Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Bigard sur BFM TV : quand le complotisme s'étale en prime-time

Publié par Élie Guckert28 octobre 2020,

Invité par BFM TV, Jean-Marie Bigard a pu déballer au sujet de l’épidémie de Covid-19 des théories qui apparaissent encore plus grotesques en pleine seconde vague. Un exemple de conspirationnisme diffusé à une heure de grande écoute, avec des conséquences concrètes sur la lutte contre la pandémie.

Jean-Marie Bigard sur BFM TV le 26 septembre dernier (capture d’écran BFM TV).

Le complotisme ne se propage pas que sur des plateformes obscures, des blogs de la fachosphère ou des chaînes de propagande étrangère. Il s'exprime aussi bien souvent sur des médias généralistes professionnels. Nous sommes le 26 septembre 2020, l’humoriste Jean-Marie Bigard est l’invité de V.S.D., une émission animée par Jean-Baptiste Boursier, sur BFM TV, première chaîne d’info en continu de France.

« Jean-Marie Bigard a récemment participé à la manifestation des Gilets jaunes à Paris. L'humoriste a été aperçu au milieu de la foule, Place de la Bourse, sous les cris et insultes de certains manifestants. L'humoriste, qui avait dû être exfiltré de ce rassemblement le 12 septembre dernier, est revenu sur cet épisode douloureux sur notre plateau», annonce la chaîne.

L’humoriste aura la parole pendant près de 20 minutes. Il raconte qu’il a vu son « dernier jour arriver » au cours de la manifestation. Mais il est aussi question de cette vidéo qu’il a publiée la veille, à destination d’Olivier Véran, comptabilisant des milliers de vues rien que sur Twitter. La vidéo, où le ministre de la Santé est appelé « Olivier Véreux », traité de « connard » et comparé au policier qui a tué George Floyd aux États-Unis, « a fait beaucoup réagir », résume BFM TV.

C’est donc vêtu de son très saillant tee-shirt officiel « Allez tous vous faire enculer » que Bigard va être autorisé à donner son avis éclairé sur l’épidémie de Covid-19, le pouvoir tentaculaire de l’industrie pharmaceutique, et le martyr anti-système Didier Raoult, sans se voir opposer une réelle contradiction factuelle.

 

L’humoriste, qui a déjà par le passé popularisé les théories selon lesquelles le 11-Septembre ne serait qu’un complot américain, n’en est pas à son premier sketch. Mais cette fois, en pleine seconde vague d’une pandémie qui a déjà fait plus de 30 000 morts en France, il reprend, sans être contredit, de vieilles théories déjà démontées par la plupart des médias de fact-checking depuis des mois.

« Bigard a tout à fait le droit de participer à un débat de société et de dire que malgré tous les morts il est contre les restrictions sanitaires. Je ne serais pas d’accord avec lui, mais il en a le droit », estime le professeur Stéphane Gaudry, réanimateur au service de médecine intensive et réanimation de l’hôpital Avicenne (APHP / Sorbonne Université), co-signataire d’une tribune contre « la fraude scientifique » publiée chez Libération. « Mais avant d’avoir un débat de société, il faut d’abord se mettre d’accord sur le diagnostic ».

La rechute

« Les comités scientifiques sont aux ordres de l'industrie pharmaceutique ! Y a plus que vous qui ne le savez pas ! », lâche l’humoriste sur le plateau. « Tous les laboratoires réunis font plus de 1000 milliards par an de chiffre d'affaires. Avec 1000 milliards on fait ce qu'on veut, on met qui on veut sur le trône. On décide de dire "ça oui", "ça non". Par exemple on donne l'ordre, vraisemblablement, à Mme Buzyn, ministre de la santé, le 15 janvier, ni plus ni moins, de classer comme médicament vénéneux l'hydroxychloroquine. »

Une intox qui date... de mars 2020. Le 13 janvier, l’hydroxychloroquine est bien officiellement classée sur la liste II des substances vénéneuses par arrêté ministériel. Mais c’est en réalité le résultat d’une longue procédure, qui n’a rien à voir avec les laboratoires pharmaceutiques, et qui remonte à octobre 2019 quand l’ANSES a été saisie avant de rendre son avis en novembre.

