitée à cette partie de l’establishment américain. On a en Grande-Bretagne des partisans très résolus de cette politique. »
Maria Maalouf a retenu qu’il faut dire du mal du gouvernement Bush et des neo-cons, ces « néoconservateurs » dont le nom est devenu synonyme de « Juifs » dans la mouvance conspirationniste. Elle tente de pousser maintenant son invité sur le terrain des épidémies, puisque tel est le thème de l’émission. Le sida en Afrique, l’anthrax, la grippe aviaire, et les guerres civiles dans de nombreux pays africains et asiatiques, tout cela ne relève-t-il pas d’une même politique d’extermination ? « Eh bien, dit Uwe Friesecke, plus prudent que jamais, il faut considérer le cas africain en détail. » Mais il se souvient qu’on l’a fait venir dans le studio pour entendre de lui des paroles fortes. Et il se lâche un peu : « Vous avez raison, c’est un désastre, la manière dont le sida fait des victimes, c’est un génocide en Afrique, sans aucun doute. »
LE GÉNOCIDE PLANIFIÉ PAR KISSINGER
Il est évident, y compris pour les personnes qui n’appartiennent pas à la galaxie conspirationniste, que le sida en Afrique est une épouvantable catastrophe. Cependant, le terme de « génocide » n’a de sens que s’il y a une intention génocidaire et des auteurs du génocide. Uwe Friesecke a parlé de « génocide », cela veut dire qu’il y a un complot. Maria Maalouf croit avoir trouvé enfin son angle d’attaque : « Selon certains spécialistes, il est facile pour n’importe quel pays de répandre des maladies dans un autre pays. » Et d’interroger : « Peut-on relier cela à un motif politique, et à ce mémorandum de Kissinger ? Est-il vrai que lui et son groupe avaient cela pour objectif, qu’ils avaient rédigé leur mémorandum à cette fin ? »
Ici, un mot d’explication s’impose, à l’usage du lecteur peu familier de la littérature conspirationniste. Maria Maalouf parle du « mémorandum de Kissinger » comme s’il s’agissait d’un objet connu de tous. Sans doute veut-elle toucher ainsi une corde sensible chez son invité, Uwe Friesecke. Peut-être juge-t-elle également que le seul nom de Kissinger, incarnant l’image honnie du Juif américain, est suffisamment parlant pour ses téléspectateurs. Mais la vérité est que le lien entre son sujet et le « mémorandum de Kissinger » est pour le moins ténu.
Pour savoir ce qu’il en retourne, il faut revenir aux sources et consulter un gros dossier publié le 8 décembre 1995 par… l’Executive Intelligence Review et diffusé par… l’Institut Schiller. C’est dire si on reste en famille. Sous le titre « Qui est responsable du manque de nourriture à l’échelle mondiale », ce dossier dénonce un prétendu « programme de Kissinger pour le génocide par le contrôle de la nourriture ».
La « pièce à conviction » présentée par les fidèles de Lyndon LaRouche est un document de travail rédigé en 1974 par le Conseil pour la sécurité nationale des États-Unis (dont Henry Kissinger était alors le responsable), portant sur la croissance de la population mondiale et ses conséquences géopolitiques. Seuls des esprits malades ont pu lire un tel document comme un « programme génocidaire » : par exemple, lorsque le texte s’inquiète des futurs problèmes d’approvisionnement dans le tiers-monde, ils traduisent cela comme une volonté de réduire la population de ces pays en créant une famine artificielle. Afin de compléter le tableau, les « experts » de Lyndon LaRouche font la liste des grandes sociétés de commerce alimentaire dans le monde, dont il ressort à l’évidence que quelques individus contrôlent et manipulent à leur gré l’alimentation de tous les hommes.
La « campagne pour nourrir le monde » lancée par Lyndon LaRouche a fait long feu, ainsi que toutes les « campagnes » abracadabrantes qui fleurissent à intervalles réguliers dans cette mouvance afin d’entretenir l’enthousiasme des militants et d’attirer de nouveaux adeptes. Mais le « mémorandum de Kissinger » est resté dans la mémoire collective de la secte et de quelques autres filières conspirationnistes. Il s’y est enrichi, ultérieurement, d’une nouvelle facette liée à l’épidémie du sida en Afrique.
Le raisonnement peut paraître bizarre à qui n’a pas la fibre conspirationniste – mais, pour un adapte du complot, tout se tient. Puisque l’épidémie du sida est une création artificielle, et puisque Kissinger planifiait dès 1974 la réduction de la population mondiale, il est évident que le sida a été inventé par des agents de la CIA (sur l’ordre de Kissinger) afin de commettre un génocide dans le monde africain.
