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Attentat à Halle : le NPD suggère une manipulation des services de renseignement

Publié par Samuel Petit18 octobre 2019

Pour l'élu ultranationaliste Stefan Paasche, « nous ne saurons probablement jamais la vérité » sur les motivations de l'auteur de la tuerie du 9 octobre dernier...

L'auteur de la tuerie du 9 octobre 2019 à Halle, Stephan Balliet (détail).

Le 9 octobre 2019, un Allemand de 27 ans a tenté d'investir une synagogue à Halle (Saxe-Anhalt) le jour de Yom Kippour, l’un des plus importants événements du calendrier liturgique juif, avant de tuer une passante ainsi qu'un homme dans un restaurant turc de kebab.

L'auteur de l'attentat, Stephan Balliet, a grandi à Lutherstadt-Eisleben, à quelques 35 kilomètres du lieu de l’attaque.

Les grands titres de la presse allemande (Süddeutsche Zeitung, Zeit Magazine, Frankfurter Allgemeine, Taz) ayant tous plus ou moins explicitement revendiqué le choix de ne pas faire le jeu des terroristes en publiant leurs visages et leurs noms, les informations sur le parcours de Balliet ont été distillées au compte-goutte dans des titres de presse plus secondaires. On sait désormais qu'il a commencé puis interrompu des études de chimie à Halle, vraisemblablement en raison de problèmes de santé ; que, plus récemment, il aurait travaillé comme technicien pour la radio et qu'il vivait toujours au domicile de sa mère dans la région. C’est lors de son service militaire de six mois que Balliet aurait appris à manier des armes à feu. Rien de particulier n’a cependant à l’époque été signalé à son sujet, tout comme dans les années qui ont suivi, jusqu’à l’attentat de mercredi dernier.

Ses aveux aux enquêteurs, mais aussi sa vidéo-live et ses écrits en ligne ne laissent aucun doute sur son intention de massacrer des juifs réunis pour la fête de Yom Kippour. N’ayant pu pénétrer dans la synagogue dont la porte barricadée a probablement sauvé de nombreuses personnes d'un massacre semblable à celui de Christchurch (Nouvelle-Zélande) il y a sept mois, Balliet a finalement ciblé des passants et des clients d’un restaurant turc. Il a fait deux morts et deux blessés grave, avant que ses armes ne s’enrayent.

L’extrême droite dans le viseur

Les réactions des différentes figures d’Alternative für Deutschland (AfD), qui est très largement désignée comme le responsable moral du climat actuel, ont été largement commentées, mais surtout raillées par les partis traditionnels, la plupart des grands médias et nombre d’internautes. Comment pourrait-il en être autrement quand certains de ses représentants réclament un « changement à 180 degrés de la politique mémorielle » (Björn Höcke), voient dans leurs résultats électoraux la fin du « culte de la culpabilité » allemande (Jens Maier), affirment être « fier des performances des soldats allemands pendant la seconde guerre mondiale » (Alexander Gauland) ou se font photographier avec la main droite sur le cœur devant le Quartier général d’Hitler en Pologne (Siegbert Droese). C’est pourquoi la condamnation et l‘indignation des membres de cette formation face à un attentat qui porte la marque de l’extrême droite peinent à convaincre.

Aucune formation d’extrême droite jouant le jeu électoral ne se risquerait à une quelconque ambiguïté vis-à-vis du terroriste. Leurs détracteurs, soutenus par une partie de l’appareil judiciaire, sont depuis des années attentifs à tout dérapage révélateur qui pourrait les conduire à une interdiction.

Le NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands), classée plus à droite encore que l’AfD en raison de son ultra-nationalisme et de ses positions racistes et négationnistes, a partagé via son organe de presse, Die deutsche Stimme (« La voix allemande »), son point de vue sur l’attentat du 9 octobre. Le texte, publié le lendemain de l'attentat, a été écrit par le député régional Stefan Paasche du Land de Saxe-Anhalt. Intitulé « Stefan B. : pas des nôtres », il s’adresse au tueur, le désignant comme l’idiot utile du système que le NPD entend combattre. À cause de lui, explique Stefan Paasche, le « combat contre l’extrême droite va reprendre ». Surtout, l'article vire au conspirationnisme, en suggérant que Stephan Balliet a été manipulé précisément à cette fin :

« Toutes les expériences des dernières décennies indiquent que [les cercles virtuels dont Stephan Balliet était membre] sont intéressants pour les services de renseignement. Ce ne serait pas la première fois que des personnages douteux auraient influencé les actions des membres de ces cercles. Nous ne saurons probablement jamais la vérité. Une seule chose est sûre : tu n'es pas seul, hélas !, à porter les dégâts causés par ton geste. »

Les commentaires d’internautes attestent de la prégnance de cette vision complotiste dans les rangs des sympathisants du NPD, plusieurs d’entre eux affirmant par exemple – à tort – que la synagogue aurait toujours été surveillée par la police à l’exception du jour de l’attaque...

