Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Pourquoi les complotistes sont des ennemis de la démocratie

Avertissement : le texte qui suit a été publié l'année dernière, à l'occasion du dixième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001. Il nous a semblé intéressant de le reproduire ici en intégralité tant il rompt, par son ton résolument engagé, avec un air du temps marqué par un relativisme ayant pour effet de renvoyer dos à dos la minorité agissante et organisée des militants conspirationnistes, et la poignée de ceux qui questionnent leurs croyances - NDLR.

Dix ans après, les citoyens internautes attachés aux valeurs démocratiques devraient au moins se mettre d’accord sur un point : le seul complot qui émerge de l’affaire du 11 septembre, c’est celui des conspirationnistes qui empoisonnent la mémoire de ce cruel événement et cherchent à faire passer le gouvernement américain de l’époque, fort critiquable par ailleurs, pour une bande d’assassins cyniques et irresponsables.

On dira que c’est déjà faire la part belle à ces délires que de leur consacrer un article. Peut-être, mais lorsque l’on tape "11 septembre" sur le moteur de recherches Google - qui devrait avoir honte de sa complaisance, hypocritement cachée derrière une soi-disant neutralité technique - la moitié des occurrences qui apparaissent sur la première page émanent de groupes ou d’auteurs qui remettent en question l’explication raisonnable et étayée de l’événement, au profit d’élucubrations louches et insinuantes. Il faut donc revenir encore une fois sur ce dossier pour en rappeler les données de base fournies par l’examen froid des éléments factuels.

1) Les contestataires parlent d’une "thèse officielle". Avant de l’examiner, il faut rappeler avec force que ce vocable a pour fonction unique de nier la légitimité des enquêtes effectuées, non seulement par les autorités américaines, mais aussi par une multitude de journalistes indépendants et reconnus, travaillant dans les meilleurs journaux, et par une myriade d’experts respectés qui n’ont aucun intérêt dans l’affaire, ni le moindre lien avec le gouvernement de Washington. Il faut aussi dire très haut que les contempteurs de la « thèse officielle » sont infiniment moins crédibles que ceux qui la défendent. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer leurs incroyables errements.

Le plus connu des négationnistes s’appelle Thierry Meyssan. Il a acquis la célébrité en niant qu’un avion de ligne se soit jamais écrasé sur le Pentagone. Armé de deux ou trois photographies de débris, mesurant la brèche faite dans le mur du bâtiment, nettement plus étroite que l’envergure de l’avion projeté sur le siège du ministère américain de la Défense, Meyssan a proclamé à tous vents que le Pentagone avait été endommagé non par l’avion du vol American Airlines 77, mais par un missile bourré d’explosif.

Une fois cette baliverne exposée – et vendue à des centaines de milliers d’exemplaires dans le monde - l’imagination pouvait battre la campagne : si on avait menti sur la nature du projectile, suggérait-il, c’est qu’on cherchait à camoufler une vérité monstrueuse, à savoir que l’attaque contre le Pentagone avait été perpétrée, non par Al Qaida, mais par une organisation militaire agissant secrètement. Et quelle organisation pouvait mener à bien cette opération au cœur des Etats-Unis, sinon l’armée américaine elle-même ? Ainsi, à partir de deux ou trois arguments techniques non-vérifiés, on formulait l’accusation décisive qui allait devenir le leitmotiv explicite ou implicite des négationnistes du 11 septembre : le gouvernement américain a lui-même organisé les attentats du 11 septembre pour justifier les guerres d’Afghanistan et d’Irak.

Or, au moment même où Meyssan développait son argumentation délirante, les agents du FBI retrouvaient dans les décombres du Pentagone les corps déchiquetés des passagers du vol 77, rassemblaient les objets personnels des victimes pour les rendre à leur famille et ramassaient un à un les débris de l’appareil, y compris les boîtes noires de l’avion dont les négationnistes affirmaient qu’elles n’existaient pas. Pour quiconque examine honnêtement le dossier, l’évidence s’impose : le vol 77 a bien été détourné et il s’est bien écrasé sur le Pentagone, là où des dizaines de témoins l’ont vu voler en rase motte avant de percuter le mur d’enceinte. Les noms des victimes sont connus, leurs familles apparaissent régulièrement dans des émissions consacrées au 11 septembre, les preuves de l’attentat du Pentagone sont surabondantes et incontournables. Et la largeur du trou ? Dans un choc de cette violence, l’appareil se désintègre entièrement, ce qui explique fort bien l’étroitesse de la brèche au point d’impact.

