On croit que les théories complotistes concernant l’origine du virus datent d’aujourd’hui ? Détrompez-vous, dès les années 1960, de grands classiques de la bande dessinée franco-belge émettent des hypothèses, pas forcément loufoques, mais souvent très connotées. Petit tour d’horizon.
Le 12 mars 2020, le président Macron apprenait aux Français qu’il fallait qu’ils se confinent. « Confiner », le mot fit florès. Cinq jours avant pourtant, dans le Finistère en Bretagne, 3549 personnes déguisées en Schtroumpfs se sont rassemblées battant ainsi le record établi au Guiness Book par les Allemands de Lauchringen avec seulement 2762 schtroumpfs au compteur. Ont-ils été des Schtroumpfs contaminateurs, comme dans les Schtroumpfs noirs ? Personne n’a évoqué l’hypothèse et les chiffres du Finistère n’ont pas montré pendant longtemps d’indice alarmant.
Créateurs visionnaires
Pourtant, les auteurs de bande dessinée sont souvent créatifs en matière de conspirationnisme. C’est même un peu leur métier quand il s’agit d’aventure et de suspense.
L’un des premiers techno-thrillers de la bande dessinée, la série Guy Lefranc de Jacques Martin, s’en était fait une spécialité. Son premier titre ne s’intitulait-il pas La Grande Menace (1952) ? Le maléfique Axel Borg menaçait le monde du feu nucléaire si on ne lui versait pas une rançon. Le deuxième titre de la saga, L’Ouragan de feu (1959), imaginait un complot de l’industrie pétrolière pour empêcher une découverte scientifique qui permettait de remplacer le pétrole par de l’eau. Mais c’est dans le troisième volume de la série, Le Mystère Borg (1964) qu’est évoquée l’hypothèse d’un virus conçu comme une arme fatale, expérimenté à titre de démonstration dans un petit village des Alpes suisses coupé du monde.
L’idée est dingue, mais pas tant que cela. Après tout, à la même époque, dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, on trouvait des savants assez fous pour expérimenter des maladies mortelles susceptibles de n’affecter… que les Noirs ! Immoral jusqu’au bout, Axel Borg n’a aucune compassion pour les habitants du village infecté. Lorsque Jacques Martin écrit le scénario du Mystère Borg, les Coréens du Nord et les Chinois accusent officiellement les États-Unis d’avoir utilisé contre eux des armes de ce type destinées à affecter aussi bien les récoltes que les habitants. Cela aboutit à une nouvelle Convention sur l'interdiction des armes biologiques signée par la plupart des pays du monde en 1972. Mais cela n’empêche pas certains États de développer ce genre d’armes en secret.
L’idée du dessinateur vient peut-être aussi d’un épisode de fièvre typhoïde à Zermatt dans le Valais en mars 1963 qui aboutit à l’isolement de cette station très connue et à la recherche des personnes infectées tant en Suisse qu’en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis. C’est la brusque multiplication des stations de sport d’hiver sans qu’elles soient accompagnées d’une modernisation de l’évacuation des eaux usées qui est à l’origine de ce foyer d’épidémie. L’épisode marqua l’imagination du dessinateur en raison de la forte médiatisation de la mobilisation de la Croix Rouge et de l’armée suisse au cours de cette crise.
Dans l’objectif du microscope du créateur de ce virus maléfique, le docteur Zermi, allusion à Enrico Fermi, le pionnier de l’atome qui mit au point la première fission nucléaire préalable à la bombe atomique, le « super-virus » apparaît. Cette image de l’infiniment petit est cependant impossible en 1965, il faudra le développement ultérieur d’ordinateurs puissants et de l’imagerie moléculaire pour que l’on puisse représenter un virus. C’est pourquoi Jacques Martin, mêlant l’infiniment grand à l’infiniment petit, l’imagine tel une pleine lune dont on admirerait les cratères.
Heureusement, l’intrépide journaliste imaginé par Jacques Martin arrivera à neutraliser l’impitoyable Axel Borg avec le concours conjugué des armées françaises et suisses !