Maria Maalouf n’improvise donc pas quand elle évoque le « mémorandum de Kissinger ». En introduisant l’émission, elle avait rappelé le temps où « les Hébreux ont transformé l’eau du Nil en sang et ont contaminé les poissons avec une maladie qui a empêché les Égyptiens de manger et de boire » et suggéré aussitôt un rapprochement avec « les maladies et les épidémies qui menacent l’avenir du monde ». Nous y voilà. Uwe Friesecke abonde dans son sens, mais en évitant de citer des noms : « Parmi ces gens-là, au plus haut niveau, il y a des gens très cyniques. Oui, l’idée existe que si la maladie se répand c’est bon pour limiter la population ; ou s’il y a des guerres, après tout c’est bon pour limiter la population. »
LA GRIPPE AVIAIRE ET LE COMPLOT
L’émission va sur sa fin. Maria Maalouf propose à « Monsieur Uwe » de « revenir à notre sujet, directement, au sujet de la grippe aviaire ». Mais tout ce qu’elle trouve à dire est que le secrétaire américain à la défense, Donald Rumsfeld, était « probablement » membre du conseil d’administration du groupe de recherche pharmaceutique Gilead, « la société qui a produit le Tamiflu, le médicament contre la grippe aviaire ». (En réalité, Donald Rumsfeld était président de Gilead avant d’entrer au gouvernement Bush.) Et elle demande à son invité de commenter le fait que Gilead est une société bénéficiaire.
La réponse d’Uwe Friesecke est un modèle du genre : « Eh bien, il est certainement vrai qu’il existe des moyens pour combattre ces maladies. Il est possible de fabriquer des médicaments qui permettront de contrôler ces maladies. Et il y a évidemment des gens à de hautes positions qui contrôlent ces sociétés, et qui empêchent cela pour des raisons personnelles qui relèvent de la corruption. C’est certainement vrai, et il n’y a qu’une manière d’y remédier. Nous devons modifier radicalement la politique dans ces centres de pouvoir internationaux, qui auraient la capacité de veiller à ce que soient prises les mesures nécessaires pour contrôler les maladies. »
Essayons de décrypter les propos de l’« expert » allemand : il est possible de traiter les maladies, mais les conspirateurs qui dominent le monde empêchent que cela se sache afin d’accaparer les prof its dans leurs sociétés pharmaceutiques. Par exemple, pour traiter la grippe aviaire il suffit de boire un jus de carotte chaque matin ; mais Donald Rumsfeld veille à ce que les gens l’ignorent car il faut développer les ventes de Tamiflu. On a là un bon exemple de la vacuité totale du discours conspirationniste, en même temps que de son extrême violence : en l’absence de toute information concrète, le public est invité à fantasmer sur les moyens miraculeux qui permettraient de résoudre les problèmes du monde entier, et donc à s’emporter contre les comploteurs qui dissimulent ces moyens miraculeux par esprit de lucre et de pouvoir.
LYNDON LAROUCHE CHEZ MARIA MAALOUF
Il manque une chose au tableau. C’est ce Deus ex machina que Maria Maalouf avait pourtant annoncé dans son introduction : la dimension juive du complot. N’avait-elle pas déclaré que son propos était d’« enquêter sur le secret qui est à l’origine de la grande similarité – voire de l’identité – entre les épidémies qui se sont répandues dans le monde entier et le secret du Livre de l’Exode dans l’Ancien Testament » ? Peut-être fait-elle confiance à ses téléspectateurs arabophones pour combler les vides laissés par la trop grande prudence de son invité allemand. Car ce dernier, malgré tout, a fourni l’essentiel de ce qu’on lui demandait : les épidémies et le complot international. Or Maria Maalouf a livré par avance le principe explicatif : « S’agissant des Juifs : dites-moi ce qu’on lit dans leur ancienne Torah, et je vous dirai ce que se passe dans le monde aujourd’hui ». Les fidèles de Maria Maalouf comprendront sans doute par eux-mêmes que les épidémies et les complots ne sauraient être que l’œuvre des Juifs.
