La blogueuse canadienne a rejoint une parodie de tribunal censé juger des crimes de guerre ukrainiens. Une consécration après des années passées à propager fausses informations et théories du complot pour les régimes les plus autoritaires de la planète.
Eva Bartlett est-elle vraiment pro-Poutine ? « Je ne trouve pas un seul exemple d’un de mes articles ou d’une de mes vidéos où je ferais ne serait-ce que mentionner Vladimir Poutine », répond-elle à Maverick Multimedia depuis son domicile, « près de Moscou ». Le 14 juillet dernier, ce média conspirationniste américain l’invitait à venir se défendre après une enquête de CBC News la concernant, diffusée quelques jours auparavant.
La chaîne publique canadienne s’est penchée sur les Occidentaux membres du « Tribunal public international sur l’Ukraine ». Une parodie de tribunal international lancée au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par Maxim Grigoriev, directeur de la Chambre civique de la Fédération de Russie, une institution censée représenter la société civile mais créée en 2004 sur la suggestion de Vladimir Poutine en personne. Grigoriev a réuni plusieurs propagandistes venus du monde entier pour créer ce tribunal international censé enquêter sur les crimes du « régime de Kiev ».
Parmi les membres fondateurs de ce tribunal, on retrouve donc Eva Bartlett, comme le souligne CBC News qui interroge un expert de l’Institute for Strategic Dialogue (ISD) selon lequel une telle contribution ne peut se faire sans contrepartie. Plutôt que de répondre, la Canadienne a préféré réagir sur RT, la chaîne financée par le Kremlin : « Je ne crois pas un seul instant que CBC me donnerait l’opportunité de m’exprimer honnêtement. C’est une chaîne financée par le Canada qui répond aux ordres du gouvernement canadien ».
Lors de la conférence de presse de lancement du tribunal, le 1er mars, elle avançait que « les gens en Occident ne savent rien à propos des néo-nazis en Ukraine. Ils se sont fait laver le cerveau par les médias et sont prêts à soutenir l’Ukraine ». La blogueuse participe à alimenter ce faux tribunal ainsi que les médias russes avec des preuves des supposées infamies ukrainiennes en réalisant des reportages dans les Républiques séparatistes autoproclamées de Donetsk et Lougansk, ou encore à Marioupol, rasée et capturée par l’armée russe fin mai.
On n’y entend effectivement jamais parler de Vladimir Poutine, ni-même des exactions largement documentées commises par son armée. La blogueuse s’affaire au contraire à rapporter les crimes supposés des forces ukrainiennes qui seraient ignorés par les médias occidentaux.
Le 6 août dernier, dans une vidéo YouTube, Eva Bartlett explique à l’unisson des médias russes que « la terreur de l’Ukraine sur les zones civiles du centre de Donetsk se poursuit, ciblant jeudi un site funéraire dans le centre-ville ainsi que l'hôtel dans lequel je me trouvais », accusant l’Ukraine de cibler des journalistes. Deux jours plus tôt, des frappes ont en effet touché Donetsk, tuant au moins six personnes. Un incident rare dans cette ville située à 12 kilomètres du front et contrôlée par les forces pro-russes depuis 2014.
D’après d’autres médias, comme Le Monde, « faute d’ouverture de la région aux enquêteurs internationaux, il est impossible d’établir quel camp a tiré ». La vidéo de Bartlett, relayée dans les sphères complotistes par des personnes comme l'éditeur suisse Slobodan Despot, affiche plus de 11 000 vues au compteur.
Comme le précise encore Le Monde, le « centre funéraire » mentionné par la blogueuse est en fait un centre d'art dramatique où se déroulait une cérémonie en l’honneur d’une combattante pro-russe tuée la veille, récompensée du titre de « héros de la Russie » par Poutine et condamnée par contumace à douze ans de prison par la justice ukrainienne pour terrorisme.
« Cela n’a aucun sens pour nous de bombarder tel ou tel événement à Donetsk. Nous avons pour objectif de détruire trois types de cibles : les dépôts de carburant, les dépôts d’obus d’artillerie et les centres de commandement opérationnels et tactiques, afin de réduire le potentiel offensif de l’envahisseur », a commenté la présidence ukrainienne. Autant de détails que Bartlett ne mentionne pas. Un art de la diversion qu’elle maîtrise depuis des années.
En novembre 2016, bien avant de rejoindre le Tribunal de Grigoriev, elle avait participé à une conférence de presse organisée par la mission permanente de la République arabe syrienne à l’ONU. La partie orientale de la ville d’Alep était alors en train de plier sous les bombardements indiscriminés de l’aviation russe et du régime de Bachar el-Assad.
