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Covid-19 : le retour du « Juif empoisonneur »

Publié par La Rédaction02 avril 2020

Sur les télévisions d’État comme sur le « dark web », les islamistes et les suprémacistes blancs accusent les Juifs d'être derrière l'épidémie de Covid-19, à grand renfort de théories du complot. Chercheur au Center for Cyber Law and Policy (CCLP) de l'université de Haïfa (Israël), Lev Topor estime qu'« aucun virus n’a montré une plus grande capacité d'adaptation que l’antisémitisme ».

Publications antisémites autour du coronavirus (montage, février-mars 2020).

Le Covid-19 (acronyme anglais de « Coronavirus Disease 2019 ») a fait son apparition dans la métropole chinoise de Wuhan. Le CDC (l'agence fédérale américaine de contrôle et de prévention des épidémies), l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les chercheurs du monde entier associent les premiers cas de contamination à l’activité d’un marché situé dans cette ville et qui abritait un commerce d'animaux sauvages. Le virus y est très vraisemblablement apparu en novembre 2019, les autorités chinoises ne confirmant cependant les premiers cas chez l’homme qu’en décembre.

Les coronavirus sont des virus qui infectent la faune sauvage. Sept d’entre eux, dont le Covid-19, ont « fait le saut » zoonotique de l’animal à l’homme. Les cas précédents furent, en 2002, le SRAS (« Syndrome respiratoire aigu sévère ») transmis à l’homme par la chauve-souris et, en 2012, le MERS (« Syndrome respiratoire du Moyen-Orient ») transmis à l’homme par le dromadaire. Selon les experts, les marchés du type de celui de Wuhan posent un grave problème sanitaire car la consommation d’animaux sauvages est très difficile à contrôler.

Malgré ces faits clairement établis, certains n’hésitent pas à associer le virus aux Juifs et à l’État d’Israël. Pour certains responsables politiques et hauts fonctionnaires turcs et iraniens, les États-Unis et Israël auraient propagé le virus à des fins stratégiques tandis que des djihadistes accusent les Juifs de complot contre l'islam. Enfin, pour les suprémacistes blancs américains, les Juifs chercheraient avec ce virus à accroître leurs profits et renforcer leur domination sur le monde. Dans certains médias gouvernementaux, sur Internet et sur le « dark web », le conspirationnisme antisémite s'est propagé plus vite encore que la pandémie [1].

Il convient d’accorder à ces faits la plus grande attention, car ces théories du complot risquent toujours de déboucher sur des passages à l'acte violent [2]. En outre, sur le plan du droit international, la diffusion de fausses informations n’est pas illégale d'après le Manuel de Tallinn relatif au droit applicable en matière de cyberguerre. C’est pourquoi les pays qui entendent contrecarrer la diffusion des théories du complot se heurtent à tant de difficultés juridiques [3]. D’autant que ces mensonges se trouvent repris à leur compte par les utilisateurs des réseaux sociaux qui se défient des médias professionnels classiques et des informations officielles émanant des autorités [4]. Toutes ces tendances concourent à ce que l'antisémitisme s'ancre de manière toujours plus profonde au sein de groupes sociaux marginaux [5].

Tout au long de l’histoire, on a fait des Juifs des boucs émissaires accusés d’être la cause de tous les problèmes, d’être des fléaux eux-mêmes quand on ne les accusait pas carrément d'empoisonner ou de se livrer à des sacrifices rituels de non-Juifs. Aux IVe et Ve siècles, les Grecs n’avaient pas de mots assez durs pour stigmatiser les Juifs. Les empereurs byzantins Théodose II ou Justinien les qualifiaient de « perversité, contagion, pollution, peste, contamination » [6]. Lorsqu’au Moyen Âge l’Europe fut la proie de la terrible Peste noire (1347-61), on accusa les Juifs « d’empoisonner les puits » [7]. Quant aux nazis, ils voyaient les Juifs comme une menace biologique [8]. Plus tard, des responsables politiques arabes ont accusé Israël et les Juifs d’avoir inoculé le sida à certains de leurs leaders [9]. Des organisations terroristes, comme le Hamas, ont propagé la fable selon laquelle les sionistes utilisaient des femmes infectées par le VIH pour contaminer et éliminer des leader arabes. Aujourd’hui, des islamistes et des suprémacistes blancs associent le Covid-19 aux Juifs, quoique, typiquement, ils utilisent le vocable plus acceptable de « sionistes » en lieu et place de « Juifs ».

