Au terme d’une bataille sémantique qui a vu s’implanter fermement dans le débat public le terme longtemps controversé d’« islamophobie », chacun ou presque s’accorde à reconnaître que le racisme anti-musulman n’est pas une « haine imaginaire ». Isabelle Kersimon et Jean-Christophe Moreau ont publié le 23 octobre dernier Islamophobie, la contre-enquête (éd. Plein Jour). Selon eux, nous assistons au détournement d'une cause légitime au profit d'une campagne identitaire.
Conspiracy Watch : Un complotisme de facture islamophobe apparaît depuis quelques années, notamment à travers l’accusation faisant des musulmans les agents plus ou moins conscients d’un plan d’islamisation de l’Europe. Pour autant, le concept d’islamophobie vous paraît éminemment critiquable. Pour quelle raison ?
Isabelle Kersimon : Il existe une islamophobie que l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, préférerait d’ailleurs qualifier de « musulmanophobie » : il s’agit des actes de violence dirigés contre les personnes à raison de leur religion réelle ou supposée. Les agressions de femmes voilées dont le ministère de l’Intérieur, les médias et le milieu associatif se font l’écho, sont des actes que nous pouvons qualifier d’islamophobes.
Quant à la critique de l’islam, elle peut tout aussi bien être le fait d’anticléricaux que celui d’« apostats », et ne mérite à mes yeux aucune condamnation. Pour respectable qu’elle soit, toute idée et toute tradition doit pouvoir être critiquée, même de manière virulente, et même si mon goût personnel me fait préférer l’arme de l’humour à toutes les autres.
C. W. : Vous parlez de l’islamophobie comme d’un «leurre heuristique». Qu’entendez-vous exactement par là ?
Jean-Christophe Moreau : Il s’agit d’un leurre heuristique au sens où les premiers à mettre en avant ses vertus explicatives – c’est-à-dire des militants associatifs et des universitaires engagés – s’en servent pour brouiller les pistes.
Théoriquement, le concept d’islamophobie est censé désigner les actes et les discours participant d’un processus de « racialisation » des musulmans ou, si l’on préfère, d’une réduction des personnes à leur seule appartenance religieuse ou culturelle. Mais dans les faits, il est employé indifféremment pour qualifier des actes pénalement réprimés (injures, menaces, incitation à la haine, discrimination, etc.) et des événements dont on chercherait en vain la dimension anti-religieuse ou xénophobe.
En enquêtant sur les « actes islamophobes » recensés par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) – présenté comme une « source statistique de référence » par les sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed (1) –, nous avons ainsi eu la surprise de découvrir, entre autres : des mesures d’expulsion prises contre des personnes condamnées pour implication dans des entreprises terroristes, des condamnations d’imams pour incitation à la haine envers la communauté juive, des fermetures de salles de prière occupées illégalement, etc. On en déduit qu’est « islamophobe » toute mesure défavorable à un membre de la communauté musulmane, quelle que soit sa justification.
Notre propos est donc de montrer comment une cause légitime (la défense des personnes contre des actes de violence, de menace, de discrimination, d’incitation à la haine, etc.) est détournée au profit d’une campagne identitaire qui ne dit pas son nom, et qui se réclame dans les faits d’une conception sclérosée, pour ne pas dire totalitaire, du respect de la liberté religieuse (appel au rétablissement du délit de blasphème, revendication de droits spécifiques tendant à ériger un « statut » musulman en marge de la citoyenneté ordinaire, etc.).
I.K. : J’ajoute qu’il existe une certaine paranoïa, tant dans les milieux associatifs que dans le milieu universitaire, consistant à vouloir démontrer, au mépris des méthodologies en usage, que la psyché occidentale et, pour ce qui nous concerne, l’histoire coloniale de la France, ont fabriqué une véritable « passion islamophobe » (2), maladie mentale affectant l’intégralité de la société jusque dans ses institutions.