Autrement dit, non seulement Meyssan trompait les millions de téléspectateurs qui l’ont vu déblatérer sans contradicteur à l’invitation de Thierry Ardisson – jour noir dans l’histoire de la télévision française – mais il insultait aussi les familles des victimes, frappées par un deuil aussi absurde que cruel pour être ensuite niées et salies par un escroc intellectuel sans foi ni loi. Ceux qui pourraient encore douter de la réalité de cet événement se reporteront au documentaire réalisé pour France 3 par Daniel Leconte et diffusé jeudi dernier.

2) Cet exemple n’est pas choisi au hasard : la technique de Meyssan se retrouve peu ou prou dans tous les articles, les livres ou les films issus des milieux négationnistes. Au lieu d’aborder sans préjugé l’ensemble du dossier et de rechercher les faits les plus sûrs pour explorer ensuite les zones d’ombre, on inverse le processus. On passe sous silence les preuves les plus flagrantes et on se concentre sur quelques éléments bizarres, inexpliqués ou douteux, de manière à jeter la suspicion sur l’ensemble de l’affaire. Meyssan fait abstraction des passagers, de l’itinéraire de l’avion, des débris retrouvés, de la personnalité du pilote, des témoins qui ont vu l’avion.

Il se contente de mesurer un trou dans un mur et de reproduire des photos chipées sur Internet. Une fois ces éléments isolés, il range tous les autres arguments, quelle que soit leur évidence factuelle, sous l’étiquette dépréciative de "thèse officielle", version par définition mensongère, bien moins excitante, de surcroît, que l’hypothèse d’un complot ténébreux.

3) Cette tricherie logique, qui consiste à retenir les seuls éléments qui vont dans le sens du complot, comme on le voit dans le film conspirationniste "Loose Change", si prisé des internautes, est enrobée dans des arguments de vraisemblance, qui impressionnent souvent les gogos de Google.

Il est invraisemblable, dit-on, qu’une poignée de terroristes armés de cutters aient pu perpétrer un attentat de cette ampleur ; il est invraisemblable que l’US Air Force n’ait pas intercepté les avions ; il est invraisemblable que ces tours aient pu s’effondrer aussi vite, alors que les gratte-ciels incendiés ailleurs sont toujours restés debout ; il est invraisemblable qu’un terroriste inexpérimenté ait pu piloter un Boeing avec autant de précision ; il est invraisemblable que le troisième immeuble du World Trade Center (WTC 7) soit tombé lui aussi, alors qu’aucun avion ne l’a percuté. C
ertes, mais cela s’est produit.

Quelle est la thèse opposée, celle des conspirationnistes ? Ils affirment ou bien sous-entendent avec insistance que le gouvernement américain est à l’origine des attentats. Mais alors qu’ils sont intarissables sur l’invraisemblance de la « thèse officielle », ils n’examinent jamais la vraisemblance de leurs propres affirmations.

Or pour que le 11 septembre fût l’œuvre des autorités américaines, il eût fallu :
- que le commando ait été manipulé par les services secrets américains
- que l’US Air Force ait été prévenue pour laisser passer les avions
- que l’armée américaine ait organisé le tir meurtrier sur le Pentagone
- que les tours aient été préalablement minées par telle ou telle branche des services secrets
- que le Président, ses principaux collaborateurs et des responsables très haut placés dans la hiérarchie militaire et dans celle du renseignement soient du complot
- que les experts officiels et la commission désignée pour enquêter soient également complices

Bref, il fallait que les autorités élues de la plus grande démocratie du monde aient décidé d’assassiner plus de trois mille compatriotes pour justifier une guerre lointaine et incertaine, et donc que des dizaines, voire des centaines de personnes soient impliquées dans ce qui serait une des plus grandes infamies de l’Histoire, au risque de voir un jour l’un de ces exécuteurs se livrer à une confession publique qui enverrait immanquablement en prison ceux qui l’ont ordonnée.