Bartlett affirme au cours de cette conférence intitulée « Contre la propagande et le changement de régime en Syrie » qu’aucune organisation de confiance n’étant présente à Alep-Est, les médias occidentaux ne disposeraient d’aucune information fiable. Elle accuse aussi les Casques blancs, des secouristes volontaires alors présents dans cette zone et qui documentaient les conséquences des bombardements, de réaliser des mises en scènes et d’être affiliés à l'organisation djihadiste Al-Qaïda. Enfin, selon elle, il ne s’agit pas d’une guerre civile mais d’un complot étranger visant à la chute de Bachar el-Assad.
La vidéo de son intervention, diffusée par RT, est un carton international. Reprise par de nombreux sites conspirationnistes jusqu’en France, elle atteint plusieurs millions de vues. Plus tard, l’ex-représentant de la Syrie aux Nations unies Bachar al-Jafaari déclarera même publiquement son « amour » à Eva Bartlett.
C’est à Gaza en 2007 que la Canadienne a débuté sa carrière. Elle y tient alors un blog intitulé « InGaza » où elle affirme « vivre les mêmes terribles pannes de courant, les pénuries d'eau et les survols et bombardements d'avions de guerre sionistes » que les Gazaouis. Arrêtée et expulsée par les autorités israéliennes au bout de huit mois, elle revient l’année suivante à bord d’un navire tentant de forcer le blocus imposé par la marine israélienne.
Quelques années plus tard, alors que le conflit syrien éclate, Bartlett tient toujours son blog mais n’y parle plus que de la Syrie. Elle accuse régulièrement les « sionistes » d’être derrière chaque incident du conflit, insinue que « la prétendue Israël » (sic) serait derrière la création de l'organisation État islamique et se réjouit de l’intervention russe qui aurait causé la mort d’au moins 23 000 civils. Un talent rapidement reconnu par RT, où elle dispose encore aujourd’hui d’une tribune régulière.
En 2013, Bartlett co-fonde le Syria Solidarity Movement (Mouvement de solidarité avec la Syrie), qui organisera la même année une tournée américaine pour Mère Agnès-Mariam de la Croix, une nonne pro-Assad dont les déclarations sur la supposée mise en scène des attaques chimiques avaient été reprises par les médias russes. L’organisation a aussi payé 20 000 dollars à l’ex-élu démocrate Dennis Kucinich pour sa participation à une conférence pro-Assad en 2018.
Tout en siégeant au sein de son comité directeur, Eva Bartlett reçoit de cette même organisation le « Serena Shim Award » en 2017. Une récompense à travers laquelle des milliers de dollars ont été versés à d’autres figures de la propagande pro-Assad et pro-Poutine, telles que Vanessa Beeley, Max Blumenthal, Peter Ford ou encore... Julian Assange.
La même année, Bartlett effectue également un voyage en Corée du Nord organisé par le régime de Kim Jong-Un. Elle revient de Pyongyang en accusant les médias occidentaux de diaboliser le pays pour « organiser un autre massacre d’innocents par les États-Unis ».
On retrouve aussi ses interventions sur d’autres chaînes affiliées à des États autoritaires. En mai 2019, elle est par exemple invitée par l’antenne anglophone de TeleSUR, la chaîne de propagande vénézuélienne fondée par Hugo Chávez et co-financée par Cuba et le Nicaragua. Bartlett y affirme que les États-Unis seraient en train de « fabriquer une crise au Venezuela » pour justifier une « intervention » alors que Nicolás Maduro est contesté dans le pays pour sa gestion calamiteuse et sa réélection frauduleuse de 2018.
La chaîne lui donne aussi la parole sur le conflit ukrainien, comme en mars dernier où elle assiste avec de nombreux autres reporters à une distribution d’aide humanitaire russe organisée pour la propagande dans le Donbass. « Les médias occidentaux ne parleront pas de l’aide humanitaire fournie par la Russie », affirme-t-elle.
Alors que plusieurs Occidentaux ont été condamnés à la peine capitale par les autorités séparatistes sur la base d’allégations mensongères et que les Russes se prépareraient à organiser une parodie de procès pour des prisonniers de guerre ukrainiens à Marioupol, la désinformation produite par Eva Bartlett pour le Tribunal public international pour l’Ukraine finira-t-elle par se transformer en acte officiel d’exécution ? Quand plus de 50 combattants détenus par la Russie à Olenivka sont tués en captivité fin juillet, et alors que de nombreux éléments pointent en direction d'une responsabilité des services russes, la Canadienne préfère, une fois de plus, faire diversion sur son blog en accusant depuis Moscou l’Ukraine d’avoir assassiné ses propres prisonniers : « Oui, la guerre c’est moche, mais l'Ukraine relève le niveau quand il s’agit de crimes de guerre et d'hypocrisie » conclut-elle.