C. W. : Les analogies entre islamophobie et antisémitisme se sont multipliées au point que, pour certains commentateurs, la première serait en passe d’éclipser la seconde. Et ne peut-on pas soutenir, en effet, que le mythe de « l’islamisation » a le vent en poupe comparé à celui du « complot juif mondial » ? Eurabia n’a-t-il pas remplacé les Protocoles des Sages de Sion dans l’imaginaire raciste contemporain ?
J-C M. : Le problème, en l’occurrence, est que les principaux acteurs de la « lutte contre l’islamophobie » n’utilisent pas seulement l’analogie entre antisémitisme et islamophobie pour déconstruire des stéréotypes racistes, mais également pour véhiculer un message politique en nous prédisant le retour des années trente. Nous serions, disent-ils en substance, à la veille d’un nouveau cycle de persécutions… à moins de nous convertir aux vertus politiques du multiculturalisme pour éviter que l’histoire ne se répète. On constate donc un glissement rhétorique, un passage de la comparaison légitime entre discours antisémite et islamophobe à une comparaison historiquement aberrante entre le sort passé des Juifs, totalement démunis face à leurs persécuteurs en l’absence de législation antiraciste sous la Troisième République, et la condition actuelle des musulmans en France, protégés par un véritable arsenal juridique contre l’incitation à la haine et la discrimination.
I.K. : L’antisémitisme français des années trente postulait l’existence d’un déterminisme racial qui condamnait les Juifs à la corruption physique et morale, et donc à un sort funeste (sous Vichy : interdits professionnels, déchéance nationale, spoliations, harcèlements et violences physiques, jusqu’à l’extermination) sans se soucier de leur degré de pratique religieuse. Tandis que l’islamophobie – même si elle peut effectivement servir de cache-sexe au racisme anti-arabe – se nourrit d’abord d’une défiance à l’égard d’un système de valeurs. Je pense que si l’analogie entre antisémitisme et islamophobie ne peut décemment être prise au sérieux, la comparaison entre les deux théories de la conspiration que vous mentionnez est relativement juste, à ceci près que, au plan international, l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) se pose – ce qui est son droit le plus absolu – en instance supra-étatique islamique suprême, et dispose en effet de moyens tant juridiques que financiers pour ses idées. On l’a vu avec les grandes campagnes menées à l’ONU pour le rétablissement du délit de blasphème, notamment.
Enfin, l’idée que l’islamophobie se serait substituée à l’antisémitisme est très discutable. Comme le rappelle une récente étude de la Fondapol, « la moitié des actes racistes sont des actes contre les Juifs qui représentent probablement moins de 1% de la population » (3).
C. W. : Parmi les auteurs qui, depuis une dizaine d'années, ont fait émerger la question spécifique de l'islamophobie en tant que problème public, il en est, vous apprenez-nous, qui versent eux-mêmes dans une forme de théorie du complot. Vous évoquez par exemple la lecture très particulière faite par l’un de ces auteurs d’une opération de police conduite dans une banlieue de Lille, le quartier des Biscottes, en mai 1993…
I.K. : L’affaire dite « des Biscottes » est emblématique de la théorie d’une islamophobie qui serait orchestrée par l’État. Elle a commencé par une chasse aux dealers conduite par des jeunes d’une association proche de la Fraternité algérienne de France (FAF), elle-même liée au Front islamique du Salut (FIS). Lors d’une opération de police, une cache d’armes et des tracts du FIS ont été découverts au siège de cette association. Mais le sociologue Thomas Deltombe (4) insinue que la découverte de cette « étrange cache d’armes » est en fait une manipulation alors même que des personnes liées à la FAF seront bel et bien condamnées pour trafic d’armes. Loin d’analyser la politique mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, à la lumière de l’incontestable importation de la guerre d’Algérie en France et aux conséquences qu’elle a eues sur la lutte antiterroriste – avec, en 1996, la création du « délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » –, Thomas Deltombe y voit l’action d’une logique islamophobe et d’un amalgame entre islam, islamisme et terrorisme entretenu par les médias. Pourtant, une grande partie des médias nationaux ont, à l’époque, largement critiqué les opérations coups de poing du ministre.
