Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Clap de fin pour Le Média ?

Publié par Élie Guckert28 juillet 2022,

Coulée par sa défaite aux prud’hommes face à son ancien patron Denis Robert, la très « insoumise » web télé lancée en 2017 voit son avenir s'assombrir. Retour sur cinq ans d’une information « alternative » aux accents complotistes et poutinophiles.

Michel Collon (à droite) invité par Le Média pour traquer les « médiamensonges » en avril 2019 (capture d’écran).

L’alerte est lancée le 7 juillet par Le Média sur YouTube : « Denis Robert veut tuer Le Média ! […] Aujourd’hui, il vient de faire saisir nos comptes à hauteur de 86 911 €, nous laissant seulement 2 500 € ». L’ancien rédacteur en chef de la chaîne, qui a depuis fondé Blast, a remporté son procès aux prud’hommes contre Le Média début juin, condamnant le site proche de la France insoumise (LFI) à lui verser la somme mirobolante de 300 000 €.

Le coup de grâce ? L’entreprise ne sera en tout cas pas en mesure de verser de salaires pour le mois de juillet, rapporte Arrêt sur Images.

Depuis sa création, Le Média a fait régulièrement l’objet de vives controverses. Très critiquée pour ses méthodes de management et son ambiance interne toxique, la web télé s’est aussi fait remarquer dès ses débuts pour avoir diffusé de fausses informations ou des chroniques à caractère complotiste.

Des incidents qui ne sont pas des dérapages : Conspiracy Watch s’est plongé dans cinq ans d’une ligne éditoriale flirtant allégrement avec la complosphère, la propagande du Kremlin et de nombreux invités prisés en temps normal par la « réinfosphère » d’extrême droite.

Genèse d’un média « dégagiste »

Tout commence en août 2017, lors des universités d’été de LFI, avec une conférence intitulée « Faut-il dégager les médias ? » animée par Sophia Chikirou, alors conseillère en communication de Jean-Luc Mélenchon. À la tribune : Olivier Berruyer, créateur du blog Les-Crises ; Aude Lancelin, désormais à la tête de QG-Le Média Libre ; et le politologue « insoumis » Thomas Guénolé.

Ce dernier – qui se fera lui-même « dégager » du mouvement en 2019 – appelle alors à « casser le monopole audiovisuel pro-système » en créant « un grand média audiovisuel alter-système ». Une conférence qui lui vaut les critiques de plusieurs figures médiatiques. La preuve selon Guénolé de « l’existence d’un intensif ‘Mélenchon-bashing’ médiatique ».

La création de ce « grand média alter-système » est annoncée dans un manifeste publié par Le Monde quelques mois plus tard. Il sera « indépendant », dirigé par Sophia Chikirou et luttera contre le modèle « idéologique dominant ». Le manifeste est signé par de nombreuses figures médiatiques et politiques, dont plusieurs cadres et compagnons de route de LFI.

Malgré les nombreuses restructurations internes effectuées depuis, cette chaîne « indépendante » n’a jamais vraiment rompu ses attaches avec le mouvement mélenchoniste. Comme le rappelle Arrêt sur Images, l’actuel président du directoire et directeur général du MédiaThomas Dietrich, était décrit en 2020 par Africa Intelligence comme un conseiller de Jean-Luc Mélenchon sur l’Afrique.

En novembre 2021, la chaîne avait également recruté David Guiraud, alors porte-parole jeunesse de LFI et désormais député, comme chroniqueur de sa « contre-matinale » aux côtés de Taha Bouhafs, lui-même candidat insoumis dès les législatives de 2017, et de nouveau en 2022 jusqu’à son éviction pour des accusations de violences sexuelles.

« Journaliste français propagandiste »

Comme l’expliquait Numerama, à sa création Le Média s’inspirait directement de The Young Turks, chaîne lancée outre-Atlantique pour soutenir la candidature du démocrate Bernie Sanders à la présidentielle américaine de 2016. Une autre web télé controversée qui avait recruté comme chroniqueur Jimmy Doreun conspirationniste récompensé par un lobby pro-Assad, comme l’avait révélé en 2019 le site britannique d’investigation en sources ouvertes Bellingcat.

