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Complotisme : les pays balkaniques ne sont pas épargnés

Publié par La Rédaction11 janvier 2021

Une enquête récente montre que les croyances conspirationnistes se sont renforcées dans les pays des Balkans, venant éroder la confiance dans les politiques sanitaires et les institutions démocratiques.

Montage CW.

En partenariat avec l'Atlantic Council, le Groupe consultatif sur la politique des Balkans en Europe (BiEPAG) a réalisé en octobre 2020 un sondage* sur l'influence des théories du complot autour du coronavirus dans les opinions publiques de six pays balkaniques (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Monténégro, Macédoine du Nord, Serbie).

Intitulée « The Suspicious Virus: Conspiracies and COVID19 in the Balkans », le rapport d'enquête du BiEPAG révèle que « l'ampleur et les implications de ces théories [du complot] sont particulièrement fortes ».

Ainsi, alors que dans la plupart des pays européens les théories du complot autour de la pandémie de coronavirus concernent entre un quart et un tiers de la population, plus de 75 % des citoyens de ces pays balkaniques souscrivent à un ou plusieurs des six énoncés qui leur ont été soumis. Selon Tim Judah, correspondant de The Economist, ces résultats sont exceptionnels : « Beaucoup de personnes croient à des choses absurdes comparées au reste de l’Europe ou à des pays de l’Est ».

Pour Florian Bieber, un des coordinateurs de l’étude, le taux d’adhésion aux théories conspirationnistes dans les pays des Balkans serait trois fois supérieur aux autres pays européens.

Les six propositions conspirationnistes soumises aux sondés étaient les suivantes : « Le gouvernement chinois a conçu le coronavirus dans un laboratoire » ; « L'industrie pharmaceutique est impliquée dans la propagation du coronavirus » ; « Il existe un lien entre la technologie 5G et le coronavirus » ; « L'armée américaine a développé le coronavirus pour en faire une arme biologique » ; « Bill Gates utilise le coronavirus pour "promouvoir" un vaccin doté d'une micropuce permettant de tracer la population » ; « Le coronavirus s'est "échappé" d'un laboratoire de Wuhan ».

Source : Florian Bieber, Tena Prelec, Dejan Jović & Zoran Nechev, « The Suspicious Virus: Conspiracies and COVID19 in the Balkans », The Balkans in Europe Policy Advisory Group (BiEPAG), décembre 2020.

L'éducation, l'âge et le sexe n'ont pas d'impact à proprement parler significatif sur ces chiffres. La variable la plus prédictive semble être géopolitique, dans le sens où le soutien aux théories du complot considérées semble directement lié aux sentiments plus globaux éprouvés par ces populations à l'égard des États-Unis ou de la Chine. Les minorités de ces pays, plus vulnérables et ayant souvent moins confiance dans l'État, pourraient également être plus sensibles au conspirationnisme.

L'enquête du BiEPAG confirme l'existence, déjà bien documentée, d'un lien entre la perméabilité au conspirationnisme et le scepticisme à l'égard des vaccins. Ainsi, une majorité des personnes interrogées dans le cadre de l'étude ne prévoyait pas de se faire vacciner. C'est là une spécificité de la région dès lors que, dans tous les autres pays d'Europe, au même moment, une majorité des sondés étaient favorables à la vaccination. Sur l'ensemble de la région, on recense 53,4% de sondés qui déclarent qu'ils ne se vaccineront pas ou probablement pas contre 39,2% qui envisagent de se vacciner. Des données comparables pour la même période montrent que le choix de se faire vacciner était alors envisagé par 54% des Français (sondage IPSOS pour le Forum économique mondial).

De la même manière, le niveau de diplôme, généralement corrélé à une plus faible adhésion aux théories du complot, ne semble pas constituer une variable prédictive dans le cadre de cette étude qui montre que certaines de ces théories sont approuvées aussi bien par les jeunes que par les personnes diplômées, ainsi que par les personnes âgées et moins diplômées. Par exemple, au Kosovo, 47% de la population ayant obtenu un diplôme universitaire pense que l'industrie pharmaceutique est impliquée dans la propagation de la Covid-19 : ils ne sont que 22% chez les sondés ayant arrêté leurs études à l'enseignement primaire. Ce résultat montre que les théories du complot sont profondément ancrées dans toutes les couches de la société et suggère qu'un diplôme universitaire implique des usages informationnels exposant davantage aux théories du complot.

Des clivages géopolitiques

Si les disparités socioprofessionnelles et géographiques n’ont pas d’influence significative sur l’adhésion aux discours conspirationnistes, la prise en compte d'un facteur géopolitique semble en revanche essentiel selon Tena Prelec, membre de l'équipe de chercheurs du BiEPAG.