Lorsque nous disons : « les fidèles de Maria Maalouf », nous ne parlons pas à la légère. En effet, la même Maria Maalouf s’était déjà illustrée, sur la même chaîne de télévision libanaise, par des propos ouvertement antisémites dans la même veine complotiste. C’était le 27 octobre 2004. Elle déclarait alors :
« Adolf Hitler a montré comment les Juifs ont pris le contrôle de la Bourse allemande, ce qui leur a permis de contrôler la nation allemande dans tous les domaines. Mais Hitler n’a pas vécu assez longtemps pour assister à la prise de contrôle de la politique américaine par le lobby juif. Un article d’Anton Chaitkin dans l’Executive Intelligence Review affirme que la politique israélienne n’est pas définie par la Knesset ou par le premier ministre mais par un groupe qui dirige l’industrie des jeux, par des groupes de criminels, de blanchisseurs d’argent et de trafiquants de drogues aux États-Unis. Ces fonds vont droit dans les poches de l’administration Bush pro-sioniste, tout comme ils vont en Israël où ils soutiennent les activités du Likoud et d’Ariel Sharon. »
Le lecteur attentif aura remarqué un autre point commun entre cette déclaration datant de 2004 et la toute dernière émission : c’est l’Executive Intelligence Review, encore elle, la revue de Lyndon LaRouche où Maria Maalouf trouve son inspiration et où elle recrute ses « experts ». On ne s’étonnera donc pas de découvrir qu’entre ces deux dates, le 17 août 2005 pour être précis, Maria Maalouf avait accueilli sur New TV un invité de marque : Lyndon LaRouche. Celui-ci lui avait alors révélé l’existence d’une menace immédiate pour la paix mondiale : des responsables américains s’apprêtaient à « provoquer ou organiser une attaque terroriste à l’intérieur des États-Unis ». Pourquoi ? Afin de justifier un bombardement de l’Iran.
Pour appuyer ses dires et bien montrer la noirceur d’âme des dirigeants américains, Lyndon LaRouche déclara à Maria Maalouf qu’en avril 1975 il avait lui-même annoncé à une réunion du Baas irakien – à laquelle il participait « en tant qu’invité » – que « Henry Kissinger était sur le point de déclencher une guerre civile au Liban ». Et, dit-il modestement, « c’est ce qui est arrivé ». Comme quoi, même si ses capacités divinatoires ne s’exercent guère que de manière rétrospective, Lyndon LaRouche demeure fidèle à son schéma conspirationniste.
EN CONGRÈS CHEZ THIERRY MEYSSAN
Le 17 novembre 2005, Maria Maalouf était annoncée à Bruxelles. C’était à l’occasion d’une conférence internationale intitulée « Axis for Peace », organisée par le conspirationniste français Thierry Meyssan (celui qui a édifié son fonds de commerce sur l’affirmation que les attentats du 11-Septembre sont une gigantesque mise en scène). Présentée comme « journaliste à New TV », Maria Maalouf devait animer une table ronde à partir des questions suivantes :
« Quels enjeux se cachent derrière les pressions étatsuniennes et françaises à l’encontre de la Syrie ? Quels scénarios sont possibles pour prendre le contrôle du pays ? Comment les Syriens peuvent-ils garantir à la fois leur indépendance et leurs libertés ? » Deux des participants annoncés venaient directement de Damas ; le troisième était Charles Saint-Prot, un vieux militant français d’extrême droite (4).
On ne sait pas si la table ronde s’est tenue comme prévu, car les organisateurs ont été très sélectifs quant au compte rendu de la rencontre. On a eu cependant l’écho d’une protestation des amis de Thierry Meyssan contre les autorités françaises, qui avaient refusé d’accorder à Maria Maalouf un droit de passage sur le territoire national. Quant aux autres participants à ce raout conspirationniste, on relevait parmi eux le nom de Jacques Cheminade, « président de Solidarité et Progrès, un parti politique qui défend les idées de Lyndon LaRouche ». Il y avait aussi Christine Bierre, rédactrice en chef de Nouvelle solidarité, l’organe de Solidarité et Progrès. Et il y avait… Helga Zepp-LaRouche, l’épouse de Lyndon LaRouche. Question : est-ce par hasard que tous ces gens-là se retrouvaient au colloque conspirationniste organisé par Thierry Meyssan ?
Notes :
(1) Ainsi, le 12 avril 2006, ils publient un texte halluciné de Lyndon LaRouche décrivant « un système de “gouvernement mondial” (encore baptisé “globalisation”), dans lequel des armées et des polices secrètes privées au service de consortiums financiers privés, genre Halliburton et Bechtel, imposent une nouvelle forme de dictature mondiale ».
(2) C’est à ce titre qu’en juin 2002 il tenta – vainement – de témoigner devant le Tribunal criminel international sur le Rwanda, pour le compte des défenseurs d’un ancien ministre rwandais accusé de participation au génocide de 1994.
(3) Voir, par exemple, son article du 6 août 2004 où il tente de disculper le gouvernement soudanais de l’accusation de génocide au Darfour.
(4) Charles Saint-Prot est le pseudonyme de Michel-André Mathieu, un admirateur de Xavier Vallat, premier directeur du Commissariat général aux questions juives sous Vichy. Il est le fondateur en 1974 d'une revue gaullo-maurassienne appelée La Pensée nationale et a animé la revue Proche-Orient et tiers-monde.
Source : L'Arche, n° 579-580, juillet-août 2006.
Depuis seize ans, Conspiracy Watch contribue à sensibiliser aux dangers du complotisme en assurant un travail d’information et de veille critique sans équivalent. Pour pérenniser nos activités, le soutien de nos lecteurs est indispensable.