Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Raoul Girardet et le mythe de la Conspiration

"Mythes et mythologies politiques", de Raoul Girardet (Points Seuil, 1986)

Peu de noms auront, autant que celui de l'historien Raoul Giradet (1917-2013), marqué les débuts de la réflexion politologique sur le conspirationnisme. Paru en 1986, Mythes et mythologies politiques (Seuil, coll. Points/Histoire) fait partie de ces ouvrages pionniers qui sont cités quasi-systématiquement dans la littérature savante sur le sujet. Raoul Girardet y explore quelques-uns des principaux thèmes de notre imaginaire politique, à commencer par le mythe de la "Conspiration", sur une quarantaine de pages. C'est pour lui rendre hommage que nous reproduisons ici quelques extraits choisis (pp. 33-41) de Mythes et mythologies politiques :

Grand Sanhédrin de la Juiverie universelle, Compagnie de Jésus ou Loges maçonniques, au centre de la mythologie du Complot s’impose d’abord l’image, redoutable et redoutée, de l’Organisation. Le secret constitue la première de ses caractéristiques. Tous ceux qui, sous une forme ou sous une autre, prétendent en relater les activités ou dénoncer les méfaits insistent sur les difficultés qu’ils ont rencontrées, souvent aussi sur les dangers qu’ils ont courus pour en percer les mystères. Les affidés sont liés entre eux par le serment du silence, et un châtiment inexorable ne saurait manquer de frapper celui qui s’aviserait de le trahir. Des cérémonies initiatiques, un rituel compliqué et obscur marquent presque toujours l’intronisation dans la secte. Les lieux choisis pour les réunions et les conseils doivent leur assurer, soit par leur déconcertante banalité, soit par leurs difficultés d’approche, une totale clandestinité. (…)

Protégée des regard extérieurs par la loi du secret, l’Organisation s’impose d’autre part par la rigueur de son cloisonnement et de sa structure hiérarchique. La forme selon laquelle elle se présente le plus souvent est celle d’une pyramide aux échelons successifs et strictement compartimentés : à chaque échelon nouvellement gravi correspond, pour l’homme du complot, un degré supplémentaire de connaissance, d’autorité et de responsabilité. Au sommet, là où aboutissent les fils de toutes les intrigues et d’où partent tous les mots d’ordre, siège une autorité souveraine, définie à la fois comme implacable et invisible. (…) Ignorante de ces mystères, rompue aux seuls principes de l’obéissance passive, tenue par le caractère irrémédiable des serments prononcés, la masse des affidés n’apparaît plus que comme un immense mécanisme, aux rouages strictement agencés, où la personnalité se dissout, l’individu se perd. (…)

Au-delà de la diversité des principes qui lui sont attribués, de la foi qui est censée l’animer, l’Organisation poursuit (…) un même et prodigieux dessin : la domination du monde, la mainmise sur les princes et sur les peuples, l’établissement à son profit d’un pouvoir de dimension mondiale. Quelles que soient la nature et l’apparente motivation de la conspiration, il s’agit toujours, pour ceux qui en tiennent les fil, et de répondre à une inextinguible volonté de puissance, et de reprendre le rêve éternel de l’édification d’un Empire étendu à l’échelle universelle, de l’unification du globe sous une seule et totale autorité. (…)

Au service de cet objectif immense tous les moyens sont bien évidemment déclarés légitimes. Et tous sont en effet utilisés ; les premiers étant ceux de l’espionnage et de la délation. (…)

Premier objectif visé, le pouvoir politique reste bien entendu le terrain privilégié de ce qui ne peut manquer d’apparaître comme une entreprise systématique d’investissement et de manipulation. (…) Mais au fur et à mesure que s’amplifie, dans le courant du siècle dernier, l’image de la conspiration, qu’un discours de plus en plus répétitif, qu’une littérature de plus en plus nombreuse l’imposent à la conscience des masses, le champ attribué à la manipulation ne cesse apparemment de se développer. La stratégie de la manipulation se fait en d’autres termes multidimensionnelle. L’appareil politique et administratif ne constitue plus son seul enjeu. Celui-ci s’élargit à tous les domaines de la vie collective (…).