Dès son lancement, Le Média sera justement sous le feu des critiques pour son traitement partial du conflit syrien, avec le fameux édito de Claude El-Khal sur son refus de diffuser les images « non vérifiées » des bombardements du régime sur les civils de la Ghouta, qui contribuera à une première vague de départs en février 2018.

Sophia Chikirou, aujourd’hui député LFI de la 6e circonscription de Paris, écrit alors sur Twitter : « Écoutez Claude El Khal expliquer qu’aucune image de la Ghouta Orientale n’est vérifiée par personne. Que diffuser des images dont certaines ne sont ni datées ni localisées, revient à jouer dans un camp », en y ajoutant les hashtags « #jeudedupes » et « #journalistefrancaispropagantiste » [archive].

La chronique avait déclenché la réaction du directeur de l’AFP qui avait répondu dans une tribune que « toutes les photos que diffuse l'AFP de la Ghouta orientale (et plus généralement de Syrie) sont vérifiées et authentifiées par notre desk d'édition photo [...] moyennant un travail aussi minutieux qu'indispensable ».

Dès 2014 Claude El-Khal accusait également Israël d’avoir créé l’État islamique. En avril 2018, il partage une vidéo du site complotiste Panamza sur la diplomatie française au Moyen-Orient. À la même période, Le Média est de nouveau pointé du doigt pour sa fausse information sur un étudiant supposément plongé dans le coma par les coups de la police à Tolbiac.

>>> Lire, sur Conspiracy WatchTolbiac : ce qui est rumeur ne saurait mourir (30/04/2018)

En juillet 2018, Aude Lancelin prend la succession de Sophia Chikirou après une nouvelle crise interne. L’ex-directrice adjointe de L'Obs aura elle aussi son chouchou conspirationniste en la personne de Maxime Nicolle, alias « Fly Rider », figure du mouvement des Gilets jaunes et grand pourvoyeur de théories du complot. Il suit Aude Lancelin en septembre 2019 dans l’équipe de QG-Le Média libre, qu’elle fonde après sa démission du Média.

C’est alors au tour de Denis Robert de prendre les rênes et de marquer l’histoire de la chaîne en juin 2019 avec une interview d’Étienne Chouard dans laquelle le chantre du référendum d’initiative citoyenne affirme qu'il n'a aucune certitude concernant l’existence des chambres à gaz.

Après son licenciement en septembre 2020, Denis Robert fonde Blast. Il est remplacé à la rédaction en chef par Théophile Kouamouo, ex-correspondant en Afrique pour Le Monde, et membre de la rédaction du Média depuis sa création. Depuis mai, il est également animateur sur la chaîne panafricaniste VoxAfrica où officie l’influenceur pro-Poutine Kemi Seba. Contacté au sujet de la ligne éditoriale de sa web télé, il n’a pas répondu avant la publication de notre article.

Échos russes

Les entretiens avec des figures de la complosphère, en particulier des relais de la propagande russe, sont une caractéristique récurrente du Média depuis cinq ans. En mai 2018, trois mois à peine après la polémique Claude El-Khal, Le Média invite par exemple l’ex-colonel Alain Corvez dans une émission intitulée « Au fait, et les preuves du chimique, elles sont où ? ». Corvez y nie, sans contradiction, la responsabilité d’Assad dans l’attaque chimique de Douma.

À l’époque invité régulier de RT France, il est déjà connu comme un porte-voix de Damas pour s’y être rendu avec Alain Soral dès 2011 avant de publier le récit de son voyage sur le site de propagande InfoSyrie, fondé par l’ex-gudard et argentier de Marine Le PenFrédéric Chatillon. L’ex-colonel était pourtant déjà l’invité du Média en avril 2018 pour un débat sur la Syrie en compagnie du pro-Poutine Georges Kuzmanovic, alors orateur de LFI sur les questions internationales.

Alexis Poulin, également éditorialiste de la chaîne du Kremlin avant sa fermeture, affirme quant à lui sur le plateau de la web télé en avril 2018 qu’il est impossible de connaître la provenance du Novitchok utilisé contre Sergueï et Ioulia Skripal à Salisbury. Celui qui revendique aussi l« liberté de ton » dont il jouit sur le site d’extrême droite Boulevard Voltairecomme un temps sur la web télé d’extrême droite TV Libertés, va alors jusqu’à parler de « fake news d’État » pour qualifier les accusations du ministère britannique des Affaires étrangères contre Moscou. Poulin, qui fut membre de « l’Observatoire national de l’extrême droite » fondé par le désormais député insoumis Thomas Portes, quitte tout de même Le Média en août 2018, dénonçant sa « dérive ».

