A force de s’approcher de trop près des marécages conspirationnistes, Michel Onfray a fini par y plonger tête baissée, estime Haoues Seniguer.
Michel Onfray est un auteur prolifique. Ses ouvrages, lorsqu’ils paraissent, sont généralement prisés du grand public. Une bonne publicité leur est assurée, relayée par la presse papier, électronique et audiovisuelle. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de vouer cette même presse aux gémonies. D’autres diraient qu’il crache dans la soupe.
Depuis de très nombreuses années, le philosophe est régulièrement invité à prendre la parole dans les médias, soit pour parler de l’un de ses derniers ouvrages, soit pour commenter l’actualité – des Gilets jaunes à la crise sanitaire en passant par l’islamisme ou le terrorisme. De ce point de vue, il est tout sauf un paria. Les mauvaises langues le qualifieront d’« intellectuel médiatique ». Sa parole, objectivement, n’est pas du tout censurée puisqu’il a facilement accès aux médias.
Alors qu’il n’est pas toujours contredit par ceux qui l’invitent à s’exprimer à des heures de grande écoute, l’essayiste trouve le moyen d’affirmer doctement, sur un ton aussi péremptoire que définitif, que « la presse n’est pas libre, ne l’a jamais été et ne le sera jamais ». A ses yeux, en la matière, il n’y a pas de place au doute : la presse dans son ensemble travaillerait consciemment, délibérément, à « la propagande de l’idéologie dominante », celle d’une « Europe libérale » qui aurait dépecé le peuple, au premier rang duquel les plus fragiles, dont Onfray s’improvise en quelque sorte le porte-parole.
Mais il court ici le risque de faire fi de la réalité factuelle la plus élémentaire. Quelles qu’en soient les limites, le champ médiatique, comme n’importe quel autre champ social, est traversé par des logiques contradictoires, des rapports de force internes. En démocratie, toutes les opinions, de l’extrême droite à l’extrême gauche, peuvent s’y exprimer, et les exemples sont légion.
En lançant une nouvelle revue, Front Populaire, l’essayiste ne craint pas une contradiction de plus : si toute la presse, aux contenus biaisés, est sous contrôle, en quoi la sienne le serait-elle moins ?
« Dictature »
Il y a trois mois, à partir d’une lecture toute personnelle de George Orwell, Onfray signalait dans un nouvel opus l’avènement d’une « dictature » d’un « type nouveau », pensée et voulue telle quelle depuis le plus haut sommet de l’État, avec pour chef d’orchestre Emmanuel Macron !
Chef d’orchestre ou exécutant ? On ne saurait le dire tant la pensée du philosophe peut parfois paraître changeante ou versatile. D’après lui, le président de la République et ses complices auraient pour objectif de « détruire la liberté ; appauvrir la langue ; abolir la vérité ; supprimer l’histoire ; nier la nature ; propager la haine ; aspirer à l’Empire »… Cette phraséologie, fonctionnaliste jusqu’à l’absurde, cadre parfaitement avec la logorrhée habituelle observable dans les milieux conspirationnistes français, notamment du côté d’Égalité & Réconciliation – on va y revenir.
Michel Onfray ne se distingue pas uniquement par des jugements quelquefois approximatifs, non vérifiés ou carrément faux qu’il peut énoncer et relayer sans aucun recul. En démocratie, chacun est libre de tenir des propos ineptes ou farfelus, dans les limites fixées par la loi. Ainsi a-t-il parfaitement le droit de caractériser la situation politique française actuelle comme « dictatoriale ». Mais, au fait, la démocratie, n’est-ce pas le régime où tout le monde peut dire qu’il est en dictature, tandis que la dictature, elle, est le régime où tout le monde doit dire qu’il est en démocratie !?
On pourrait en rester au constat amer d’un intellectuel quittant progressivement les quais de la raison critique pour les rails du populisme le plus crasse. Ce populisme qu’il revendique même aujourd’hui n’est pas, comme il le prétend, le sens commun moqué et méprisé par les puissants. Bien au contraire : manquant à son devoir, Onfray n’essaie pas d’élever son auditoire mais à en flatter les flétrissures, le ressentiment, les mauvais penchants.
« Accents soraliens »
En ce sens, Onfray participe à la fragilisation de nos démocraties mises à mal par les coups de boutoir répétés des fake news à l’heure des réseaux sociaux. Seulement, à force de s’approcher de trop près des marécages conspirationnistes, Michel Onfray a fini par y plonger tête baissée. Il en est même devenu, sans crier gare, l’une des coqueluches, sûrement à l’insu de son plein gré. Dans l’équipe de Front Populaire, on trouve l’une des anciennes figures des Gilets jaunes, Jacline Mouraud, aux déclarations ouvertement complotistes, assimilant les traînées blanches laissées dans le ciel par le passage des avions à l’épandage de produits chimiques dans le cadre d’opérations secrètes.