C. W. : Par conséquent, vous ne partagez pas la thèse de l'«islamophobie d’Etat», cette idée que les pouvoirs publics témoigneraient d’une crispation à l’égard des signes visibles de la présence musulmane en France…
J-C M. : L’idée selon laquelle il existerait en France une « islamophobie d’État » est surtout liée à la dénonciation des lois du 15 mars 2004 (interdisant les « signes religieux ostentatoires » à l’école) et du 11 octobre 2010 (interdisant la « dissimulation du visage dans l’espace public »).
Or, les détracteurs de la loi du 15 mars 2004 oublient – ou ne veulent pas voir – qu’elle n’a pas été pensée comme une loi d’exclusion. En effet, d’un point de vue strictement juridique, il s’agit à l’origine d’un arbitrage entre la liberté religieuse de jeunes filles qui portaient volontairement le foulard et la liberté de conscience de celles qui y étaient contraintes. Plutôt que de maintenir un statu quo qui profitait exclusivement aux premières en abandonnant les secondes à leur camisole identitaire (5), le législateur a donc pris le parti de rogner temporairement (pendant le temps scolaire uniquement) la liberté des unes afin d’offrir aux autres une excuse légale pour échapper aux injonctions familiales et aux pressions communautaires. Tandis que la loi du 11 octobre 2010, souvent présentée à tort comme la suite logique de celle de 2004, consiste en un obstacle juridique contre les revendications de personnes qui nous signifient physiquement que nous ne sommes pas leur égal, qu’elles ne sont pas concernées par nos conventions sociales et revendiquent donc le droit exorbitant de désigner les individus habilités à les reconnaître (avec pour corollaire, entre autres, le droit de récuser les agents masculins dans les services publics).
Naturellement, ces lois d’interdiction ne sont pas la panacée et il faut empêcher que, sous prétexte que le port d’un foulard islamique ne pourrait être synonyme que d’intégrisme ou d’asservissement, elles soient détournées de leur fonction sociale pour justifier une chasse générale aux signes extérieurs d’islamité. Mais, exception faite de quelques décisions discutables (6), les tribunaux veillent à réprimer les abus en la matière, comme en atteste une jurisprudence particulièrement fournie.
I.K. : La France, contrairement à une idée reçue, n’est pas en guerre contre la visibilité de l’islam. Ses tribunaux veillent à limiter les interprétations abusives de la loi du 15 mars 2004, comme l’a encore récemment prouvé le tribunal administratif de Versailles en annulant par deux fois le règlement intérieur d’une base de loisirs municipal qui interdisait le port du voile. En outre, la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, vient récemment de conforter les mères voilées dans leur droit d’accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires. Quant à l’Observatoire de la laïcité présidé par Jean-Louis Bianco, il se fait fort de rappeler les contraintes et limites de la loi à cet égard, notamment pour ce qui relève du port du voile islamique pour toute autre personne que des agents de l’État, y compris dans les enceintes scolaires (cas des personnes en formation par exemple au Greta, et qui par leur statut ne sont pas soumises à la loi de 2004). Dans l’affaire Baby Loup, si la Cour de cassation a donné gain de cause à l’association, elle a refusé de consacrer la notion d’entreprise de tendance laïque au motif qu’elle mettrait en péril le principe de liberté d’expression religieuse des salariés et pourrait in fine aboutir à une discrimination à l’embauche fondée sur la conviction religieuse de l’impétrant.
La loi de 1905 elle-même a été aménagée par des moyens détournés pour permettre les subventions au culte musulman via la création des baux emphytéotiques administratifs cultuels. Ainsi les municipalités sont désormais les premiers bailleurs fonciers de l’islam : sur 190 mosquées inaugurées depuis 2011 ou en cours de construction, 114 projets ont été rendus possible grâce à la cession d’un terrain municipal. Le Conseil d’État avait en effet, en juillet 2011, clairement opté pour une « laïcité ouverte » en désavouant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui avait invalidé un bail emphytéotique au motif qu’il s’agissait d’une subvention déguisée, solution traditionnelle des tribunaux administratifs relative à toute cession de terrain à un prix inférieur à sa valeur vénale.