Le virus britannique
Plus étonnante est la représentation qu’en fait Marcello dans Pif Gadget. Dans cette bande dessinée du Docteur Justice publiée par l’hebdomadaire pour la jeunesse d’obédience communiste, on voit apparaître en janvier 1979 un drôle de scénario signé Jean Ollivier et dessiné par Raffaele Carlo Marcello. On y parle d’un virus faussement « venu de l’Est » (pas question, dans ce journal inféodé au PCF de mettre en cause l’URSS…) dont la forme ressemble à celle du coronavirus : « un simple petit virus baladeur aurait pris la clé des champs… et cela suffit pour mettre au lit la moitié de l’Europe… Cela tombe comme des mouches à Milan, les tramways ne circulent plus faute de conducteurs, une dizaine de morts à Munich, les vaccins font défaut… »
La pandémie fait rage : « Une terrible épidémie de grippe d’une virulence jamais vue balaie toute l’Europe. De Moscou à Londres et de Hambourg à Naples, la moitié de la population est au lit… Les services publics, les transports, les administrations travaillent à effectifs réduits… »
Intervenant à l’O.I.S. (Organisation Internationale de la Santé), le Docteur Justice émet l’hypothèse d’un virus échappé d’un laboratoire. Scandale !
Son enquête l’amène dans la banlieue londonienne où un laboratoire ayant mis au point le vaccin contre une souche inédite de la maladie avait diffusé ses virus un peu partout en Europe. La veuve du savant commente opportunément : « Vous comprenez… une épidémie de grippe rapporte beaucoup… » C’est donc bien le capitalisme qui est le responsable. Le directeur du laboratoire est arrêté mais le médecin traitant du Docteur Justice croit en la fake news d’une responsabilité soviétique ! Le Doc ne peut rien contre la rumeur…
Histoires de masques
Si la France manquait de masques au printemps, la bande dessinée n’en a jamais manqué. Pour preuve cette série remarquable publiée le 8 novembre 1984 dans Spirou, des récits courts signés Jean Van Hamme et Griffo : « S.O.S. Bonheur ».
Le scénariste Jean Van Hamme, grand spécialiste des conspirations et autres complots, imagine un État autoritaire tellement soucieux de la santé de ses administrés qu’il les oblige à porter des masques. Il se font verbaliser quand ils n’en portent pas jusqu’à, en cas de récidive, se retrouver purement et simplement viré de la Sécurité Sociale et condamné à vivre en marge de la société. « Dans ces espèces de contes, je mets en cause la conception du bonheur dans une société imaginaire, fortement étatisée, raconte Jean Van Hamme. À mon avis, notre vie est tributaire de toute une série de règles administratives, et le bonheur nous est donné d’en haut. Je voudrais montrer à quel point la surprotection par l’État entraîne nécessairement des absurdités. Et quand le bonheur devient une affaire d’État, la liberté s’en ressent… » Des propos aux accents bien contemporains qui aboutissent à une révolution sociale… qui ne changera pas grand-chose.
On termine comme on a commencé : avec les Schtroumpfs. Dans un album de 2006 à la rhétorique écologiste, Salades de Schtroumpfs, le Schtroumpf-Poète devient une courgette, le Schtroumpf-Farceur, une tomate, et le Schtroumpf-Coquet, un cornichon. Ils sont les premiers atteints par un mal dont on ne connaît pas encore l’origine et encore moins le remède. Face à la crainte de la contagion, quel est le réflexe des Schtroumpfs ? Isoler le malade supposé et protéger les individus « sains ». Voilà les schtroumpfs-légumes confinés, et même emprisonnés ! À mesure que le nombre de cas augmente, victimes d’un mal dont on ne connaît toujours pas l’origine, les Schtroumpfs inventent des masques de fortune... complètement inutiles, car ils n’ont pas encore compris que leur affection vient de… leur alimentation.