Voir aussi :
Eva Bartlett est-elle vraiment pro-Poutine ? « Je ne trouve pas un seul exemple d’un de mes articles ou d’une de mes vidéos où je ferais ne serait-ce que mentionner Vladimir Poutine », répond-elle à Maverick Multimedia depuis son domicile, « près de Moscou ». Le 14 juillet dernier, ce média conspirationniste américain l’invitait à venir se défendre après une enquête de CBC News la concernant, diffusée quelques jours auparavant.
La chaîne publique canadienne s’est penchée sur les Occidentaux membres du « Tribunal public international sur l’Ukraine ». Une parodie de tribunal international lancée au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par Maxim Grigoriev, directeur de la Chambre civique de la Fédération de Russie, une institution censée représenter la société civile mais créée en 2004 sur la suggestion de Vladimir Poutine en personne. Grigoriev a réuni plusieurs propagandistes venus du monde entier pour créer ce tribunal international censé enquêter sur les crimes du « régime de Kiev ».
Parmi les membres fondateurs de ce tribunal, on retrouve donc Eva Bartlett, comme le souligne CBC News qui interroge un expert de l’Institute for Strategic Dialogue (ISD) selon lequel une telle contribution ne peut se faire sans contrepartie. Plutôt que de répondre, la Canadienne a préféré réagir sur RT, la chaîne financée par le Kremlin : « Je ne crois pas un seul instant que CBC me donnerait l’opportunité de m’exprimer honnêtement. C’est une chaîne financée par le Canada qui répond aux ordres du gouvernement canadien ».
Lors de la conférence de presse de lancement du tribunal, le 1er mars, elle avançait que « les gens en Occident ne savent rien à propos des néo-nazis en Ukraine. Ils se sont fait laver le cerveau par les médias et sont prêts à soutenir l’Ukraine ». La blogueuse participe à alimenter ce faux tribunal ainsi que les médias russes avec des preuves des supposées infamies ukrainiennes en réalisant des reportages dans les Républiques séparatistes autoproclamées de Donetsk et Lougansk, ou encore à Marioupol, rasée et capturée par l’armée russe fin mai.
On n’y entend effectivement jamais parler de Vladimir Poutine, ni-même des exactions largement documentées commises par son armée. La blogueuse s’affaire au contraire à rapporter les crimes supposés des forces ukrainiennes qui seraient ignorés par les médias occidentaux.
Le 6 août dernier, dans une vidéo YouTube, Eva Bartlett explique à l’unisson des médias russes que « la terreur de l’Ukraine sur les zones civiles du centre de Donetsk se poursuit, ciblant jeudi un site funéraire dans le centre-ville ainsi que l'hôtel dans lequel je me trouvais », accusant l’Ukraine de cibler des journalistes. Deux jours plus tôt, des frappes ont en effet touché Donetsk, tuant au moins six personnes. Un incident rare dans cette ville située à 12 kilomètres du front et contrôlée par les forces pro-russes depuis 2014.
D’après d’autres médias, comme Le Monde, « faute d’ouverture de la région aux enquêteurs internationaux, il est impossible d’établir quel camp a tiré ». La vidéo de Bartlett, relayée dans les sphères complotistes par des personnes comme l'éditeur suisse Slobodan Despot, affiche plus de 11 000 vues au compteur.
Comme le précise encore Le Monde, le « centre funéraire » mentionné par la blogueuse est en fait un centre d'art dramatique où se déroulait une cérémonie en l’honneur d’une combattante pro-russe tuée la veille, récompensée du titre de « héros de la Russie » par Poutine et condamnée par contumace à douze ans de prison par la justice ukrainienne pour terrorisme.
« Cela n’a aucun sens pour nous de bombarder tel ou tel événement à Donetsk. Nous avons pour objectif de détruire trois types de cibles : les dépôts de carburant, les dépôts d’obus d’artillerie et les centres de commandement opérationnels et tactiques, afin de réduire le potentiel offensif de l’envahisseur », a commenté la présidence ukrainienne. Autant de détails que Bartlett ne mentionne pas. Un art de la diversion qu’elle maîtrise depuis des années.
En novembre 2016, bien avant de rejoindre le Tribunal de Grigoriev, elle avait participé à une conférence de presse organisée par la mission permanente de la République arabe syrienne à l’ONU. La partie orientale de la ville d’Alep était alors en train de plier sous les bombardements indiscriminés de l’aviation russe et du régime de Bachar el-Assad.