Alexis Poulin sur Le Média en avril 2018, expliquant que l’affaire Skripal est une « fake news d’État » (capture d’écran YouTube).

Le positionnement pro-Kremlin de la web télé, lui, est resté. Depuis fin 2021, Olivier Berruyer, très proche de la propagande russe sur les conflits en Syrie ou en Ukraine, est régulièrement invité pour venir faire la promotion des articles de son nouveau blog, Elucid. En décembre dernier, alors que Poutine masse déjà ses troupes à la frontière ukrainienne, il assure en s’appuyant sur d’obscurs graphiques de dépenses militaires que « les conflits sont en train d’être construits » par les États-Unis et l’OTAN.

Chasse aux « médiamensonges »

Même après le début de l’invasion, les fantasmes continuent. En mars dernier, Le Média publie une vidéo intitulée : « UN SPÉCIALISTE DE LA RUSSIE MET EN GARDE : L’ARMÉE UKRAINIENNE VA S’EFFONDRER ». Le spécialiste, présenté par l’animateur comme un « réprouvé » désigné par « ses détracteurs comme proche des vues du Kremlin », n’est autre que l’économiste souverainiste Jacques Sapir, un autre ex-éditorialiste de Sputnik et de RT France, relais fréquent de fausses informations et dont les thèses sur l’Europe avaient séduit l’extrême droite française.

Sapir qualifie alors de « scandaleuse » la fermeture de RT et Sputnik en Europe, tout en annonçant la défaite imminente de l’armée ukrainienne. Deux semaines plus tard, la réalité frappe et le Kremlin renonce à prendre Kiev pour se replier sur le Donbass.

Le Média va jusqu’à discuter de désinformation avec des acteurs bien connus de cette même désinformation. En septembre 2020, c’est Jacques Baud, ancien officier des services de renseignement suisses, qui est invité par la chaîne pour faire la promotion de son livre Gouverner par les fake news, publié chez Max Milo. Promotion également réalisée quelques jours plus tôt sur… RT France, un mois après TV Libertés.

Sa thèse ? Les « fake news d’État » seraient les plus dangereuses. La responsabilité d’Assad dans l’attaque chimique de Douma en 2018 (encore) serait une de ces « fake news d’État », assure-t-il en citant un obscur groupe d’universitaires britanniques kremlinophiles appuyés par WikiLeaks et pris la main dans le sac en train d’échanger avec des diplomates russes. Toujours selon Baud, qui ne cite pas ses sources, les renseignements américains auraient même conseillé au président Obama de ne pas intervenir en Syrie en 2013 car ils avaient la preuve que l’attaque chimique de la Ghouta aurait en fait été perpétrée par les rebelles, et non par Assad.

Jacques Baud sur TV Libertés en août 2020, puis sur RT France et Le Média en septembre (captures d’écran YouTube).

En avril 2019, même thématique avec nul autre qu’un « journaliste mis à l’index », le Belge Michel Collon, fondateur du site de « réinformation » complotiste Investig’action. C’est avec ce « spécialiste de la désinformation » qui s’est rendu en Syrie en 2011 avec Thierry Meyssan que la chaîne explique comment « traquer les médiamensonges ». L’animateur laisse son invité affirmer sans contradiction qu’il est « complètement documenté » que les États-Unis « travaillent avec Al-Qaïda, Al-Nosra et Daech » (sic).

Un plateau ouvert à tous, donc, y compris aux révisionnistes, comme en novembre 2020, là encore en se mettant à la remorque de TV Libertés, avec l’invitation de la Canadienne Judi Rever qui soutient dans un livre, également publié par Max Milo, que les Tutsi auraient participé à leur propre génocide. Face à Théophile Kouamouo, elle rend compte de rumeurs selon lesquelles « des lobbys israéliens » auraient fait pression sur Fayard pour que son livre ne paraisse pas... Sans rencontrer la moindre contradiction, là non plus.

