Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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HAARP : ce qu’il faut savoir avant de se mettre à fantasmer

Tremblements de terre, tempêtes, raz-de-marée… Depuis quelques années, ils sont de plus en plus nombreux sur la Toile à attribuer l'origine de ces catastrophes naturelles à un programme de recherche américain : HAARP. Qu'y a-t-il vraiment derrière cet acronyme de cinq lettres ? Qui sont ses détracteurs ? Et comment le Parlement européen en est-il arrivé à se faire l'écho des thèses les plus extrémistes sur HAARP ?

Antennes de HAARP (crédits : Michael Kleiman, US Air Force ; Alaska, 2010)

Installé à Gakona, en Alaska, le High Frequency Active Auroral Research Program (HAARP) est co-géré par l'Université de l'Alaska et placé sous l'autorité conjointe de l'US Air Force et de l'US Navy. Construit en 1990, ses 180 antennes recouvrent 14 hectares. Elles permettent d’étudier les propriétés de l’ionosphère, la couche supérieure de l'atmosphère. Les travaux qui y sont menés relèvent de la recherche fondamentale mais pourraient avoir des finalités pratiques dans le domaine des télécommunications. Les chercheurs qui travaillent sur la station sont des scientifiques ou des étudiants venant de diverses universités américaines et étrangères. Par ailleurs, tous les deux ans, HAARP est ouvert au public pour une journée. Il existe enfin une demi-douzaine d’autres stations de ce type à travers le monde, en Russie, en Norvège, au Pérou ou au Tadjikistan. Pour les amateurs de théories du complot en revanche, HAARP est bien plus que cela.

Il s’agirait en réalité d’une « arme de destruction massive » d’un nouveau genre produisant un « rayon de la mort » capable de « griller les avions dans le ciel ». Un « système d’armement » ultrasophistiqué pouvant modifier profondément la météo, générer artificiellement des séismes et des cyclones, déclencher des pluies torrentielles ou au contraire des sécheresses, voire même influencer les comportements humains. Dans un texte relayé par les médias officiels de la République bolivarienne du Venezuela, Michel Chossudovsky (Mondialisation.ca) décrit ainsi HAARP comme faisant « partie de l'arsenal militaire du Nouvel Ordre mondial », rien de moins.

Les anti-HAARP

Comme la plupart des thèses conspirationnistes, la théorie du complot sur HAARP fonctionne en circuit fermé : ceux qui dénoncent HAARP citent, à l’appui de leurs thèses, les « travaux » d’autres « experts » afin de conférer à leur discours l’apparence du sérieux. Nous allons voir qu’il s’agit toujours des mêmes individus qui, en définitive, défendent peu ou prou les mêmes thèses.

HAARP : ce qu’il faut savoir avant de se mettre à fantasmer
Nick Begich (capture d'écran InfoWars.com).

Nick Begich est sans doute le plus célèbre des activistes anti-HAARP. Cet adepte des médecines non conventionnelles est parfois présenté comme le directeur du Lay Institute On Technology. On pense, au premier abord, avoir affaire à un scientifique crédible à la tête d’un institut de recherche digne de ce nom. En fait d’institut de recherche, le Lay Institute est une compagnie privée à but non-lucratif fondée en 2004 par une certaine Dorothy Lay et… Nick Begich.

Begich se présente lui-même en accolant à son patronyme le titre de «docteur». En réalité, il s’est vu décerner en 1994 un doctorat honoris causa de « médecine alternative » par un obscur établissement privé sri-lankais (The Open International University for Complementary Medicines) qui ne fait l’objet d’aucune reconnaissance officielle et dont les diplômes - à supposer qu'il en délivre - n’ont par conséquent aucune valeur. Pour avoir une idée des centres d’intérêt de Nick Begich, il faut s’arrêter un instant sur son site internet, Earthpulse.com, où sont vendus en ligne, pour un peu moins de 200 dollars, des appareils servant à « accroître les capacités cérébrales », toutes sortes de compléments alimentaires à base de plantes, ainsi qu’une gamme complète de « nutriments nanotroniques » (sic).

Begich est un habitué de l’émission de radio d’Alex Jones où il intervient régulièrement comme « expert » (il y est passé à trois reprises pour le seul premier trimestre 2011). Il n’a aucune compétence scientifique avérée. Ce qui ne l’empêche pas de suggérer que HAARP peut contrôler l’esprit humain, provoquer tremblements de terre et tsunamis, ou encore être à l’origine de la pluie d’oiseaux morts qui a eu lieu début janvier 2011 (1)...

En septembre 1995, Begich a autoédité son premier ouvrage sur HAARP, écrit à quatre mains avec une « journaliste indépendante » spécialisée dans « l’énergie libre » (2) et la « fusion froide » (3), Jeane Manning.

HAARP : ce qu’il faut savoir avant de se mettre à fantasmer
Les Anges ne jouent pas de cette HAARP, de Jeane Manning & Nick Begich (2003).

Intitulé Angels Don't Play This Haarp: Advances in Tesla Technology (4), le livre a été édité en français en 2003 par Louise Courteau sous le titre Les anges ne jouent pas de cette HAARP (ci-contre). Un coup d’œil sur le catalogue de cette éditrice québécoise permet d’apprécier le niveau de sérieux de Nick Begich. On y trouve Energie libre et technologies, de Jeane Manning, sa co-auteure ; Chemtrails, du conspirationniste canadien Nenki (les traces de fumées blanches laissées dans le ciel par les avions seraient en fait des épandages de produits chimiques visant à contrôler la population en la rendant plus docile) ; Le Plus grand secret et Les Enfants de la Matrice de David Icke (sur le grand complot des extraterrestres reptiliens), Mafia ou Démocratie de l’ineffable Christian Cotten ; Le gouvernement secret de William Milton Cooper (sur le complot du Majestic Twelve) ou encore le Livre jaune n°1 de Jan van Helsing.

