Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Fidel contre le Bilderberg : le castrisme est-il soluble dans le conspirationnisme ?

Fidel Castro promeut désormais le mythe du « Nouvel Ordre Mondial », une théorie du complot qui a fait son apparition au sein de la très anticommuniste John Birch Society…

Fidel Castro (DR).

Dans une série de textes publiés entre le 15 et le 18 août sur le site web du gouvernement de La Havane (ici, et ) et repris dans Granma, l’organe officiel du Parti communiste cubain, Fidel Castro recommande la lecture de Los Secretos del Club Bilderger [Les Secrets du Club Bilderberg], le « fabuleux ouvrage » (sic) de l’auteur conspirationniste Daniel Estulin (voir Bilderberg 2010 : ce que vous ne lirez pas ailleurs). Disponibles en huit langues, ces « réflexions du compañero Fidel » consistent, pour l’essentiel, en la reproduction d’extraits entiers du livre d’Estulin, produit d’une collaboration de plus de dix ans avec Jim Tucker, du journal d’extrême droite American Free Press.

L’ancien président cubain, qui a cédé sa place à son frère en 2008, dresse un réquisitoire délirant contre le Groupe de Bilderberg, la Commission Trilatérale et le Council on Foreign Relations (CFR), des institutions qu’il accuse d’être derrière la plupart des guerres de la seconde moitié du XXème siècle (1), de contrôler le trafic de drogue international ou encore de manipuler la jeunesse à travers la musique rock.

Fidel contre le Bilderberg : le castrisme est-il soluble dans le conspirationnisme ?
Los Secretos del Club Bilderberg, de Daniel Estulin.
Castro décrit Estulin comme un « journaliste honnête » et « bien informé ». En réalité, les sources d’Estulin sont parmi les plus fantaisistes qu’on puisse concevoir. L’un des passages sélectionnés par Castro fait ainsi référence à un ouvrage de Lyndon LaRouche, Dope, Inc.. Edité pour la première fois en 1978 par l’Executive Intelligence Review, la publication phare du mouvement larouchiste, Dope, Inc. n’illustre rien moins que le renouveau contemporain d’une littérature antisémite qui ne dit pas son nom. Sous couvert de dénonciation d’un « narco-complot » britannique dans lequel les Rothschild et le B’naï B’rith joueraient un rôle majeur, le livre va jusqu’à présenter les Protocoles des Sages de Sion, le célèbre faux antijuif fabriqué par la police tsariste il y a plus d’un siècle, comme un document authentique dans lequel aurait été consignées les minutes d’un conclave de l’«Ordre de Sion», une organisation qui n’a d’existence que dans l’esprit de Lyndon LaRouche.

Fidel contre le Bilderberg : le castrisme est-il soluble dans le conspirationnisme ?
Dope, Inc. Britain's Opium War against the U.S. (EIR).

Castro cite également des extraits de The Satanic Roots of Rock [Les Racines sataniques du rock] de Donald Phau, l’un des membres de l’organisation politico-sectaire de Lyndon LaRouche, dans un passage où il fait des Beatles l’« arme secrète » d’une opération « bien planifiée et coordonnée ». Autre « source » mentionnée : Final Warning: A History of the New World Order [Avertissement final : une Histoire du Nouvel Ordre Mondial], de David A. Rivera. Ce livre, édité chez « Conspiracy » (2), se propose de retracer la généalogie d’un gouvernement mondial occulte mis en place par les « Illuminati », lesquels seraient les véritables instigateurs de la Révolution française… Plus loin, on lit que l’avènement du « Nouvel Ordre Mondial (…) signifiera la mort prématuré d’un peu plus de la moitié de la population », l’un des grands poncifs de la littérature conspirationniste (voir Le sida, la grippe aviaire, Henry Kissinger et la Torah).

Le mythe du « Nouvel Ordre Mondial » est né à la fin des années 1950 au sein de la droite américaine ultra-conservatrice avant de commencer à séduire, dans les années 1990, une partie de la gauche radicale. Les premiers à le diffuser étaient les anticommunistes viscéraux de la John Birch Society. Selon eux, le président Eisenhower était un agent soviétique et l’ONU travaillait secrètement à l’établissement d’un «gouvernement socialiste mondial».