Par ailleurs, la construction de mosquées s’accompagne également, depuis quelques années, de montages financiers qualifiés de «contournements» de la loi de Séparation, qui toutefois ne l’enfreignent pas, avec des subventions accordées pour les parties culturelles des lieux de culte en vertu d’une lecture particulière de la loi de 1905 : une notion de « rattrapage historique » très éloignée de ses pères fondateurs.
Enfin, nous avons montré dans l’essai que, d’une part, le taux d’élucidation des profanations, s’il est médiocre toutes religions confondues, est légèrement supérieur dans les affaires touchant le culte musulman, et que, d’autre part, en matière de sanctions pénales, les magistrats font au contraire preuve d’une intransigeance qui met à bas le mythe de l’impunité.
C. W. : Vous vous inscrivez également en faux contre la thèse d’une « islamophobie médiatique dominante » en rappelant par exemple que, dans l’affaire des tueries de Toulouse et Montauban, de nombreux journaux ont commencé par écarter l’éventualité d’un attentat islamiste, privilégiant une piste d’extrême droite – chacun ayant alors en tête les attentats d’Oslo perpétrés quelques mois plus tôt. Lorsque l'identité de Mohamed Merah fut révélée, ce n'est pourtant pas à un déferlement d'islamophobie médiatique que nous avons alors assisté. Ni les médias conventionnels ni la blogosphère ne se sont mis à reprocher aux « musulmans » les crimes de Merah. Au contraire, l’industrie du conspirationnisme s’est mise en branle pour tenter de le dédouaner et faire valoir la thèse d’un complot d’Etat visant à stigmatiser l'islam...
I.K. : La thèse du complot d’État pour ce qui concerne le terrorisme dit islamique a également été reprise, particulièrement sur internet, chaque fois que Daech a assassiné des otages. Ainsi, les décapitations atroces notamment de Hervé Gourdel sont-elles perçues par la sphère complotiste comme des prétextes à l’expression d’une islamophobie latente, embusquée, n’attendant qu’un signal pour se répandre dans toute la société. On a même pu lire que le « calife » Al-Baghdadi était en réalité un « agent du Mossad » entraîné en Israël, et donc l’agent d’un complot contre l’islam, tout comme Merah.
Mais l’univers des blogs n’est pas le seul. Lors d’une manifestation organisée à Paris fin septembre en solidarité avec la victime - « Nous musulmans de France disons halte à la barbarie » –, le CCIF a déclaré que « les musulmans ne doivent pas jouer le jeu islamophobe, qui consiste à les placer en coupable et suspect idéal, les poussant sans arrêt à se justifier pour les agissements de tiers ».
L’idée reçue selon laquelle les médias conventionnels œuvreraient à stigmatiser les musulmans à chaque épisode terroriste est une idée fausse. Contrairement à ce qui est répété en boucle, et c’est également valable pour les attentats du 11-Septembre, les médias français s’emploient toujours, non pas à accuser les musulmans, mais bien au contraire à préciser que nos compatriotes de religion musulmane ne sont absolument pas concernés par les agissements des terroristes. Ce que reprochent d’ailleurs tant Vincent Geisser que Thomas Deltombe aux journalistes, lorsqu’ils les accusent d’opérer une distinction entre « bons » et « mauvais » musulmans.
Cela dit, notons que le massacre perpétré par Anders Breivik avait d’abord été attribué… à des islamistes. On pourra juger que ces contresens médiatiques, d’un côté comme de l’autre, s’expliquent par l’impérieuse nécessité de la réaction brûlante à « l’actualité ».
J-C M. : Chaque attentat islamiste entraîne effectivement un accès de fièvre conspirationniste au sein des mouvements de lutte contre l’islamophobie. Ce fut le cas après l’affaire Merah comme cela l’a été suite à la tuerie perpétrée au musée juif de Bruxelles, lorsque Tariq Ramadan prétendit qu’il ne s’agissait pas d’un crime antisémite et dénonça une « manœuvre de diversion quant aux vrais motifs et aux exécutants » en affirmant – à tort – que les victimes appartenaient aux services secrets israéliens (un statut Facebook « liké » par plus de 10 000 personnes).