Est-ce vraisemblable ?

4) Quittons maintenant le terrain de la vraisemblance pour rappeler les faits.

- Au matin du 11 septembre, dix-neuf terroristes répartis en quatre groupes ont bien pris place à bord de quatre vols civils réguliers. Dûment enregistrés, ils ont été filmés par les caméras de surveillance et leurs noms sont connus. Leurs itinéraires de djihadistes ont été maintes fois explorés par desdizaines de spécialistes reconnus, dans le gouvernement et en dehors de lui. Il ne fait aucun doute qu’ils appartenaient à Al Qaida.

- Une fois les détournements enclenchés, plusieurs témoignages irréfutables transmis par les téléphones de bord ont décrit le modus operandi des hommes qui ont pris le contrôle des appareils. Ils ont bien mené leur opération à l’aide d’armes blanches ; ce sont bien eux qui pilotaient les avions qui se sont écrasés.

- Le témoignage visuel, l’examen des débris et l’analyse des restes humains démontrent que ce sont bien ces quatre appareils qui se sont écrasés sur le World Trade Center, sur le Pentagone, et au milieu d’un champ de Pennsylvanie.

- Des centaines de témoignages irréfutables montrent que les autorités américaines – aviation civile, US Air Force, services secrets, Pentagone et gouvernement – ont été prises au dépourvu, qu’elles ont réagi dans le désordre et que cette désorganisation explique largement la réussite de l’attentat, ainsi que l’embarras et les incertitudes qui ont ensuite caractérisé les réactions officielles. Nul besoin d’un complot pour éclairer le comportement de l’administration Bush.

- L’effondrement des tours reste une étrangeté en comparaison des incendies qui ont pu atteindre d’autres immeubles de ce genre par le passé. Mais aucun de ces immeubles qui sont restés debout ailleurs n’avait été percuté par des Boeing bourrés de kérosène. Les experts se divisent sur l’explication de cette chute dramatique, la majorité estimant que le choc initial et la chaleur de l’incendie suffisent à expliquer la catastrophe. Une minorité d’entre eux, annexés par les conspirationnistes, suggèrent que les immeubles étaient probablement minés. Mais aucun d’entre eux n’a jamais pu apporter la moindre preuve de la présence d’explosifs à la base des tours.

On produit les témoignages de certaines personnes présentes qui ont pu entendre des déflagrations au niveau du sol. Mais ces explosions peuvent s’expliquer par tout autre chose, par exemple l’écoulement du kérosène qui finit par exploser une fois parvenu en bas des immeubles. Dans le cas du WTC 7, la troisième tour, les vidéos enregistrées démontrent qu’on n’a entendu aucune explosion avant l’effondrement de l’immeuble sur lui-même.

Autrement dit, il reste des zones d’ombre : il y en a dans tous les grands événements historiques. Mais des faits massifs, évidents, établis, démontrent qu’il s’agit bien d’un attentat islamiste organisé de longue main par un groupe terroriste originaire du Moyen-Orient et destiné à porter le djihad mondial à un niveau inédit. Le gouvernement américain est sans doute coupable d’imprévoyance et l’impréparation, alors que les services secrets avaient lancé des avertissements très clairs. Il n’est en aucun cas à l’origine de l’opération.

Ainsi, consciemment ou inconsciemment, les complotistes abusent le public, profitant du relativisme régressif qui sévit si souvent sur Internet et dans la tête d’une partie de l’opinion. Ils tendent à accréditer l’idée que les grandes démocraties sont des théâtres d’ombre agis par des forces obscures, où le citoyen est un pion dans un jeu qui le dépasse de très loin. La fonction politique de ces thèses délirantes est évidente : détruire la confiance des citoyens dans leurs propres institutions, accréditer l’idée que les démocraties, après tout, ne sont pas plus fiables ou morales que les dictatures ; légitimer par contrecoup les thèses extrêmes, de droite ou de gauche.

Les négationnistes du 11 septembre sont des ennemis de la démocratie ou, au mieux, les idiots utiles de l’extrémisme. Ils doivent être dénoncés comme tels.

Source : Le Nouvel Obs, 9 septembre 2011.

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