Entre octobre 2019 et janvier 2020, la pandémie de Covid-19 est encore loin d’être considérée comme un péril majeur en France. Si on sait aujourd’hui que les premiers cas remontent probablement à décembre, ce n’est que le 24 janvier que trois premiers cas sont officiellement recensés en France métropolitaine, soit plus de dix jours après l’inscription de l’hydroxychloroquine sur la liste des substance vénéneuses. L’épidémie ne passera au stade 3 que le 14 mars, deux mois plus tard. Surtout, l’inscription de l’hydroxychloroquine sur cette fameuse liste ne signifiait pas son interdiction, mais sa soumission à « prescription médicale ».

Sur une grande chaîne d’info en continu, Jean-Marie Bigard ressort en septembre une fausse information pourtant réfutée… en mars (capture d’écran France Inter).

En outre, « dire que l’interdiction de prescription de l’hydroxychloroquine est le fait de l’industrie pharmaceutique, c’est un mensonge ! », tranche Stéphane Gaudry. « C’est un argument utilisé par des personnes qui ne connaissent pas la science ou par des scientifiques qui n’ont plus aucun autre argument pour favoriser l’utilisation de l’hydroxychloroquine. »

Bigard a donc tout faux. Le présentateur enchaîne sur les supposés conflits d’intérêts entre la communauté scientifique et l’industrie pharmaceutique. « Est-ce que ça typiquement, Jean-Marie Bigard, ce n’est pas un raccourci intellectuel, de dire "ils sont tous comme ça" ? »

L’intox sur une prétendue « interdiction » de l’hydroxychloroquine, démontée il y déjà plusieurs mois par de nombreux médias (Le Monde, France Inter, Libération...) vient de resurgir sur un plateau TV à une heure de grande écoute sans rencontrer le moindre obstacle. L’animateur Jean-Baptiste Boursier et la chaîne BFM TV n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

« Objectivement je ne suis pas en mesure de dire que c'est une réalité »

Bigard réitère. « Ce que je veux vraiment dire c'est que tout le monde est à la solde de la puissance économique de l'industrie pharmaceutique, tout simplement ! » Puis déterre à nouveau une vieille histoire démentie depuis des mois, sans finir sa phrase. « Par exemple : où est-ce qu'on vit quand madame Buzyn, dont le mari est un ennemi juré, forcément, du professeur Didier Raoult, qui a trouvé une solution, un remède… ».

L’humoriste a décidément des difficultés à se tenir à jour. Retour, à nouveau, en mars dernier. Dans la foulée de l’intox sur la supposée interdiction de l’hydroxychloroquine, des partisans du professeur Raoult diffusent sur les réseaux sociaux des messages censés révéler une cabale politico-médiatique contre le médecin marseillais menée par Agnès Buzyn et son mari, Yves Lévy, ex-directeur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Sur fond de conflit d’intérêts, le mari de l’ex ministre de la Santé aurait tout fait pour mettre des bâtons dans les roues du professeur Raoult.

>>> Lire, sur Conspiracy Watch : Coronavirus et chloroquine : comment Gilbert Collard joue avec la théorie du complot (26/03/2020)

Comme le rappelait Le Monde à l’époque, la nomination d’Agnès Buzyn au ministère de la Santé en 2017 avait bien fait naître des soupçons de conflits d’intérêts. C’est justement pour cette raison que la cotutelle de l’Inserm avait été immédiatement retirée au ministère de la Santé, et qu’Yves Lévy avait renoncé à se représenter pour un second mandat à la tête de l’institution, dès 2018, soit deux ans avant la pandémie de Covid-19.

En 2018, sous la direction d’Yves Lévy, l’Inserm avait effectivement retiré leur label aux unités de recherche de l’IHU de Marseille. Décision à l’époque dénoncée par Raoult, dont les partisans omettent aujourd’hui de rappeler que le CNRS, qui n’a jamais été dirigé par Yves Lévy, avait pris la même décision.