« I think the Holocaust never happened »

Le procureur général de Karlsruhe, Peter Frank, en charge de l’enquête, a caractérisé dès jeudi 10 octobre la tuerie comme un attentat d’extrême droite. Antisémite, raciste, négationniste, Stephan Balliet ne semble pourtant pas avoir été en lien avec une quelconque organisation politique. Il n’était pas connu des services de police et de renseignement et aurait apparemment fabriqué ses armes à feu et ses explosifs lui-même. Les services en charge de l’enquête vérifient à l’heure actuelle d’éventuelles complicités ou contacts noués sur le dark web.

Si quelque chose se dessine très clairement au sujet du terroriste en revanche, c’est son appartenance au monde des gamers, ces passionnés de jeux vidéos en réseau. Via un smartphone fixé sur son casque, Balliet a diffusé et commenté son équipée meurtrière en direct sur Twitch, une plateforme spécialisée dans la diffusion de parties en ligne. Au début de la vidéo, Balliet se présente en ces termes, en anglais : « Hey, my name is Anon, and I think the Holocaust never happened. » Le pseudonyme « Anon » (pour « anonyme ») serait couramment utilisé par les « gamers » dans les forums et autres plateformes où les idées complotistes et d’extrême droite sont largement relayées. Balliet déclarait également en introduction de sa vidéo : « Nobody expects the internet SS. »

>>> Lire, sur Conspiracy Watch« Pourquoi le sentiment d’échec personnel et le complotisme sont-ils liés ? » (15/02/2009)

La phrase qui pourrait le mieux résumer sa vision antisémite du monde a été largement reprise dans les médias : « Le Juif est la cause de tout ». De l’immigration de masse au féminisme (dont le but secret serait de « faire chuter la fécondité »), les Juifs comploteraient contre les Blancs. Si le modus operandi rappelle l’attentat de Christchurch, le discours de Balliet fait écho à celui du Norvégien Anders Breivik. Cette vision du monde est également confirmée par son manifeste de 11 pages qu’il avait mis en ligne peu avant de passer à l'acte. Son but explicite est de « motiver d’autres Blancs opprimés » à l’imiter : « Y aller et tuer autant de gens que possibles. » Il concède qu’il planifiait au départ de s’attaquer à une mosquée ou à une formation de gauche, mais que cela lui était finalement apparu inutile. Selon lui, c’est aux Juifs qu’il faut s’attaquer puisque ce sont eux qui organiseraient l’immigration.

Une autre parenté est suggérée par de nombreux commentateurs ayant eu accès à la vidéo : il écoute pendant sa fuite en avant un document audio de Alek Minassian, auteur d’une tuerie de masse à Toronto en avril 2018 qui expliquait ne pas supporter son statut d'« incel » (célibataire involontaire). Ce terme, comme celui de « Anon », cité plus haut, renvoie à un lexique teinté de masculinisme et de complotisme largement répandu sur certaines plateformes de gamers.

Ce milieu, que l’on doit comprendre comme une sous-culture d’extrême droite, serait en pleine radicalisation à en croire Julia Ebner, chercheure à l’Institute for Strategic Dialogue (ISD). Pour cette spécialiste de l’extrémisme, les réactions à l’attentat de Halle sur les forums sur lesquels Balliet était actif sont parlantes : tandis que la moitié de son public semble dénoncer ses agissements, l’autre moitié semble le glorifier. Balliet lui-même se désigne comme un « loser » : « I tried to kill some [incompréhensible], and now I’m here, and then I’ll die like the loser I am ». Ou encore, cette fois-ci en allemand : « Putain ! Qu’attendez-vous d’un NEET comme moi ?! » (« NEET », comprendre : « Not in Education, Employment, or Training »).

Les différents textes du terroriste ainsi que la vidéo de ses crimes ont continué à circuler sur plusieurs forums de discussion tels que 4chan ou son équivalent allemand Kohlchan. Sous le feu des critiques depuis quelques jours, Kohlchan a publié un communiqué, dans lequel la plateforme assure ne pas diffuser les textes incriminés ainsi que la vidéo streamée sur Twitch. Plus d'une semaine après la tuerie, celle-ci continue pourtant d'être accessible sur une célèbre plateforme de messagerie cryptée. Elle y a été vue plus de 80 000 fois au moment où ces lignes sont écrites.

