Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Comment la complosphère a-t-elle accueilli l'élimination du général Soleimani ?

Publié par Maurice Ronai11 janvier 2020, , ,

L'élimination du chef de la Force Al-Qods, Qassem Soleimani, a relancé la mécanique conspirationniste. Avec des effets inattendus...

L'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la révolution islamique, rendant visite à la famille de Qassem Soleimani (crédits : Twitter/@khamenei_ir, 4 janvier 2020).

Il suffit généralement qu’un événement un peu exceptionnel se produise pour que la mécanique complotiste se mette en branle : crash aériens, attentats, assassinats, exécutions ciblées et massacres de masse se prêtent facilement à la réécriture du réel. La contestation complotiste de la « version officielle » peut remplir des fonctions distinctes :

  • mettre en doute de la réalité de l’événement par la dénonciation d’une mise en scène (par exemple l’affirmation selon laquelle tel personnalité réputée morte serait encore en vie) ;
  • suggérer que l’événement ne s’est pas produit de la manière dont on cherche à nous le faire croire (ainsi, Oussama Ben Laden serait mort bien avant la date alléguée de son exécution par les Américains en 2011) ;
  • pointer un doit accusateur vers d’autres responsables que ceux qui sont désignés par la « version officielle » : on retrouve là la thèse du « false flag », appuyée sur le mantra « à qui profite le crime ».

L’élimination de Qassem Soleimani lors d'un raid américain à Bagdad le 3 janvier dernier a pris de court la complosphère. Comment mettre en doute l’assassinat du général iranien dès lors que les deux principaux protagonistes de l’affaire, l’Iran et les États-Unis, l’admettent et que Donald Trump en revendique bruyamment la responsabilité ?

Cet alignement de Téhéran, Washington et Moscou – pour ceux qui ne jugent dignes de confiance que les seules sources d’information russes – autour d’une même « version officielle » aurait pu condamner la complosphère au silence. Très vite, pourtant, on a vu s’ébaucher des théories « alternatives » visant à inscrire l’événement dans des grilles d’analyse préexistantes.

A Téhéran, Zeinab Soleimani, la fille du commandant de la force Al-Qods, a accusé le président américain d’être un « jouet entre les mains du sionisme » (vidéo à partir de 14’40’’), conformément à la doxa complotiste anti-israélienne promue par la mollarchie.

Une partie de la complosphère creuse le même sillon. Selon Jefferson Morley, sur DeepStateBlog.org, « le Mossad avait ciblé Soleimani et Trump n’avait plus qu’à appuyer sur la gâchette ». Dans un texte repris en français sur le site complotiste Wikistrike, le rédacteur en chef du site antisémite Veterans Today, Gordon Duff, écrit :

« Quelle est la vraie guerre ? Est-ce l’Iran contre l’Amérique ou Israël contre l’Amérique ? […] Des sources russes (les plus élevées) confirment que le meurtre du général Soleimani, tué après un vol de Damas à Bagdad… sa voiture quittait l’aéroport où il est passé par les douanes en tant qu’attaché militaire iranien en Irak (couvert par la Convention de Vienne de 1961 ), était basé sur une fausse interception par Israël. Ces sources russes disent qu’Israël a provoqué un faux trafic radio décrivant des plans terroristes contre l’Amérique, à partir d’un drone survolant Damas ».

Dans un autre texte, Gordon Duff s’évertue à dédouaner Donald Trump, qu'il présente en homme de paix et comme la victime principale d’un « coup monté » :

« Nous savons que Pompeo [le chef de la diplomatie américaine - ndlr] a fourni à Trump des informations totalement fabriquées sur Soleimani depuis plus de 3 mois […]. Trump et l’Iran négociaient via des intermédiaires russes, avec des rencontres en Syrie. […] C’est un fait […]. Pompeo est personnellement responsable de l'assassinat de Soleimani ».

Pour Duff, l’affaire est claire : le Secrétaire d'Etat Mike Pompeo a provoqué l’assassinat de Soleimani pour le compte des Saoudiens et d’Israël afin de saboter des négociations de paix prétendument en cours entre la Maison Blanche et la République islamique.