Nick Begich fonde ses spéculations sur les thèses de Bernard Eastlund, un géophysicien aujourd’hui décédé qui doit l’essentiel de sa notoriété au fait qu’il est l’auteur de brevets ayant servi – parmi d’autres – à développer le programme HAARP. Selon Eastlund, HAARP serait capable de dévier des ouragans au moyen d’un rayon électromagnétique. Une thèse qu’aucun témoignage de scientifiques travaillant à la station de Gakona n’a jamais corroborée.

C’est une longue interview de Bernard Eastlund qui constitue le fil rouge du film Holes in Heaven? HAARP & Advances In Tesla Technology [Des trous dans le Ciel ? HAARP et les progrès de la technologie Tesla] (5). Directement inspiré des publications conspirationnistes sur le sujet, ce documentaire de 1998 est, sous des apparences d’objectivité (deux représentants officiels de HAARP y sont interviewés) un véritable réquisitoire contre la station de recherche américaine. Nick Begich et Jeane Manning sont naturellement longuement interviewés. Autre « expert » à intervenir dans le film : Brooks Agnew, un tenant de la théorie de la Terre creuse

HAARP : ce qu’il faut savoir avant de se mettre à fantasmer
HAARP, de Jerry E. Smith (1998).

Fervent partisan de toutes sortes de théories du complot sur les chemtrails, les ovnis, le « Nouvel Ordre mondial », les francs-maçons et les « Illuminati » (6), Jerry Smith recommande vivement le film Holes in Heaven. Lui-même a exploité le filon en publiant HAARP: The Ultimate Weapon of the Conspiracy [HAARP, l’Arme ultime de la Conspiration] (7) et Weather Warfare [Guerre météorologique] (8). En 2009, Jerry Smith est apparu à son tour comme « expert » du programme HAARP dans l’émission Conspiracy Theory de Jesse Ventura. On y retrouve – ô surprise – Brooks Agnew, Robert Eastlund (le fils de Bernard Eastlund) ainsi que Nick Begich. Ce dernier fait écouter de la musique à son interlocuteur à l’aide d’un lecteur CD équipé de « transducteurs piézoélectriques ». La démonstration est censée prouver que HAARP peut contrôler les esprits.

En France, les éditions Carnot de Patrick Pasin (qui ont édité L’Effroyable imposture de Thierry Meyssan ainsi que d’autres ouvrages conspirationnistes sur le premier pas de l’homme sur la Lune, la mort de Lady Di ou les ovnis), ont apparemment été les premières à s’engouffrer dans la brèche de la théorie du complot sur HAARP en publiant, dès 2001, Les armes de l'ombre, d'un ancien militaire français spécialisé dans les radars, Marc Filterman.

Il n’est pas exagéré de dire que la théorie du complot sur HAARP est devenue l’un des mythes contemporains les plus populaires du monde, au point qu’il a donné son nom à un album live du groupe de rock Muse, en raison des grandes antennes présentes sur la scène, qui rappellent l’installation basée en Alaska. HAARP inspire aussi les romanciers, comme Jean-Paul Jody, auteur d’un thriller conspirationniste intitulé La Route de Gakona publié aux éditions du Seuil en 2009. Certains sont parvenus à convertir en monnaie sonnante et trébuchante les inquiétudes légitimes nées de ce programme de recherche. Toutefois, la théorie du complot serait peut-être restée confidentielle si elle n’avait pas bénéficié d’une caution de poids : celle du Parlement européen.

Lobbying conspirationniste à Bruxelles

En 1995, l’année même de la publication du livre de Nick Begich et Jeane Manning, une proposition de résolution (9) est déposée au Parlement européen (PE) par la députée finlandaise Elisabeth Rehn sur « l'utilisation potentielle des ressources à caractère militaire pour les stratégies environnementales ». La proposition est renvoyée, pour examen au fond, à la Commission des affaires étrangères, de la sécurité et de la politique de défense du PE. L’eurodéputée belge Magda Aelvoet, présidente du Groupe des Verts et membre de la Commission des affaires étrangères, acquiert la conviction que HAARP est un système d’armement secret de nature à menacer les libertés publiques. C’est en tous cas ce que rapporte un article très favorable aux thèses de Begich, publié en novembre 1997 dans un magazine télé belge (10). Son auteur, Alain Gossens, est décédé l’année dernière. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’Alain Gossens était, sous le pseudonyme de KarmaOne, le fondateur du site conspirationniste Karmapolis (11), tout entier dédié à propager des théories du complot sur le 11-Septembre, les extraterrestres, les « hélicoptères noirs », de prétendus camps de concentration mis en place par le gouvernement américain, etc.

Selon Gossens, une scientifique du nom de Rosalie Bertell « affirme que les Américains expérimentent à l'insu de tous et surtout au mépris des conventions internationales » des armements ayant « tous pour but de jouer avec l'ionosphère ou avec certaines ondes ». Rosalie Bertell est à la tête d’une modeste ONG canadienne au nom ronflant, l’International Institute of Concern for Public Health. Membre du « Comité Européen pour les Risques des Radiations », un groupe informel créé à l’initiative des Verts au Parlement européen, elle soutient depuis plusieurs années la théorie conspirationniste sur les chemtrails selon laquelle le gouvernement américain se livrerait à des épandages de produits chimiques dans l’atmosphère laissant de longues traces blanches dans le ciel (voir la vidéo). Elle est parfois présentée comme une « ancienne proche conseillère scientifique du président américain Jimmy Carter » mais étrangement, on ne retrouve rien de tel dans sa biographie officielle, pourtant détaillée.

Du côté du Parlement européen, Magda Aelvoet se voit emboîter le pas par une députée suédoise, membre comme elle de la Commission des affaires étrangères, Maj Britt Theorin (PSE), qui se lance dans la rédaction d’un rapport (12) sur le sujet. C’est dans le cadre de l'élaboration de ce rapport que le 5 février 1998, une sous-commission du PE (qui n’a absolument rien à voir avec une « commission d’enquête parlementaire », comme on le lit parfois sur Internet) organise, à Bruxelles (et non au siège du Parlement, à Strasbourg), une audition publique portant sur le programme HAARP et les armes non létales. La première partie de l’après-midi est consacrée exclusivement à HAARP. Les débats sont modérés par le président de la Commission des affaires étrangères du PE, le Britannique Tom Spencer (PPE). Deux intervenants sont invités à venir faire part de leur expertise : il s’agit de Nick Begich et Rosalie Bertell.