Bigard enchaîne. « Si tu veux globalement on est face à un Covid-19 et on a en France un professeur, un très grand professeur, le professeur Raoult, et un autre docteur, qui ont trouvé le traitement pour ne pas mourir ni souffrir de ce Covid-19 qui aujourd'hui est complètement essoufflé ! »

Jean-Baptiste Boursier répond : « Objectivement je ne suis pas en mesure de dire que c'est une réalité et je ne pense pas que vous soyez en mesure de dire que c'est une réalité scientifique, la communauté scientifique conteste ces conclusions. Il y a un débat en son sein ! »

« Le débat est clos ! », insiste pourtant Stéphane Gaudry. « Il y a un consensus scientifique [contre l’hydroxychloroquine]. Quand vous avez 99 % des médecins chercheurs et des experts qui arrivent à trouver un consensus sur l’efficacité d’un traitement, alors vous avez quelque chose de très solide sur le plan méthodologique. L’hydroxychloroquine, ce n’est pas un sujet. Ceux qui disent le contraire sont ultra-minoritaires. »

« L’hydroxychloroquine, on sait qu’il y a malheureusement des malades qui en ont été victimes », rappelle-t-il. « Donc on a limité les dégâts en interdisant sa prescription en ville et, a posteriori, heureusement que cela a été fait ! »

Pour le chercheur, il ne s’agit pas pour autant de nier la réalité des conflits d’intérêts. « Mais c’est plus facile de lutter contre les conflits d’intérêts que contre le populisme et le conspirationnisme », ironise-t-il. « Depuis maintenant plusieurs années il y a une lutte très intense contre les conflits d’intérêts. Quand je publie un article de recherche dans mon domaine, je déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt. Tout au plus ai-je dû toucher une vingtaine d’euros de Sanofi il y a quatre ans. Donc Bigard est bien gentil, mais il y a beaucoup d’experts qui n’ont pas de conflits d’intérêts et qui disent pourtant la même chose ».

Quand les médias participent à « l’infodémie »

Le 15 février, le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait alerté : « nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous luttons aussi contre une infodémie. » La pandémie de Covid-19 s’est en effet accompagnée d’une vague de désinformation sans précédent, alimentée aussi bien par les réseaux sociaux que par des États étrangers tels que la Chine et la Russie.

Sur son site, l’OMS affirme que cette « infodémie » peut avoir des conséquences tout à fait concrètes : « La diffusion d’informations fausses coûte des vies. S’il n’existe pas un climat de confiance et si l’on ne diffuse pas des informations justes, la population n’utilisera pas les tests de diagnostic, les campagnes de vaccination (ou de promotion de vaccins efficaces) n’atteindront pas leurs objectifs et le virus continuera à se propager. »

« Imaginez si au cours de l’épidémie de SIDA à la fin des années 80 il y avait eu des hurluberlus pour dire que le préservatif ne protège pas. Est-ce qu’on les aurait autant invité à la télé ? Et avec quelles conséquences ? », s’interroge Stéphane Gaudry. « Vous citez BFM, mais CNews fait bien pire ! Ils passent leur temps à diffuser ce genre de discours. Depuis quelques semaines BFM a quand même arrêté d’inviter ce genre de personnes, les "rassuristes" qui disaient qu’il n’y aurait pas de deuxième vague, etc. »

En avril, Arrêt sur images se demandait ainsi « Le putaclic peut-il tuer ? » après l’interview du très controversé professeur Luc Montagnier qui affirmait justement sur CNews – actuellement la deuxième chaîne d’info en continu de France – que le Covid-19 avait été fabriqué artificiellement avec des séquences du VIH. Une affirmation fumeuse et qui va là aussi à l’encontre du très large consensus scientifique sur les origines naturelles du virus. Interrogé par Arrêt sur images, le journaliste scientifique Sylvestre Huet n’y allait pas par quatre chemins : « Avec la pandémie, on est dans une situation où la désinformation, ça tue, car ça influe sur les comportements des citoyens. »

Stéphane Gaudry confirme : « Au début de la crise, en mars/avril, quand Raoult faisait sa com, on avait à faire à des familles extrêmement agressives qui nous accusaient de tuer leurs proches si on ne leur prescrivait pas d’hydroxychloroquine, je n’avais jamais vu ça, nous perdions la confiance. Dernièrement, une de mes patientes en réanimation m’a avoué qu’elle pensait qu’il n’y aurait pas de deuxième vague et qu’elle avait donc participé à une fête d’anniversaire avec 40 personnes. » Et de conclure : « Avec un discours médiatique solide, elle ne se serait peut-être pas retrouvée en réa. »

 

Voir aussi :

Le prix Nobel du complotisme

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Jean-Marie Bigard sur BFM TV le 26 septembre dernier (capture d’écran BFM TV).

