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Dupont de Ligonnès : pourquoi la thèse de l'exfiltration ne tient pas debout

Publié par La Rédaction31 mars 2024, ,

Entretien avec Anne-Sophie Martin, journaliste et auteur du livre-enquête Le Disparu, sur l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès.

Montage CW.

En mars, elle a fait le tour des plateaux de télévisions. Dans un livre tout juste paru, Christine de Verdun, née Dupont de Ligonnès, défend l'innocence de son frère. Treize ans après l’affaire qui a sidéré la France, Xavier Dupont de Ligonnès, toujours volatilisé, demeure le seul suspect dans le quintuple meurtre de sa femme Agnès et de leurs quatre enfants, Arthur, Thomas, Anne et Benoît.

Sa sœur, elle, réfute cette version au profit de celle d’une improbable « exfiltration » à l’étranger de toute la famille. Au mépris des preuves scientifiques, elle les croit tous vivants et son frère innocent. Dans son enquête publiée sous le titre Le Disparu (éditions La Mécanique Générale, 2016), Anne-Sophie Martin démonte ce scénario. La journaliste y documente la trajectoire et le profil de Xavier Dupont de Ligonnès.*

Conspiracy Watch : Dans le cadre de votre enquête, vous avez rencontré Christine Dupont de Ligonnès. Quel souvenir en gardez-vous ? A-t-elle toujours soutenu l’innocence de son frère ?

Anne-Sophie Martin : Je l’ai rencontrée il y a une dizaine d’années. À cette époque, elle était déjà convaincue de l’innocence de son frère et le faisait savoir sur son blog. Elle s’est, en fait, appuyée sur la lettre qu’a envoyée Xavier Dupont de Ligonnès à sa famille qui justifiait sa disparition et celle de sa famille par une exfiltration de toute urgence vers les États-Unis. Il soutenait alors qu’il travaillait pour les renseignements américains pour surveiller les trafics de stupéfiants. Dès qu’elle a eu accès au dossier, elle a mené une sorte de « contre-enquête », mais seulement avec l’objectif d’appuyer cette thèse. Elle voulait y croire. C’est pourtant cette lettre et cette thèse incohérente, reçues par d’autres membres de la famille, notamment les frères d’Agnès, qui a mené à l’ouverture d’une enquête pour « disparition inquiétante » auprès du procureur de Nantes.

CW : Et pourquoi sa thèse de l’exfiltration ne tient-elle pas debout selon vous ?

A-S M. : Plusieurs éléments la contredisent. Xavier Dupont de Ligonnès, par exemple, était un commercial. Il passait donc ses semaines sur les routes, sans qu’on sache vraiment ce qu’il faisait de ses journées. Sa sœur s’appuie sur cela pour justifier la version de son frère. Pour mon enquête, je suis allée à la rencontre des restaurateurs, des hôteliers qu’il côtoyait pour son travail. Leurs témoignages ne collent absolument pas à la thèse d’un agent des renseignements.

Il y a aussi des contradictions géographiques. Aux entreprises et aux écoles des enfants, il a prétexté une mutation familiale en Australie. À la famille, il parle d’un départ aux États Unis. Là encore, sa sœur persiste en disant que cette contradiction relève de la couverture.

On pourrait alors lui soumettre que les éléments scientifiques dont nous disposons montrent que tout ramène à Xavier Dupont de Ligonnès et qu’il est l’auteur le plus probable de ce meutre. Les cinq cadavres de la famille ont été retrouvés. Mais elle va jusqu’à contester les preuves ADN qui confirment l’identité des corps !

CW : Comment Christine Dupont de Ligonnès fait-elle alors valoir cette version de l’histoire ?

A-S M. : La vérité judiciaire n’est, à ce jour, toujours pas établie et l’enquête, au point mort. C’est en cela qu’elle parvient à glisser sa conviction. Elle s’appuie sur l’absence de résultats. Elle se pose en Sœur Courage en se confrontant à l’institution judiciaire et policière qui aurait fait de Xavier Dupont de Ligonnès un meurtrier ou un suspect. D’autant que plus le temps passe, moins on s’approche d’une vérité définitive au profit d’un fantasme. Cette affaire non résolue se transforme progressivement en légende, ce qui profite à la version de sa sœur. Elle peut maintenir qu’il reste disparu car témoin protégé. Le problème, c’est que les médias s’y embarquent avec elle et les journalistes ne prennent pas assez de précautions pour la contredire. On lui donne une caisse de résonance.