Mais on rencontre également, aux côtés de cette forme spectaculaire de déni, un discours plus policé qui consiste à dire – pour reprendre la formule employée par le porte-parole du CCIF deux semaines après la tuerie de Bruxelles – que la focalisation des autorités et des médias sur le terrorisme islamiste serait « statistiquement irrationnelle » en comparaison du nombre bien plus important d’actes commis en Europe par des mouvements séparatistes. Discours qui fait écho à celui des sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, selon qui nos élites politiques exploiteraient « le spectre du terrorisme islamiste » pour fabriquer de toutes pièces un « problème musulman », comme d’autres agitait hier « celui du judéo-bolchévisme » pour fabriquer une « question juive » (7).
Face à cette pensée louvoyante, il faut rappeler une réalité brutale : au cours de la dernière décennie, 70% des victimes du terrorisme en Europe ont péri dans des attentats islamistes. Sur un total de 369 « victimes mortelles » recensées par Europol pour l’ensemble des attentats terroristes commis en Europe sur la période 2004-2013, on dénombre ainsi 261 morts dans des attentats islamistes, 79 dans des attentats d’extrême droite (dont 78 victimes d’Anders Breivik en 2011), 20 dans des attentats séparatistes et 9 dans des attentats d’extrême gauche.
Contre l’idée qu’une « étude raisonnée du fait terroriste en Europe » pourrait se fonder sur une comptabilité aveugle du nombre d’actes commis par mouvance, il faut aussi rappeler que le terrorisme islamiste est le seul à cibler systématiquement les populations civiles, là où les autres mouvances terroristes visent en priorité des cibles institutionnelles (bâtiments publics ou représentants de l’État) et causent principalement des dommages matériels. Autant de réalités qui justifient amplement cette « obsession » des autorités sans laquelle le terrorisme islamiste aurait cessé depuis longtemps d’être « statistiquement marginal » !
Notes :
(1) Auteurs de Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », La Découverte, 2013.
(2) Selon Vincent Geisser in La Nouvelle islamophobie, La Découverte, 2003.
(3) En 2013, les violences antisémites représentaient 40% du total des actes de violence à caractère raciste. Ce chiffre était de 50% en 2012 (source : rapport 2013 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme).
(4) Auteur de L’islam imaginaire. La construction médiatique de l'islamophobie en France (1975-2005), La Découverte, 2007.
(5) Voir à ce propos le témoignage de Neslinur Yilmaz (dont l’audition a été déterminante dans la décision de la commission Stasi de préconiser l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école) : Blandine Grosjean, « Voilée, semi-recluse puis rebelle », Libération, 22 décembre 2003.
(6) On peut ainsi reprocher aux tribunaux administratifs d’avoir validé des exclusions scolaires fondées sur une interdiction de « signes religieux ostentatoires par destination », c’est-à-dire les vêtements qui, bien que n’étant pas par nature des symboles religieux, peuvent le devenir en fonction de l’intention des élèves. Cette jurisprudence, en effet, autorise implicitement les établissements à pratiquer une politique d’intolérance au moindre signe d’islamité, totalement étrangère à la philosophie originelle de la commission Stasi.
(7) Abdellali Hajjat & Marwan Mohammed, Islamophobie (op. cit.), p. 185.
Isabelle Kersimon est journaliste indépendante.
Jean-Christophe Moreau, spécialiste de l’histoire du droit, est diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et de la Faculté de droit et de sciences politiques de l’université Aix-Marseille III.
Au terme d’une bataille sémantique qui a vu s’implanter fermement dans le débat public le terme longtemps controversé d’« islamophobie », chacun ou presque s’accorde à reconnaître que le racisme anti-musulman n’est pas une « haine imaginaire ». Isabelle Kersimon et Jean-Christophe Moreau ont publié le 23 octobre dernier Islamophobie, la contre-enquête (éd. Plein Jour). Selon eux, nous assistons au détournement d'une cause légitime au profit d'une campagne identitaire.