Bartlett affirme au cours de cette conférence intitulée « Contre la propagande et le changement de régime en Syrie » qu’aucune organisation de confiance n’étant présente à Alep-Est, les médias occidentaux ne disposeraient d’aucune information fiable. Elle accuse aussi les Casques blancs, des secouristes volontaires alors présents dans cette zone et qui documentaient les conséquences des bombardements, de réaliser des mises en scènes et d’être affiliés à l'organisation djihadiste Al-Qaïda. Enfin, selon elle, il ne s’agit pas d’une guerre civile mais d’un complot étranger visant à la chute de Bachar el-Assad.
La vidéo de son intervention, diffusée par RT, est un carton international. Reprise par de nombreux sites conspirationnistes jusqu’en France, elle atteint plusieurs millions de vues. Plus tard, l’ex-représentant de la Syrie aux Nations unies Bachar al-Jafaari déclarera même publiquement son « amour » à Eva Bartlett.
C’est à Gaza en 2007 que la Canadienne a débuté sa carrière. Elle y tient alors un blog intitulé « InGaza » où elle affirme « vivre les mêmes terribles pannes de courant, les pénuries d'eau et les survols et bombardements d'avions de guerre sionistes » que les Gazaouis. Arrêtée et expulsée par les autorités israéliennes au bout de huit mois, elle revient l’année suivante à bord d’un navire tentant de forcer le blocus imposé par la marine israélienne.
Quelques années plus tard, alors que le conflit syrien éclate, Bartlett tient toujours son blog mais n’y parle plus que de la Syrie. Elle accuse régulièrement les « sionistes » d’être derrière chaque incident du conflit, insinue que « la prétendue Israël » (sic) serait derrière la création de l'organisation État islamique et se réjouit de l’intervention russe qui aurait causé la mort d’au moins 23 000 civils. Un talent rapidement reconnu par RT, où elle dispose encore aujourd’hui d’une tribune régulière.
En 2013, Bartlett co-fonde le Syria Solidarity Movement (Mouvement de solidarité avec la Syrie), qui organisera la même année une tournée américaine pour Mère Agnès-Mariam de la Croix, une nonne pro-Assad dont les déclarations sur la supposée mise en scène des attaques chimiques avaient été reprises par les médias russes. L’organisation a aussi payé 20 000 dollars à l’ex-élu démocrate Dennis Kucinich pour sa participation à une conférence pro-Assad en 2018.
Tout en siégeant au sein de son comité directeur, Eva Bartlett reçoit de cette même organisation le « Serena Shim Award » en 2017. Une récompense à travers laquelle des milliers de dollars ont été versés à d’autres figures de la propagande pro-Assad et pro-Poutine, telles que Vanessa Beeley, Max Blumenthal, Peter Ford ou encore... Julian Assange.
La même année, Bartlett effectue également un voyage en Corée du Nord organisé par le régime de Kim Jong-Un. Elle revient de Pyongyang en accusant les médias occidentaux de diaboliser le pays pour « organiser un autre massacre d’innocents par les États-Unis ».
On retrouve aussi ses interventions sur d’autres chaînes affiliées à des États autoritaires. En mai 2019, elle est par exemple invitée par l’antenne anglophone de TeleSUR, la chaîne de propagande vénézuélienne fondée par Hugo Chávez et co-financée par Cuba et le Nicaragua. Bartlett y affirme que les États-Unis seraient en train de « fabriquer une crise au Venezuela » pour justifier une « intervention » alors que Nicolás Maduro est contesté dans le pays pour sa gestion calamiteuse et sa réélection frauduleuse de 2018.
La chaîne lui donne aussi la parole sur le conflit ukrainien, comme en mars dernier où elle assiste avec de nombreux autres reporters à une distribution d’aide humanitaire russe organisée pour la propagande dans le Donbass. « Les médias occidentaux ne parleront pas de l’aide humanitaire fournie par la Russie », affirme-t-elle.
Alors que plusieurs Occidentaux ont été condamnés à la peine capitale par les autorités séparatistes sur la base d’allégations mensongères et que les Russes se prépareraient à organiser une parodie de procès pour des prisonniers de guerre ukrainiens à Marioupol, la désinformation produite par Eva Bartlett pour le Tribunal public international pour l’Ukraine finira-t-elle par se transformer en acte officiel d’exécution ? Quand plus de 50 combattants détenus par la Russie à Olenivka sont tués en captivité fin juillet, et alors que de nombreux éléments pointent en direction d'une responsabilité des services russes, la Canadienne préfère, une fois de plus, faire diversion sur son blog en accusant depuis Moscou l’Ukraine d’avoir assassiné ses propres prisonniers : « Oui, la guerre c’est moche, mais l'Ukraine relève le niveau quand il s’agit de crimes de guerre et d'hypocrisie » conclut-elle.
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