La construction d'une pandémie « juive »

  • Les islamistes

Les islamistes prétendent que le Covid-19 est le résultat d'une conspiration sioniste ou américano-israélienne. Al Masdar, un site d’actualités algérien, a récemment publié un article intitulé « Une organisation sioniste derrière le coronavirus, et [Israël] prétend avoir trouvé le vaccin ». En Iran, le professeur Ali Karami de l’Université Baqiyatallah, principale institution médicale du Corps des Gardiens de la révolution islamique, a déclaré sur la chaîne de télévision nationale que le Covid-19 était une « arme biologique ethnique » conçue par « les Américains et le régime sioniste » pour détruire l’ADN iranien. Il a ajouté que seule cette conspiration sioniste expliquait le nombre élevé de morts en Iran. Quand on lui a fait valoir que l’Italie enregistrait également un grand nombre de victimes, il a rétorqué : « Le génome des Italiens est très semblable à celui des Iraniens. »

Le journaliste turc Abdullah Bozkurt accuse les Juifs et les sionistes d'avoir créé le coronavirus et d'autres maladies (capture d'écran Twitter, 11 mars 2020).

En mars 2020, des ténors de la scène politique turque ont accusé Israël de chercher à faire délibérément décroître leur population nationale. Ainsi, Fatih Erbakan, chef du Yeniden Refah Partisi [le « Nouveau Parti de la Prospérité », islamiste - ndlr] a déclaré : « Ce virus sert les objectifs sionistes de diminuer le nombre des gens. » Il a continué avec une citation de son père, Necmettin Erbakan, politicien islamiste et ancien Premier ministre (1996-1997) : « Le sionisme est une bactérie vieille de cinq mille ans qui n’a causé que souffrances. » Un invité des plateaux turcs, Abdullah Bozkurt, est allé jusqu'à affirmer : « Les Juifs, les sionistes ont organisé et fabriqué le coronavirus comme arme biologique, tout comme la grippe aviaire et la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC). Ils veulent redessiner le monde, s’emparer des pays, stériliser la population mondiale. »

  • Les suprémacistes blancs

Le site néo-nazi Daily Stormer a commencé à relayer des théories du complot à caractère antisémite sur l'épidémie rapidement après son apparition. Son animateur, Andrew Anglin, a ainsi écrit le 26 mars 2020 : « Le coronavirus est officiellement devenu un bobard du même niveau que l’Holocauste et le réchauffement climatique. »

Les théories conspirationnistes prolifèrent de façon particulièrement imaginative sur le « dark web » où l'on peut par exemple trouver un document intitulé « Les Illuminati et le Council on Foreign Relations, la conspiration du Gouvernement mondial et les Protocoles des Sages de Sion ». Ainsi, les réseaux suprémacistes blancs accusent les Juifs de causer le chaos mondial, les famines et tous les fléaux possibles. Ce sont ces sources qui légitiment et promeuvent les théories du complot qui prolifèrent autour du nouveau virus.