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Michel Collon (à droite) invité par Le Média pour traquer les « médiamensonges » en avril 2019 (capture d’écran).

L’alerte est lancée le 7 juillet par Le Média sur YouTube : « Denis Robert veut tuer Le Média ! […] Aujourd’hui, il vient de faire saisir nos comptes à hauteur de 86 911 €, nous laissant seulement 2 500 € ». L’ancien rédacteur en chef de la chaîne, qui a depuis fondé Blast, a remporté son procès aux prud’hommes contre Le Média début juin, condamnant le site proche de la France insoumise (LFI) à lui verser la somme mirobolante de 300 000 €.

Le coup de grâce ? L’entreprise ne sera en tout cas pas en mesure de verser de salaires pour le mois de juillet, rapporte Arrêt sur Images.

Depuis sa création, Le Média a fait régulièrement l’objet de vives controverses. Très critiquée pour ses méthodes de management et son ambiance interne toxique, la web télé s’est aussi fait remarquer dès ses débuts pour avoir diffusé de fausses informations ou des chroniques à caractère complotiste.

Des incidents qui ne sont pas des dérapages : Conspiracy Watch s’est plongé dans cinq ans d’une ligne éditoriale flirtant allégrement avec la complosphère, la propagande du Kremlin et de nombreux invités prisés en temps normal par la « réinfosphère » d’extrême droite.

Genèse d’un média « dégagiste »

Tout commence en août 2017, lors des universités d’été de LFI, avec une conférence intitulée « Faut-il dégager les médias ? » animée par Sophia Chikirou, alors conseillère en communication de Jean-Luc Mélenchon. À la tribune : Olivier Berruyer, créateur du blog Les-Crises ; Aude Lancelin, désormais à la tête de QG-Le Média Libre ; et le politologue « insoumis » Thomas Guénolé.

Ce dernier – qui se fera lui-même « dégager » du mouvement en 2019 – appelle alors à « casser le monopole audiovisuel pro-système » en créant « un grand média audiovisuel alter-système ». Une conférence qui lui vaut les critiques de plusieurs figures médiatiques. La preuve selon Guénolé de « l’existence d’un intensif ‘Mélenchon-bashing’ médiatique ».

La création de ce « grand média alter-système » est annoncée dans un manifeste publié par Le Monde quelques mois plus tard. Il sera « indépendant », dirigé par Sophia Chikirou et luttera contre le modèle « idéologique dominant ». Le manifeste est signé par de nombreuses figures médiatiques et politiques, dont plusieurs cadres et compagnons de route de LFI.

Malgré les nombreuses restructurations internes effectuées depuis, cette chaîne « indépendante » n’a jamais vraiment rompu ses attaches avec le mouvement mélenchoniste. Comme le rappelle Arrêt sur Images, l’actuel président du directoire et directeur général du MédiaThomas Dietrich, était décrit en 2020 par Africa Intelligence comme un conseiller de Jean-Luc Mélenchon sur l’Afrique.

En novembre 2021, la chaîne avait également recruté David Guiraud, alors porte-parole jeunesse de LFI et désormais député, comme chroniqueur de sa « contre-matinale » aux côtés de Taha Bouhafs, lui-même candidat insoumis dès les législatives de 2017, et de nouveau en 2022 jusqu’à son éviction pour des accusations de violences sexuelles.

« Journaliste français propagandiste »

Comme l’expliquait Numerama, à sa création Le Média s’inspirait directement de The Young Turks, chaîne lancée outre-Atlantique pour soutenir la candidature du démocrate Bernie Sanders à la présidentielle américaine de 2016. Une autre web télé controversée qui avait recruté comme chroniqueur Jimmy Doreun conspirationniste récompensé par un lobby pro-Assad, comme l’avait révélé en 2019 le site britannique d’investigation en sources ouvertes Bellingcat.

Dès son lancement, Le Média sera justement sous le feu des critiques pour son traitement partial du conflit syrien, avec le fameux édito de Claude El-Khal sur son refus de diffuser les images « non vérifiées » des bombardements du régime sur les civils de la Ghouta, qui contribuera à une première vague de départs en février 2018.

