Poussé par des figures de premier plan de la nouvelle Administration Trump, le mythe des « chemtrails » s’immisce désormais dans le quotidien de millions d’Américains.
Il l’assure, « le HHS [Health and Human Services − ndlr] fera sa part ». Alors qu’il avait défrayé la chronique en août dernier affirmant vouloir « mettre fin à ce crime », Robert F. Kennedy Jr sort de son silence. L’ancien candidat à la présidentielle apporte, dans une réponse sur X, son soutien aux « États [qui] s'engagent à interdire la géo-ingénierie climatique, qui consiste à asperger nos citoyens, nos cours d'eau et nos paysages de toxines. » Ce tweet intervient dans un contexte de montée en puissance de la théorie des « chemtrails » en ce début d’année 2025, tant au niveau législatif, administratif que sociétal.
Les messages de figures influentes se multiplient sur les réseaux sociaux : Nicole Shanahan, l'ancienne colistière de RFK Jr, l’élue républicaine Marjorie Taylor Greene, Marla Maples, la seconde femme de Donald Trump, ou encore l’influenceur complotiste Alex Jones. Tous se font le relais de cette thèse infondée selon laquelle les traînées de condensation (contrails) persistantes seraient en réalité des traînées chimiques (« chemtrails ») réalisées en secret à l’échelle mondiale à des fins de modification du climat ou de contrôle des populations.
La pression intensive et quotidienne de ces mouvements anti-« chemtrails » a eu raison des législateurs. En l’espace de deux mois, plus de 50 projets de lois ont été déposés dans 31 États différents selon notre décompte : Floride, Texas, Mississippi, Arizona, Idaho, Caroline du Sud, Indiana, Kentucky… Objectif affiché : interdire « l’injection, la libération ou la dispersion intentionnelle de produits chimiques dans le but d’affecter la température, la météo ou l’intensité du soleil », peut-on lire dans la majorité d’entre elles. L’argumentaire se calque sur la loi anti-« chemtrails » du Tennessee entrée en vigueur en juillet 2024. Pourtant, derrière le paravent d’un langage officiel technique, les documents déposés, en totalité par des Républicains, ne peuvent dissimuler l’influence de cette théorie alternative.
Son empreinte se manifeste particulièrement lors des auditions devant les commissions d’examen. Les références aux « chemtrails » y sont nombreuses. Les témoignages de citoyens préoccupés par les traînées blanches persistantes se succèdent. Certains parlent ouvertement de « chemtrails », d’autres, moins directs, évoquent la géo-ingénierie en partageant leurs observations. « J’ai des centaines et des centaines d’heures de vidéo qui montrent comment ils aspergent le ciel », insiste Sharlet Mohr-Williston, habitante du Dakota du Nord. Ailleurs, le site Geoengineering Watch de Dane Wigington, l’un des théoriciens les plus anciens et influents sur cette thématique, est cité comme référence. Là, le public brandit des pancartes de traînées de condensation et de cirrus naturels... Preuve ultime, selon eux, de l'existence de ces fameux « chemtrails ».
Cependant, imputer la seule responsabilité aux croyances des administrés serait une erreur. Nombreux sont les législateurs eux-mêmes sous l’empire de cette théorie ou à la recherche d’un gain politique. Leurs déclarations devant les commissions et leur activité numérique sont équivoques : une vingtaine d’entre eux montrent des signes d’une adhésion complète ou partielle. Par exemple, le dernier texte à avoir été déposé − la House Bill 4304 du Michigan − est qualifié par le représentant Josh Schriver de « loi pour interdire les chemtrails ». La majorité des élus, plus frileuse, se refuse à utiliser le terme. Paradoxalement, ils n’hésitent pas à partager sur leurs réseaux sociaux des publications évoquant explicitement la théorie, à l’image d’Ileana Garcia, sénatrice de Floride et dépositaire d’un projet de loi. Celle-ci bénéficie du soutien direct de Marla Maples et de Sayer Ji, à l’initiative de l'autoproclamé « Clear Skies Movement », comme le révélait le site Fact’Ory en février dernier.