 

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L'auteur de la tuerie du 9 octobre 2019 à Halle, Stephan Balliet (détail).

Le 9 octobre 2019, un Allemand de 27 ans a tenté d'investir une synagogue à Halle (Saxe-Anhalt) le jour de Yom Kippour, l’un des plus importants événements du calendrier liturgique juif, avant de tuer une passante ainsi qu'un homme dans un restaurant turc de kebab.

L'auteur de l'attentat, Stephan Balliet, a grandi à Lutherstadt-Eisleben, à quelques 35 kilomètres du lieu de l’attaque.

Les grands titres de la presse allemande (Süddeutsche Zeitung, Zeit Magazine, Frankfurter Allgemeine, Taz) ayant tous plus ou moins explicitement revendiqué le choix de ne pas faire le jeu des terroristes en publiant leurs visages et leurs noms, les informations sur le parcours de Balliet ont été distillées au compte-goutte dans des titres de presse plus secondaires. On sait désormais qu'il a commencé puis interrompu des études de chimie à Halle, vraisemblablement en raison de problèmes de santé ; que, plus récemment, il aurait travaillé comme technicien pour la radio et qu'il vivait toujours au domicile de sa mère dans la région. C’est lors de son service militaire de six mois que Balliet aurait appris à manier des armes à feu. Rien de particulier n’a cependant à l’époque été signalé à son sujet, tout comme dans les années qui ont suivi, jusqu’à l’attentat de mercredi dernier.

Ses aveux aux enquêteurs, mais aussi sa vidéo-live et ses écrits en ligne ne laissent aucun doute sur son intention de massacrer des juifs réunis pour la fête de Yom Kippour. N’ayant pu pénétrer dans la synagogue dont la porte barricadée a probablement sauvé de nombreuses personnes d'un massacre semblable à celui de Christchurch (Nouvelle-Zélande) il y a sept mois, Balliet a finalement ciblé des passants et des clients d’un restaurant turc. Il a fait deux morts et deux blessés grave, avant que ses armes ne s’enrayent.

L’extrême droite dans le viseur

Les réactions des différentes figures d’Alternative für Deutschland (AfD), qui est très largement désignée comme le responsable moral du climat actuel, ont été largement commentées, mais surtout raillées par les partis traditionnels, la plupart des grands médias et nombre d’internautes. Comment pourrait-il en être autrement quand certains de ses représentants réclament un « changement à 180 degrés de la politique mémorielle » (Björn Höcke), voient dans leurs résultats électoraux la fin du « culte de la culpabilité » allemande (Jens Maier), affirment être « fier des performances des soldats allemands pendant la seconde guerre mondiale » (Alexander Gauland) ou se font photographier avec la main droite sur le cœur devant le Quartier général d’Hitler en Pologne (Siegbert Droese). C’est pourquoi la condamnation et l‘indignation des membres de cette formation face à un attentat qui porte la marque de l’extrême droite peinent à convaincre.

Aucune formation d’extrême droite jouant le jeu électoral ne se risquerait à une quelconque ambiguïté vis-à-vis du terroriste. Leurs détracteurs, soutenus par une partie de l’appareil judiciaire, sont depuis des années attentifs à tout dérapage révélateur qui pourrait les conduire à une interdiction.

Le NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands), classée plus à droite encore que l’AfD en raison de son ultra-nationalisme et de ses positions racistes et négationnistes, a partagé via son organe de presse, Die deutsche Stimme (« La voix allemande »), son point de vue sur l’attentat du 9 octobre. Le texte, publié le lendemain de l'attentat, a été écrit par le député régional Stefan Paasche du Land de Saxe-Anhalt. Intitulé « Stefan B. : pas des nôtres », il s’adresse au tueur, le désignant comme l’idiot utile du système que le NPD entend combattre. À cause de lui, explique Stefan Paasche, le « combat contre l’extrême droite va reprendre ». Surtout, l'article vire au conspirationnisme, en suggérant que Stephan Balliet a été manipulé précisément à cette fin :

« Toutes les expériences des dernières décennies indiquent que [les cercles virtuels dont Stephan Balliet était membre] sont intéressants pour les services de renseignement. Ce ne serait pas la première fois que des personnages douteux auraient influencé les actions des membres de ces cercles. Nous ne saurons probablement jamais la vérité. Une seule chose est sûre : tu n'es pas seul, hélas !, à porter les dégâts causés par ton geste. »

Les commentaires d’internautes attestent de la prégnance de cette vision complotiste dans les rangs des sympathisants du NPD, plusieurs d’entre eux affirmant par exemple – à tort – que la synagogue aurait toujours été surveillée par la police à l’exception du jour de l’attaque...