Le complotisme ne se propage pas que sur des plateformes obscures, des blogs de la fachosphère ou des chaînes de propagande étrangère. Il s'exprime aussi bien souvent sur des médias généralistes professionnels. Nous sommes le 26 septembre 2020, l’humoriste Jean-Marie Bigard est l’invité de V.S.D., une émission animée par Jean-Baptiste Boursier, sur BFM TV, première chaîne d’info en continu de France.

« Jean-Marie Bigard a récemment participé à la manifestation des Gilets jaunes à Paris. L'humoriste a été aperçu au milieu de la foule, Place de la Bourse, sous les cris et insultes de certains manifestants. L'humoriste, qui avait dû être exfiltré de ce rassemblement le 12 septembre dernier, est revenu sur cet épisode douloureux sur notre plateau», annonce la chaîne.

L’humoriste aura la parole pendant près de 20 minutes. Il raconte qu’il a vu son « dernier jour arriver » au cours de la manifestation. Mais il est aussi question de cette vidéo qu’il a publiée la veille, à destination d’Olivier Véran, comptabilisant des milliers de vues rien que sur Twitter. La vidéo, où le ministre de la Santé est appelé « Olivier Véreux », traité de « connard » et comparé au policier qui a tué George Floyd aux États-Unis, « a fait beaucoup réagir », résume BFM TV.

C’est donc vêtu de son très saillant tee-shirt officiel « Allez tous vous faire enculer » que Bigard va être autorisé à donner son avis éclairé sur l’épidémie de Covid-19, le pouvoir tentaculaire de l’industrie pharmaceutique, et le martyr anti-système Didier Raoult, sans se voir opposer une réelle contradiction factuelle.

 

L’humoriste, qui a déjà par le passé popularisé les théories selon lesquelles le 11-Septembre ne serait qu’un complot américain, n’en est pas à son premier sketch. Mais cette fois, en pleine seconde vague d’une pandémie qui a déjà fait plus de 30 000 morts en France, il reprend, sans être contredit, de vieilles théories déjà démontées par la plupart des médias de fact-checking depuis des mois.

« Bigard a tout à fait le droit de participer à un débat de société et de dire que malgré tous les morts il est contre les restrictions sanitaires. Je ne serais pas d’accord avec lui, mais il en a le droit », estime le professeur Stéphane Gaudry, réanimateur au service de médecine intensive et réanimation de l’hôpital Avicenne (APHP / Sorbonne Université), co-signataire d’une tribune contre « la fraude scientifique » publiée chez Libération. « Mais avant d’avoir un débat de société, il faut d’abord se mettre d’accord sur le diagnostic ».

La rechute

« Les comités scientifiques sont aux ordres de l'industrie pharmaceutique ! Y a plus que vous qui ne le savez pas ! », lâche l’humoriste sur le plateau. « Tous les laboratoires réunis font plus de 1000 milliards par an de chiffre d'affaires. Avec 1000 milliards on fait ce qu'on veut, on met qui on veut sur le trône. On décide de dire "ça oui", "ça non". Par exemple on donne l'ordre, vraisemblablement, à Mme Buzyn, ministre de la santé, le 15 janvier, ni plus ni moins, de classer comme médicament vénéneux l'hydroxychloroquine. »

Une intox qui date... de mars 2020. Le 13 janvier, l’hydroxychloroquine est bien officiellement classée sur la liste II des substances vénéneuses par arrêté ministériel. Mais c’est en réalité le résultat d’une longue procédure, qui n’a rien à voir avec les laboratoires pharmaceutiques, et qui remonte à octobre 2019 quand l’ANSES a été saisie avant de rendre son avis en novembre.

Entre octobre 2019 et janvier 2020, la pandémie de Covid-19 est encore loin d’être considérée comme un péril majeur en France. Si on sait aujourd’hui que les premiers cas remontent probablement à décembre, ce n’est que le 24 janvier que trois premiers cas sont officiellement recensés en France métropolitaine, soit plus de dix jours après l’inscription de l’hydroxychloroquine sur la liste des substance vénéneuses. L’épidémie ne passera au stade 3 que le 14 mars, deux mois plus tard. Surtout, l’inscription de l’hydroxychloroquine sur cette fameuse liste ne signifiait pas son interdiction, mais sa soumission à « prescription médicale ».