Sophia Chikirou, aujourd’hui député LFI de la 6e circonscription de Paris, écrit alors sur Twitter : « Écoutez Claude El Khal expliquer qu’aucune image de la Ghouta Orientale n’est vérifiée par personne. Que diffuser des images dont certaines ne sont ni datées ni localisées, revient à jouer dans un camp », en y ajoutant les hashtags « #jeudedupes » et « #journalistefrancaispropagantiste » [archive].

La chronique avait déclenché la réaction du directeur de l’AFP qui avait répondu dans une tribune que « toutes les photos que diffuse l'AFP de la Ghouta orientale (et plus généralement de Syrie) sont vérifiées et authentifiées par notre desk d'édition photo [...] moyennant un travail aussi minutieux qu'indispensable ».

Dès 2014 Claude El-Khal accusait également Israël d’avoir créé l’État islamique. En avril 2018, il partage une vidéo du site complotiste Panamza sur la diplomatie française au Moyen-Orient. À la même période, Le Média est de nouveau pointé du doigt pour sa fausse information sur un étudiant supposément plongé dans le coma par les coups de la police à Tolbiac.

>>> Lire, sur Conspiracy WatchTolbiac : ce qui est rumeur ne saurait mourir (30/04/2018)

En juillet 2018, Aude Lancelin prend la succession de Sophia Chikirou après une nouvelle crise interne. L’ex-directrice adjointe de L'Obs aura elle aussi son chouchou conspirationniste en la personne de Maxime Nicolle, alias « Fly Rider », figure du mouvement des Gilets jaunes et grand pourvoyeur de théories du complot. Il suit Aude Lancelin en septembre 2019 dans l’équipe de QG-Le Média libre, qu’elle fonde après sa démission du Média.

C’est alors au tour de Denis Robert de prendre les rênes et de marquer l’histoire de la chaîne en juin 2019 avec une interview d’Étienne Chouard dans laquelle le chantre du référendum d’initiative citoyenne affirme qu'il n'a aucune certitude concernant l’existence des chambres à gaz.

Après son licenciement en septembre 2020, Denis Robert fonde Blast. Il est remplacé à la rédaction en chef par Théophile Kouamouo, ex-correspondant en Afrique pour Le Monde, et membre de la rédaction du Média depuis sa création. Depuis mai, il est également animateur sur la chaîne panafricaniste VoxAfrica où officie l’influenceur pro-Poutine Kemi Seba. Contacté au sujet de la ligne éditoriale de sa web télé, il n’a pas répondu avant la publication de notre article.

Échos russes

Les entretiens avec des figures de la complosphère, en particulier des relais de la propagande russe, sont une caractéristique récurrente du Média depuis cinq ans. En mai 2018, trois mois à peine après la polémique Claude El-Khal, Le Média invite par exemple l’ex-colonel Alain Corvez dans une émission intitulée « Au fait, et les preuves du chimique, elles sont où ? ». Corvez y nie, sans contradiction, la responsabilité d’Assad dans l’attaque chimique de Douma.

À l’époque invité régulier de RT France, il est déjà connu comme un porte-voix de Damas pour s’y être rendu avec Alain Soral dès 2011 avant de publier le récit de son voyage sur le site de propagande InfoSyrie, fondé par l’ex-gudard et argentier de Marine Le PenFrédéric Chatillon. L’ex-colonel était pourtant déjà l’invité du Média en avril 2018 pour un débat sur la Syrie en compagnie du pro-Poutine Georges Kuzmanovic, alors orateur de LFI sur les questions internationales.

Alexis Poulin, également éditorialiste de la chaîne du Kremlin avant sa fermeture, affirme quant à lui sur le plateau de la web télé en avril 2018 qu’il est impossible de connaître la provenance du Novitchok utilisé contre Sergueï et Ioulia Skripal à Salisbury. Celui qui revendique aussi l« liberté de ton » dont il jouit sur le site d’extrême droite Boulevard Voltairecomme un temps sur la web télé d’extrême droite TV Libertés, va alors jusqu’à parler de « fake news d’État » pour qualifier les accusations du ministère britannique des Affaires étrangères contre Moscou. Poulin, qui fut membre de « l’Observatoire national de l’extrême droite » fondé par le désormais député insoumis Thomas Portes, quitte tout de même Le Média en août 2018, dénonçant sa « dérive ».