La frénésie législative qui s’est emparée du pays de l’Oncle Sam mobilise les institutions démocratiques et les agences des États fédérés. Enregistrement du projet de loi, première, deuxième, troisième lecture, auditions, vote… Le long processus accapare une partie des ressources des chambres hautes et basses − les projets étant présentés, le plus souvent, aussi bien devant le Sénat que devant la Chambre des représentants. Ce sont des centaines d’heures détournées au profit d’une théorie mise à l’agenda politique. Cette officialisation devient d’ailleurs une arme puissante dans les sphères de désinformation. « Vous aviez déjà vu une “théorie du complot” se faire officiellement interdire vous ? », pérore Silvano Trotta sur X. L’ère de la post-vérité n’aura jamais aussi bien porté son nom. Le gain politique est, lui, immédiat pour les législateurs. En Floride, la Senate Bill 56 est même présentée comme « le projet de loi le plus populaire jamais déposé », jubile Jake Hoffman, directeur exécutif du groupe de pression politique des Tampa Bay Young Republicans.
Du côté des agences de l’environnement et du contrôle de la pollution atmosphérique, l’inquiétude monte. Lors de l’audition de la HB1112 le 11 mars 2025, la directrice législative du département de l’Environnement et de la Conservation du Tennessee (TDEC), Alli Williamson, indique avoir « reçu plus de 150 appels téléphoniques au sujet des “chemtrails” et 25 sur la géo-ingénierie sur l’année écoulée. Et précise : Nous avons reçu de très nombreux messages électroniques, consistant le plus souvent en des photographies d’avions dans le ciel. » L’ajout de missions « drainera un temps significatif et des ressources au détriment des missions habituelles du TDEC », s’alarme-t-elle. Même son de cloche dans le Maine. Le département de la Qualité de l’air, par la voix de son directeur, Jeffrey S. Crawford, témoigne recevoir « de nombreuses plaintes injustifiées au sujet des chemtrails. » Ces lois « nécessiteront des ressources considérables pour répondre à des demandes inutiles et infondées », ainsi que « l’adjonction de nouveaux personnels », détaille-t-il.
Désillusion pour ces agences. Les ressources supplémentaires demandées ne sont pas à l’ordre du jour. Selon les notes fiscales estimant le coût de ces projets de loi, « il est raisonnable d’assumer que [...] ces missions peuvent être remplies avec le personnel et les ressources existantes. » En somme, faites plus avec moins. Là encore, cette théorie alternative est portée au rang des missions d’utilité publique.
Les conséquences ne se cantonnent pas aux institutions publiques. La ferveur des partisans les pousse à agir sur le terrain, persuadés du bien-fondé de leurs actions. Le 13 mars 2025, Serge L. Brown, habitant de l’Idaho, s’est invité pendant une réunion en ligne du conseil d’administration des ressources en eau de son État. Normalement réservé aux spécialistes et scientifiques, le meeting a été interrompu par l’internaute pendant plus de cinq minutes où il a évoqué « des opérations super secrètes ». Convaincu d’être suivi lors de l’événement « par des milliers de personnes » (en réalité, la retransmission en direct a été vue moins de 60 fois au moment des faits), l’homme s’est ensuite félicité sur X d’une grande « victoire ». « Ils n’étaient pas prêts pour nous ! [...] Voilà ce qui arrive quand on est solidaires. Ils ne peuvent plus nous ignorer », clame-t-il.
Quinze jours plus tôt, une californienne s’est introduite, à une heure du matin (!), dans le petit aéroport de Modesto pour « confronter des pilotes de chemtrails ». Insistante, « Mellow Kat », son pseudonyme en ligne, alpague deux pilotes du programme d’ensemencement des nuages des comtés de Sonora, Groveland et Coulterville. « Vous balancez des métaux lourds sur nos comtés », lance-t-elle à l’un des pilotes ne comprenant pas les faits qui lui sont reprochés. « Nous sommes très impliqués et allons déposer des plaintes légales contre votre compagnie [...] Nous vous traquons, nous suivons le vol de vos avions, nous vous voyons, nous vous entendons. » Sur son blog, la militante appelle les autres citoyens à suivre son exemple, espérant « que ces pilotes penseront à moi chaque fois qu’ils seront chargés d’une nouvelle opération », conclut-elle. Cette action est, à notre connaissance, la seule intrusion physique à ce jour. Si cette dernière s’est finalement limitée à un échange verbal musclé et confus, elle n’est pas sans rappeler l’intrusion armée, le 4 décembre 2016, d’Edgar Maddison Welch dans une pizzeria de Washington, persuadé qu’un trafic « d’enfants esclaves sexuels » se tenait dans les sous-sols du restaurant.