Certains suprémacistes blancs encouragent leurs membres, s’ils sont porteurs, à transmettre le Covid-19 aux policiers et aux Juifs. Un internaute du « dark web » est même allé jusqu’à prier : « S’il vous plaît, mon Dieu, faites que cela frappe l’Europe aussi fort que possible, et foute en l'air tout ce putain de (((système))) là-bas. »

Pour beaucoup de suprémacistes, « le système » est juif, et il est responsable de la pandémie. En janvier 2020, Paul Nehlen, suprémaciste blanc et ancien candidat à la députation dans le Wisconsin, déclarait qu'Israël avait « lancé une arme biologique [contre la Chine] pour vous signifier qu’ils vous contrôlent aussi ». Et il a demandé : « Vous allez laisser ces Juifs jaloux et vindicatifs s’en tirer comme ça ? » David Clarke Jr, shérif du comté de Milwaukee de 2002 à 2017, a accusé George Soros de tirer les ficelles de la pandémie. Fin mars 2020, les juifs orthodoxes de New York ont aussi été accusés de répandre le virus. Truth3, un abonné du site conspirationniste The Unz Review, a posté ce commentaire : « Le coronavirus SRAS et Ebola étaient des armes biologiques du Pentagone conçues et mises en œuvre par les sionistes qui contrôlent le gouvernement ».

Tout au long de l’histoire, durant des périodes et sur des zones immenses, les antisémites ont réussi à mettre sur le dos des Juifs leurs problèmes politiques et sociaux, les associant aux guerres, aux crises économiques, aux épidémies et aux crimes, utilisant des discours de toute nature, de gauche ou de droite, à caractère religieux ou pas. Aujourd’hui, les stéréotypes antisémites traditionnels sont réactualisés par les islamistes et les suprémacistes blancs qui reprochent aux Juifs d'être derrière le nouveau coronavirus. Aucun virus n’a montré une plus grande capacité d'adaptation que l’antisémitisme. Il nous incombe de forger notre immunité de groupe contre chacune de ses résurgences.

 

Notes :
[1] Les comptes antisémites ont souvent recours aux triples parenthèses, nommées (((échos))). Cette trouvaille typographique de l’Alt-Right a été lancée comme tentative d'identifier et de marquer les utilisateurs réellement ou supposés être juifs de Twitter, afin que les antisémites puissent ensuite les attaquer en ligne. Les antiracistes ont parfois adopté ces parenthèses dans un esprit ironique d’auto-affirmation (comme l’ont fait les gays et les lesbiennes en s’appropriant le terme « queer ».)
[2] Topor, 2019.
[3] Schmitt, pp. 160-175, 2017.
[4] Topor & Shuker, 2019 ; Flanagin & Metzger, 2000.
[5] Topor, 2019.
[6] Linder, pp. 150-51, 2008.
[7] Cohn Jr., 2007.
[8] Cf. Dundes, 1984 ; Wistrich, 2013.
[9] Laqueur, pp. 60-62, 2006.

Bibliographie :

  • Cohn Jr, Samuel K, "The Black Death and the Burning of Jews,’ Past and Present, 196, 1: 3-36, 2007.
  • Dundes, Alan, Life is Like a Chicken Coop Ladder: A Portrait of German Culture Through Folklore, New York: Columbia University Press, 1984.
  • Flanagin, Andrew J. & Miriam J. Metzger, ‘Perceptions of Internet Information Credibility,’ Journalism & Mass Communication Quarterly 77, 3: 515-540, 2000.
  • Laqueur, Walter, The Changing Face of anti-Semitism: From Ancient Times to the Present Day, Oxford University Press, 2006.
  • Linder, Amnon, ‘The Legal Status of Jews in the Roman Empire,’ in Katz, Steven T. (ed), Judaism, Volume 4, Cambridge University Press, pp. 128-73, 2008.
  • Schmitt, Michael N. (ed), Tallinn Manual 2.0 on the International Law Applicable to Cyber Warfare, Cambridge University Press, 2017.
  • Topor, Lev, ‘Dark Hatred: Antisemitism on the Dark Web,’ Journal of Contemporary Antisemitism 2, 2: 25-42, 2019.
  • Topor, Lev & Pnina, Shuker, Cyber Influence Campaigns in the Dark Web. Cyber, Intelligence, and Security, 3,2: 63-79, 2019.
  • Wistrich, Robert S. (ed), Demonizing the Other: Antisemitism, Racism and Xenophobia, Routledge, 2013.