Les Etats-Unis et l'OTAN, conviés à cette réunion, décident de ne pas donner suite à l’invitation qui leur est faite (13). Les Américains ont-ils quelque chose à cacher ? Ou refusent-ils tout simplement de cautionner, par leur présence, une caricature de débat avec des interlocuteurs qu’ils considèrent comme dénués de crédibilité ? Toujours est-il que les deux « experts » défendent pendant deux heures environ, et sans contradicteur, la thèse selon laquelle HAARP est bien plus qu’une simple station de recherche sur la ionosphère. Un document rédigé par Rosalie Bertell et présentant HAARP comme un système d'armement est même distribué parmi le public. Pour prendre conscience du niveau d’intoxication atteint, il faut lire le procès verbal de l'audition reproduit sur le site du Parlement européen qui présente complaisamment le livre de Nick Begich comme « l’une des principales publications sur le sujet » et n’hésite pas à lui donner du « docteur ». Pourtant, on l’a compris, demander à Nick Begich de parler de HAARP, c’est un peu comme demander à un militant anti-avortement de faire un exposé objectif sur les risques médicaux d'une IVG.

HAARP : ce qu’il faut savoir avant de se mettre à fantasmer
Maj Britt Theorin (DR).

Une seconde audition publique est organisée le 19 mai 1998, toujours sous la présidence de Tom Spencer. Cette fois-ci, Deniz Yüksel-Beten, du Comité sur les défis de la société moderne de l'OTAN, est présente. Elle précise toutefois qu'elle n'est pas en mesure de répondre sur les effets des armes non létales sur l'environnement (14).

Le rapport définitif de Maj Britt Theorin est déposé le 14 janvier 1999. Il se base, explicitement, sur les éléments apportés par Nick Begich et Rosalie Bertell (15). On y lit, sans surprise, que HAARP est « un système d'armement modifiant le climat » consistant en une « manipulation de l'environnement à des fins militaires ».

Deux semaines plus tard, lors des débats en session plénière, Maj Britt Theorin demande à la Commission européenne de rédiger un livre vert sur les activités militaires ayant un impact sur l’environnement ainsi qu’un rapport sur les implications sanitaires et environnementales du programme HAARP. La Commissaire européenne à l’environnement, Ritt Bjerregaard, fait valoir qu’elle ne peut accéder à de telles demandes, qui outrepassent la compétence de la Commission de Bruxelles (16). Le lendemain, le PE adopte une résolution (17) dont les points 24 à 26 concernent HAARP. Le programme de recherche américain n’est plus directement décrit comme « un système d’armement ». Il est néanmoins qualifié de « problème d'une portée mondiale ».

Nous sommes fin janvier 1999. Tom Spencer est arrêté à l’aéroport d’Heathrow en possession de cannabis et d’une vidéo pornographique gay. Sa carrière s’interrompt. Il décrit lui-même cet acte comme « extraordinairement stupide », reconnaît qu’il s’est procuré la drogue lors d’un séjour à Amsterdam et précise qu’il n’a jamais nié être homosexuel. Douze ans plus tard, sa version des faits n’a pas varié. Mais selon un sujet d’I-Télé diffusé le 2 octobre 2008, qui reprend la thèse selon laquelle HAARP est bel et bien une arme météorologique secrète, Tom Spencer aurait été victime d’un coup monté par les services secrets américains afin de « déstabiliser la commission d’enquête »« commission d’enquête » dont nous avons pourtant vu qu’elle n’en était pas une...

Retour à la raison ?

Luc Mampaey travaille pour le GRIP, un centre de recherche indépendant basé à Bruxelles. Il est l’auteur d’un mémoire sur HAARP (18), rédigé dans le cadre d’un diplôme d'études spécialisées en Gestion de l'environnement. Convié lui aussi comme intervenant par la Commission des affaires étrangères du PE pour parler des armes non létales, Mampaey semble avoir été influencé par les thèses de Nick Begich et Rosalie Bertell dont il a fait la connaissance à Bruxelles en 1998. L’étude de Luc Mampaey, disponible sur Internet, a certainement contribué à donner du crédit à des individus comme Begich – présenté, sans plus de précisions, comme un « scientifique indépendant ». Néanmoins, malgré la reconnaissance qu’il témoigne, dès le début de son exposé, à Begich, Bertell ou encore Alain Gossens, et les inquiétudes, sans doute légitimes, qu’il nourrit à l’égard de l’impact que pourraient avoir sur l’environnement l’utilisation d’armes climatiques, Luc Mampaey se garde de franchir le pas qui l’entraînerait sur le chemin de la théorie du complot.

« Il se passe rarement un mois, explique-t-il, sans que je sois interpellé par un journaliste intrigué ou un citoyen inquiet. Il y a quelques semaines, un certain Laurent me demandait par courriel si je pensais que HAARP pouvait être à l’origine du cyclone Nargis en Birmanie. Non, bien entendu. Mais une mise au point n’est pas inutile : Internet regorge de rumeurs et d’élucubrations les plus folles au sujet du programme HAARP. Il est important de savoir les débusquer et de garder l’esprit critique si nous voulons qu’un débat sérieux soit mené sur ces questions » (19).