Le rapport révèle ainsi des disparités très significatives entre les différents pays étudiés. Par exemple, la théorie du complot selon laquelle la Chine a fabriqué le virus est la plus populaire. Elle culmine à 65% d'approbation en Albanie. Les Serbes, de leur côté, ne sont que 35% à adhérer à cette thèse. Le BiEPAG rappelle que le président serbe Aleksandar Vučić a qualifié les Chinois de « frères » et de « sauveurs » de la Serbie.

Source : Florian Bieber, Tena Prelec, Dejan Jović & Zoran Nechev, « The Suspicious Virus: Conspiracies and COVID19 in the Balkans », The Balkans in Europe Policy Advisory Group (BiEPAG), décembre 2020.

Les minorités serbes du Monténégro et du Kosovo semblent aussi nettement moins réceptives aux théories du complot impliquant la Chine. A l’inverse, la minorité croate de Bosnie-Herzégovine fait montre d'une hostilité plus marquée à l'endroit de la Chine qu'à l'égard des Américains, probablement en raison de l’interventionnisme militaire américain dans les années 1990.

Le clivage entre groupes ethniques majoritaires et minoritaires dans ces pays est par conséquent un paramètre important à prendre en compte pour comprendre les résultats de l’étude. La minorité serbe du Kosovo a ainsi une opinion plus favorable que ses compatriotes albanais à l'égard de la Chine : ils sont par exemple 86,1% à souscrire à la théorie du complot incriminant Bill Gates. Ils sont également 93,7% dans ce groupe à penser que l'industrie pharmaceutique a joué un rôle actif dans la création et la propagation du coronavirus.

De manière générale, tous les groupes minoritaires dans ces pays (Serbes et Albanais du Monténégro, Albanais de Macédoine, Serbes du Kosovo, Croates de Bosnie, etc.) sont plus enclins que les groupes majoritaires à adhérer à des théories du complot. S'agissant de la défiance à l'égard de la vaccination, elle s'élève à 89,6% chez les Serbes du Kosovo, confirmant le lien entre antivaccination et défiance à l'égard des institutions, plus prégnantes chez les minorités nationales.

 

* L'enquête a porté, dans chacun des six pays, sur un échantillon représentatif d'au moins 1 000 personnes âgées de 18 ans et plus.

 

Voir aussi :

Un Français sur quatre estime (à tort) que le coronavirus a été conçu en laboratoire

Vaccins : un Français sur deux pense que certains adjuvants peuvent être « très dangereux »

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Montage CW.

En partenariat avec l'Atlantic Council, le Groupe consultatif sur la politique des Balkans en Europe (BiEPAG) a réalisé en octobre 2020 un sondage* sur l'influence des théories du complot autour du coronavirus dans les opinions publiques de six pays balkaniques (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Monténégro, Macédoine du Nord, Serbie).

Intitulée « The Suspicious Virus: Conspiracies and COVID19 in the Balkans », le rapport d'enquête du BiEPAG révèle que « l'ampleur et les implications de ces théories [du complot] sont particulièrement fortes ».

Ainsi, alors que dans la plupart des pays européens les théories du complot autour de la pandémie de coronavirus concernent entre un quart et un tiers de la population, plus de 75 % des citoyens de ces pays balkaniques souscrivent à un ou plusieurs des six énoncés qui leur ont été soumis. Selon Tim Judah, correspondant de The Economist, ces résultats sont exceptionnels : « Beaucoup de personnes croient à des choses absurdes comparées au reste de l’Europe ou à des pays de l’Est ».

Pour Florian Bieber, un des coordinateurs de l’étude, le taux d’adhésion aux théories conspirationnistes dans les pays des Balkans serait trois fois supérieur aux autres pays européens.

Les six propositions conspirationnistes soumises aux sondés étaient les suivantes : « Le gouvernement chinois a conçu le coronavirus dans un laboratoire » ; « L'industrie pharmaceutique est impliquée dans la propagation du coronavirus » ; « Il existe un lien entre la technologie 5G et le coronavirus » ; « L'armée américaine a développé le coronavirus pour en faire une arme biologique » ; « Bill Gates utilise le coronavirus pour "promouvoir" un vaccin doté d'une micropuce permettant de tracer la population » ; « Le coronavirus s'est "échappé" d'un laboratoire de Wuhan ».

Source : Florian Bieber, Tena Prelec, Dejan Jović & Zoran Nechev, « The Suspicious Virus: Conspiracies and COVID19 in the Balkans », The Balkans in Europe Policy Advisory Group (BiEPAG), décembre 2020.