« I think the Holocaust never happened »

Le procureur général de Karlsruhe, Peter Frank, en charge de l’enquête, a caractérisé dès jeudi 10 octobre la tuerie comme un attentat d’extrême droite. Antisémite, raciste, négationniste, Stephan Balliet ne semble pourtant pas avoir été en lien avec une quelconque organisation politique. Il n’était pas connu des services de police et de renseignement et aurait apparemment fabriqué ses armes à feu et ses explosifs lui-même. Les services en charge de l’enquête vérifient à l’heure actuelle d’éventuelles complicités ou contacts noués sur le dark web.

Si quelque chose se dessine très clairement au sujet du terroriste en revanche, c’est son appartenance au monde des gamers, ces passionnés de jeux vidéos en réseau. Via un smartphone fixé sur son casque, Balliet a diffusé et commenté son équipée meurtrière en direct sur Twitch, une plateforme spécialisée dans la diffusion de parties en ligne. Au début de la vidéo, Balliet se présente en ces termes, en anglais : « Hey, my name is Anon, and I think the Holocaust never happened. » Le pseudonyme « Anon » (pour « anonyme ») serait couramment utilisé par les « gamers » dans les forums et autres plateformes où les idées complotistes et d’extrême droite sont largement relayées. Balliet déclarait également en introduction de sa vidéo : « Nobody expects the internet SS. »

>>> Lire, sur Conspiracy Watch« Pourquoi le sentiment d’échec personnel et le complotisme sont-ils liés ? » (15/02/2009)

La phrase qui pourrait le mieux résumer sa vision antisémite du monde a été largement reprise dans les médias : « Le Juif est la cause de tout ». De l’immigration de masse au féminisme (dont le but secret serait de « faire chuter la fécondité »), les Juifs comploteraient contre les Blancs. Si le modus operandi rappelle l’attentat de Christchurch, le discours de Balliet fait écho à celui du Norvégien Anders Breivik. Cette vision du monde est également confirmée par son manifeste de 11 pages qu’il avait mis en ligne peu avant de passer à l'acte. Son but explicite est de « motiver d’autres Blancs opprimés » à l’imiter : « Y aller et tuer autant de gens que possibles. » Il concède qu’il planifiait au départ de s’attaquer à une mosquée ou à une formation de gauche, mais que cela lui était finalement apparu inutile. Selon lui, c’est aux Juifs qu’il faut s’attaquer puisque ce sont eux qui organiseraient l’immigration.

Une autre parenté est suggérée par de nombreux commentateurs ayant eu accès à la vidéo : il écoute pendant sa fuite en avant un document audio de Alek Minassian, auteur d’une tuerie de masse à Toronto en avril 2018 qui expliquait ne pas supporter son statut d'« incel » (célibataire involontaire). Ce terme, comme celui de « Anon », cité plus haut, renvoie à un lexique teinté de masculinisme et de complotisme largement répandu sur certaines plateformes de gamers.

Ce milieu, que l’on doit comprendre comme une sous-culture d’extrême droite, serait en pleine radicalisation à en croire Julia Ebner, chercheure à l’Institute for Strategic Dialogue (ISD). Pour cette spécialiste de l’extrémisme, les réactions à l’attentat de Halle sur les forums sur lesquels Balliet était actif sont parlantes : tandis que la moitié de son public semble dénoncer ses agissements, l’autre moitié semble le glorifier. Balliet lui-même se désigne comme un « loser » : « I tried to kill some [incompréhensible], and now I’m here, and then I’ll die like the loser I am ». Ou encore, cette fois-ci en allemand : « Putain ! Qu’attendez-vous d’un NEET comme moi ?! » (« NEET », comprendre : « Not in Education, Employment, or Training »).

Les différents textes du terroriste ainsi que la vidéo de ses crimes ont continué à circuler sur plusieurs forums de discussion tels que 4chan ou son équivalent allemand Kohlchan. Sous le feu des critiques depuis quelques jours, Kohlchan a publié un communiqué, dans lequel la plateforme assure ne pas diffuser les textes incriminés ainsi que la vidéo streamée sur Twitch. Plus d'une semaine après la tuerie, celle-ci continue pourtant d'être accessible sur une célèbre plateforme de messagerie cryptée. Elle y a été vue plus de 80 000 fois au moment où ces lignes sont écrites.

 

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à propos de l'auteur
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Samuel Petit
Samuel Petit est né en 1992 à Paris. Il a étudié l'histoire contemporaine à la Sorbonne puis à la Freie Universität de Berlin. Il vit et travaille en tant que metteur en scène, traducteur et journaliste entre l'Allemagne et la France.
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