Plus insidieuses sont les conséquences pour la vie quotidienne et la santé mentale des plus fervents adeptes de cette théorie. Considérée comme « la plus grande menace existante contre l’humanité », elle renforce le climat de défiance de ses adhérents et leur implication dans leur combat. Cet engagement est particulièrement visible lors de l’examen des projets de loi. Les salles sont le plus souvent combles, le public exalté, éclatant en applaudissement ou vitupérant contre les personnes opposées à leur vision. Dans l’Iowa, la petite salle de réunion ne pouvait contenir la trentaine de citoyens venus participer à l’événement. Collés le long des murs, ils explosent en applaudissements et « hourras ». Ces scènes ajoutent une pression supplémentaire sur les législateurs.
Les auditions publiques attestent également de changement comportementaux. S’imaginant pulvérisés de produits toxiques voire mortels, certains se cloîtrent chez eux les jours de persistance des traînées. Le 5 février 2025, Shelly Schneider, une habitante de l’Utah, prend la parole à distance, en soutien au projet de loi SB126. En pleurs, elle trouve difficilement ses mots. « Lorsque ces épandages ont lieu, je reste chez moi », confie-t-elle émue devant les sénateurs. Son engagement est néanmoins récent. Elle affirme avoir découvert le sujet « il y a trois mois de ça ». Depuis, son temps libre est dédié à « chercher, chercher, chercher, et chercher encore », martèle-t-elle la voix tremblotante.
Ce témoignage n’est pas isolé. Il confirme une tendance déjà analysée par les sciences sociales. Une étude de 2022, publiée dans la revue Current Opinion in Psychology, s’intéresse aux multiples impacts des théories du complot : baisse de la participation citoyenne, isolement, distanciation dans les relations intergroupes, comportements violents...
L’accélération, que connaît la théorie des « chemtrails » ces derniers mois, montre les signes d’une radicalisation à marche forcée. À l’heure où nous écrivons ces lignes, Sayer Ji indique sur X avoir envoyé 20 000 mails au Congrès américain. La pression de la désinformation sur la réalité n’est visiblement pas prête de retomber.
Voir aussi :
[PODCAST] Les « chemtrails », une théorie du complot venue du ciel
Il l’assure, « le HHS [Health and Human Services − ndlr] fera sa part ». Alors qu’il avait défrayé la chronique en août dernier affirmant vouloir « mettre fin à ce crime », Robert F. Kennedy Jr sort de son silence. L’ancien candidat à la présidentielle apporte, dans une réponse sur X, son soutien aux « États [qui] s'engagent à interdire la géo-ingénierie climatique, qui consiste à asperger nos citoyens, nos cours d'eau et nos paysages de toxines. » Ce tweet intervient dans un contexte de montée en puissance de la théorie des « chemtrails » en ce début d’année 2025, tant au niveau législatif, administratif que sociétal.
Les messages de figures influentes se multiplient sur les réseaux sociaux : Nicole Shanahan, l'ancienne colistière de RFK Jr, l’élue républicaine Marjorie Taylor Greene, Marla Maples, la seconde femme de Donald Trump, ou encore l’influenceur complotiste Alex Jones. Tous se font le relais de cette thèse infondée selon laquelle les traînées de condensation (contrails) persistantes seraient en réalité des traînées chimiques (« chemtrails ») réalisées en secret à l’échelle mondiale à des fins de modification du climat ou de contrôle des populations.
La pression intensive et quotidienne de ces mouvements anti-« chemtrails » a eu raison des législateurs. En l’espace de deux mois, plus de 50 projets de lois ont été déposés dans 31 États différents selon notre décompte : Floride, Texas, Mississippi, Arizona, Idaho, Caroline du Sud, Indiana, Kentucky… Objectif affiché : interdire « l’injection, la libération ou la dispersion intentionnelle de produits chimiques dans le but d’affecter la température, la météo ou l’intensité du soleil », peut-on lire dans la majorité d’entre elles. L’argumentaire se calque sur la loi anti-« chemtrails » du Tennessee entrée en vigueur en juillet 2024. Pourtant, derrière le paravent d’un langage officiel technique, les documents déposés, en totalité par des Républicains, ne peuvent dissimuler l’influence de cette théorie alternative.