Particulièrement significatives à cet égard, dans ce véritable traité de la guerre dans la foule que constitue en fin de compte le discours du rabbin de Prague complété par le texte des Protocoles, l’importance accordée aux moyens d’information et l’insistance mise sur la nécessité de s’assurer de leur contrôle. (…) Il conviendra donc que, grâce à leur puissance financière, les hommes de la secte s’emparent progressivement de l’ensemble des organes de presse. Il conviendra ensuite que, par l’espionnage et le chantage, l’ambition ou la crainte, ils disposent de la totale docilité des salles de rédaction. Rien apparemment ne sera changé dans la diversité des titres et la pluralité des tendances. (…)

Egalement significatives les pratiques préconisées dans les mêmes textes qui n’ont d’autre objectif que celui d’un total accaparement de la richesse publique. (…)

Une dernière stratégie reste (…) à être mise en œuvre, aux multiples combinaisons et que les hommes du Complot ont toutes apprises à manier : celle de la corruption, de l’avilissement des mœurs, de la désagrégation systématique des traditions sociales et des valeurs morales. L’enfant, surtout lorsqu’il appartient aux catégories dominantes du corps social, en constitue de toute évidence l’objectif privilégié. On ne tentera pas seulement d’agir sur son intelligence, ses lectures, ses habitudes de penser et de sentir. Pour mieux s’assurer de sa fidélité ou de sa docilité, on ne reculera pas dans certains cas devant une entreprise délibérée de dissolution morale. (…) Quant aux mœurs de la société adulte, c’est sur « la Femme » que l’on va, semble-t-il, essentiellement compter pour parachever leur dislocation. Habilement mise au service de l’Organisation, non moins habilement poussée dans les bras des puissants de ce monde, c’est à elle que reviendra la tâche de briser les foyers, de déchirer les familles. A elle aussi le soin de les conduire à la ruine par ses caprices, ses fantaisies et ses exigences. (…)

Ainsi se trouvent reliés tous les fils de la manipulation. A la corruption par l’or correspond la corruption par le sang. Face à la volonté conquérante et disciplinée de l’Organisation ne se dressera plus qu’une masse avilie, divisée et hagarde, dépossédée de ses biens comme de sa dignité, atteinte aux sources les plus profondes de la vie.

 

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"Mythes et mythologies politiques", de Raoul Girardet (Points Seuil, 1986)

Peu de noms auront, autant que celui de l'historien Raoul Giradet (1917-2013), marqué les débuts de la réflexion politologique sur le conspirationnisme. Paru en 1986, Mythes et mythologies politiques (Seuil, coll. Points/Histoire) fait partie de ces ouvrages pionniers qui sont cités quasi-systématiquement dans la littérature savante sur le sujet. Raoul Girardet y explore quelques-uns des principaux thèmes de notre imaginaire politique, à commencer par le mythe de la "Conspiration", sur une quarantaine de pages. C'est pour lui rendre hommage que nous reproduisons ici quelques extraits choisis (pp. 33-41) de Mythes et mythologies politiques :

Grand Sanhédrin de la Juiverie universelle, Compagnie de Jésus ou Loges maçonniques, au centre de la mythologie du Complot s’impose d’abord l’image, redoutable et redoutée, de l’Organisation. Le secret constitue la première de ses caractéristiques. Tous ceux qui, sous une forme ou sous une autre, prétendent en relater les activités ou dénoncer les méfaits insistent sur les difficultés qu’ils ont rencontrées, souvent aussi sur les dangers qu’ils ont courus pour en percer les mystères. Les affidés sont liés entre eux par le serment du silence, et un châtiment inexorable ne saurait manquer de frapper celui qui s’aviserait de le trahir. Des cérémonies initiatiques, un rituel compliqué et obscur marquent presque toujours l’intronisation dans la secte. Les lieux choisis pour les réunions et les conseils doivent leur assurer, soit par leur déconcertante banalité, soit par leurs difficultés d’approche, une totale clandestinité. (…)