Luc Mampaey semble aujourd'hui vouloir tourner la page et assure qu’il « ne cautionne absolument aucune des élucubrations qui circulent sur la toile à propos de ce programme ». Nous lui laissons donc le mot de la fin :

« Chaque catastrophe – tsunami, tornade, séisme en Haïti ou au Chili – donne l’occasion à quelques hurluberlus de relancer leurs théories du complot. C’est non seulement non fondé. Mais c’est aussi très dommageable pour la crédibilité du débat et du travail de sensibilisation et d’information que nous poursuivons pour attirer l’attention des décideurs sur les conséquences et enjeux de certaines activités militaires. HAARP est certes un programme militaire, dont les retombées permettront vraisemblablement quelques avancées technologiques utiles aux militaires, y compris dans des domaines touchant à l’environnement, mais principalement en ce qui concerne les télécommunications. Mais rien de ce qui se fait actuellement en Alaska n’est vraiment "secret" : de nombreuses universités collaborent à ce projet, ainsi que d’autres stations de recherches ionosphériques, notamment la station européenne de Tromsø en Norvège pour certaines expériences communes. Il y a bien longtemps que je n’essaie plus de répondre ou d’argumenter face à la meute de farfelus qui se sont emparés de ce sujet, j’y passerais en effet mes journées » (20).

 

Notes :
(1) Cf. Jean-Denis Renard, « Le faux mystère des oiseaux morts », Ouest-France, 8 janvier 2011.
(2) Sous ce terme d’« énergie libre », la plupart des détracteurs du programme HAARP font référence à une hypothétique énergie gratuite et non-polluante théorisée par l’ingénieur Nikola Tesla (1856-1943). Selon eux, Tesla aurait découvert une méthode permettant de canaliser et d’utiliser cette « énergie libre » que les compagnies pétrolières et le « complexe militaro-industriel » s’ingénieraient à maintenir secrète depuis des décennies.
(3) Sur ce sujet, lire Pascal Lapointe, « Fusion froide : anniversaire d’un dérapage », Agence Science-Presse, 23 mars 2009.
(4) Ce livre a été suivi d’un deuxième, également autoédité, portant sur les technologies militaires de contrôle de l’esprit humain (Controlling the Human Mind: The Technologies of Political Control or Tools for Peak Performance, Earthpulse Press, août 2006).
(5) Holes in Heaven? HAARP & Advances In Tesla Technology, de Paula Randol-Smith et Wendy Robbins, 1998 (voir la vidéo).
(6) Jerry Smith a cofondé en 1991 avec Jim Keith (auteur d’un livre sur les « hélicoptères noirs du Nouvel Ordre mondial », l’un des mythes conspirationnistes contemporains les plus répandus au sein de l’extrême droite américaine) un musée des ovnis, le National UFO Museum, dont il s’est occupé jusqu’en 1994. Il a également collaboré, sous le pseudo de « jarod o'danu », à Dharma Combat, un magazine underground dirigé par Jim Keith et spécialisé dans la théorie du complot, allant des enlèvements d’humains par des extra-terrestres au grand complot mondial des « Iluminati ». Jerry Smith a enfin participé au magazine américain Paranoia: The Conspiracy Reader. Voir également le site internet de Jerry Smith.
(7) Jerry E. Smith, HAARP: The Ultimate Weapon of the Conspiracy, Adventures Unlimited Press, 1998.
(8) Jerry E. Smith, Weather Warfare: The Military's Plan To Draft Mother Nature, Adventures Unlimited Press, 2006. La consultation du catalogue de cette maison d’édition n’est pas sans intérêt.
(9) Proposition de résolution B4-0551/95.
(10) Alain Gossens, « L’Arme ultime ! Les Anges ne jouent pas de cette HAARP ! », Télémoustique, novembre 1997. Reproduit sur le site de François Pierre, alias Nenki (Conspiration.cc).
(11) Le co-fondateur, Bruno Michelet, est connu sous le pseudo de Karmatoo.
(12) La députée aurait rédigé ce rapport « de sa propre initiative » si l’on en croit l'European Report du 3 février 1999 (cf. « EU Lacks Jurisdiction to Trace Links Between Environment and Defense », p. 35).
(13) L’Alliance atlantique a malgré tout fait savoir qu’elle n’a pas de politique en la matière et qu'elle n'était donc pas en mesure d'envoyer un expert devant le PE. Source : Parlement européen, Direct Info du 5 février 1998.
(14) Source : Parlement européen, Direct Info du 20 mai 1998.
(15) Cela est d’ailleurs précisé en note de bas de page n°24, p. 21.
(16) Cf. « EU Lacks Jurisdiction to Trace Links Between Environment and Defense », art. cit. Contrairement à ce que l'on peut lire dans un texte de Michel Chossudovsky, l'European Report du 3 février 1999 n'indique à aucun moment que la demande faite à la Commission (et pas "par" la Commission) de rédiger un livre vert aurait été « rejetée de façon cavalière ». La teneur des débats est rapportée assez sobrement :
“Responding for the European Commission, Environment Commissioner Ritt Bjerregaard indicated that a significant proportion of food aid granted in the context of the Lomé Convention is destined to help resolve the problem of desertification. She went on to recall that the use of military resources remains the sole preserve of national authorities and not the Commission. Mrs Bjerregaard was not therefore in a position to guarantee the implementation of the recommendations put forward by the rapporteur: she was unable to accede to the Mrs Theorin’s request that the Commission draw up a Green Paper on military activities with an environmental impact, or her calls for a report on the impact on the environment and public health of the Antarctic HAARP programme (High Frequency Active Auroral Research project).”
(17) Résolution A4-0005/1999 sur l'environnement, la sécurité et la politique étrangère.
A noter que la résolution demande également au Science and Technology Options Assessment (l'organe du PE chargé de l'évaluation des choix scientifiques et techniques), « d'accepter d'examiner les preuves scientifiques et techniques fournies par tous les résultats existants de la recherche sur le programme HAARP aux fins d'évaluer la nature et l'ampleur exactes du danger que HAARP représente pour l'environnement local et mondial et pour la santé publique en général ». De toute évidence, le STOA n'a pas donné suite à cette demande.
(18) Mémoire publié par la suite par le GRIP sous la forme d'un rapport intitulé « Le Programme HAARP : science ou désastre ? » (octobre 1998).
(19) Luc Mampaey, « La Convention ENMOD et le Programme HAARP : enjeux et portée », Note d’analyse du GRIP, 12 juin 2008.
(20) Propos recueillis par Arnaud Lefebvre pour Conspiracy Watch (échange de courriels avec Luc Mampaey en date du 10 mars 2010).

