L’hypothèse du « coup monté » est moins absurde que d’autres. Elle n’en demeure pas moins fragile.
« Il faut bien que je les suive, puisque que je suis leur chef » : Emmanuel Macron a-t-il fait sienne cette phrase – apparemment apocryphe – de Ledru-Rollin ? C’est ce que l’on pourrait croire à entendre les accents complotistes auxquels le président de la République a eu recours mercredi soir concernant l’affaire Benalla. Emboîtant le pas à un certain nombre de ses sympathisants sur les réseaux sociaux ainsi qu’à l’avocat de son ancien collaborateur, le chef de l’Etat a déclaré à un journaliste de France Bleu Béarn :
« La question que vous pouvez vous poser, c’est pourquoi certains l’ont sorti deux mois et demi plus tard ; ah ça, vous pouvez vous poser la question ! C’est sans doute qu’il y a des gens qui avaient intérêt à ce que ça sorte deux mois et demi plus tard et quelques jours après la Coupe du monde de football. Mais l’Elysée n’a jamais rien caché ».
Interrogé hier soir, lors d’une conférence de presse à Madrid, sur l’identité de ces « gens » qu’il s’est abstenu de nommer la veille, Emmanuel Macron a éludé :
« Je ne sais pas mais vous allez peut-être me le dire. […] C’est vous les journalistes ; moi je suis président de la République. Donc je suis occupé à ma tâche. Comme je l’ai dit, tout ça est quand même beaucoup une tempête dans un verre d’eau ».
L’affaire Benalla, un coup monté contre l’Elysée ? La vieille question de Cicéron (à qui cela profite-t-il ?) n’est pas illégitime. Sauf lorsque, absolutisée, érigée en clé d’explication d’un raisonnement bancal, elle ne sert qu’à masquer la vacuité d’un dossier d’accusation. Elle ne fait alors rien d’autre que de vérifier, comme le sait la sagesse populaire, qu’en politique, « la meilleure défense, c’est l’attaque ».
Certes, l’hypothèse du « coup monté » est moins absurde que d’autres : les paranoïaques ont des ennemis et Emmanuel Macron des opposants n’ayant aucun scrupule à donner à l’affaire Benalla les apparences d’une crise de régime.
Elle n’en demeure pas moins fragile.
Dans une interview à France Culture publiée hier, Ariane Chemin, la grand reporter du Monde par qui l’affaire a été déclenchée, insiste sur les mille précautions dont elle s’est entourée avant de publier son papier, assurant que personne n’est venu lui « apporter l'information toute cuite sur un plateau » comme le suggérerait la thèse d’un coup monté depuis deux mois et demi : « C'était une enquête assez longue et je savais très bien qu'il fallait que je sois extrêmement prudente et discrète. Je ne voulais appeler Alexandre Benalla puis la présidence de la République qu'à la fin de l'enquête, quand j'étais quasiment sûre que c'était lui » explique-t-elle.
Visiblement, Emmanuel Macron est tenté de croire que le surgissement de l’affaire Benalla est le fruit d’une de ces manipulations dont la vie politique abonde. C’est son droit. C’est le nôtre d’estimer que, ce faisant, il passe là une ligne qu’il s’était bien gardé de franchir jusqu’alors, observant un comportement qui contrastait avec ceux de ses principaux challengers lors de la dernière élection présidentielle.
Il arrive que des organes de presse non complotistes se fassent l’écho de théories du complot – les exemples sont légions. Il arrive aussi que des intellectuels, des responsables politiques et même des chefs de l'Etat habituellement peu portés sur le style paranoïaque mobilisent le temps d’une interview, d’un discours, d’un meeting, d’un scrutin ou d’une « affaire », l'imaginaire conspirationniste. Dans notre histoire récente, c’est François Hollande suggérant, lors de son discours du Bourget (2 janvier 2012), que son véritable adversaire, le « monde de la finance », n’a ni nom ni visage ni parti, mais que « pourtant il gouverne », comme si la démocratie n’était qu’un vaste théâtre d’ombres. C’est Nicolas Sarkozy réduisant l’ensemble de ses tracas judiciaires à une simple manipulation politique de la justice.
Procédant plus du réflexe d’auto-défense que d’une vision paranoïaque du monde, ce conspirationnisme de basse intensité est courant dans la vie publique. Le plus souvent, il ne prouve qu’une seule chose : qu’on est à court d’argument. Dépourvu de tout caractère raciste et n’étant pas de nature à changer ceux qui s’en font ponctuellement les porte-voix en fanatiques de la théorie du complot, ce péché véniel inspire une relative clémence (« c’est de bonne guerre ! »).
On l’excuserait s’il n’avait pour effet de banaliser un complotisme autrement plus préoccupant et – peut-être plus grave encore – de contribuer à brouiller ce qui sépare les démocrates des démagogues populistes.