L'éducation, l'âge et le sexe n'ont pas d'impact à proprement parler significatif sur ces chiffres. La variable la plus prédictive semble être géopolitique, dans le sens où le soutien aux théories du complot considérées semble directement lié aux sentiments plus globaux éprouvés par ces populations à l'égard des États-Unis ou de la Chine. Les minorités de ces pays, plus vulnérables et ayant souvent moins confiance dans l'État, pourraient également être plus sensibles au conspirationnisme.

L'enquête du BiEPAG confirme l'existence, déjà bien documentée, d'un lien entre la perméabilité au conspirationnisme et le scepticisme à l'égard des vaccins. Ainsi, une majorité des personnes interrogées dans le cadre de l'étude ne prévoyait pas de se faire vacciner. C'est là une spécificité de la région dès lors que, dans tous les autres pays d'Europe, au même moment, une majorité des sondés étaient favorables à la vaccination. Sur l'ensemble de la région, on recense 53,4% de sondés qui déclarent qu'ils ne se vaccineront pas ou probablement pas contre 39,2% qui envisagent de se vacciner. Des données comparables pour la même période montrent que le choix de se faire vacciner était alors envisagé par 54% des Français (sondage IPSOS pour le Forum économique mondial).

De la même manière, le niveau de diplôme, généralement corrélé à une plus faible adhésion aux théories du complot, ne semble pas constituer une variable prédictive dans le cadre de cette étude qui montre que certaines de ces théories sont approuvées aussi bien par les jeunes que par les personnes diplômées, ainsi que par les personnes âgées et moins diplômées. Par exemple, au Kosovo, 47% de la population ayant obtenu un diplôme universitaire pense que l'industrie pharmaceutique est impliquée dans la propagation de la Covid-19 : ils ne sont que 22% chez les sondés ayant arrêté leurs études à l'enseignement primaire. Ce résultat montre que les théories du complot sont profondément ancrées dans toutes les couches de la société et suggère qu'un diplôme universitaire implique des usages informationnels exposant davantage aux théories du complot.

Des clivages géopolitiques

Si les disparités socioprofessionnelles et géographiques n’ont pas d’influence significative sur l’adhésion aux discours conspirationnistes, la prise en compte d'un facteur géopolitique semble en revanche essentiel selon Tena Prelec, membre de l'équipe de chercheurs du BiEPAG.

Le rapport révèle ainsi des disparités très significatives entre les différents pays étudiés. Par exemple, la théorie du complot selon laquelle la Chine a fabriqué le virus est la plus populaire. Elle culmine à 65% d'approbation en Albanie. Les Serbes, de leur côté, ne sont que 35% à adhérer à cette thèse. Le BiEPAG rappelle que le président serbe Aleksandar Vučić a qualifié les Chinois de « frères » et de « sauveurs » de la Serbie.

Source : Florian Bieber, Tena Prelec, Dejan Jović & Zoran Nechev, « The Suspicious Virus: Conspiracies and COVID19 in the Balkans », The Balkans in Europe Policy Advisory Group (BiEPAG), décembre 2020.

Les minorités serbes du Monténégro et du Kosovo semblent aussi nettement moins réceptives aux théories du complot impliquant la Chine. A l’inverse, la minorité croate de Bosnie-Herzégovine fait montre d'une hostilité plus marquée à l'endroit de la Chine qu'à l'égard des Américains, probablement en raison de l’interventionnisme militaire américain dans les années 1990.

Le clivage entre groupes ethniques majoritaires et minoritaires dans ces pays est par conséquent un paramètre important à prendre en compte pour comprendre les résultats de l’étude. La minorité serbe du Kosovo a ainsi une opinion plus favorable que ses compatriotes albanais à l'égard de la Chine : ils sont par exemple 86,1% à souscrire à la théorie du complot incriminant Bill Gates. Ils sont également 93,7% dans ce groupe à penser que l'industrie pharmaceutique a joué un rôle actif dans la création et la propagation du coronavirus.

De manière générale, tous les groupes minoritaires dans ces pays (Serbes et Albanais du Monténégro, Albanais de Macédoine, Serbes du Kosovo, Croates de Bosnie, etc.) sont plus enclins que les groupes majoritaires à adhérer à des théories du complot. S'agissant de la défiance à l'égard de la vaccination, elle s'élève à 89,6% chez les Serbes du Kosovo, confirmant le lien entre antivaccination et défiance à l'égard des institutions, plus prégnantes chez les minorités nationales.

 

* L'enquête a porté, dans chacun des six pays, sur un échantillon représentatif d'au moins 1 000 personnes âgées de 18 ans et plus.

 

Voir aussi :

Un Français sur quatre estime (à tort) que le coronavirus a été conçu en laboratoire

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