Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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CQFD : encore un effort pour être vraiment critique !

Publié par La Rédaction29 janvier 2011

La critique du capitalisme vaut-elle brevet de respectabilité ?

Après Alternative Libertaire et Le Monde libertaire, qui avaient pris position sur l’impasse intellectuelle que représente le conspirationnisme, c’est au tour de l’équipe de CQFD (Ce Qu’il Faut Détruire) de dénoncer, dans son édition de décembre 2010, « l’anticapitalisme des imbéciles ».

Le « mensuel de critique et d'expérimentation sociales », classé à l’extrême gauche du spectre politique, incite clairement ses lecteurs à prendre leurs distances avec les thèses antisémites et antimaçonniques véhiculées par des individus comme Pierre Hillard, Alain Soral, Dieudonné, Thierry Meyssan et les sites de Zeynel Cekici (Alterinfo.net) ou de Michel Chossudovsky (Mondialisation.ca). Seul bémol : l’équipe de CQFD croit devoir blanchir au passage le physicien belge Jean Bricmont, qualifiant les références aux écrits de cet incontestable « critique du capitalisme » de « respectables »...

Professeur à l'université catholique de Louvain, Jean Bricmont est président honoraire de l'Association française pour l'information scientifique. Il ne reconnaît aucun crédit à la théorie du complot sur les attentats du 11 septembre 2001. A cet égard, sa position est proche de celle de l’intellectuel américain Noam Chomsky.

Mais Bricmont s’est spécialisé au cours des dernières années dans la dénonciation de « l'extraordinaire influence sur notre vie politique des réseaux pro-israéliens », qu’il va jusqu'à qualifier de « problème fondamental de nos sociétés ». Une obsession qui le conduit à se vautrer dans le conspirationnisme le plus vulgaire. Ainsi en arrive-t-il à expliquer, dans un texte sur la laïcité, que ceux qui reprochent à Tariq Ramadan sa position sur la question de la lapidation des femmes (l’islamologue suisse milite pour un « moratoire » et non pour une interdiction pure et simple) seraient en réalité avant tout motivés par… la défense de l’Etat d’Israël (1).

Jean Bricmont invité sur le plateau de l'émission "Ce soir (ou jamais !)" (France 3, capture d'écran Dailymotion)

On rappellera donc à l’équipe de CQFD, qui sait pourtant très bien à quoi s’en tenir avec des personnages comme Thierry Meyssan, que Jean Bricmont ne s’est jamais ému de ce que ses textes soient repris, précisément, sur le site de Thierry Meyssan. Rien d’étonnant à cela d'ailleurs puisqu’il a participé, en 2005, au grand raout des conspirationnistes organisé à Bruxelles par le même Thierry Meyssan en présence de plusieurs autres militants d’extrême droite (dont des représentants du mouvement politico-sectaire de Lyndon LaRouche) et en partenariat avec le journal cryptofasciste American Free Press.

En réalité, Jean Bricmont a noué des liens d’amitié forts avec la nébuleuse « rouge-verte-brune » (2), où l’on retrouve des personnages comme Paul-Eric Blanrue, auteur d’un Sarkozy, Israël et les juifs dont Bricmont recommande chaudement la lecture. Des compromissions consenties au nom de l’antisionisme et qui ne trompent nullement un média aussi peu suspect de sympathie « sioniste » que le site antifasciste Réflexes (3).

Pour Bricmont, la menace que fait peser le « sionisme » sur les libertés publiques est si imminente qu’elle justifie une complaisance de principe avec les milieux les plus interlopes : « nous ne devons pas montrer aux sionistes que nous sommes "gentils", écrit-il, en nous "démarquant" sans arrêt de X ou de Y qui a eu une parole trop dure ou trop franche, mais montrer que nous sommes libres et que le temps de l'intimidation est passé ». Raison pour laquelle on attendrait en vain qu’il articule ne serait-ce qu’un début de condamnation morale des déclarations antisémites d'un Dieudonné. Pour l’intellectuel belge, la priorité n’est pas là :

« il faut combattre avant tout le discours de culpabilisation (sur l’holocauste) et libérer la parole non juive (sur la Palestine), c’est-à-dire soutenir tous les hommes politiques, tous les intellectuels et tous les journalistes que l’on fait taire au nom de la "lutte contre l’antisémitisme", lorsqu’ils disent quelque chose de critique sur Israël ».

La plupart des récents écrits politiques de Jean Bricmont sont fondés sur le fantasme d’un monde occidental écrasé sous la botte d’un lobby sioniste qui interdirait toute expression critique à l’endroit de l’Etat hébreu. Etrange lorsqu'on constate les controverses enflammées que provoque le conflit israélo-palestinien de par le monde.

Il ne lui vient apparemment pas à l’idée qu’on puisse s’inquiéter sincèrement de ce fléau qu’est l’antisémitisme autrement qu’en étant un agent d’influence israélien ou un « idiot utile du sionisme et de l’impérialisme américain ». Jean Bricmont serait pourtant sans aucun doute d’accord pour reconnaître qu’on peut légitimement s'alarmer de la progression des préjugés anti-musulmans en Europe sans pour autant être, par exemple, un intégriste ou un idiot utile de l'islamisme.

