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Incendies en Australie : une offensive climatosceptique amplifiée par la complosphère

Publié par Maurice Ronai25 janvier 2020

Des pyromanes à l’origine des incendies en Australie ? Non, un « récit » propagé par la presse climatosceptique et relayé par une myriade de sites complotistes.

Montage (crédits : YouTube/Isaac Butterfield, 1er janvier 2020).

Depuis le mois de septembre, des centaines d'incendies ravagent l'Australie. Le gouvernement australien, et son Premier ministre Scott Morrison, notoirement climatosceptique, refusent depuis plusieurs semaines de reconnaître que le changement climatique accélère la fréquence et aggrave l’ampleur des feux de forêt. Les climatosceptiques australiens ont entrepris de mettre l’accent sur l’origine criminelle des incendies, en propageant le chiffre de 183 pyromanes arrêtés pour avoir allumé des feux de brousse en Australie. Selon Richie Merzian, directeur du programme sur le climat et l'énergie de l'Australia Institute, ces théories « sont utilisées pour détourner l'attention des discussions sur les changements climatiques ».

Selon CheckNews (Libération), « le compte du nombre d'incendiaires arrêtés donné par un média australien ne correspond pas uniquement aux feux de ces dernières semaines. Ce chiffre (183) correspond au nombre total d’arrestations pour l’année 2019, et non uniquement aux incendies de ces dernières semaines. Par ailleurs, les personnes accusées n’ont pas forcément provoqué des feux de brousse ravageurs ».

Le NewYork Times, le Guardian (et en France, le site Arrêt sur images) portent un jugement sévère sur le traitement des incendies par le groupe de Rupert Murdoch, qui contrôle, via News Corp, 70% de la presse australienne.

Les journaux et stations de télévision du groupe Murdoch ont, pendant plusieurs semaines, minimisé l’importance de la catastrophe (en affirmant que les incendies de cette année ne sont pas pires que ceux du passé), traité les incendies dans les pages intérieures (alors qu’ils faisaient la une dans la presse internationale), nié ou mis en doute tout lien avec le dérèglement climatique, prétendu que les écologistes avaient fait obstacle aux mesures visant à prévenir les incendies, qualifié d’« alarmistes » les critiques d’un ex-pompier en chef du pays (qui jugeait sévèrement l’impréparation du pays pour faire face aux transformations du climat).

Des publications du groupe Murdoch (The Australian et The Herald Sun, en Australie, The Daily Telegraph en Grande-Bretagne) ont ainsi largement contribué à promouvoir l'idée que les feux seraient en fait criminels, malgré les affirmations contraires de la police et des pompiers.

Dans un courriel adressé à l’ensemble des salariés du groupe, divulgué au Guardian, une directrice commerciale de News Corp Australie a dénoncé début janvier « une campagne de désinformation qui a tenté de détourner l'attention du véritable problème, le changement climatique, pour se concentrer plutôt sur les incendies criminels (en déformant les faits). Je trouve inadmissible de continuer à travailler pour cette entreprise, sachant que je contribue à la propagation du déni et des mensonges sur le changement climatique. »

Une campagne de désinformation orchestrée sur les réseaux sociaux

La thèse de l'origine prétendument criminelle des « méga-feux » qui ravagent l'Australie s'est propagée peu à peu sur les réseaux sociaux au travers du hashtag #ArsonEmergency (« urgence incendie criminel » en français). Ce qui ne doit rien au hasard.

Selon Timothy Graham, expert des médias numériques à l'Université de technologie du Queensland :

« la moitié des comptes Twitter utilisant ce hashtag semblent se comporter comme des "bots" ou des "trolls", ces internautes publiant des messages intentionnellement provocateurs. Nos conclusions révèlent un effort concerté pour désinformer le public sur les causes des feux de forêt […]. Cette campagne est sans comparaison dans son ampleur avec ce qu'on a pu voir dans d'autres pays, comme lors de la présidentielle américaine de 2016 : ce niveau de désinformation en Australie est cependant sans précédent ».

Progression du hashtag #arsonemergency du 31 décembre au 8 janvier 2020 avec un pic de 4276 tweets le 8 janvier (source : TheConversation.com, 10 janvier 2020).