Sur une grande chaîne d’info en continu, Jean-Marie Bigard ressort en septembre une fausse information pourtant réfutée… en mars (capture d’écran France Inter).

En outre, « dire que l’interdiction de prescription de l’hydroxychloroquine est le fait de l’industrie pharmaceutique, c’est un mensonge ! », tranche Stéphane Gaudry. « C’est un argument utilisé par des personnes qui ne connaissent pas la science ou par des scientifiques qui n’ont plus aucun autre argument pour favoriser l’utilisation de l’hydroxychloroquine. »

Bigard a donc tout faux. Le présentateur enchaîne sur les supposés conflits d’intérêts entre la communauté scientifique et l’industrie pharmaceutique. « Est-ce que ça typiquement, Jean-Marie Bigard, ce n’est pas un raccourci intellectuel, de dire "ils sont tous comme ça" ? »

L’intox sur une prétendue « interdiction » de l’hydroxychloroquine, démontée il y déjà plusieurs mois par de nombreux médias (Le Monde, France Inter, Libération...) vient de resurgir sur un plateau TV à une heure de grande écoute sans rencontrer le moindre obstacle. L’animateur Jean-Baptiste Boursier et la chaîne BFM TV n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

« Objectivement je ne suis pas en mesure de dire que c'est une réalité »

Bigard réitère. « Ce que je veux vraiment dire c'est que tout le monde est à la solde de la puissance économique de l'industrie pharmaceutique, tout simplement ! » Puis déterre à nouveau une vieille histoire démentie depuis des mois, sans finir sa phrase. « Par exemple : où est-ce qu'on vit quand madame Buzyn, dont le mari est un ennemi juré, forcément, du professeur Didier Raoult, qui a trouvé une solution, un remède… ».

L’humoriste a décidément des difficultés à se tenir à jour. Retour, à nouveau, en mars dernier. Dans la foulée de l’intox sur la supposée interdiction de l’hydroxychloroquine, des partisans du professeur Raoult diffusent sur les réseaux sociaux des messages censés révéler une cabale politico-médiatique contre le médecin marseillais menée par Agnès Buzyn et son mari, Yves Lévy, ex-directeur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Sur fond de conflit d’intérêts, le mari de l’ex ministre de la Santé aurait tout fait pour mettre des bâtons dans les roues du professeur Raoult.

>>> Lire, sur Conspiracy Watch : Coronavirus et chloroquine : comment Gilbert Collard joue avec la théorie du complot (26/03/2020)

Comme le rappelait Le Monde à l’époque, la nomination d’Agnès Buzyn au ministère de la Santé en 2017 avait bien fait naître des soupçons de conflits d’intérêts. C’est justement pour cette raison que la cotutelle de l’Inserm avait été immédiatement retirée au ministère de la Santé, et qu’Yves Lévy avait renoncé à se représenter pour un second mandat à la tête de l’institution, dès 2018, soit deux ans avant la pandémie de Covid-19.

En 2018, sous la direction d’Yves Lévy, l’Inserm avait effectivement retiré leur label aux unités de recherche de l’IHU de Marseille. Décision à l’époque dénoncée par Raoult, dont les partisans omettent aujourd’hui de rappeler que le CNRS, qui n’a jamais été dirigé par Yves Lévy, avait pris la même décision.

Bigard enchaîne. « Si tu veux globalement on est face à un Covid-19 et on a en France un professeur, un très grand professeur, le professeur Raoult, et un autre docteur, qui ont trouvé le traitement pour ne pas mourir ni souffrir de ce Covid-19 qui aujourd'hui est complètement essoufflé ! »

Jean-Baptiste Boursier répond : « Objectivement je ne suis pas en mesure de dire que c'est une réalité et je ne pense pas que vous soyez en mesure de dire que c'est une réalité scientifique, la communauté scientifique conteste ces conclusions. Il y a un débat en son sein ! »