Isabelle Kersimon : Il existe une islamophobie que l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, préférerait d’ailleurs qualifier de « musulmanophobie » : il s’agit des actes de violence dirigés contre les personnes à raison de leur religion réelle ou supposée. Les agressions de femmes voilées dont le ministère de l’Intérieur, les médias et le milieu associatif se font l’écho, sont des actes que nous pouvons qualifier d’islamophobes.
Quant à la critique de l’islam, elle peut tout aussi bien être le fait d’anticléricaux que celui d’« apostats », et ne mérite à mes yeux aucune condamnation. Pour respectable qu’elle soit, toute idée et toute tradition doit pouvoir être critiquée, même de manière virulente, et même si mon goût personnel me fait préférer l’arme de l’humour à toutes les autres.
C. W. : Vous parlez de l’islamophobie comme d’un «leurre heuristique». Qu’entendez-vous exactement par là ?
Jean-Christophe Moreau : Il s’agit d’un leurre heuristique au sens où les premiers à mettre en avant ses vertus explicatives – c’est-à-dire des militants associatifs et des universitaires engagés – s’en servent pour brouiller les pistes.
Théoriquement, le concept d’islamophobie est censé désigner les actes et les discours participant d’un processus de « racialisation » des musulmans ou, si l’on préfère, d’une réduction des personnes à leur seule appartenance religieuse ou culturelle. Mais dans les faits, il est employé indifféremment pour qualifier des actes pénalement réprimés (injures, menaces, incitation à la haine, discrimination, etc.) et des événements dont on chercherait en vain la dimension anti-religieuse ou xénophobe.
En enquêtant sur les « actes islamophobes » recensés par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) – présenté comme une « source statistique de référence » par les sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed (1) –, nous avons ainsi eu la surprise de découvrir, entre autres : des mesures d’expulsion prises contre des personnes condamnées pour implication dans des entreprises terroristes, des condamnations d’imams pour incitation à la haine envers la communauté juive, des fermetures de salles de prière occupées illégalement, etc. On en déduit qu’est « islamophobe » toute mesure défavorable à un membre de la communauté musulmane, quelle que soit sa justification.
Notre propos est donc de montrer comment une cause légitime (la défense des personnes contre des actes de violence, de menace, de discrimination, d’incitation à la haine, etc.) est détournée au profit d’une campagne identitaire qui ne dit pas son nom, et qui se réclame dans les faits d’une conception sclérosée, pour ne pas dire totalitaire, du respect de la liberté religieuse (appel au rétablissement du délit de blasphème, revendication de droits spécifiques tendant à ériger un « statut » musulman en marge de la citoyenneté ordinaire, etc.).
I.K. : J’ajoute qu’il existe une certaine paranoïa, tant dans les milieux associatifs que dans le milieu universitaire, consistant à vouloir démontrer, au mépris des méthodologies en usage, que la psyché occidentale et, pour ce qui nous concerne, l’histoire coloniale de la France, ont fabriqué une véritable « passion islamophobe » (2), maladie mentale affectant l’intégralité de la société jusque dans ses institutions.
C. W. : Les analogies entre islamophobie et antisémitisme se sont multipliées au point que, pour certains commentateurs, la première serait en passe d’éclipser la seconde. Et ne peut-on pas soutenir, en effet, que le mythe de « l’islamisation » a le vent en poupe comparé à celui du « complot juif mondial » ? Eurabia n’a-t-il pas remplacé les Protocoles des Sages de Sion dans l’imaginaire raciste contemporain ?
J-C M. : Le problème, en l’occurrence, est que les principaux acteurs de la « lutte contre l’islamophobie » n’utilisent pas seulement l’analogie entre antisémitisme et islamophobie pour déconstruire des stéréotypes racistes, mais également pour véhiculer un message politique en nous prédisant le retour des années trente. Nous serions, disent-ils en substance, à la veille d’un nouveau cycle de persécutions… à moins de nous convertir aux vertus politiques du multiculturalisme pour éviter que l’histoire ne se répète. On constate donc un glissement rhétorique, un passage de la comparaison légitime entre discours antisémite et islamophobe à une comparaison historiquement aberrante entre le sort passé des Juifs, totalement démunis face à leurs persécuteurs en l’absence de législation antiraciste sous la Troisième République, et la condition actuelle des musulmans en France, protégés par un véritable arsenal juridique contre l’incitation à la haine et la discrimination.