Son empreinte se manifeste particulièrement lors des auditions devant les commissions d’examen. Les références aux « chemtrails » y sont nombreuses. Les témoignages de citoyens préoccupés par les traînées blanches persistantes se succèdent. Certains parlent ouvertement de « chemtrails », d’autres, moins directs, évoquent la géo-ingénierie en partageant leurs observations. « J’ai des centaines et des centaines d’heures de vidéo qui montrent comment ils aspergent le ciel », insiste Sharlet Mohr-Williston, habitante du Dakota du Nord. Ailleurs, le site Geoengineering Watch de Dane Wigington, l’un des théoriciens les plus anciens et influents sur cette thématique, est cité comme référence. Là, le public brandit des pancartes de traînées de condensation et de cirrus naturels... Preuve ultime, selon eux, de l'existence de ces fameux « chemtrails ».
Cependant, imputer la seule responsabilité aux croyances des administrés serait une erreur. Nombreux sont les législateurs eux-mêmes sous l’empire de cette théorie ou à la recherche d’un gain politique. Leurs déclarations devant les commissions et leur activité numérique sont équivoques : une vingtaine d’entre eux montrent des signes d’une adhésion complète ou partielle. Par exemple, le dernier texte à avoir été déposé − la House Bill 4304 du Michigan − est qualifié par le représentant Josh Schriver de « loi pour interdire les chemtrails ». La majorité des élus, plus frileuse, se refuse à utiliser le terme. Paradoxalement, ils n’hésitent pas à partager sur leurs réseaux sociaux des publications évoquant explicitement la théorie, à l’image d’Ileana Garcia, sénatrice de Floride et dépositaire d’un projet de loi. Celle-ci bénéficie du soutien direct de Marla Maples et de Sayer Ji, à l’initiative de l'autoproclamé « Clear Skies Movement », comme le révélait le site Fact’Ory en février dernier.
La frénésie législative qui s’est emparée du pays de l’Oncle Sam mobilise les institutions démocratiques et les agences des États fédérés. Enregistrement du projet de loi, première, deuxième, troisième lecture, auditions, vote… Le long processus accapare une partie des ressources des chambres hautes et basses − les projets étant présentés, le plus souvent, aussi bien devant le Sénat que devant la Chambre des représentants. Ce sont des centaines d’heures détournées au profit d’une théorie mise à l’agenda politique. Cette officialisation devient d’ailleurs une arme puissante dans les sphères de désinformation. « Vous aviez déjà vu une “théorie du complot” se faire officiellement interdire vous ? », pérore Silvano Trotta sur X. L’ère de la post-vérité n’aura jamais aussi bien porté son nom. Le gain politique est, lui, immédiat pour les législateurs. En Floride, la Senate Bill 56 est même présentée comme « le projet de loi le plus populaire jamais déposé », jubile Jake Hoffman, directeur exécutif du groupe de pression politique des Tampa Bay Young Republicans.
Du côté des agences de l’environnement et du contrôle de la pollution atmosphérique, l’inquiétude monte. Lors de l’audition de la HB1112 le 11 mars 2025, la directrice législative du département de l’Environnement et de la Conservation du Tennessee (TDEC), Alli Williamson, indique avoir « reçu plus de 150 appels téléphoniques au sujet des “chemtrails” et 25 sur la géo-ingénierie sur l’année écoulée. Et précise : Nous avons reçu de très nombreux messages électroniques, consistant le plus souvent en des photographies d’avions dans le ciel. » L’ajout de missions « drainera un temps significatif et des ressources au détriment des missions habituelles du TDEC », s’alarme-t-elle. Même son de cloche dans le Maine. Le département de la Qualité de l’air, par la voix de son directeur, Jeffrey S. Crawford, témoigne recevoir « de nombreuses plaintes injustifiées au sujet des chemtrails. » Ces lois « nécessiteront des ressources considérables pour répondre à des demandes inutiles et infondées », ainsi que « l’adjonction de nouveaux personnels », détaille-t-il.
Désillusion pour ces agences. Les ressources supplémentaires demandées ne sont pas à l’ordre du jour. Selon les notes fiscales estimant le coût de ces projets de loi, « il est raisonnable d’assumer que [...] ces missions peuvent être remplies avec le personnel et les ressources existantes. » En somme, faites plus avec moins. Là encore, cette théorie alternative est portée au rang des missions d’utilité publique.