« Le débat est clos ! », insiste pourtant Stéphane Gaudry. « Il y a un consensus scientifique [contre l’hydroxychloroquine]. Quand vous avez 99 % des médecins chercheurs et des experts qui arrivent à trouver un consensus sur l’efficacité d’un traitement, alors vous avez quelque chose de très solide sur le plan méthodologique. L’hydroxychloroquine, ce n’est pas un sujet. Ceux qui disent le contraire sont ultra-minoritaires. »

« L’hydroxychloroquine, on sait qu’il y a malheureusement des malades qui en ont été victimes », rappelle-t-il. « Donc on a limité les dégâts en interdisant sa prescription en ville et, a posteriori, heureusement que cela a été fait ! »

Pour le chercheur, il ne s’agit pas pour autant de nier la réalité des conflits d’intérêts. « Mais c’est plus facile de lutter contre les conflits d’intérêts que contre le populisme et le conspirationnisme », ironise-t-il. « Depuis maintenant plusieurs années il y a une lutte très intense contre les conflits d’intérêts. Quand je publie un article de recherche dans mon domaine, je déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt. Tout au plus ai-je dû toucher une vingtaine d’euros de Sanofi il y a quatre ans. Donc Bigard est bien gentil, mais il y a beaucoup d’experts qui n’ont pas de conflits d’intérêts et qui disent pourtant la même chose ».

Quand les médias participent à « l’infodémie »

Le 15 février, le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait alerté : « nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous luttons aussi contre une infodémie. » La pandémie de Covid-19 s’est en effet accompagnée d’une vague de désinformation sans précédent, alimentée aussi bien par les réseaux sociaux que par des États étrangers tels que la Chine et la Russie.

Sur son site, l’OMS affirme que cette « infodémie » peut avoir des conséquences tout à fait concrètes : « La diffusion d’informations fausses coûte des vies. S’il n’existe pas un climat de confiance et si l’on ne diffuse pas des informations justes, la population n’utilisera pas les tests de diagnostic, les campagnes de vaccination (ou de promotion de vaccins efficaces) n’atteindront pas leurs objectifs et le virus continuera à se propager. »

« Imaginez si au cours de l’épidémie de SIDA à la fin des années 80 il y avait eu des hurluberlus pour dire que le préservatif ne protège pas. Est-ce qu’on les aurait autant invité à la télé ? Et avec quelles conséquences ? », s’interroge Stéphane Gaudry. « Vous citez BFM, mais CNews fait bien pire ! Ils passent leur temps à diffuser ce genre de discours. Depuis quelques semaines BFM a quand même arrêté d’inviter ce genre de personnes, les "rassuristes" qui disaient qu’il n’y aurait pas de deuxième vague, etc. »

En avril, Arrêt sur images se demandait ainsi « Le putaclic peut-il tuer ? » après l’interview du très controversé professeur Luc Montagnier qui affirmait justement sur CNews – actuellement la deuxième chaîne d’info en continu de France – que le Covid-19 avait été fabriqué artificiellement avec des séquences du VIH. Une affirmation fumeuse et qui va là aussi à l’encontre du très large consensus scientifique sur les origines naturelles du virus. Interrogé par Arrêt sur images, le journaliste scientifique Sylvestre Huet n’y allait pas par quatre chemins : « Avec la pandémie, on est dans une situation où la désinformation, ça tue, car ça influe sur les comportements des citoyens. »

Stéphane Gaudry confirme : « Au début de la crise, en mars/avril, quand Raoult faisait sa com, on avait à faire à des familles extrêmement agressives qui nous accusaient de tuer leurs proches si on ne leur prescrivait pas d’hydroxychloroquine, je n’avais jamais vu ça, nous perdions la confiance. Dernièrement, une de mes patientes en réanimation m’a avoué qu’elle pensait qu’il n’y aurait pas de deuxième vague et qu’elle avait donc participé à une fête d’anniversaire avec 40 personnes. » Et de conclure : « Avec un discours médiatique solide, elle ne se serait peut-être pas retrouvée en réa. »

 

Voir aussi :

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à propos de l'auteur
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Élie Guckert
Élie Guckert est journaliste indépendant. Il a collaboré avec Mediapart, Disclose, Bellingcat, Slate, Street Press et Conspiracy Watch. Il est l'auteur de Comment Poutine a conquis nos cerveaux, dix ans de propagande russe en France (Plon, 2023).
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