Dans The Saker, le commentateur conspirationniste Paul Craig Roberts met en garde, pour sa part, contre une prochaine attaque sous faux drapeau :

« L’apaisement n'est pas ce que veulent Israël et les néoconservateurs. La seule chose qui reste à faire, pour Israël et les néoconservateurs, sera de mener une attaque sous faux drapeau contre une entité, une base militaire, des personnels ou un navire américains, et d’en rejeter la faute sur l'Iran. La presse américaine exigera du sang iranien et la plupart des électeurs de Trump aussi. »

De son côté, Infowars, le site d’Alex Jones, prête au « Deep State » américain d’autres calculs : rien de moins que l’assassinat de Donald Trump en faisant en sorte qu’il soit attribué à l’Iran :

« L'establishment a peut-être enfin préparé le terrain pour le faux drapeau parfait pour enterrer le président. Voici le scénario. Nous savons tous que les méchants démocrates rêvent d’orchestrer un coup d'État à la JFK pour se débarrasser de Trump, mais ils craignent que les répercussions ne déclenchent une autre guerre civile en Amérique […]. Maintenant, les deux côtés de l'establishment (gauche et droite) ont l'opportunité qu'ils attendaient ; l'ultime attaque sous faux drapeau pour abattre notre président ! »

« Trump nous a appris à ne pas nous fier à la version officielle »

La palme revient, sans doute, à Alexis Cossette-Trudel, sur sa chaîne Radio-Quebec (27 000 abonnés). Dans deux vidéos datées des 3 et 6 janvier (vues près de 90 000 fois), le youtubeur québécois exprime ses doutes sur ce qu’il appelle une « version officielle remplie de non-sens et d'incongruités ». « L’assassinat de Soleimani, poursuit-il, ressemble à ceux de Ben Laden et de Al-Baghdadi. Je ne pense pas qu’il ait été tué le 3 janvier dernier, quoiqu’en disent les Américains et les Iraniens [...]. Cet assassinat n’a pas de sens. Il est trop en rupture avec la stratégie de Trump au Moyen-Orient. Depuis trois ans, Trump nous a appris à ne pas nous fier à la version officielle ». Comme Gordon Duff, Cossette-Trudel semble convaincu que Trump vise un accord de paix avec l’Iran. Mais il va plus loin encore :

« Trump ne va pas foutre en l’air trois ans d’efforts diplomatiques pour satisfaire son ego ou pour faire plaisir à Israël. C’est pour faciliter les négociations avec l’Iran que Soleimani a été retiré du jeu ».

« Retiré » : pas exécuté. Les deux parties se seraient entendues sur le retrait de cet « irritant » pour « paver la voie des négociations ». « Il n’y aura pas de guerre et pas de morts : juste des négociations finales pour la paix au Moyen-Orient » conclut le youtubeur, avant de prophétiser un accord de paix avant la fin de l’année. Cossette-Trudel affiche, d’ailleurs, sa fierté d’être le seul à défendre cette thèse…

Alexis Cossette-Trudel (capture d'écran YouTube/Radio-Québec, 3 janvier 2020).

Le site d’Alain Soral, Egalité & Réconciliation, a relayé cette vidéo, en reprenant à son compte le cœur de son raisonnement : « Le président américain n’aurait jamais ouvert une boîte de Pandore sans savoir comment l’Iran allait réagir, qui plus est en pleine période électorale ».

« Le Deep State est devenu cool »

La droite conservatrice américaine pro-Trump, qui accusait les services de renseignement de saper l’autorité présidentielle et qui encourageait le public à ne pas leur faire confiance, relaie quant à elle les affirmations de Pompeo et de la CIA selon laquelle Soleimani constituait une « menace imminente pour des centaines de vies américaines » ou selon laquelle « il préparait une "action d'envergure" ». Les plus farouches détracteurs du « Deep State » sur Fox News, comme Sean Hannity (qui reprochait aux services de renseignement « d'entuber Donald Trump ») ou Pete Hegseth (« le peuple américain n'a pas voté pour l'État profond ») prennent désormais pour argent comptant les conclusions des services de renseignement.

Comme le relève Slate.fr, « maintenant que l'administration Trump a besoin [des agences de renseignement] pour justifier ses actions, Fox News les cite sans scepticisme. Sur "Fox & Friends", l'émission la plus pro-Trump de la chaîne, la présentatrice Ainsley Earhardt a trouvé étonnant que les gens critiquent "les décisions de la communauté du renseignement" ».

« Un revirement de taille », poursuit Slate.fr, rappelant que « les journalistes de "Fox & Friends" ont passé plus de deux ans à dire que toutes les conclusions de"la communauté du renseignement" sur l'administration Trump étaient fausses. » Il faut croire que « le Deep State est devenu cool pour les Républicains » comme l’observe Vanity Fair.

 

Voir aussi :

Le « deep state » américain, fantasme d’une administration parallèle (France Culture)

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L'élimination du chef de la Force Al-Qods, Qassem Soleimani, a relancé la mécanique conspirationniste. Avec des effets inattendus...