Voir aussi :
La « bombe raciale » ou le fantasme d’une arme biologique sélective
Quand le bloc communiste accusait les États-Unis de mener une guerre bactériologique en Corée
Le 12 mars 2020, le président Macron apprenait aux Français qu’il fallait qu’ils se confinent. « Confiner », le mot fit florès. Cinq jours avant pourtant, dans le Finistère en Bretagne, 3549 personnes déguisées en Schtroumpfs se sont rassemblées battant ainsi le record établi au Guiness Book par les Allemands de Lauchringen avec seulement 2762 schtroumpfs au compteur. Ont-ils été des Schtroumpfs contaminateurs, comme dans les Schtroumpfs noirs ? Personne n’a évoqué l’hypothèse et les chiffres du Finistère n’ont pas montré pendant longtemps d’indice alarmant.
Créateurs visionnaires
Pourtant, les auteurs de bande dessinée sont souvent créatifs en matière de conspirationnisme. C’est même un peu leur métier quand il s’agit d’aventure et de suspense.
L’un des premiers techno-thrillers de la bande dessinée, la série Guy Lefranc de Jacques Martin, s’en était fait une spécialité. Son premier titre ne s’intitulait-il pas La Grande Menace (1952) ? Le maléfique Axel Borg menaçait le monde du feu nucléaire si on ne lui versait pas une rançon. Le deuxième titre de la saga, L’Ouragan de feu (1959), imaginait un complot de l’industrie pétrolière pour empêcher une découverte scientifique qui permettait de remplacer le pétrole par de l’eau. Mais c’est dans le troisième volume de la série, Le Mystère Borg (1964) qu’est évoquée l’hypothèse d’un virus conçu comme une arme fatale, expérimenté à titre de démonstration dans un petit village des Alpes suisses coupé du monde.
L’idée est dingue, mais pas tant que cela. Après tout, à la même époque, dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, on trouvait des savants assez fous pour expérimenter des maladies mortelles susceptibles de n’affecter… que les Noirs ! Immoral jusqu’au bout, Axel Borg n’a aucune compassion pour les habitants du village infecté. Lorsque Jacques Martin écrit le scénario du Mystère Borg, les Coréens du Nord et les Chinois accusent officiellement les États-Unis d’avoir utilisé contre eux des armes de ce type destinées à affecter aussi bien les récoltes que les habitants. Cela aboutit à une nouvelle Convention sur l'interdiction des armes biologiques signée par la plupart des pays du monde en 1972. Mais cela n’empêche pas certains États de développer ce genre d’armes en secret.
L’idée du dessinateur vient peut-être aussi d’un épisode de fièvre typhoïde à Zermatt dans le Valais en mars 1963 qui aboutit à l’isolement de cette station très connue et à la recherche des personnes infectées tant en Suisse qu’en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis. C’est la brusque multiplication des stations de sport d’hiver sans qu’elles soient accompagnées d’une modernisation de l’évacuation des eaux usées qui est à l’origine de ce foyer d’épidémie. L’épisode marqua l’imagination du dessinateur en raison de la forte médiatisation de la mobilisation de la Croix Rouge et de l’armée suisse au cours de cette crise.
Dans l’objectif du microscope du créateur de ce virus maléfique, le docteur Zermi, allusion à Enrico Fermi, le pionnier de l’atome qui mit au point la première fission nucléaire préalable à la bombe atomique, le « super-virus » apparaît. Cette image de l’infiniment petit est cependant impossible en 1965, il faudra le développement ultérieur d’ordinateurs puissants et de l’imagerie moléculaire pour que l’on puisse représenter un virus. C’est pourquoi Jacques Martin, mêlant l’infiniment grand à l’infiniment petit, l’imagine tel une pleine lune dont on admirerait les cratères.
Heureusement, l’intrépide journaliste imaginé par Jacques Martin arrivera à neutraliser l’impitoyable Axel Borg avec le concours conjugué des armées françaises et suisses !