Fidel contre le Bilderberg : le castrisme est-il soluble dans le conspirationnisme ?
Final Warning, de David Allen Rivera.
Aujourd’hui âgé de 84 ans, l’ancien président de la République de Cuba recommande des extraits qui peuvent étonner de la part de celui qui demeure Premier secrétaire du Parti communiste cubain. Ainsi Estulin présente-t-il le roman d’Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, comme le « brouillon d’un monde socialiste » que lui et ses comparses, comme Alex Jones – qui suggère que Barack Obama cherche à instaurer un régime socialiste aux Etats-Unis –, abhorrent tout particulièrement. Un autre passage accuse l’Ecole de Francfort, un courant de pensée allemand d’inspiration marxiste, et Theodor Adorno, l’un de ses plus éminents représentants, d’avoir prétendument mis en œuvre un projet du Bilderberg «visant à contrôler les masses» à travers les technologies
audiovisuelles…

Fidel Castro est loin d’en être à ses premiers dérapages conspirationnistes. En 2007, il avait publiquement pris partie en faveur de la théorie du complot sur les attentats du 11 septembre 2001 (3) tandis que la télévision cubaine avait diffusé un film faisant la part belle aux thèses révisionnistes de Thierry Meyssan, le président du Réseau Voltaire. Il y a quelques semaines, s’appuyant sur un texte de Wayne Madsen (voir « Wikileaks manipulé par la CIA » : décryptage d’une théorie du complot) et sur le site Global Research, de Michel Chossudovsky (lequel signe également des textes complotistes diffusés par le gouvernement vénézuélien), il expliquait que le torpillage de la corvette sud-coréenne Cheonan en mars dernier, attribuée à la marine de la Corée du Nord par une commission d’enquête internationale, était en réalité une opération « sous faux pavillon » montée par les services américains et visant à faire accuser le régime de Pyongyang (4).

En décernant un brevet de castrisme aux élucubrations de Meyssan, Madsen, Estulin, LaRouche et consorts, l’ancien leader révolutionnaire semble bien avoir définitivement sombré dans une paranoïa qui, on le sait, est toujours très prisée des vieux dictateurs.

 

Notes :
(1) La Deuxième Guerre mondiale aurait par exemple été « financée » par une « pieuvre ploutocratique » où l’on retrouverait les fondateurs du Bilderberg, les Rockefeller, la famille royale britannique et « l’establishment "libéral" de l’Est des Etats-Unis ». Du Vietnam aux Balkans et du Proche-Orient à l’Asie centrale, toutes les guerres auraient été programmées lors de réunions du Bilderberg. De même les attentats contre les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie (1998), pour lesquelles Oussama Ben Laden est inculpé, auraient été « l’œuvre du Mossad israélien ».
(2) Le livre, qui date de 2004, a été réédité cette année chez Progressive Press, un éditeur spécialisé dans les ouvrages à caractère conspirationniste et antisémite.
(3) « Quand on analyse l’impact d’avions semblables à ceux qui se sont précipités contre les tours et tombés par accident dans des villes très peuplées, on conclut qu’aucun appareil ne s’est écrasé sur le Pentagone et que seul un projectile a pu provoquer l’orifice rond causé par le prétendu avion » (in « L’Empire et le mensonge », Site officiel du gouvernement cubain, 11 septembre 2007). Deux ans plus tard, Castro écrivait : « Ceux qui ont peaufiné l’attentat du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles ont été entraînés par les États-Unis. (…) C’est l’organisation Al Qaeda, financée par la CIA depuis 1979 et utilisée contre l’URSS pendant la Guerre froide, qui a ourdi cette attaque vingt-deux ans après. Il existe des faits obscurs qui n’ont pas encore été suffisamment éclaircis devant l’opinion publique internationale » (in « Puissé-je me tromper ! », Site officiel du gouvernement cubain, 24 août 2009).
(4) Cf. « L’Empire et le mensonge », Site officiel du gouvernement cubain, 3 juin 2010.

