Comment expliquez-vous que, parmi tous les textes conspirationnistes publiés à l’époque, prétendument issus de milieux juifs, les Protocoles l’aient, et de très loin, emporté ?
Il s’agit d’un faux hautement indéterminé, très peu contextualisé, donc éminemment recyclable ou recontextualisable. Il met en scène un « sage de Sion » qui s’adresse à ses pairs, on ne sait quand ni où. On ne connaît ni son identité ni le lieu de la réunion. On ne sait pas non plus qui sont les pairs, ni à quelle société secrète ils appartiennent. Après tout événement convulsif, perçu comme un incompréhensible désordre et procurant un désarroi de masse, où les individus sont en quête d’explications, les Protocoles répondent à la demande de sens : après la première guerre mondiale, à l’annonce de la seconde, après la création de l’Etat d Israël en 1948, après la guerre de six jours de juin 1967, après les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001.
Si les Protocoles ont pu se mondialiser à partir de 1920, c’est parce qu’ils ont été branchés sur la révolution bolchevique, qui sidère l’Europe. Le 8 février 1920, dans l’Illustrated Sunday Herald, Winston Churchill publie un article, « Sionisme versus bolchevisme », où il explique que c’est la même bande « internationale » de juifs, de Weishaupt (fondateur des Illuminés de Bavière) à Marx, et de celui-ci à Trotski, Béla Kun, Rosa Luxemburg et Emma Goldman (militante américaine anarchiste et communiste, 1869-1940), qui fomentent les révolutions pour anéantir la civilisation. Même Churchill, un homme de grande intelligence et de haute culture, a pu être victime de la croyance au complot illumino-bolchevique. Au début des années 1920, pendant quelque temps, à peu près toute l’élite intellectuelle européenne croyait au bobard du complot juif mondial qui, de la Révolution française à la révolution bolchevique, aurait tout organisé et programmé. (...)
Comment expliquez-vous la réapparition des Protocoles des Sages de Sion, dans beaucoup de pays arabes, mais aussi en Occident ?
Elle s’explique par les besoins de la propagande « antisioniste » radicale, qui consiste à diaboliser Israël et le sionisme. L’exploitation antisioniste du faux est aujourd’hui dominante, ce qui n’a pas toujours été le cas. Il y a aujourd’hui une flambée de rééditions des Protocoles des Sages de Sion, comparable à celles qui se sont produites en 1920, en 1938-1939 ou en 1967-1968. Dans les pays où les Protocoles ne font pas l’objet d’une interdiction de réédition, comme la Grèce, il y a eu, en 2004, au moins cinq éditions du faux antijuif. En France, où la réédition est interdite, le texte est accessible sur le Net. Sur le site de Radio Islam, vous trouvez les Protocoles dans près d’une dizaine de langues. Radio Islam est mentionnée comme lien par l’extrême droite américaine aussi bien que par les milieux djihadistes. Aux Etats-Unis aussi, on observe une multiplication des éditions des Protocoles, même si le phénomène est très difficile à quantifier car il s’agit souvent de rééditions artisanales réalisées par des réseaux militants. Dans beaucoup de pays arabes, les Protocoles vivent un nouvel âge d’or.
Au lendemain de la guerre de six jours (juin 1967) furent publiés des centaines de milliers d’exemplaires en français, en anglais, en arabe, le plus souvent à Beyrouth. Les Protocoles étaient recommandés il y a quelques mois sur le site officiel du ministère de l’information de l’Autorité palestinienne, où ils étaient accessibles en ligne jusqu’au 18 mai 2005 (section « Histoire du sionisme »). Le mythe du complot juif mondial a pris un nouveau contenu en intégrant l’ingrédient antiaméricain. Le « complot sioniste » est devenu « américano-sioniste » : il s’inscrit ainsi dans le discours de propagande du nouvel anti-impérialisme tiers-mondiste, repeint aux couleurs de l’anti-mondialisme. L’antisionisme radical est devenu à la fois un code et un passeport, commun à tous les extrémismes, pour les appels à la haine, voire au meurtre.
Voir aussi :
* Eric Conan, « Les secrets d'une manipulation antisémite », L’Express, 16 novembre 1999.
Comment expliquez-vous que, parmi tous les textes conspirationnistes publiés à l’époque, prétendument issus de milieux juifs, les Protocoles l’aient, et de très loin, emporté ?