Les conséquences ne se cantonnent pas aux institutions publiques. La ferveur des partisans les pousse à agir sur le terrain, persuadés du bien-fondé de leurs actions. Le 13 mars 2025, Serge L. Brown, habitant de l’Idaho, s’est invité pendant une réunion en ligne du conseil d’administration des ressources en eau de son État. Normalement réservé aux spécialistes et scientifiques, le meeting a été interrompu par l’internaute pendant plus de cinq minutes où il a évoqué « des opérations super secrètes ». Convaincu d’être suivi lors de l’événement « par des milliers de personnes » (en réalité, la retransmission en direct a été vue moins de 60 fois au moment des faits), l’homme s’est ensuite félicité sur X d’une grande « victoire ». « Ils n’étaient pas prêts pour nous ! [...] Voilà ce qui arrive quand on est solidaires. Ils ne peuvent plus nous ignorer », clame-t-il.
Quinze jours plus tôt, une californienne s’est introduite, à une heure du matin (!), dans le petit aéroport de Modesto pour « confronter des pilotes de chemtrails ». Insistante, « Mellow Kat », son pseudonyme en ligne, alpague deux pilotes du programme d’ensemencement des nuages des comtés de Sonora, Groveland et Coulterville. « Vous balancez des métaux lourds sur nos comtés », lance-t-elle à l’un des pilotes ne comprenant pas les faits qui lui sont reprochés. « Nous sommes très impliqués et allons déposer des plaintes légales contre votre compagnie [...] Nous vous traquons, nous suivons le vol de vos avions, nous vous voyons, nous vous entendons. » Sur son blog, la militante appelle les autres citoyens à suivre son exemple, espérant « que ces pilotes penseront à moi chaque fois qu’ils seront chargés d’une nouvelle opération », conclut-elle. Cette action est, à notre connaissance, la seule intrusion physique à ce jour. Si cette dernière s’est finalement limitée à un échange verbal musclé et confus, elle n’est pas sans rappeler l’intrusion armée, le 4 décembre 2016, d’Edgar Maddison Welch dans une pizzeria de Washington, persuadé qu’un trafic « d’enfants esclaves sexuels » se tenait dans les sous-sols du restaurant.
Plus insidieuses sont les conséquences pour la vie quotidienne et la santé mentale des plus fervents adeptes de cette théorie. Considérée comme « la plus grande menace existante contre l’humanité », elle renforce le climat de défiance de ses adhérents et leur implication dans leur combat. Cet engagement est particulièrement visible lors de l’examen des projets de loi. Les salles sont le plus souvent combles, le public exalté, éclatant en applaudissement ou vitupérant contre les personnes opposées à leur vision. Dans l’Iowa, la petite salle de réunion ne pouvait contenir la trentaine de citoyens venus participer à l’événement. Collés le long des murs, ils explosent en applaudissements et « hourras ». Ces scènes ajoutent une pression supplémentaire sur les législateurs.
Les auditions publiques attestent également de changement comportementaux. S’imaginant pulvérisés de produits toxiques voire mortels, certains se cloîtrent chez eux les jours de persistance des traînées. Le 5 février 2025, Shelly Schneider, une habitante de l’Utah, prend la parole à distance, en soutien au projet de loi SB126. En pleurs, elle trouve difficilement ses mots. « Lorsque ces épandages ont lieu, je reste chez moi », confie-t-elle émue devant les sénateurs. Son engagement est néanmoins récent. Elle affirme avoir découvert le sujet « il y a trois mois de ça ». Depuis, son temps libre est dédié à « chercher, chercher, chercher, et chercher encore », martèle-t-elle la voix tremblotante.
Ce témoignage n’est pas isolé. Il confirme une tendance déjà analysée par les sciences sociales. Une étude de 2022, publiée dans la revue Current Opinion in Psychology, s’intéresse aux multiples impacts des théories du complot : baisse de la participation citoyenne, isolement, distanciation dans les relations intergroupes, comportements violents...
L’accélération, que connaît la théorie des « chemtrails » ces derniers mois, montre les signes d’une radicalisation à marche forcée. À l’heure où nous écrivons ces lignes, Sayer Ji indique sur X avoir envoyé 20 000 mails au Congrès américain. La pression de la désinformation sur la réalité n’est visiblement pas prête de retomber.
Voir aussi :
[PODCAST] Les « chemtrails », une théorie du complot venue du ciel
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