L’essayiste, en pleine crise du coronavirus, n’a de cesse de verser dans le conspirationnisme. Il prend fait et cause pour le professeur marseillais Didier Raoult. Pourquoi pas. Mais, selon Michel Onfray, si son traitement à base de chloroquine destiné à lutter contre le Covid-19 est critiqué par une fraction significative de la communauté scientifique, c’est parce qu’il serait victime du parisianisme et de l’appétit insatiable des laboratoires pharmaceutiques qui verraient d’un mauvais œil un traitement à 10 euros seulement… Ainsi, le sémillant Pr Raoult concentrerait « la haine de ceux qui entrevoient dans le coronavirus une formidable occasion de faire de l’argent », ce qui, poursuit Onfray avec des accents clairement soraliens, constituerait « l’horizon indépassable » d’un « Daniel Cohn-Bendit passé du gauchisme au macronisme et de la pédophilie au statut de Savonarole de l’idéologie européiste. » Implicitement, Onfray suggère que l’industrie pharmaceutique et ses relais supposés seraient prêts à laisser mourir des gens sur l’autel du profit, espérant cyniquement l’avènement d’un antidote plus onéreux !
Ce que l’extrême gauche n’a pas osé, Onfray l’a fait, croyant déceler dans les réserves émises au sujet du « Protocole Raoult » la main du Grand Capital. Pourtant, n’est-ce pas le président Macron – si souvent tancé par le philosophe sous des traits franchement caricaturaux – qui rendit visite à ce même professeur Raoult le 9 avril dernier, témoignant la considération de l’État pour l’équipe de l’IHU de Marseille et son directeur ?
Envers et contre tout, le verdict de Michel Onfray est sans appel : se comportant en bon « pion de l'État profond et des marchés », plaçant le profit avant la santé des gens, Emmanuel Macron aurait « exposé les Français au virus par idéologie européiste »…
Mais qui tire les ficelles de cet « État profond » ? Dans le système de pensée du philosophe, il n’est guère fait plus de place aux processus anonymes, aux marges inéluctables d’incertitude dans l’action ou les décisions humaines, aux contingences, à la surprise, et, in fine, à la relativité du savoir. Paradoxalement, il postule une préscience du chef de l’État et des gouvernants, dans une vision du monde à la fois fataliste et hyper-déterministe.
C’est ici que la responsabilité morale et politique du philosophe est engagée compte tenu de son statut, dans un contexte où des gens souffrent, sont hospitalisés et meurent même parfois à cause du virus. En accusant le gouvernement et les « élites » d’avoir machiavéliquement aggravé la crise sanitaire, Onfray entretient le climat de méfiance et de défiance à l’égard de l’État et de ses agents.
Voir aussi :
Michel Onfray est un auteur prolifique. Ses ouvrages, lorsqu’ils paraissent, sont généralement prisés du grand public. Une bonne publicité leur est assurée, relayée par la presse papier, électronique et audiovisuelle. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de vouer cette même presse aux gémonies. D’autres diraient qu’il crache dans la soupe.
Depuis de très nombreuses années, le philosophe est régulièrement invité à prendre la parole dans les médias, soit pour parler de l’un de ses derniers ouvrages, soit pour commenter l’actualité – des Gilets jaunes à la crise sanitaire en passant par l’islamisme ou le terrorisme. De ce point de vue, il est tout sauf un paria. Les mauvaises langues le qualifieront d’« intellectuel médiatique ». Sa parole, objectivement, n’est pas du tout censurée puisqu’il a facilement accès aux médias.
Alors qu’il n’est pas toujours contredit par ceux qui l’invitent à s’exprimer à des heures de grande écoute, l’essayiste trouve le moyen d’affirmer doctement, sur un ton aussi péremptoire que définitif, que « la presse n’est pas libre, ne l’a jamais été et ne le sera jamais ». A ses yeux, en la matière, il n’y a pas de place au doute : la presse dans son ensemble travaillerait consciemment, délibérément, à « la propagande de l’idéologie dominante », celle d’une « Europe libérale » qui aurait dépecé le peuple, au premier rang duquel les plus fragiles, dont Onfray s’improvise en quelque sorte le porte-parole.
Mais il court ici le risque de faire fi de la réalité factuelle la plus élémentaire. Quelles qu’en soient les limites, le champ médiatique, comme n’importe quel autre champ social, est traversé par des logiques contradictoires, des rapports de force internes. En démocratie, toutes les opinions, de l’extrême droite à l’extrême gauche, peuvent s’y exprimer, et les exemples sont légion.
En lançant une nouvelle revue, Front Populaire, l’essayiste ne craint pas une contradiction de plus : si toute la presse, aux contenus biaisés, est sous contrôle, en quoi la sienne le serait-elle moins ?
« Dictature »
Il y a trois mois, à partir d’une lecture toute personnelle de George Orwell, Onfray signalait dans un nouvel opus l’avènement d’une « dictature » d’un « type nouveau », pensée et voulue telle quelle depuis le plus haut sommet de l’État, avec pour chef d’orchestre Emmanuel Macron !