 

Voir aussi, sur Conspiracy Watch :

Le régime d'Hugo Chávez accuse les Etats-Unis d'avoir causé le séisme à Haïti

Pour aller plus loin :

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Antennes de HAARP (crédits : Michael Kleiman, US Air Force ; Alaska, 2010)

Installé à Gakona, en Alaska, le High Frequency Active Auroral Research Program (HAARP) est co-géré par l'Université de l'Alaska et placé sous l'autorité conjointe de l'US Air Force et de l'US Navy. Construit en 1990, ses 180 antennes recouvrent 14 hectares. Elles permettent d’étudier les propriétés de l’ionosphère, la couche supérieure de l'atmosphère. Les travaux qui y sont menés relèvent de la recherche fondamentale mais pourraient avoir des finalités pratiques dans le domaine des télécommunications. Les chercheurs qui travaillent sur la station sont des scientifiques ou des étudiants venant de diverses universités américaines et étrangères. Par ailleurs, tous les deux ans, HAARP est ouvert au public pour une journée. Il existe enfin une demi-douzaine d’autres stations de ce type à travers le monde, en Russie, en Norvège, au Pérou ou au Tadjikistan. Pour les amateurs de théories du complot en revanche, HAARP est bien plus que cela.

Il s’agirait en réalité d’une « arme de destruction massive » d’un nouveau genre produisant un « rayon de la mort » capable de « griller les avions dans le ciel ». Un « système d’armement » ultrasophistiqué pouvant modifier profondément la météo, générer artificiellement des séismes et des cyclones, déclencher des pluies torrentielles ou au contraire des sécheresses, voire même influencer les comportements humains. Dans un texte relayé par les médias officiels de la République bolivarienne du Venezuela, Michel Chossudovsky (Mondialisation.ca) décrit ainsi HAARP comme faisant « partie de l'arsenal militaire du Nouvel Ordre mondial », rien de moins.

Les anti-HAARP

Comme la plupart des thèses conspirationnistes, la théorie du complot sur HAARP fonctionne en circuit fermé : ceux qui dénoncent HAARP citent, à l’appui de leurs thèses, les « travaux » d’autres « experts » afin de conférer à leur discours l’apparence du sérieux. Nous allons voir qu’il s’agit toujours des mêmes individus qui, en définitive, défendent peu ou prou les mêmes thèses.

HAARP : ce qu’il faut savoir avant de se mettre à fantasmer
Nick Begich (capture d'écran InfoWars.com).

Nick Begich est sans doute le plus célèbre des activistes anti-HAARP. Cet adepte des médecines non conventionnelles est parfois présenté comme le directeur du Lay Institute On Technology. On pense, au premier abord, avoir affaire à un scientifique crédible à la tête d’un institut de recherche digne de ce nom. En fait d’institut de recherche, le Lay Institute est une compagnie privée à but non-lucratif fondée en 2004 par une certaine Dorothy Lay et… Nick Begich.

Begich se présente lui-même en accolant à son patronyme le titre de «docteur». En réalité, il s’est vu décerner en 1994 un doctorat honoris causa de « médecine alternative » par un obscur établissement privé sri-lankais (The Open International University for Complementary Medicines) qui ne fait l’objet d’aucune reconnaissance officielle et dont les diplômes - à supposer qu'il en délivre - n’ont par conséquent aucune valeur. Pour avoir une idée des centres d’intérêt de Nick Begich, il faut s’arrêter un instant sur son site internet, Earthpulse.com, où sont vendus en ligne, pour un peu moins de 200 dollars, des appareils servant à « accroître les capacités cérébrales », toutes sortes de compléments alimentaires à base de plantes, ainsi qu’une gamme complète de « nutriments nanotroniques » (sic).

Begich est un habitué de l’émission de radio d’Alex Jones où il intervient régulièrement comme « expert » (il y est passé à trois reprises pour le seul premier trimestre 2011). Il n’a aucune compétence scientifique avérée. Ce qui ne l’empêche pas de suggérer que HAARP peut contrôler l’esprit humain, provoquer tremblements de terre et tsunamis, ou encore être à l’origine de la pluie d’oiseaux morts qui a eu lieu début janvier 2011 (1)...

En septembre 1995, Begich a autoédité son premier ouvrage sur HAARP, écrit à quatre mains avec une « journaliste indépendante » spécialisée dans « l’énergie libre » (2) et la « fusion froide » (3), Jeane Manning.

HAARP : ce qu’il faut savoir avant de se mettre à fantasmer
Les Anges ne jouent pas de cette HAARP, de Jeane Manning & Nick Begich (2003).

Intitulé Angels Don't Play This Haarp: Advances in Tesla Technology (4), le livre a été édité en français en 2003 par Louise Courteau sous le titre Les anges ne jouent pas de cette HAARP (ci-contre). Un coup d’œil sur le catalogue de cette éditrice québécoise permet d’apprécier le niveau de sérieux de Nick Begich. On y trouve Energie libre et technologies, de Jeane Manning, sa co-auteure ; Chemtrails, du conspirationniste canadien Nenki (les traces de fumées blanches laissées dans le ciel par les avions seraient en fait des épandages de produits chimiques visant à contrôler la population en la rendant plus docile) ; Le Plus grand secret et Les Enfants de la Matrice de David Icke (sur le grand complot des extraterrestres reptiliens), Mafia ou Démocratie de l’ineffable Christian Cotten ; Le gouvernement secret de William Milton Cooper (sur le complot du Majestic Twelve) ou encore le Livre jaune n°1 de Jan van Helsing.

Nick Begich fonde ses spéculations sur les thèses de Bernard Eastlund, un géophysicien aujourd’hui décédé qui doit l’essentiel de sa notoriété au fait qu’il est l’auteur de brevets ayant servi – parmi d’autres – à développer le programme HAARP. Selon Eastlund, HAARP serait capable de dévier des ouragans au moyen d’un rayon électromagnétique. Une thèse qu’aucun témoignage de scientifiques travaillant à la station de Gakona n’a jamais corroborée.