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Fidel Castro (DR).

Dans une série de textes publiés entre le 15 et le 18 août sur le site web du gouvernement de La Havane (ici, et ) et repris dans Granma, l’organe officiel du Parti communiste cubain, Fidel Castro recommande la lecture de Los Secretos del Club Bilderger [Les Secrets du Club Bilderberg], le « fabuleux ouvrage » (sic) de l’auteur conspirationniste Daniel Estulin (voir Bilderberg 2010 : ce que vous ne lirez pas ailleurs). Disponibles en huit langues, ces « réflexions du compañero Fidel » consistent, pour l’essentiel, en la reproduction d’extraits entiers du livre d’Estulin, produit d’une collaboration de plus de dix ans avec Jim Tucker, du journal d’extrême droite American Free Press.

L’ancien président cubain, qui a cédé sa place à son frère en 2008, dresse un réquisitoire délirant contre le Groupe de Bilderberg, la Commission Trilatérale et le Council on Foreign Relations (CFR), des institutions qu’il accuse d’être derrière la plupart des guerres de la seconde moitié du XXème siècle (1), de contrôler le trafic de drogue international ou encore de manipuler la jeunesse à travers la musique rock.

Fidel contre le Bilderberg : le castrisme est-il soluble dans le conspirationnisme ?
Los Secretos del Club Bilderberg, de Daniel Estulin.
Castro décrit Estulin comme un « journaliste honnête » et « bien informé ». En réalité, les sources d’Estulin sont parmi les plus fantaisistes qu’on puisse concevoir. L’un des passages sélectionnés par Castro fait ainsi référence à un ouvrage de Lyndon LaRouche, Dope, Inc.. Edité pour la première fois en 1978 par l’Executive Intelligence Review, la publication phare du mouvement larouchiste, Dope, Inc. n’illustre rien moins que le renouveau contemporain d’une littérature antisémite qui ne dit pas son nom. Sous couvert de dénonciation d’un « narco-complot » britannique dans lequel les Rothschild et le B’naï B’rith joueraient un rôle majeur, le livre va jusqu’à présenter les Protocoles des Sages de Sion, le célèbre faux antijuif fabriqué par la police tsariste il y a plus d’un siècle, comme un document authentique dans lequel aurait été consignées les minutes d’un conclave de l’«Ordre de Sion», une organisation qui n’a d’existence que dans l’esprit de Lyndon LaRouche.

Fidel contre le Bilderberg : le castrisme est-il soluble dans le conspirationnisme ?
Dope, Inc. Britain's Opium War against the U.S. (EIR).

Castro cite également des extraits de The Satanic Roots of Rock [Les Racines sataniques du rock] de Donald Phau, l’un des membres de l’organisation politico-sectaire de Lyndon LaRouche, dans un passage où il fait des Beatles l’« arme secrète » d’une opération « bien planifiée et coordonnée ». Autre « source » mentionnée : Final Warning: A History of the New World Order [Avertissement final : une Histoire du Nouvel Ordre Mondial], de David A. Rivera. Ce livre, édité chez « Conspiracy » (2), se propose de retracer la généalogie d’un gouvernement mondial occulte mis en place par les « Illuminati », lesquels seraient les véritables instigateurs de la Révolution française… Plus loin, on lit que l’avènement du « Nouvel Ordre Mondial (…) signifiera la mort prématuré d’un peu plus de la moitié de la population », l’un des grands poncifs de la littérature conspirationniste (voir Le sida, la grippe aviaire, Henry Kissinger et la Torah).

Le mythe du « Nouvel Ordre Mondial » est né à la fin des années 1950 au sein de la droite américaine ultra-conservatrice avant de commencer à séduire, dans les années 1990, une partie de la gauche radicale. Les premiers à le diffuser étaient les anticommunistes viscéraux de la John Birch Society. Selon eux, le président Eisenhower était un agent soviétique et l’ONU travaillait secrètement à l’établissement d’un «gouvernement socialiste mondial».