Début janvier, Donald Trump Jr., le fils aîné du président américain – lequel avait, lors des incendies en Californie, dénoncé une « mauvaise gestion » et minimisé le lien avec le changement climatique – s’appuie sur un article de The Australian pour fustiger, sur Twitter, les pyromanes en Australie : « Vraiment dégoûtant que les gens fassent ça ! Que Dieu bénisse l'Australie. Plus de 180 pyromanes présumés ont été arrêtés depuis le début de la saison des feux de brousse [...] ».

Le nombre de pyromanes passe, entre-temps, à 200 sur FoxNews. Pour Breibart News, « c’est une épidémie d'incendies criminels, et non le changement climatique, qui est derrière les feux de brousse en Australie ».

La complosphère francophone n'est pas en reste : NouvelOrdreMondial.cc (« Près de 200 personnes arrêtées dans toute l’Australie pour avoir délibérément allumé des feux de brousse. Pourtant, les médias et les célébrités continuent de blâmer le "changement climatique" »), Alterinfo.ch (« Australie : les autorités affirment que les incendies criminels et la foudre sont responsables des feux de brousse, et non le changement climatique »), NoSignalFound (« Des pyromanes arrêtés pour avoir allumé des feux de brousse en Australie, alors que les médias parlent de changement climatique »), Dissiblog (« Australie : l'autre piste des incendies ») ont complaisamment relayé ce « récit alternatif ».

Mention spéciale à Valeurs actuelles (« Australie : l’incendiaire Fadi Zraika nargue le tribunal tout sourire ») qui consacre un article entier à deux adolescents de 18 ans, Fadi et Abraham Zraika, accusés d'avoir déclenché un feu d'herbe dans un parc, en allumant un feu d’artifice. Et qui fait mine de s’interroger (« Les incendies comme outil du djihad ? ») en rappelant que « l’État islamique décrit dans ses publications de propagande comment déclencher d’énormes incendies de forêt, notamment aux États-Unis, pour mener le djihad ».

Riposte Laïque (« Incendies en Australie : les écolo-gauchistes alliés des djihadistes ») réussit même le tour de force de suggérer un lien entre la théorie de Valeurs actuelles sur « les incendies comme outil du djihad » et l’information – erronée – selon laquelle les Verts australiens (Greens) sont clairement « à l’origine du problème » en faisant obstacle aux brûlis préventifs.

 

Voir aussi :

Climat : un conseiller australien crie au complot

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Montage (crédits : YouTube/Isaac Butterfield, 1er janvier 2020).

Depuis le mois de septembre, des centaines d'incendies ravagent l'Australie. Le gouvernement australien, et son Premier ministre Scott Morrison, notoirement climatosceptique, refusent depuis plusieurs semaines de reconnaître que le changement climatique accélère la fréquence et aggrave l’ampleur des feux de forêt. Les climatosceptiques australiens ont entrepris de mettre l’accent sur l’origine criminelle des incendies, en propageant le chiffre de 183 pyromanes arrêtés pour avoir allumé des feux de brousse en Australie. Selon Richie Merzian, directeur du programme sur le climat et l'énergie de l'Australia Institute, ces théories « sont utilisées pour détourner l'attention des discussions sur les changements climatiques ».

Selon CheckNews (Libération), « le compte du nombre d'incendiaires arrêtés donné par un média australien ne correspond pas uniquement aux feux de ces dernières semaines. Ce chiffre (183) correspond au nombre total d’arrestations pour l’année 2019, et non uniquement aux incendies de ces dernières semaines. Par ailleurs, les personnes accusées n’ont pas forcément provoqué des feux de brousse ravageurs ».

Le NewYork Times, le Guardian (et en France, le site Arrêt sur images) portent un jugement sévère sur le traitement des incendies par le groupe de Rupert Murdoch, qui contrôle, via News Corp, 70% de la presse australienne.

Les journaux et stations de télévision du groupe Murdoch ont, pendant plusieurs semaines, minimisé l’importance de la catastrophe (en affirmant que les incendies de cette année ne sont pas pires que ceux du passé), traité les incendies dans les pages intérieures (alors qu’ils faisaient la une dans la presse internationale), nié ou mis en doute tout lien avec le dérèglement climatique, prétendu que les écologistes avaient fait obstacle aux mesures visant à prévenir les incendies, qualifié d’« alarmistes » les critiques d’un ex-pompier en chef du pays (qui jugeait sévèrement l’impréparation du pays pour faire face aux transformations du climat).