C’est une longue interview de Bernard Eastlund qui constitue le fil rouge du film Holes in Heaven? HAARP & Advances In Tesla Technology [Des trous dans le Ciel ? HAARP et les progrès de la technologie Tesla] (5). Directement inspiré des publications conspirationnistes sur le sujet, ce documentaire de 1998 est, sous des apparences d’objectivité (deux représentants officiels de HAARP y sont interviewés) un véritable réquisitoire contre la station de recherche américaine. Nick Begich et Jeane Manning sont naturellement longuement interviewés. Autre « expert » à intervenir dans le film : Brooks Agnew, un tenant de la théorie de la Terre creuse

HAARP : ce qu’il faut savoir avant de se mettre à fantasmer
HAARP, de Jerry E. Smith (1998).

Fervent partisan de toutes sortes de théories du complot sur les chemtrails, les ovnis, le « Nouvel Ordre mondial », les francs-maçons et les « Illuminati » (6), Jerry Smith recommande vivement le film Holes in Heaven. Lui-même a exploité le filon en publiant HAARP: The Ultimate Weapon of the Conspiracy [HAARP, l’Arme ultime de la Conspiration] (7) et Weather Warfare [Guerre météorologique] (8). En 2009, Jerry Smith est apparu à son tour comme « expert » du programme HAARP dans l’émission Conspiracy Theory de Jesse Ventura. On y retrouve – ô surprise – Brooks Agnew, Robert Eastlund (le fils de Bernard Eastlund) ainsi que Nick Begich. Ce dernier fait écouter de la musique à son interlocuteur à l’aide d’un lecteur CD équipé de « transducteurs piézoélectriques ». La démonstration est censée prouver que HAARP peut contrôler les esprits.

En France, les éditions Carnot de Patrick Pasin (qui ont édité L’Effroyable imposture de Thierry Meyssan ainsi que d’autres ouvrages conspirationnistes sur le premier pas de l’homme sur la Lune, la mort de Lady Di ou les ovnis), ont apparemment été les premières à s’engouffrer dans la brèche de la théorie du complot sur HAARP en publiant, dès 2001, Les armes de l'ombre, d'un ancien militaire français spécialisé dans les radars, Marc Filterman.

Il n’est pas exagéré de dire que la théorie du complot sur HAARP est devenue l’un des mythes contemporains les plus populaires du monde, au point qu’il a donné son nom à un album live du groupe de rock Muse, en raison des grandes antennes présentes sur la scène, qui rappellent l’installation basée en Alaska. HAARP inspire aussi les romanciers, comme Jean-Paul Jody, auteur d’un thriller conspirationniste intitulé La Route de Gakona publié aux éditions du Seuil en 2009. Certains sont parvenus à convertir en monnaie sonnante et trébuchante les inquiétudes légitimes nées de ce programme de recherche. Toutefois, la théorie du complot serait peut-être restée confidentielle si elle n’avait pas bénéficié d’une caution de poids : celle du Parlement européen.

Lobbying conspirationniste à Bruxelles

En 1995, l’année même de la publication du livre de Nick Begich et Jeane Manning, une proposition de résolution (9) est déposée au Parlement européen (PE) par la députée finlandaise Elisabeth Rehn sur « l'utilisation potentielle des ressources à caractère militaire pour les stratégies environnementales ». La proposition est renvoyée, pour examen au fond, à la Commission des affaires étrangères, de la sécurité et de la politique de défense du PE. L’eurodéputée belge Magda Aelvoet, présidente du Groupe des Verts et membre de la Commission des affaires étrangères, acquiert la conviction que HAARP est un système d’armement secret de nature à menacer les libertés publiques. C’est en tous cas ce que rapporte un article très favorable aux thèses de Begich, publié en novembre 1997 dans un magazine télé belge (10). Son auteur, Alain Gossens, est décédé l’année dernière. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’Alain Gossens était, sous le pseudonyme de KarmaOne, le fondateur du site conspirationniste Karmapolis (11), tout entier dédié à propager des théories du complot sur le 11-Septembre, les extraterrestres, les « hélicoptères noirs », de prétendus camps de concentration mis en place par le gouvernement américain, etc.

Selon Gossens, une scientifique du nom de Rosalie Bertell « affirme que les Américains expérimentent à l'insu de tous et surtout au mépris des conventions internationales » des armements ayant « tous pour but de jouer avec l'ionosphère ou avec certaines ondes ». Rosalie Bertell est à la tête d’une modeste ONG canadienne au nom ronflant, l’International Institute of Concern for Public Health. Membre du « Comité Européen pour les Risques des Radiations », un groupe informel créé à l’initiative des Verts au Parlement européen, elle soutient depuis plusieurs années la théorie conspirationniste sur les chemtrails selon laquelle le gouvernement américain se livrerait à des épandages de produits chimiques dans l’atmosphère laissant de longues traces blanches dans le ciel (voir la vidéo). Elle est parfois présentée comme une « ancienne proche conseillère scientifique du président américain Jimmy Carter » mais étrangement, on ne retrouve rien de tel dans sa biographie officielle, pourtant détaillée.

Du côté du Parlement européen, Magda Aelvoet se voit emboîter le pas par une députée suédoise, membre comme elle de la Commission des affaires étrangères, Maj Britt Theorin (PSE), qui se lance dans la rédaction d’un rapport (12) sur le sujet. C’est dans le cadre de l'élaboration de ce rapport que le 5 février 1998, une sous-commission du PE (qui n’a absolument rien à voir avec une « commission d’enquête parlementaire », comme on le lit parfois sur Internet) organise, à Bruxelles (et non au siège du Parlement, à Strasbourg), une audition publique portant sur le programme HAARP et les armes non létales. La première partie de l’après-midi est consacrée exclusivement à HAARP. Les débats sont modérés par le président de la Commission des affaires étrangères du PE, le Britannique Tom Spencer (PPE). Deux intervenants sont invités à venir faire part de leur expertise : il s’agit de Nick Begich et Rosalie Bertell.