L’hypothèse du « coup monté » est moins absurde que d’autres. Elle n’en demeure pas moins fragile.
« Il faut bien que je les suive, puisque que je suis leur chef » : Emmanuel Macron a-t-il fait sienne cette phrase – apparemment apocryphe – de Ledru-Rollin ? C’est ce que l’on pourrait croire à entendre les accents complotistes auxquels le président de la République a eu recours mercredi soir concernant l’affaire Benalla. Emboîtant le pas à un certain nombre de ses sympathisants sur les réseaux sociaux ainsi qu’à l’avocat de son ancien collaborateur, le chef de l’Etat a déclaré à un journaliste de France Bleu Béarn :
« La question que vous pouvez vous poser, c’est pourquoi certains l’ont sorti deux mois et demi plus tard ; ah ça, vous pouvez vous poser la question ! C’est sans doute qu’il y a des gens qui avaient intérêt à ce que ça sorte deux mois et demi plus tard et quelques jours après la Coupe du monde de football. Mais l’Elysée n’a jamais rien caché ».
Interrogé hier soir, lors d’une conférence de presse à Madrid, sur l’identité de ces « gens » qu’il s’est abstenu de nommer la veille, Emmanuel Macron a éludé :
« Je ne sais pas mais vous allez peut-être me le dire. […] C’est vous les journalistes ; moi je suis président de la République. Donc je suis occupé à ma tâche. Comme je l’ai dit, tout ça est quand même beaucoup une tempête dans un verre d’eau ».
L’affaire Benalla, un coup monté contre l’Elysée ? La vieille question de Cicéron (à qui cela profite-t-il ?) n’est pas illégitime. Sauf lorsque, absolutisée, érigée en clé d’explication d’un raisonnement bancal, elle ne sert qu’à masquer la vacuité d’un dossier d’accusation. Elle ne fait alors rien d’autre que de vérifier, comme le sait la sagesse populaire, qu’en politique, « la meilleure défense, c’est l’attaque ».
Certes, l’hypothèse du « coup monté » est moins absurde que d’autres : les paranoïaques ont des ennemis et Emmanuel Macron des opposants n’ayant aucun scrupule à donner à l’affaire Benalla les apparences d’une crise de régime.
Elle n’en demeure pas moins fragile.
Dans une interview à France Culture publiée hier, Ariane Chemin, la grand reporter du Monde par qui l’affaire a été déclenchée, insiste sur les mille précautions dont elle s’est entourée avant de publier son papier, assurant que personne n’est venu lui « apporter l'information toute cuite sur un plateau » comme le suggérerait la thèse d’un coup monté depuis deux mois et demi : « C'était une enquête assez longue et je savais très bien qu'il fallait que je sois extrêmement prudente et discrète. Je ne voulais appeler Alexandre Benalla puis la présidence de la République qu'à la fin de l'enquête, quand j'étais quasiment sûre que c'était lui » explique-t-elle.
Visiblement, Emmanuel Macron est tenté de croire que le surgissement de l’affaire Benalla est le fruit d’une de ces manipulations dont la vie politique abonde. C’est son droit. C’est le nôtre d’estimer que, ce faisant, il passe là une ligne qu’il s’était bien gardé de franchir jusqu’alors, observant un comportement qui contrastait avec ceux de ses principaux challengers lors de la dernière élection présidentielle.
Il arrive que des organes de presse non complotistes se fassent l’écho de théories du complot – les exemples sont légions. Il arrive aussi que des intellectuels, des responsables politiques et même des chefs de l'Etat habituellement peu portés sur le style paranoïaque mobilisent le temps d’une interview, d’un discours, d’un meeting, d’un scrutin ou d’une « affaire », l'imaginaire conspirationniste. Dans notre histoire récente, c’est François Hollande suggérant, lors de son discours du Bourget (2 janvier 2012), que son véritable adversaire, le « monde de la finance », n’a ni nom ni visage ni parti, mais que « pourtant il gouverne », comme si la démocratie n’était qu’un vaste théâtre d’ombres. C’est Nicolas Sarkozy réduisant l’ensemble de ses tracas judiciaires à une simple manipulation politique de la justice.
Procédant plus du réflexe d’auto-défense que d’une vision paranoïaque du monde, ce conspirationnisme de basse intensité est courant dans la vie publique. Le plus souvent, il ne prouve qu’une seule chose : qu’on est à court d’argument. Dépourvu de tout caractère raciste et n’étant pas de nature à changer ceux qui s’en font ponctuellement les porte-voix en fanatiques de la théorie du complot, ce péché véniel inspire une relative clémence (« c’est de bonne guerre ! »).
On l’excuserait s’il n’avait pour effet de banaliser un complotisme autrement plus préoccupant et – peut-être plus grave encore – de contribuer à brouiller ce qui sépare les démocrates des démagogues populistes.
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