Le virus britannique
Plus étonnante est la représentation qu’en fait Marcello dans Pif Gadget. Dans cette bande dessinée du Docteur Justice publiée par l’hebdomadaire pour la jeunesse d’obédience communiste, on voit apparaître en janvier 1979 un drôle de scénario signé Jean Ollivier et dessiné par Raffaele Carlo Marcello. On y parle d’un virus faussement « venu de l’Est » (pas question, dans ce journal inféodé au PCF de mettre en cause l’URSS…) dont la forme ressemble à celle du coronavirus : « un simple petit virus baladeur aurait pris la clé des champs… et cela suffit pour mettre au lit la moitié de l’Europe… Cela tombe comme des mouches à Milan, les tramways ne circulent plus faute de conducteurs, une dizaine de morts à Munich, les vaccins font défaut… »
La pandémie fait rage : « Une terrible épidémie de grippe d’une virulence jamais vue balaie toute l’Europe. De Moscou à Londres et de Hambourg à Naples, la moitié de la population est au lit… Les services publics, les transports, les administrations travaillent à effectifs réduits… »
Intervenant à l’O.I.S. (Organisation Internationale de la Santé), le Docteur Justice émet l’hypothèse d’un virus échappé d’un laboratoire. Scandale !
Son enquête l’amène dans la banlieue londonienne où un laboratoire ayant mis au point le vaccin contre une souche inédite de la maladie avait diffusé ses virus un peu partout en Europe. La veuve du savant commente opportunément : « Vous comprenez… une épidémie de grippe rapporte beaucoup… » C’est donc bien le capitalisme qui est le responsable. Le directeur du laboratoire est arrêté mais le médecin traitant du Docteur Justice croit en la fake news d’une responsabilité soviétique ! Le Doc ne peut rien contre la rumeur…
Histoires de masques
Si la France manquait de masques au printemps, la bande dessinée n’en a jamais manqué. Pour preuve cette série remarquable publiée le 8 novembre 1984 dans Spirou, des récits courts signés Jean Van Hamme et Griffo : « S.O.S. Bonheur ».
Le scénariste Jean Van Hamme, grand spécialiste des conspirations et autres complots, imagine un État autoritaire tellement soucieux de la santé de ses administrés qu’il les oblige à porter des masques. Il se font verbaliser quand ils n’en portent pas jusqu’à, en cas de récidive, se retrouver purement et simplement viré de la Sécurité Sociale et condamné à vivre en marge de la société. « Dans ces espèces de contes, je mets en cause la conception du bonheur dans une société imaginaire, fortement étatisée, raconte Jean Van Hamme. À mon avis, notre vie est tributaire de toute une série de règles administratives, et le bonheur nous est donné d’en haut. Je voudrais montrer à quel point la surprotection par l’État entraîne nécessairement des absurdités. Et quand le bonheur devient une affaire d’État, la liberté s’en ressent… » Des propos aux accents bien contemporains qui aboutissent à une révolution sociale… qui ne changera pas grand-chose.
On termine comme on a commencé : avec les Schtroumpfs. Dans un album de 2006 à la rhétorique écologiste, Salades de Schtroumpfs, le Schtroumpf-Poète devient une courgette, le Schtroumpf-Farceur, une tomate, et le Schtroumpf-Coquet, un cornichon. Ils sont les premiers atteints par un mal dont on ne connaît pas encore l’origine et encore moins le remède. Face à la crainte de la contagion, quel est le réflexe des Schtroumpfs ? Isoler le malade supposé et protéger les individus « sains ». Voilà les schtroumpfs-légumes confinés, et même emprisonnés ! À mesure que le nombre de cas augmente, victimes d’un mal dont on ne connaît toujours pas l’origine, les Schtroumpfs inventent des masques de fortune... complètement inutiles, car ils n’ont pas encore compris que leur affection vient de… leur alimentation.
Voir aussi :
La « bombe raciale » ou le fantasme d’une arme biologique sélective
Quand le bloc communiste accusait les États-Unis de mener une guerre bactériologique en Corée
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