Les Etats-Unis et l'OTAN, conviés à cette réunion, décident de ne pas donner suite à l’invitation qui leur est faite (13). Les Américains ont-ils quelque chose à cacher ? Ou refusent-ils tout simplement de cautionner, par leur présence, une caricature de débat avec des interlocuteurs qu’ils considèrent comme dénués de crédibilité ? Toujours est-il que les deux « experts » défendent pendant deux heures environ, et sans contradicteur, la thèse selon laquelle HAARP est bien plus qu’une simple station de recherche sur la ionosphère. Un document rédigé par Rosalie Bertell et présentant HAARP comme un système d'armement est même distribué parmi le public. Pour prendre conscience du niveau d’intoxication atteint, il faut lire le procès verbal de l'audition reproduit sur le site du Parlement européen qui présente complaisamment le livre de Nick Begich comme « l’une des principales publications sur le sujet » et n’hésite pas à lui donner du « docteur ». Pourtant, on l’a compris, demander à Nick Begich de parler de HAARP, c’est un peu comme demander à un militant anti-avortement de faire un exposé objectif sur les risques médicaux d'une IVG.

HAARP : ce qu’il faut savoir avant de se mettre à fantasmer
Maj Britt Theorin (DR).

Une seconde audition publique est organisée le 19 mai 1998, toujours sous la présidence de Tom Spencer. Cette fois-ci, Deniz Yüksel-Beten, du Comité sur les défis de la société moderne de l'OTAN, est présente. Elle précise toutefois qu'elle n'est pas en mesure de répondre sur les effets des armes non létales sur l'environnement (14).

Le rapport définitif de Maj Britt Theorin est déposé le 14 janvier 1999. Il se base, explicitement, sur les éléments apportés par Nick Begich et Rosalie Bertell (15). On y lit, sans surprise, que HAARP est « un système d'armement modifiant le climat » consistant en une « manipulation de l'environnement à des fins militaires ».

Deux semaines plus tard, lors des débats en session plénière, Maj Britt Theorin demande à la Commission européenne de rédiger un livre vert sur les activités militaires ayant un impact sur l’environnement ainsi qu’un rapport sur les implications sanitaires et environnementales du programme HAARP. La Commissaire européenne à l’environnement, Ritt Bjerregaard, fait valoir qu’elle ne peut accéder à de telles demandes, qui outrepassent la compétence de la Commission de Bruxelles (16). Le lendemain, le PE adopte une résolution (17) dont les points 24 à 26 concernent HAARP. Le programme de recherche américain n’est plus directement décrit comme « un système d’armement ». Il est néanmoins qualifié de « problème d'une portée mondiale ».

Nous sommes fin janvier 1999. Tom Spencer est arrêté à l’aéroport d’Heathrow en possession de cannabis et d’une vidéo pornographique gay. Sa carrière s’interrompt. Il décrit lui-même cet acte comme « extraordinairement stupide », reconnaît qu’il s’est procuré la drogue lors d’un séjour à Amsterdam et précise qu’il n’a jamais nié être homosexuel. Douze ans plus tard, sa version des faits n’a pas varié. Mais selon un sujet d’I-Télé diffusé le 2 octobre 2008, qui reprend la thèse selon laquelle HAARP est bel et bien une arme météorologique secrète, Tom Spencer aurait été victime d’un coup monté par les services secrets américains afin de « déstabiliser la commission d’enquête »« commission d’enquête » dont nous avons pourtant vu qu’elle n’en était pas une...

Retour à la raison ?

Luc Mampaey travaille pour le GRIP, un centre de recherche indépendant basé à Bruxelles. Il est l’auteur d’un mémoire sur HAARP (18), rédigé dans le cadre d’un diplôme d'études spécialisées en Gestion de l'environnement. Convié lui aussi comme intervenant par la Commission des affaires étrangères du PE pour parler des armes non létales, Mampaey semble avoir été influencé par les thèses de Nick Begich et Rosalie Bertell dont il a fait la connaissance à Bruxelles en 1998. L’étude de Luc Mampaey, disponible sur Internet, a certainement contribué à donner du crédit à des individus comme Begich – présenté, sans plus de précisions, comme un « scientifique indépendant ». Néanmoins, malgré la reconnaissance qu’il témoigne, dès le début de son exposé, à Begich, Bertell ou encore Alain Gossens, et les inquiétudes, sans doute légitimes, qu’il nourrit à l’égard de l’impact que pourraient avoir sur l’environnement l’utilisation d’armes climatiques, Luc Mampaey se garde de franchir le pas qui l’entraînerait sur le chemin de la théorie du complot.

« Il se passe rarement un mois, explique-t-il, sans que je sois interpellé par un journaliste intrigué ou un citoyen inquiet. Il y a quelques semaines, un certain Laurent me demandait par courriel si je pensais que HAARP pouvait être à l’origine du cyclone Nargis en Birmanie. Non, bien entendu. Mais une mise au point n’est pas inutile : Internet regorge de rumeurs et d’élucubrations les plus folles au sujet du programme HAARP. Il est important de savoir les débusquer et de garder l’esprit critique si nous voulons qu’un débat sérieux soit mené sur ces questions » (19).

Luc Mampaey semble aujourd'hui vouloir tourner la page et assure qu’il « ne cautionne absolument aucune des élucubrations qui circulent sur la toile à propos de ce programme ». Nous lui laissons donc le mot de la fin :

« Chaque catastrophe – tsunami, tornade, séisme en Haïti ou au Chili – donne l’occasion à quelques hurluberlus de relancer leurs théories du complot. C’est non seulement non fondé. Mais c’est aussi très dommageable pour la crédibilité du débat et du travail de sensibilisation et d’information que nous poursuivons pour attirer l’attention des décideurs sur les conséquences et enjeux de certaines activités militaires. HAARP est certes un programme militaire, dont les retombées permettront vraisemblablement quelques avancées technologiques utiles aux militaires, y compris dans des domaines touchant à l’environnement, mais principalement en ce qui concerne les télécommunications. Mais rien de ce qui se fait actuellement en Alaska n’est vraiment "secret" : de nombreuses universités collaborent à ce projet, ainsi que d’autres stations de recherches ionosphériques, notamment la station européenne de Tromsø en Norvège pour certaines expériences communes. Il y a bien longtemps que je n’essaie plus de répondre ou d’argumenter face à la meute de farfelus qui se sont emparés de ce sujet, j’y passerais en effet mes journées » (20).