 

Source : Lev Topor, "COVID-19: Blaming the Jews for the Plague, Again", Fathom, mars 2020 (tr. fr. : P. M. pour Conspiracy Watch).

 

Voir aussi :

Taguieff : « Une démonologie populaire se forme sous nos yeux sur les réseaux sociaux »

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Publications antisémites autour du coronavirus (montage, février-mars 2020).

Le Covid-19 (acronyme anglais de « Coronavirus Disease 2019 ») a fait son apparition dans la métropole chinoise de Wuhan. Le CDC (l'agence fédérale américaine de contrôle et de prévention des épidémies), l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les chercheurs du monde entier associent les premiers cas de contamination à l’activité d’un marché situé dans cette ville et qui abritait un commerce d'animaux sauvages. Le virus y est très vraisemblablement apparu en novembre 2019, les autorités chinoises ne confirmant cependant les premiers cas chez l’homme qu’en décembre.

Les coronavirus sont des virus qui infectent la faune sauvage. Sept d’entre eux, dont le Covid-19, ont « fait le saut » zoonotique de l’animal à l’homme. Les cas précédents furent, en 2002, le SRAS (« Syndrome respiratoire aigu sévère ») transmis à l’homme par la chauve-souris et, en 2012, le MERS (« Syndrome respiratoire du Moyen-Orient ») transmis à l’homme par le dromadaire. Selon les experts, les marchés du type de celui de Wuhan posent un grave problème sanitaire car la consommation d’animaux sauvages est très difficile à contrôler.

Malgré ces faits clairement établis, certains n’hésitent pas à associer le virus aux Juifs et à l’État d’Israël. Pour certains responsables politiques et hauts fonctionnaires turcs et iraniens, les États-Unis et Israël auraient propagé le virus à des fins stratégiques tandis que des djihadistes accusent les Juifs de complot contre l'islam. Enfin, pour les suprémacistes blancs américains, les Juifs chercheraient avec ce virus à accroître leurs profits et renforcer leur domination sur le monde. Dans certains médias gouvernementaux, sur Internet et sur le « dark web », le conspirationnisme antisémite s'est propagé plus vite encore que la pandémie [1].

Il convient d’accorder à ces faits la plus grande attention, car ces théories du complot risquent toujours de déboucher sur des passages à l'acte violent [2]. En outre, sur le plan du droit international, la diffusion de fausses informations n’est pas illégale d'après le Manuel de Tallinn relatif au droit applicable en matière de cyberguerre. C’est pourquoi les pays qui entendent contrecarrer la diffusion des théories du complot se heurtent à tant de difficultés juridiques [3]. D’autant que ces mensonges se trouvent repris à leur compte par les utilisateurs des réseaux sociaux qui se défient des médias professionnels classiques et des informations officielles émanant des autorités [4]. Toutes ces tendances concourent à ce que l'antisémitisme s'ancre de manière toujours plus profonde au sein de groupes sociaux marginaux [5].

Tout au long de l’histoire, on a fait des Juifs des boucs émissaires accusés d’être la cause de tous les problèmes, d’être des fléaux eux-mêmes quand on ne les accusait pas carrément d'empoisonner ou de se livrer à des sacrifices rituels de non-Juifs. Aux IVe et Ve siècles, les Grecs n’avaient pas de mots assez durs pour stigmatiser les Juifs. Les empereurs byzantins Théodose II ou Justinien les qualifiaient de « perversité, contagion, pollution, peste, contamination » [6]. Lorsqu’au Moyen Âge l’Europe fut la proie de la terrible Peste noire (1347-61), on accusa les Juifs « d’empoisonner les puits » [7]. Quant aux nazis, ils voyaient les Juifs comme une menace biologique [8]. Plus tard, des responsables politiques arabes ont accusé Israël et les Juifs d’avoir inoculé le sida à certains de leurs leaders [9]. Des organisations terroristes, comme le Hamas, ont propagé la fable selon laquelle les sionistes utilisaient des femmes infectées par le VIH pour contaminer et éliminer des leader arabes. Aujourd’hui, des islamistes et des suprémacistes blancs associent le Covid-19 aux Juifs, quoique, typiquement, ils utilisent le vocable plus acceptable de « sionistes » en lieu et place de « Juifs ».