CW : De quoi la conviction de Christine Dupont de Ligonnès est-elle le nom ? S’agit-il du déni familial ?

A-S M. : C’était le cas au début. Aujourd’hui, elle défend carrément un contre-scénario qui vise à expliquer pourquoi son frère a raison, mais en s’appuyant sur des choses assez basiques. Face aux preuves des achats du matériel qui a permis d’enterrer les corps, Christine Dupont de Ligonnès va, par exemple, jusqu’à dire : « Xavier est trop intelligent pour payer le matériel en carte bleu » ou encore « il a trop mal au dos pour parvenir à creuser les fosses de sa famille par lui-même ». Ce qu’elle veut, c'est soutenir mordicus sa défense du frère qui, selon elle, n’a pas pu commettre quelque chose d’aussi monstrueux.

CW : Peut-on aussi attribuer cette croyance au rigorisme religieux de la famille Dupont de Ligonnès et plus particulièrement de Christine ?

A-S M. : C’est un élément important pour comprendre la version de cette femme. D’une certaine manière, elle prend la suite de sa mère, Madeleine, très croyante, et à la tête d’un groupe de prière appelé l'Église de Philadelphie, qui croit en l’imminence du Jugement Dernier. Longtemps, sa mère a posé son fils Xavier en sorte d’« élu ». Et des trois enfants, Christine est la seule à en être restée imprégnée, même si dans les messages qu’il poste sur un site catholique, on sent que son frère est toujours habité par ces théories. Lui-même croit avoir un esprit supérieur. Dans ses messages, il semble vouloir s’inventer une mission sacrificielle pour sauver sa famille du déshonneur.

Du reste, Xavier Dupont de Ligonnès a donné la version qu’il voulait bien communiquer à ses proches, même si ses meilleurs amis et sa sœur Véronique disent qu'il a inventé cette histoire pour masquer ce qu’il a fait. Ils pensent qu’il a bien tué sa famille. Christine, elle, veut créer un écran de fumée, comme lui, pour que le nom Dupont de Ligonnès ne puisse pas être entaché par ce crime.

 

* Propos recueillis par Perla Msika.

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Montage CW.

En mars, elle a fait le tour des plateaux de télévisions. Dans un livre tout juste paru, Christine de Verdun, née Dupont de Ligonnès, défend l'innocence de son frère. Treize ans après l’affaire qui a sidéré la France, Xavier Dupont de Ligonnès, toujours volatilisé, demeure le seul suspect dans le quintuple meurtre de sa femme Agnès et de leurs quatre enfants, Arthur, Thomas, Anne et Benoît.

Sa sœur, elle, réfute cette version au profit de celle d’une improbable « exfiltration » à l’étranger de toute la famille. Au mépris des preuves scientifiques, elle les croit tous vivants et son frère innocent. Dans son enquête publiée sous le titre Le Disparu (éditions La Mécanique Générale, 2016), Anne-Sophie Martin démonte ce scénario. La journaliste y documente la trajectoire et le profil de Xavier Dupont de Ligonnès.*

Conspiracy Watch : Dans le cadre de votre enquête, vous avez rencontré Christine Dupont de Ligonnès. Quel souvenir en gardez-vous ? A-t-elle toujours soutenu l’innocence de son frère ?

Anne-Sophie Martin : Je l’ai rencontrée il y a une dizaine d’années. À cette époque, elle était déjà convaincue de l’innocence de son frère et le faisait savoir sur son blog. Elle s’est, en fait, appuyée sur la lettre qu’a envoyée Xavier Dupont de Ligonnès à sa famille qui justifiait sa disparition et celle de sa famille par une exfiltration de toute urgence vers les États-Unis. Il soutenait alors qu’il travaillait pour les renseignements américains pour surveiller les trafics de stupéfiants. Dès qu’elle a eu accès au dossier, elle a mené une sorte de « contre-enquête », mais seulement avec l’objectif d’appuyer cette thèse. Elle voulait y croire. C’est pourtant cette lettre et cette thèse incohérente, reçues par d’autres membres de la famille, notamment les frères d’Agnès, qui a mené à l’ouverture d’une enquête pour « disparition inquiétante » auprès du procureur de Nantes.