Protégée des regard extérieurs par la loi du secret, l’Organisation s’impose d’autre part par la rigueur de son cloisonnement et de sa structure hiérarchique. La forme selon laquelle elle se présente le plus souvent est celle d’une pyramide aux échelons successifs et strictement compartimentés : à chaque échelon nouvellement gravi correspond, pour l’homme du complot, un degré supplémentaire de connaissance, d’autorité et de responsabilité. Au sommet, là où aboutissent les fils de toutes les intrigues et d’où partent tous les mots d’ordre, siège une autorité souveraine, définie à la fois comme implacable et invisible. (…) Ignorante de ces mystères, rompue aux seuls principes de l’obéissance passive, tenue par le caractère irrémédiable des serments prononcés, la masse des affidés n’apparaît plus que comme un immense mécanisme, aux rouages strictement agencés, où la personnalité se dissout, l’individu se perd. (…)

Au-delà de la diversité des principes qui lui sont attribués, de la foi qui est censée l’animer, l’Organisation poursuit (…) un même et prodigieux dessin : la domination du monde, la mainmise sur les princes et sur les peuples, l’établissement à son profit d’un pouvoir de dimension mondiale. Quelles que soient la nature et l’apparente motivation de la conspiration, il s’agit toujours, pour ceux qui en tiennent les fil, et de répondre à une inextinguible volonté de puissance, et de reprendre le rêve éternel de l’édification d’un Empire étendu à l’échelle universelle, de l’unification du globe sous une seule et totale autorité. (…)

Au service de cet objectif immense tous les moyens sont bien évidemment déclarés légitimes. Et tous sont en effet utilisés ; les premiers étant ceux de l’espionnage et de la délation. (…)

Premier objectif visé, le pouvoir politique reste bien entendu le terrain privilégié de ce qui ne peut manquer d’apparaître comme une entreprise systématique d’investissement et de manipulation. (…) Mais au fur et à mesure que s’amplifie, dans le courant du siècle dernier, l’image de la conspiration, qu’un discours de plus en plus répétitif, qu’une littérature de plus en plus nombreuse l’imposent à la conscience des masses, le champ attribué à la manipulation ne cesse apparemment de se développer. La stratégie de la manipulation se fait en d’autres termes multidimensionnelle. L’appareil politique et administratif ne constitue plus son seul enjeu. Celui-ci s’élargit à tous les domaines de la vie collective (…).

Particulièrement significatives à cet égard, dans ce véritable traité de la guerre dans la foule que constitue en fin de compte le discours du rabbin de Prague complété par le texte des Protocoles, l’importance accordée aux moyens d’information et l’insistance mise sur la nécessité de s’assurer de leur contrôle. (…) Il conviendra donc que, grâce à leur puissance financière, les hommes de la secte s’emparent progressivement de l’ensemble des organes de presse. Il conviendra ensuite que, par l’espionnage et le chantage, l’ambition ou la crainte, ils disposent de la totale docilité des salles de rédaction. Rien apparemment ne sera changé dans la diversité des titres et la pluralité des tendances. (…)

Egalement significatives les pratiques préconisées dans les mêmes textes qui n’ont d’autre objectif que celui d’un total accaparement de la richesse publique. (…)

Une dernière stratégie reste (…) à être mise en œuvre, aux multiples combinaisons et que les hommes du Complot ont toutes apprises à manier : celle de la corruption, de l’avilissement des mœurs, de la désagrégation systématique des traditions sociales et des valeurs morales. L’enfant, surtout lorsqu’il appartient aux catégories dominantes du corps social, en constitue de toute évidence l’objectif privilégié. On ne tentera pas seulement d’agir sur son intelligence, ses lectures, ses habitudes de penser et de sentir. Pour mieux s’assurer de sa fidélité ou de sa docilité, on ne reculera pas dans certains cas devant une entreprise délibérée de dissolution morale. (…) Quant aux mœurs de la société adulte, c’est sur « la Femme » que l’on va, semble-t-il, essentiellement compter pour parachever leur dislocation. Habilement mise au service de l’Organisation, non moins habilement poussée dans les bras des puissants de ce monde, c’est à elle que reviendra la tâche de briser les foyers, de déchirer les familles. A elle aussi le soin de les conduire à la ruine par ses caprices, ses fantaisies et ses exigences. (…)

Ainsi se trouvent reliés tous les fils de la manipulation. A la corruption par l’or correspond la corruption par le sang. Face à la volonté conquérante et disciplinée de l’Organisation ne se dressera plus qu’une masse avilie, divisée et hagarde, dépossédée de ses biens comme de sa dignité, atteinte aux sources les plus profondes de la vie.

 

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