L'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la révolution islamique, rendant visite à la famille de Qassem Soleimani (crédits : Twitter/@khamenei_ir, 4 janvier 2020).

Il suffit généralement qu’un événement un peu exceptionnel se produise pour que la mécanique complotiste se mette en branle : crash aériens, attentats, assassinats, exécutions ciblées et massacres de masse se prêtent facilement à la réécriture du réel. La contestation complotiste de la « version officielle » peut remplir des fonctions distinctes :

  • mettre en doute de la réalité de l’événement par la dénonciation d’une mise en scène (par exemple l’affirmation selon laquelle tel personnalité réputée morte serait encore en vie) ;
  • suggérer que l’événement ne s’est pas produit de la manière dont on cherche à nous le faire croire (ainsi, Oussama Ben Laden serait mort bien avant la date alléguée de son exécution par les Américains en 2011) ;
  • pointer un doit accusateur vers d’autres responsables que ceux qui sont désignés par la « version officielle » : on retrouve là la thèse du « false flag », appuyée sur le mantra « à qui profite le crime ».

L’élimination de Qassem Soleimani lors d'un raid américain à Bagdad le 3 janvier dernier a pris de court la complosphère. Comment mettre en doute l’assassinat du général iranien dès lors que les deux principaux protagonistes de l’affaire, l’Iran et les États-Unis, l’admettent et que Donald Trump en revendique bruyamment la responsabilité ?

Cet alignement de Téhéran, Washington et Moscou – pour ceux qui ne jugent dignes de confiance que les seules sources d’information russes – autour d’une même « version officielle » aurait pu condamner la complosphère au silence. Très vite, pourtant, on a vu s’ébaucher des théories « alternatives » visant à inscrire l’événement dans des grilles d’analyse préexistantes.

A Téhéran, Zeinab Soleimani, la fille du commandant de la force Al-Qods, a accusé le président américain d’être un « jouet entre les mains du sionisme » (vidéo à partir de 14’40’’), conformément à la doxa complotiste anti-israélienne promue par la mollarchie.

Une partie de la complosphère creuse le même sillon. Selon Jefferson Morley, sur DeepStateBlog.org, « le Mossad avait ciblé Soleimani et Trump n’avait plus qu’à appuyer sur la gâchette ». Dans un texte repris en français sur le site complotiste Wikistrike, le rédacteur en chef du site antisémite Veterans Today, Gordon Duff, écrit :

« Quelle est la vraie guerre ? Est-ce l’Iran contre l’Amérique ou Israël contre l’Amérique ? […] Des sources russes (les plus élevées) confirment que le meurtre du général Soleimani, tué après un vol de Damas à Bagdad… sa voiture quittait l’aéroport où il est passé par les douanes en tant qu’attaché militaire iranien en Irak (couvert par la Convention de Vienne de 1961 ), était basé sur une fausse interception par Israël. Ces sources russes disent qu’Israël a provoqué un faux trafic radio décrivant des plans terroristes contre l’Amérique, à partir d’un drone survolant Damas ».

Dans un autre texte, Gordon Duff s’évertue à dédouaner Donald Trump, qu'il présente en homme de paix et comme la victime principale d’un « coup monté » :

« Nous savons que Pompeo [le chef de la diplomatie américaine - ndlr] a fourni à Trump des informations totalement fabriquées sur Soleimani depuis plus de 3 mois […]. Trump et l’Iran négociaient via des intermédiaires russes, avec des rencontres en Syrie. […] C’est un fait […]. Pompeo est personnellement responsable de l'assassinat de Soleimani ».

Pour Duff, l’affaire est claire : le Secrétaire d'Etat Mike Pompeo a provoqué l’assassinat de Soleimani pour le compte des Saoudiens et d’Israël afin de saboter des négociations de paix prétendument en cours entre la Maison Blanche et la République islamique.