Des publications du groupe Murdoch (The Australian et The Herald Sun, en Australie, The Daily Telegraph en Grande-Bretagne) ont ainsi largement contribué à promouvoir l'idée que les feux seraient en fait criminels, malgré les affirmations contraires de la police et des pompiers.

Dans un courriel adressé à l’ensemble des salariés du groupe, divulgué au Guardian, une directrice commerciale de News Corp Australie a dénoncé début janvier « une campagne de désinformation qui a tenté de détourner l'attention du véritable problème, le changement climatique, pour se concentrer plutôt sur les incendies criminels (en déformant les faits). Je trouve inadmissible de continuer à travailler pour cette entreprise, sachant que je contribue à la propagation du déni et des mensonges sur le changement climatique. »

Une campagne de désinformation orchestrée sur les réseaux sociaux

La thèse de l'origine prétendument criminelle des « méga-feux » qui ravagent l'Australie s'est propagée peu à peu sur les réseaux sociaux au travers du hashtag #ArsonEmergency (« urgence incendie criminel » en français). Ce qui ne doit rien au hasard.

Selon Timothy Graham, expert des médias numériques à l'Université de technologie du Queensland :

« la moitié des comptes Twitter utilisant ce hashtag semblent se comporter comme des "bots" ou des "trolls", ces internautes publiant des messages intentionnellement provocateurs. Nos conclusions révèlent un effort concerté pour désinformer le public sur les causes des feux de forêt […]. Cette campagne est sans comparaison dans son ampleur avec ce qu'on a pu voir dans d'autres pays, comme lors de la présidentielle américaine de 2016 : ce niveau de désinformation en Australie est cependant sans précédent ».

Progression du hashtag #arsonemergency du 31 décembre au 8 janvier 2020 avec un pic de 4276 tweets le 8 janvier (source : TheConversation.com, 10 janvier 2020).

Début janvier, Donald Trump Jr., le fils aîné du président américain – lequel avait, lors des incendies en Californie, dénoncé une « mauvaise gestion » et minimisé le lien avec le changement climatique – s’appuie sur un article de The Australian pour fustiger, sur Twitter, les pyromanes en Australie : « Vraiment dégoûtant que les gens fassent ça ! Que Dieu bénisse l'Australie. Plus de 180 pyromanes présumés ont été arrêtés depuis le début de la saison des feux de brousse [...] ».

Le nombre de pyromanes passe, entre-temps, à 200 sur FoxNews. Pour Breibart News, « c’est une épidémie d'incendies criminels, et non le changement climatique, qui est derrière les feux de brousse en Australie ».

La complosphère francophone n'est pas en reste : NouvelOrdreMondial.cc (« Près de 200 personnes arrêtées dans toute l’Australie pour avoir délibérément allumé des feux de brousse. Pourtant, les médias et les célébrités continuent de blâmer le "changement climatique" »), Alterinfo.ch (« Australie : les autorités affirment que les incendies criminels et la foudre sont responsables des feux de brousse, et non le changement climatique »), NoSignalFound (« Des pyromanes arrêtés pour avoir allumé des feux de brousse en Australie, alors que les médias parlent de changement climatique »), Dissiblog (« Australie : l'autre piste des incendies ») ont complaisamment relayé ce « récit alternatif ».

Mention spéciale à Valeurs actuelles (« Australie : l’incendiaire Fadi Zraika nargue le tribunal tout sourire ») qui consacre un article entier à deux adolescents de 18 ans, Fadi et Abraham Zraika, accusés d'avoir déclenché un feu d'herbe dans un parc, en allumant un feu d’artifice. Et qui fait mine de s’interroger (« Les incendies comme outil du djihad ? ») en rappelant que « l’État islamique décrit dans ses publications de propagande comment déclencher d’énormes incendies de forêt, notamment aux États-Unis, pour mener le djihad ».

Riposte Laïque (« Incendies en Australie : les écolo-gauchistes alliés des djihadistes ») réussit même le tour de force de suggérer un lien entre la théorie de Valeurs actuelles sur « les incendies comme outil du djihad » et l’information – erronée – selon laquelle les Verts australiens (Greens) sont clairement « à l’origine du problème » en faisant obstacle aux brûlis préventifs.

 

Voir aussi :

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à propos de l'auteur
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Maurice Ronai
Co-fondateur de Courrier international en 1990, Maurice Ronai est un expert des politiques publiques numériques. Il a enseigné, de 1997 à 2001, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) avant de devenir membre de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de 2014 à 2019.
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