La construction d'une pandémie « juive »

  • Les islamistes

Les islamistes prétendent que le Covid-19 est le résultat d'une conspiration sioniste ou américano-israélienne. Al Masdar, un site d’actualités algérien, a récemment publié un article intitulé « Une organisation sioniste derrière le coronavirus, et [Israël] prétend avoir trouvé le vaccin ». En Iran, le professeur Ali Karami de l’Université Baqiyatallah, principale institution médicale du Corps des Gardiens de la révolution islamique, a déclaré sur la chaîne de télévision nationale que le Covid-19 était une « arme biologique ethnique » conçue par « les Américains et le régime sioniste » pour détruire l’ADN iranien. Il a ajouté que seule cette conspiration sioniste expliquait le nombre élevé de morts en Iran. Quand on lui a fait valoir que l’Italie enregistrait également un grand nombre de victimes, il a rétorqué : « Le génome des Italiens est très semblable à celui des Iraniens. »

Le journaliste turc Abdullah Bozkurt accuse les Juifs et les sionistes d'avoir créé le coronavirus et d'autres maladies (capture d'écran Twitter, 11 mars 2020).

En mars 2020, des ténors de la scène politique turque ont accusé Israël de chercher à faire délibérément décroître leur population nationale. Ainsi, Fatih Erbakan, chef du Yeniden Refah Partisi [le « Nouveau Parti de la Prospérité », islamiste - ndlr] a déclaré : « Ce virus sert les objectifs sionistes de diminuer le nombre des gens. » Il a continué avec une citation de son père, Necmettin Erbakan, politicien islamiste et ancien Premier ministre (1996-1997) : « Le sionisme est une bactérie vieille de cinq mille ans qui n’a causé que souffrances. » Un invité des plateaux turcs, Abdullah Bozkurt, est allé jusqu'à affirmer : « Les Juifs, les sionistes ont organisé et fabriqué le coronavirus comme arme biologique, tout comme la grippe aviaire et la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC). Ils veulent redessiner le monde, s’emparer des pays, stériliser la population mondiale. »

  • Les suprémacistes blancs

Le site néo-nazi Daily Stormer a commencé à relayer des théories du complot à caractère antisémite sur l'épidémie rapidement après son apparition. Son animateur, Andrew Anglin, a ainsi écrit le 26 mars 2020 : « Le coronavirus est officiellement devenu un bobard du même niveau que l’Holocauste et le réchauffement climatique. »

Les théories conspirationnistes prolifèrent de façon particulièrement imaginative sur le « dark web » où l'on peut par exemple trouver un document intitulé « Les Illuminati et le Council on Foreign Relations, la conspiration du Gouvernement mondial et les Protocoles des Sages de Sion ». Ainsi, les réseaux suprémacistes blancs accusent les Juifs de causer le chaos mondial, les famines et tous les fléaux possibles. Ce sont ces sources qui légitiment et promeuvent les théories du complot qui prolifèrent autour du nouveau virus.

Certains suprémacistes blancs encouragent leurs membres, s’ils sont porteurs, à transmettre le Covid-19 aux policiers et aux Juifs. Un internaute du « dark web » est même allé jusqu’à prier : « S’il vous plaît, mon Dieu, faites que cela frappe l’Europe aussi fort que possible, et foute en l'air tout ce putain de (((système))) là-bas. »

Pour beaucoup de suprémacistes, « le système » est juif, et il est responsable de la pandémie. En janvier 2020, Paul Nehlen, suprémaciste blanc et ancien candidat à la députation dans le Wisconsin, déclarait qu'Israël avait « lancé une arme biologique [contre la Chine] pour vous signifier qu’ils vous contrôlent aussi ». Et il a demandé : « Vous allez laisser ces Juifs jaloux et vindicatifs s’en tirer comme ça ? » David Clarke Jr, shérif du comté de Milwaukee de 2002 à 2017, a accusé George Soros de tirer les ficelles de la pandémie. Fin mars 2020, les juifs orthodoxes de New York ont aussi été accusés de répandre le virus. Truth3, un abonné du site conspirationniste The Unz Review, a posté ce commentaire : « Le coronavirus SRAS et Ebola étaient des armes biologiques du Pentagone conçues et mises en œuvre par les sionistes qui contrôlent le gouvernement ».