CW : Et pourquoi sa thèse de l’exfiltration ne tient-elle pas debout selon vous ?

A-S M. : Plusieurs éléments la contredisent. Xavier Dupont de Ligonnès, par exemple, était un commercial. Il passait donc ses semaines sur les routes, sans qu’on sache vraiment ce qu’il faisait de ses journées. Sa sœur s’appuie sur cela pour justifier la version de son frère. Pour mon enquête, je suis allée à la rencontre des restaurateurs, des hôteliers qu’il côtoyait pour son travail. Leurs témoignages ne collent absolument pas à la thèse d’un agent des renseignements.

Il y a aussi des contradictions géographiques. Aux entreprises et aux écoles des enfants, il a prétexté une mutation familiale en Australie. À la famille, il parle d’un départ aux États Unis. Là encore, sa sœur persiste en disant que cette contradiction relève de la couverture.

On pourrait alors lui soumettre que les éléments scientifiques dont nous disposons montrent que tout ramène à Xavier Dupont de Ligonnès et qu’il est l’auteur le plus probable de ce meutre. Les cinq cadavres de la famille ont été retrouvés. Mais elle va jusqu’à contester les preuves ADN qui confirment l’identité des corps !

CW : Comment Christine Dupont de Ligonnès fait-elle alors valoir cette version de l’histoire ?

A-S M. : La vérité judiciaire n’est, à ce jour, toujours pas établie et l’enquête, au point mort. C’est en cela qu’elle parvient à glisser sa conviction. Elle s’appuie sur l’absence de résultats. Elle se pose en Sœur Courage en se confrontant à l’institution judiciaire et policière qui aurait fait de Xavier Dupont de Ligonnès un meurtrier ou un suspect. D’autant que plus le temps passe, moins on s’approche d’une vérité définitive au profit d’un fantasme. Cette affaire non résolue se transforme progressivement en légende, ce qui profite à la version de sa sœur. Elle peut maintenir qu’il reste disparu car témoin protégé. Le problème, c’est que les médias s’y embarquent avec elle et les journalistes ne prennent pas assez de précautions pour la contredire. On lui donne une caisse de résonance.

CW : De quoi la conviction de Christine Dupont de Ligonnès est-elle le nom ? S’agit-il du déni familial ?

A-S M. : C’était le cas au début. Aujourd’hui, elle défend carrément un contre-scénario qui vise à expliquer pourquoi son frère a raison, mais en s’appuyant sur des choses assez basiques. Face aux preuves des achats du matériel qui a permis d’enterrer les corps, Christine Dupont de Ligonnès va, par exemple, jusqu’à dire : « Xavier est trop intelligent pour payer le matériel en carte bleu » ou encore « il a trop mal au dos pour parvenir à creuser les fosses de sa famille par lui-même ». Ce qu’elle veut, c'est soutenir mordicus sa défense du frère qui, selon elle, n’a pas pu commettre quelque chose d’aussi monstrueux.

CW : Peut-on aussi attribuer cette croyance au rigorisme religieux de la famille Dupont de Ligonnès et plus particulièrement de Christine ?

A-S M. : C’est un élément important pour comprendre la version de cette femme. D’une certaine manière, elle prend la suite de sa mère, Madeleine, très croyante, et à la tête d’un groupe de prière appelé l'Église de Philadelphie, qui croit en l’imminence du Jugement Dernier. Longtemps, sa mère a posé son fils Xavier en sorte d’« élu ». Et des trois enfants, Christine est la seule à en être restée imprégnée, même si dans les messages qu’il poste sur un site catholique, on sent que son frère est toujours habité par ces théories. Lui-même croit avoir un esprit supérieur. Dans ses messages, il semble vouloir s’inventer une mission sacrificielle pour sauver sa famille du déshonneur.

Du reste, Xavier Dupont de Ligonnès a donné la version qu’il voulait bien communiquer à ses proches, même si ses meilleurs amis et sa sœur Véronique disent qu'il a inventé cette histoire pour masquer ce qu’il a fait. Ils pensent qu’il a bien tué sa famille. Christine, elle, veut créer un écran de fumée, comme lui, pour que le nom Dupont de Ligonnès ne puisse pas être entaché par ce crime.

 

* Propos recueillis par Perla Msika.

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