Comment ne pas voir que ce fantasme du « lobby sioniste », symétrique d’ailleurs à celui du mythe d’Eurabia, est sous-tendu par une vision du monde décrite en son temps par Richard Hofstadter comme « paranoïde » ? Comment ne pas y reconnaître l’un des principaux thèmes de cette théorie du « complot sioniste » qui n’est, en définitive, que l’avatar contemporain de la vieille théorie du « complot juif » (4) ?

« Les théories du complot, lit-on dans CQFD, peuvent avoir un effet hypnotique en ce qu’elles semblent expliquer aisément l’état du monde. Mais sous leur apparence logique voire complexe, elles sont en réalité fort sommaires (…). Elles contribuent à entretenir un confusionnisme politique qui ne profite in fine qu’aux forces les plus réactionnaires ». Beaucoup, à gauche et à l'extrême gauche, veulent voir dans les déclarations de Jean Bricmont l’expression d’une parole libre. D'autres ont la fâcheuse impression de retrouver la prose développée jadis dans la Libre parole.

 

Notes :
(1) Jean Bricmont, « Le foulard et la conception libérale du droit, suivi de La Laïcité peut-elle sauver l’impérialisme ? », in Marc Jacquemain et Nadine Rosa-Rosso (dir.), Du bon usage de la laïcité, Ed. Aden, Bruxelles, 2008, p. 45.
(2) Pour le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, « il existe, à droite du FN, une mouvance groupusculaire glauque qui peut se reconnaître à la fois dans les écrits de son propre camp, dans ceux d'un disciple de Noam Chomsky comme Jean Bricmont et de nationalistes arabes comme René Naba. Cela peut s'appeler la nébuleuse "rouge-verte-brune" et cela existe depuis plus de trente ans. Cela n'est nullement la gauche » (in « La vraie histoire du site Tout sauf Sarkozy », Libération, 21 mai 2007).
(3) Voir « Procès Dieudonné-Faurisson : la Cour des Miracles négationnistes !! », REFLEXes, 30 septembre 2009.
(4) Sur l’histoire de cette mutation, lire Georges Bensoussan, « Du ‘’complot juif’’ au ‘’complot sioniste’’ (1917-1939) » (extrait de la Revue d'histoire de la Shoah, n° 166, mai-août 1999).

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La critique du capitalisme vaut-elle brevet de respectabilité ?

Après Alternative Libertaire et Le Monde libertaire, qui avaient pris position sur l’impasse intellectuelle que représente le conspirationnisme, c’est au tour de l’équipe de CQFD (Ce Qu’il Faut Détruire) de dénoncer, dans son édition de décembre 2010, « l’anticapitalisme des imbéciles ».

Le « mensuel de critique et d'expérimentation sociales », classé à l’extrême gauche du spectre politique, incite clairement ses lecteurs à prendre leurs distances avec les thèses antisémites et antimaçonniques véhiculées par des individus comme Pierre Hillard, Alain Soral, Dieudonné, Thierry Meyssan et les sites de Zeynel Cekici (Alterinfo.net) ou de Michel Chossudovsky (Mondialisation.ca). Seul bémol : l’équipe de CQFD croit devoir blanchir au passage le physicien belge Jean Bricmont, qualifiant les références aux écrits de cet incontestable « critique du capitalisme » de « respectables »...

Professeur à l'université catholique de Louvain, Jean Bricmont est président honoraire de l'Association française pour l'information scientifique. Il ne reconnaît aucun crédit à la théorie du complot sur les attentats du 11 septembre 2001. A cet égard, sa position est proche de celle de l’intellectuel américain Noam Chomsky.

Mais Bricmont s’est spécialisé au cours des dernières années dans la dénonciation de « l'extraordinaire influence sur notre vie politique des réseaux pro-israéliens », qu’il va jusqu'à qualifier de « problème fondamental de nos sociétés ». Une obsession qui le conduit à se vautrer dans le conspirationnisme le plus vulgaire. Ainsi en arrive-t-il à expliquer, dans un texte sur la laïcité, que ceux qui reprochent à Tariq Ramadan sa position sur la question de la lapidation des femmes (l’islamologue suisse milite pour un « moratoire » et non pour une interdiction pure et simple) seraient en réalité avant tout motivés par… la défense de l’Etat d’Israël (1).

Jean Bricmont invité sur le plateau de l'émission "Ce soir (ou jamais !)" (France 3, capture d'écran Dailymotion)

On rappellera donc à l’équipe de CQFD, qui sait pourtant très bien à quoi s’en tenir avec des personnages comme Thierry Meyssan, que Jean Bricmont ne s’est jamais ému de ce que ses textes soient repris, précisément, sur le site de Thierry Meyssan. Rien d’étonnant à cela d'ailleurs puisqu’il a participé, en 2005, au grand raout des conspirationnistes organisé à Bruxelles par le même Thierry Meyssan en présence de plusieurs autres militants d’extrême droite (dont des représentants du mouvement politico-sectaire de Lyndon LaRouche) et en partenariat avec le journal cryptofasciste American Free Press.