Alexis Poulin sur Le Média en avril 2018, expliquant que l’affaire Skripal est une « fake news d’État » (capture d’écran YouTube).

Le positionnement pro-Kremlin de la web télé, lui, est resté. Depuis fin 2021, Olivier Berruyer, très proche de la propagande russe sur les conflits en Syrie ou en Ukraine, est régulièrement invité pour venir faire la promotion des articles de son nouveau blog, Elucid. En décembre dernier, alors que Poutine masse déjà ses troupes à la frontière ukrainienne, il assure en s’appuyant sur d’obscurs graphiques de dépenses militaires que « les conflits sont en train d’être construits » par les États-Unis et l’OTAN.

Chasse aux « médiamensonges »

Même après le début de l’invasion, les fantasmes continuent. En mars dernier, Le Média publie une vidéo intitulée : « UN SPÉCIALISTE DE LA RUSSIE MET EN GARDE : L’ARMÉE UKRAINIENNE VA S’EFFONDRER ». Le spécialiste, présenté par l’animateur comme un « réprouvé » désigné par « ses détracteurs comme proche des vues du Kremlin », n’est autre que l’économiste souverainiste Jacques Sapir, un autre ex-éditorialiste de Sputnik et de RT France, relais fréquent de fausses informations et dont les thèses sur l’Europe avaient séduit l’extrême droite française.

Sapir qualifie alors de « scandaleuse » la fermeture de RT et Sputnik en Europe, tout en annonçant la défaite imminente de l’armée ukrainienne. Deux semaines plus tard, la réalité frappe et le Kremlin renonce à prendre Kiev pour se replier sur le Donbass.

Le Média va jusqu’à discuter de désinformation avec des acteurs bien connus de cette même désinformation. En septembre 2020, c’est Jacques Baud, ancien officier des services de renseignement suisses, qui est invité par la chaîne pour faire la promotion de son livre Gouverner par les fake news, publié chez Max Milo. Promotion également réalisée quelques jours plus tôt sur… RT France, un mois après TV Libertés.

Sa thèse ? Les « fake news d’État » seraient les plus dangereuses. La responsabilité d’Assad dans l’attaque chimique de Douma en 2018 (encore) serait une de ces « fake news d’État », assure-t-il en citant un obscur groupe d’universitaires britanniques kremlinophiles appuyés par WikiLeaks et pris la main dans le sac en train d’échanger avec des diplomates russes. Toujours selon Baud, qui ne cite pas ses sources, les renseignements américains auraient même conseillé au président Obama de ne pas intervenir en Syrie en 2013 car ils avaient la preuve que l’attaque chimique de la Ghouta aurait en fait été perpétrée par les rebelles, et non par Assad.

Jacques Baud sur TV Libertés en août 2020, puis sur RT France et Le Média en septembre (captures d’écran YouTube).

En avril 2019, même thématique avec nul autre qu’un « journaliste mis à l’index », le Belge Michel Collon, fondateur du site de « réinformation » complotiste Investig’action. C’est avec ce « spécialiste de la désinformation » qui s’est rendu en Syrie en 2011 avec Thierry Meyssan que la chaîne explique comment « traquer les médiamensonges ». L’animateur laisse son invité affirmer sans contradiction qu’il est « complètement documenté » que les États-Unis « travaillent avec Al-Qaïda, Al-Nosra et Daech » (sic).

Un plateau ouvert à tous, donc, y compris aux révisionnistes, comme en novembre 2020, là encore en se mettant à la remorque de TV Libertés, avec l’invitation de la Canadienne Judi Rever qui soutient dans un livre, également publié par Max Milo, que les Tutsi auraient participé à leur propre génocide. Face à Théophile Kouamouo, elle rend compte de rumeurs selon lesquelles « des lobbys israéliens » auraient fait pression sur Fayard pour que son livre ne paraisse pas... Sans rencontrer la moindre contradiction, là non plus.

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à propos de l'auteur
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Élie Guckert
Élie Guckert est journaliste indépendant. Il a collaboré avec Mediapart, Disclose, Bellingcat, Slate, Street Press et Conspiracy Watch. Il est l'auteur de Comment Poutine a conquis nos cerveaux, dix ans de propagande russe en France (Plon, 2023).
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