Dans The Saker, le commentateur conspirationniste Paul Craig Roberts met en garde, pour sa part, contre une prochaine attaque sous faux drapeau :

« L’apaisement n'est pas ce que veulent Israël et les néoconservateurs. La seule chose qui reste à faire, pour Israël et les néoconservateurs, sera de mener une attaque sous faux drapeau contre une entité, une base militaire, des personnels ou un navire américains, et d’en rejeter la faute sur l'Iran. La presse américaine exigera du sang iranien et la plupart des électeurs de Trump aussi. »

De son côté, Infowars, le site d’Alex Jones, prête au « Deep State » américain d’autres calculs : rien de moins que l’assassinat de Donald Trump en faisant en sorte qu’il soit attribué à l’Iran :

« L'establishment a peut-être enfin préparé le terrain pour le faux drapeau parfait pour enterrer le président. Voici le scénario. Nous savons tous que les méchants démocrates rêvent d’orchestrer un coup d'État à la JFK pour se débarrasser de Trump, mais ils craignent que les répercussions ne déclenchent une autre guerre civile en Amérique […]. Maintenant, les deux côtés de l'establishment (gauche et droite) ont l'opportunité qu'ils attendaient ; l'ultime attaque sous faux drapeau pour abattre notre président ! »

« Trump nous a appris à ne pas nous fier à la version officielle »

La palme revient, sans doute, à Alexis Cossette-Trudel, sur sa chaîne Radio-Quebec (27 000 abonnés). Dans deux vidéos datées des 3 et 6 janvier (vues près de 90 000 fois), le youtubeur québécois exprime ses doutes sur ce qu’il appelle une « version officielle remplie de non-sens et d'incongruités ». « L’assassinat de Soleimani, poursuit-il, ressemble à ceux de Ben Laden et de Al-Baghdadi. Je ne pense pas qu’il ait été tué le 3 janvier dernier, quoiqu’en disent les Américains et les Iraniens [...]. Cet assassinat n’a pas de sens. Il est trop en rupture avec la stratégie de Trump au Moyen-Orient. Depuis trois ans, Trump nous a appris à ne pas nous fier à la version officielle ». Comme Gordon Duff, Cossette-Trudel semble convaincu que Trump vise un accord de paix avec l’Iran. Mais il va plus loin encore :

« Trump ne va pas foutre en l’air trois ans d’efforts diplomatiques pour satisfaire son ego ou pour faire plaisir à Israël. C’est pour faciliter les négociations avec l’Iran que Soleimani a été retiré du jeu ».

« Retiré » : pas exécuté. Les deux parties se seraient entendues sur le retrait de cet « irritant » pour « paver la voie des négociations ». « Il n’y aura pas de guerre et pas de morts : juste des négociations finales pour la paix au Moyen-Orient » conclut le youtubeur, avant de prophétiser un accord de paix avant la fin de l’année. Cossette-Trudel affiche, d’ailleurs, sa fierté d’être le seul à défendre cette thèse…

Alexis Cossette-Trudel (capture d'écran YouTube/Radio-Québec, 3 janvier 2020).

Le site d’Alain Soral, Egalité & Réconciliation, a relayé cette vidéo, en reprenant à son compte le cœur de son raisonnement : « Le président américain n’aurait jamais ouvert une boîte de Pandore sans savoir comment l’Iran allait réagir, qui plus est en pleine période électorale ».

« Le Deep State est devenu cool »

La droite conservatrice américaine pro-Trump, qui accusait les services de renseignement de saper l’autorité présidentielle et qui encourageait le public à ne pas leur faire confiance, relaie quant à elle les affirmations de Pompeo et de la CIA selon laquelle Soleimani constituait une « menace imminente pour des centaines de vies américaines » ou selon laquelle « il préparait une "action d'envergure" ». Les plus farouches détracteurs du « Deep State » sur Fox News, comme Sean Hannity (qui reprochait aux services de renseignement « d'entuber Donald Trump ») ou Pete Hegseth (« le peuple américain n'a pas voté pour l'État profond ») prennent désormais pour argent comptant les conclusions des services de renseignement.

Comme le relève Slate.fr, « maintenant que l'administration Trump a besoin [des agences de renseignement] pour justifier ses actions, Fox News les cite sans scepticisme. Sur "Fox & Friends", l'émission la plus pro-Trump de la chaîne, la présentatrice Ainsley Earhardt a trouvé étonnant que les gens critiquent "les décisions de la communauté du renseignement" ».

« Un revirement de taille », poursuit Slate.fr, rappelant que « les journalistes de "Fox & Friends" ont passé plus de deux ans à dire que toutes les conclusions de"la communauté du renseignement" sur l'administration Trump étaient fausses. » Il faut croire que « le Deep State est devenu cool pour les Républicains » comme l’observe Vanity Fair.

 

Voir aussi :

Le « deep state » américain, fantasme d’une administration parallèle (France Culture)

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à propos de l'auteur
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Maurice Ronai
Co-fondateur de Courrier international en 1990, Maurice Ronai est un expert des politiques publiques numériques. Il a enseigné, de 1997 à 2001, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) avant de devenir membre de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de 2014 à 2019.
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