Tout au long de l’histoire, durant des périodes et sur des zones immenses, les antisémites ont réussi à mettre sur le dos des Juifs leurs problèmes politiques et sociaux, les associant aux guerres, aux crises économiques, aux épidémies et aux crimes, utilisant des discours de toute nature, de gauche ou de droite, à caractère religieux ou pas. Aujourd’hui, les stéréotypes antisémites traditionnels sont réactualisés par les islamistes et les suprémacistes blancs qui reprochent aux Juifs d'être derrière le nouveau coronavirus. Aucun virus n’a montré une plus grande capacité d'adaptation que l’antisémitisme. Il nous incombe de forger notre immunité de groupe contre chacune de ses résurgences.

 

Notes :
[1] Les comptes antisémites ont souvent recours aux triples parenthèses, nommées (((échos))). Cette trouvaille typographique de l’Alt-Right a été lancée comme tentative d'identifier et de marquer les utilisateurs réellement ou supposés être juifs de Twitter, afin que les antisémites puissent ensuite les attaquer en ligne. Les antiracistes ont parfois adopté ces parenthèses dans un esprit ironique d’auto-affirmation (comme l’ont fait les gays et les lesbiennes en s’appropriant le terme « queer ».)
[2] Topor, 2019.
[3] Schmitt, pp. 160-175, 2017.
[4] Topor & Shuker, 2019 ; Flanagin & Metzger, 2000.
[5] Topor, 2019.
[6] Linder, pp. 150-51, 2008.
[7] Cohn Jr., 2007.
[8] Cf. Dundes, 1984 ; Wistrich, 2013.
[9] Laqueur, pp. 60-62, 2006.

Bibliographie :

  • Cohn Jr, Samuel K, "The Black Death and the Burning of Jews,’ Past and Present, 196, 1: 3-36, 2007.
  • Dundes, Alan, Life is Like a Chicken Coop Ladder: A Portrait of German Culture Through Folklore, New York: Columbia University Press, 1984.
  • Flanagin, Andrew J. & Miriam J. Metzger, ‘Perceptions of Internet Information Credibility,’ Journalism & Mass Communication Quarterly 77, 3: 515-540, 2000.
  • Laqueur, Walter, The Changing Face of anti-Semitism: From Ancient Times to the Present Day, Oxford University Press, 2006.
  • Linder, Amnon, ‘The Legal Status of Jews in the Roman Empire,’ in Katz, Steven T. (ed), Judaism, Volume 4, Cambridge University Press, pp. 128-73, 2008.
  • Schmitt, Michael N. (ed), Tallinn Manual 2.0 on the International Law Applicable to Cyber Warfare, Cambridge University Press, 2017.
  • Topor, Lev, ‘Dark Hatred: Antisemitism on the Dark Web,’ Journal of Contemporary Antisemitism 2, 2: 25-42, 2019.
  • Topor, Lev & Pnina, Shuker, Cyber Influence Campaigns in the Dark Web. Cyber, Intelligence, and Security, 3,2: 63-79, 2019.
  • Wistrich, Robert S. (ed), Demonizing the Other: Antisemitism, Racism and Xenophobia, Routledge, 2013.

 

Source : Lev Topor, "COVID-19: Blaming the Jews for the Plague, Again", Fathom, mars 2020 (tr. fr. : P. M. pour Conspiracy Watch).

 

Voir aussi :

Taguieff : « Une démonologie populaire se forme sous nos yeux sur les réseaux sociaux »

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