 

Notes :
(1) Cf. Jean-Denis Renard, « Le faux mystère des oiseaux morts », Ouest-France, 8 janvier 2011.
(2) Sous ce terme d’« énergie libre », la plupart des détracteurs du programme HAARP font référence à une hypothétique énergie gratuite et non-polluante théorisée par l’ingénieur Nikola Tesla (1856-1943). Selon eux, Tesla aurait découvert une méthode permettant de canaliser et d’utiliser cette « énergie libre » que les compagnies pétrolières et le « complexe militaro-industriel » s’ingénieraient à maintenir secrète depuis des décennies.
(3) Sur ce sujet, lire Pascal Lapointe, « Fusion froide : anniversaire d’un dérapage », Agence Science-Presse, 23 mars 2009.
(4) Ce livre a été suivi d’un deuxième, également autoédité, portant sur les technologies militaires de contrôle de l’esprit humain (Controlling the Human Mind: The Technologies of Political Control or Tools for Peak Performance, Earthpulse Press, août 2006).
(5) Holes in Heaven? HAARP & Advances In Tesla Technology, de Paula Randol-Smith et Wendy Robbins, 1998 (voir la vidéo).
(6) Jerry Smith a cofondé en 1991 avec Jim Keith (auteur d’un livre sur les « hélicoptères noirs du Nouvel Ordre mondial », l’un des mythes conspirationnistes contemporains les plus répandus au sein de l’extrême droite américaine) un musée des ovnis, le National UFO Museum, dont il s’est occupé jusqu’en 1994. Il a également collaboré, sous le pseudo de « jarod o'danu », à Dharma Combat, un magazine underground dirigé par Jim Keith et spécialisé dans la théorie du complot, allant des enlèvements d’humains par des extra-terrestres au grand complot mondial des « Iluminati ». Jerry Smith a enfin participé au magazine américain Paranoia: The Conspiracy Reader. Voir également le site internet de Jerry Smith.
(7) Jerry E. Smith, HAARP: The Ultimate Weapon of the Conspiracy, Adventures Unlimited Press, 1998.
(8) Jerry E. Smith, Weather Warfare: The Military's Plan To Draft Mother Nature, Adventures Unlimited Press, 2006. La consultation du catalogue de cette maison d’édition n’est pas sans intérêt.
(9) Proposition de résolution B4-0551/95.
(10) Alain Gossens, « L’Arme ultime ! Les Anges ne jouent pas de cette HAARP ! », Télémoustique, novembre 1997. Reproduit sur le site de François Pierre, alias Nenki (Conspiration.cc).
(11) Le co-fondateur, Bruno Michelet, est connu sous le pseudo de Karmatoo.
(12) La députée aurait rédigé ce rapport « de sa propre initiative » si l’on en croit l'European Report du 3 février 1999 (cf. « EU Lacks Jurisdiction to Trace Links Between Environment and Defense », p. 35).
(13) L’Alliance atlantique a malgré tout fait savoir qu’elle n’a pas de politique en la matière et qu'elle n'était donc pas en mesure d'envoyer un expert devant le PE. Source : Parlement européen, Direct Info du 5 février 1998.
(14) Source : Parlement européen, Direct Info du 20 mai 1998.
(15) Cela est d’ailleurs précisé en note de bas de page n°24, p. 21.
(16) Cf. « EU Lacks Jurisdiction to Trace Links Between Environment and Defense », art. cit. Contrairement à ce que l'on peut lire dans un texte de Michel Chossudovsky, l'European Report du 3 février 1999 n'indique à aucun moment que la demande faite à la Commission (et pas "par" la Commission) de rédiger un livre vert aurait été « rejetée de façon cavalière ». La teneur des débats est rapportée assez sobrement :
“Responding for the European Commission, Environment Commissioner Ritt Bjerregaard indicated that a significant proportion of food aid granted in the context of the Lomé Convention is destined to help resolve the problem of desertification. She went on to recall that the use of military resources remains the sole preserve of national authorities and not the Commission. Mrs Bjerregaard was not therefore in a position to guarantee the implementation of the recommendations put forward by the rapporteur: she was unable to accede to the Mrs Theorin’s request that the Commission draw up a Green Paper on military activities with an environmental impact, or her calls for a report on the impact on the environment and public health of the Antarctic HAARP programme (High Frequency Active Auroral Research project).”
(17) Résolution A4-0005/1999 sur l'environnement, la sécurité et la politique étrangère.
A noter que la résolution demande également au Science and Technology Options Assessment (l'organe du PE chargé de l'évaluation des choix scientifiques et techniques), « d'accepter d'examiner les preuves scientifiques et techniques fournies par tous les résultats existants de la recherche sur le programme HAARP aux fins d'évaluer la nature et l'ampleur exactes du danger que HAARP représente pour l'environnement local et mondial et pour la santé publique en général ». De toute évidence, le STOA n'a pas donné suite à cette demande.
(18) Mémoire publié par la suite par le GRIP sous la forme d'un rapport intitulé « Le Programme HAARP : science ou désastre ? » (octobre 1998).
(19) Luc Mampaey, « La Convention ENMOD et le Programme HAARP : enjeux et portée », Note d’analyse du GRIP, 12 juin 2008.
(20) Propos recueillis par Arnaud Lefebvre pour Conspiracy Watch (échange de courriels avec Luc Mampaey en date du 10 mars 2010).

 

Voir aussi, sur Conspiracy Watch :

Le régime d'Hugo Chávez accuse les Etats-Unis d'avoir causé le séisme à Haïti

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