En réalité, Jean Bricmont a noué des liens d’amitié forts avec la nébuleuse « rouge-verte-brune » (2), où l’on retrouve des personnages comme Paul-Eric Blanrue, auteur d’un Sarkozy, Israël et les juifs dont Bricmont recommande chaudement la lecture. Des compromissions consenties au nom de l’antisionisme et qui ne trompent nullement un média aussi peu suspect de sympathie « sioniste » que le site antifasciste Réflexes (3).

Pour Bricmont, la menace que fait peser le « sionisme » sur les libertés publiques est si imminente qu’elle justifie une complaisance de principe avec les milieux les plus interlopes : « nous ne devons pas montrer aux sionistes que nous sommes "gentils", écrit-il, en nous "démarquant" sans arrêt de X ou de Y qui a eu une parole trop dure ou trop franche, mais montrer que nous sommes libres et que le temps de l'intimidation est passé ». Raison pour laquelle on attendrait en vain qu’il articule ne serait-ce qu’un début de condamnation morale des déclarations antisémites d'un Dieudonné. Pour l’intellectuel belge, la priorité n’est pas là :

« il faut combattre avant tout le discours de culpabilisation (sur l’holocauste) et libérer la parole non juive (sur la Palestine), c’est-à-dire soutenir tous les hommes politiques, tous les intellectuels et tous les journalistes que l’on fait taire au nom de la "lutte contre l’antisémitisme", lorsqu’ils disent quelque chose de critique sur Israël ».

La plupart des récents écrits politiques de Jean Bricmont sont fondés sur le fantasme d’un monde occidental écrasé sous la botte d’un lobby sioniste qui interdirait toute expression critique à l’endroit de l’Etat hébreu. Etrange lorsqu'on constate les controverses enflammées que provoque le conflit israélo-palestinien de par le monde.

Il ne lui vient apparemment pas à l’idée qu’on puisse s’inquiéter sincèrement de ce fléau qu’est l’antisémitisme autrement qu’en étant un agent d’influence israélien ou un « idiot utile du sionisme et de l’impérialisme américain ». Jean Bricmont serait pourtant sans aucun doute d’accord pour reconnaître qu’on peut légitimement s'alarmer de la progression des préjugés anti-musulmans en Europe sans pour autant être, par exemple, un intégriste ou un idiot utile de l'islamisme.

Comment ne pas voir que ce fantasme du « lobby sioniste », symétrique d’ailleurs à celui du mythe d’Eurabia, est sous-tendu par une vision du monde décrite en son temps par Richard Hofstadter comme « paranoïde » ? Comment ne pas y reconnaître l’un des principaux thèmes de cette théorie du « complot sioniste » qui n’est, en définitive, que l’avatar contemporain de la vieille théorie du « complot juif » (4) ?

« Les théories du complot, lit-on dans CQFD, peuvent avoir un effet hypnotique en ce qu’elles semblent expliquer aisément l’état du monde. Mais sous leur apparence logique voire complexe, elles sont en réalité fort sommaires (…). Elles contribuent à entretenir un confusionnisme politique qui ne profite in fine qu’aux forces les plus réactionnaires ». Beaucoup, à gauche et à l'extrême gauche, veulent voir dans les déclarations de Jean Bricmont l’expression d’une parole libre. D'autres ont la fâcheuse impression de retrouver la prose développée jadis dans la Libre parole.

 

Notes :
(1) Jean Bricmont, « Le foulard et la conception libérale du droit, suivi de La Laïcité peut-elle sauver l’impérialisme ? », in Marc Jacquemain et Nadine Rosa-Rosso (dir.), Du bon usage de la laïcité, Ed. Aden, Bruxelles, 2008, p. 45.
(2) Pour le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, « il existe, à droite du FN, une mouvance groupusculaire glauque qui peut se reconnaître à la fois dans les écrits de son propre camp, dans ceux d'un disciple de Noam Chomsky comme Jean Bricmont et de nationalistes arabes comme René Naba. Cela peut s'appeler la nébuleuse "rouge-verte-brune" et cela existe depuis plus de trente ans. Cela n'est nullement la gauche » (in « La vraie histoire du site Tout sauf Sarkozy », Libération, 21 mai 2007).
(3) Voir « Procès Dieudonné-Faurisson : la Cour des Miracles négationnistes !! », REFLEXes, 30 septembre 2009.
(4) Sur l’histoire de cette mutation, lire Georges Bensoussan, « Du ‘’complot juif’’ au ‘’complot sioniste’’ (1917-1939) » (extrait de la Revue d'histoire de la Shoah, n° 166, mai-août 1999).

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