Fidel contre le Bilderberg : le castrisme est-il soluble dans le conspirationnisme ?
Final Warning, de David Allen Rivera.
Aujourd’hui âgé de 84 ans, l’ancien président de la République de Cuba recommande des extraits qui peuvent étonner de la part de celui qui demeure Premier secrétaire du Parti communiste cubain. Ainsi Estulin présente-t-il le roman d’Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, comme le « brouillon d’un monde socialiste » que lui et ses comparses, comme Alex Jones – qui suggère que Barack Obama cherche à instaurer un régime socialiste aux Etats-Unis –, abhorrent tout particulièrement. Un autre passage accuse l’Ecole de Francfort, un courant de pensée allemand d’inspiration marxiste, et Theodor Adorno, l’un de ses plus éminents représentants, d’avoir prétendument mis en œuvre un projet du Bilderberg «visant à contrôler les masses» à travers les technologies
audiovisuelles…

Fidel Castro est loin d’en être à ses premiers dérapages conspirationnistes. En 2007, il avait publiquement pris partie en faveur de la théorie du complot sur les attentats du 11 septembre 2001 (3) tandis que la télévision cubaine avait diffusé un film faisant la part belle aux thèses révisionnistes de Thierry Meyssan, le président du Réseau Voltaire. Il y a quelques semaines, s’appuyant sur un texte de Wayne Madsen (voir « Wikileaks manipulé par la CIA » : décryptage d’une théorie du complot) et sur le site Global Research, de Michel Chossudovsky (lequel signe également des textes complotistes diffusés par le gouvernement vénézuélien), il expliquait que le torpillage de la corvette sud-coréenne Cheonan en mars dernier, attribuée à la marine de la Corée du Nord par une commission d’enquête internationale, était en réalité une opération « sous faux pavillon » montée par les services américains et visant à faire accuser le régime de Pyongyang (4).

En décernant un brevet de castrisme aux élucubrations de Meyssan, Madsen, Estulin, LaRouche et consorts, l’ancien leader révolutionnaire semble bien avoir définitivement sombré dans une paranoïa qui, on le sait, est toujours très prisée des vieux dictateurs.

 

Notes :
(1) La Deuxième Guerre mondiale aurait par exemple été « financée » par une « pieuvre ploutocratique » où l’on retrouverait les fondateurs du Bilderberg, les Rockefeller, la famille royale britannique et « l’establishment "libéral" de l’Est des Etats-Unis ». Du Vietnam aux Balkans et du Proche-Orient à l’Asie centrale, toutes les guerres auraient été programmées lors de réunions du Bilderberg. De même les attentats contre les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie (1998), pour lesquelles Oussama Ben Laden est inculpé, auraient été « l’œuvre du Mossad israélien ».
(2) Le livre, qui date de 2004, a été réédité cette année chez Progressive Press, un éditeur spécialisé dans les ouvrages à caractère conspirationniste et antisémite.
(3) « Quand on analyse l’impact d’avions semblables à ceux qui se sont précipités contre les tours et tombés par accident dans des villes très peuplées, on conclut qu’aucun appareil ne s’est écrasé sur le Pentagone et que seul un projectile a pu provoquer l’orifice rond causé par le prétendu avion » (in « L’Empire et le mensonge », Site officiel du gouvernement cubain, 11 septembre 2007). Deux ans plus tard, Castro écrivait : « Ceux qui ont peaufiné l’attentat du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles ont été entraînés par les États-Unis. (…) C’est l’organisation Al Qaeda, financée par la CIA depuis 1979 et utilisée contre l’URSS pendant la Guerre froide, qui a ourdi cette attaque vingt-deux ans après. Il existe des faits obscurs qui n’ont pas encore été suffisamment éclaircis devant l’opinion publique internationale » (in « Puissé-je me tromper ! », Site officiel du gouvernement cubain, 24 août 2009).
(4) Cf. « L’Empire et le mensonge », Site officiel du gouvernement cubain, 3 juin 2010.

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