Chef d’orchestre ou exécutant ? On ne saurait le dire tant la pensée du philosophe peut parfois paraître changeante ou versatile. D’après lui, le président de la République et ses complices auraient pour objectif de « détruire la liberté ; appauvrir la langue ; abolir la vérité ; supprimer l’histoire ; nier la nature ; propager la haine ; aspirer à l’Empire »… Cette phraséologie, fonctionnaliste jusqu’à l’absurde, cadre parfaitement avec la logorrhée habituelle observable dans les milieux conspirationnistes français, notamment du côté d’Égalité & Réconciliation – on va y revenir.
Michel Onfray ne se distingue pas uniquement par des jugements quelquefois approximatifs, non vérifiés ou carrément faux qu’il peut énoncer et relayer sans aucun recul. En démocratie, chacun est libre de tenir des propos ineptes ou farfelus, dans les limites fixées par la loi. Ainsi a-t-il parfaitement le droit de caractériser la situation politique française actuelle comme « dictatoriale ». Mais, au fait, la démocratie, n’est-ce pas le régime où tout le monde peut dire qu’il est en dictature, tandis que la dictature, elle, est le régime où tout le monde doit dire qu’il est en démocratie !?
On pourrait en rester au constat amer d’un intellectuel quittant progressivement les quais de la raison critique pour les rails du populisme le plus crasse. Ce populisme qu’il revendique même aujourd’hui n’est pas, comme il le prétend, le sens commun moqué et méprisé par les puissants. Bien au contraire : manquant à son devoir, Onfray n’essaie pas d’élever son auditoire mais à en flatter les flétrissures, le ressentiment, les mauvais penchants.
« Accents soraliens »
En ce sens, Onfray participe à la fragilisation de nos démocraties mises à mal par les coups de boutoir répétés des fake news à l’heure des réseaux sociaux. Seulement, à force de s’approcher de trop près des marécages conspirationnistes, Michel Onfray a fini par y plonger tête baissée. Il en est même devenu, sans crier gare, l’une des coqueluches, sûrement à l’insu de son plein gré. Dans l’équipe de Front Populaire, on trouve l’une des anciennes figures des Gilets jaunes, Jacline Mouraud, aux déclarations ouvertement complotistes, assimilant les traînées blanches laissées dans le ciel par le passage des avions à l’épandage de produits chimiques dans le cadre d’opérations secrètes.
L’essayiste, en pleine crise du coronavirus, n’a de cesse de verser dans le conspirationnisme. Il prend fait et cause pour le professeur marseillais Didier Raoult. Pourquoi pas. Mais, selon Michel Onfray, si son traitement à base de chloroquine destiné à lutter contre le Covid-19 est critiqué par une fraction significative de la communauté scientifique, c’est parce qu’il serait victime du parisianisme et de l’appétit insatiable des laboratoires pharmaceutiques qui verraient d’un mauvais œil un traitement à 10 euros seulement… Ainsi, le sémillant Pr Raoult concentrerait « la haine de ceux qui entrevoient dans le coronavirus une formidable occasion de faire de l’argent », ce qui, poursuit Onfray avec des accents clairement soraliens, constituerait « l’horizon indépassable » d’un « Daniel Cohn-Bendit passé du gauchisme au macronisme et de la pédophilie au statut de Savonarole de l’idéologie européiste. » Implicitement, Onfray suggère que l’industrie pharmaceutique et ses relais supposés seraient prêts à laisser mourir des gens sur l’autel du profit, espérant cyniquement l’avènement d’un antidote plus onéreux !
Ce que l’extrême gauche n’a pas osé, Onfray l’a fait, croyant déceler dans les réserves émises au sujet du « Protocole Raoult » la main du Grand Capital. Pourtant, n’est-ce pas le président Macron – si souvent tancé par le philosophe sous des traits franchement caricaturaux – qui rendit visite à ce même professeur Raoult le 9 avril dernier, témoignant la considération de l’État pour l’équipe de l’IHU de Marseille et son directeur ?
Envers et contre tout, le verdict de Michel Onfray est sans appel : se comportant en bon « pion de l'État profond et des marchés », plaçant le profit avant la santé des gens, Emmanuel Macron aurait « exposé les Français au virus par idéologie européiste »…
Mais qui tire les ficelles de cet « État profond » ? Dans le système de pensée du philosophe, il n’est guère fait plus de place aux processus anonymes, aux marges inéluctables d’incertitude dans l’action ou les décisions humaines, aux contingences, à la surprise, et, in fine, à la relativité du savoir. Paradoxalement, il postule une préscience du chef de l’État et des gouvernants, dans une vision du monde à la fois fataliste et hyper-déterministe.
C’est ici que la responsabilité morale et politique du philosophe est engagée compte tenu de son statut, dans un contexte où des gens souffrent, sont hospitalisés et meurent même parfois à cause du virus. En accusant le gouvernement et les « élites » d’avoir machiavéliquement aggravé la crise sanitaire, Onfray entretient le climat de méfiance et de défiance à l’égard de l’État et de ses agents.
Voir aussi :
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