Il s’agit d’un faux hautement indéterminé, très peu contextualisé, donc éminemment recyclable ou recontextualisable. Il met en scène un « sage de Sion » qui s’adresse à ses pairs, on ne sait quand ni où. On ne connaît ni son identité ni le lieu de la réunion. On ne sait pas non plus qui sont les pairs, ni à quelle société secrète ils appartiennent. Après tout événement convulsif, perçu comme un incompréhensible désordre et procurant un désarroi de masse, où les individus sont en quête d’explications, les Protocoles répondent à la demande de sens : après la première guerre mondiale, à l’annonce de la seconde, après la création de l’Etat d Israël en 1948, après la guerre de six jours de juin 1967, après les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001.
Si les Protocoles ont pu se mondialiser à partir de 1920, c’est parce qu’ils ont été branchés sur la révolution bolchevique, qui sidère l’Europe. Le 8 février 1920, dans l’Illustrated Sunday Herald, Winston Churchill publie un article, « Sionisme versus bolchevisme », où il explique que c’est la même bande « internationale » de juifs, de Weishaupt (fondateur des Illuminés de Bavière) à Marx, et de celui-ci à Trotski, Béla Kun, Rosa Luxemburg et Emma Goldman (militante américaine anarchiste et communiste, 1869-1940), qui fomentent les révolutions pour anéantir la civilisation. Même Churchill, un homme de grande intelligence et de haute culture, a pu être victime de la croyance au complot illumino-bolchevique. Au début des années 1920, pendant quelque temps, à peu près toute l’élite intellectuelle européenne croyait au bobard du complot juif mondial qui, de la Révolution française à la révolution bolchevique, aurait tout organisé et programmé. (...)
Comment expliquez-vous la réapparition des Protocoles des Sages de Sion, dans beaucoup de pays arabes, mais aussi en Occident ?
Elle s’explique par les besoins de la propagande « antisioniste » radicale, qui consiste à diaboliser Israël et le sionisme. L’exploitation antisioniste du faux est aujourd’hui dominante, ce qui n’a pas toujours été le cas. Il y a aujourd’hui une flambée de rééditions des Protocoles des Sages de Sion, comparable à celles qui se sont produites en 1920, en 1938-1939 ou en 1967-1968. Dans les pays où les Protocoles ne font pas l’objet d’une interdiction de réédition, comme la Grèce, il y a eu, en 2004, au moins cinq éditions du faux antijuif. En France, où la réédition est interdite, le texte est accessible sur le Net. Sur le site de Radio Islam, vous trouvez les Protocoles dans près d’une dizaine de langues. Radio Islam est mentionnée comme lien par l’extrême droite américaine aussi bien que par les milieux djihadistes. Aux Etats-Unis aussi, on observe une multiplication des éditions des Protocoles, même si le phénomène est très difficile à quantifier car il s’agit souvent de rééditions artisanales réalisées par des réseaux militants. Dans beaucoup de pays arabes, les Protocoles vivent un nouvel âge d’or.
Au lendemain de la guerre de six jours (juin 1967) furent publiés des centaines de milliers d’exemplaires en français, en anglais, en arabe, le plus souvent à Beyrouth. Les Protocoles étaient recommandés il y a quelques mois sur le site officiel du ministère de l’information de l’Autorité palestinienne, où ils étaient accessibles en ligne jusqu’au 18 mai 2005 (section « Histoire du sionisme »). Le mythe du complot juif mondial a pris un nouveau contenu en intégrant l’ingrédient antiaméricain. Le « complot sioniste » est devenu « américano-sioniste » : il s’inscrit ainsi dans le discours de propagande du nouvel anti-impérialisme tiers-mondiste, repeint aux couleurs de l’anti-mondialisme. L’antisionisme radical est devenu à la fois un code et un passeport, commun à tous les extrémismes, pour les appels à la haine, voire au meurtre.
Voir aussi :
* Eric Conan, « Les secrets d'une manipulation antisémite », L’Express, 16 novembre 1999.
Depuis seize ans, Conspiracy Watch contribue à sensibiliser aux dangers du complotisme en assurant un travail d’information et de veille critique sans équivalent. Pour pérenniser nos activités, le soutien de nos lecteurs est indispensable.