I.K. : L’antisémitisme français des années trente postulait l’existence d’un déterminisme racial qui condamnait les Juifs à la corruption physique et morale, et donc à un sort funeste (sous Vichy : interdits professionnels, déchéance nationale, spoliations, harcèlements et violences physiques, jusqu’à l’extermination) sans se soucier de leur degré de pratique religieuse. Tandis que l’islamophobie – même si elle peut effectivement servir de cache-sexe au racisme anti-arabe – se nourrit d’abord d’une défiance à l’égard d’un système de valeurs. Je pense que si l’analogie entre antisémitisme et islamophobie ne peut décemment être prise au sérieux, la comparaison entre les deux théories de la conspiration que vous mentionnez est relativement juste, à ceci près que, au plan international, l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) se pose – ce qui est son droit le plus absolu – en instance supra-étatique islamique suprême, et dispose en effet de moyens tant juridiques que financiers pour ses idées. On l’a vu avec les grandes campagnes menées à l’ONU pour le rétablissement du délit de blasphème, notamment.
Enfin, l’idée que l’islamophobie se serait substituée à l’antisémitisme est très discutable. Comme le rappelle une récente étude de la Fondapol, « la moitié des actes racistes sont des actes contre les Juifs qui représentent probablement moins de 1% de la population » (3).
C. W. : Parmi les auteurs qui, depuis une dizaine d'années, ont fait émerger la question spécifique de l'islamophobie en tant que problème public, il en est, vous apprenez-nous, qui versent eux-mêmes dans une forme de théorie du complot. Vous évoquez par exemple la lecture très particulière faite par l’un de ces auteurs d’une opération de police conduite dans une banlieue de Lille, le quartier des Biscottes, en mai 1993…
I.K. : L’affaire dite « des Biscottes » est emblématique de la théorie d’une islamophobie qui serait orchestrée par l’État. Elle a commencé par une chasse aux dealers conduite par des jeunes d’une association proche de la Fraternité algérienne de France (FAF), elle-même liée au Front islamique du Salut (FIS). Lors d’une opération de police, une cache d’armes et des tracts du FIS ont été découverts au siège de cette association. Mais le sociologue Thomas Deltombe (4) insinue que la découverte de cette « étrange cache d’armes » est en fait une manipulation alors même que des personnes liées à la FAF seront bel et bien condamnées pour trafic d’armes. Loin d’analyser la politique mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, à la lumière de l’incontestable importation de la guerre d’Algérie en France et aux conséquences qu’elle a eues sur la lutte antiterroriste – avec, en 1996, la création du « délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » –, Thomas Deltombe y voit l’action d’une logique islamophobe et d’un amalgame entre islam, islamisme et terrorisme entretenu par les médias. Pourtant, une grande partie des médias nationaux ont, à l’époque, largement critiqué les opérations coups de poing du ministre.
C. W. : Par conséquent, vous ne partagez pas la thèse de l'«islamophobie d’Etat», cette idée que les pouvoirs publics témoigneraient d’une crispation à l’égard des signes visibles de la présence musulmane en France…
J-C M. : L’idée selon laquelle il existerait en France une « islamophobie d’État » est surtout liée à la dénonciation des lois du 15 mars 2004 (interdisant les « signes religieux ostentatoires » à l’école) et du 11 octobre 2010 (interdisant la « dissimulation du visage dans l’espace public »).
Or, les détracteurs de la loi du 15 mars 2004 oublient – ou ne veulent pas voir – qu’elle n’a pas été pensée comme une loi d’exclusion. En effet, d’un point de vue strictement juridique, il s’agit à l’origine d’un arbitrage entre la liberté religieuse de jeunes filles qui portaient volontairement le foulard et la liberté de conscience de celles qui y étaient contraintes. Plutôt que de maintenir un statu quo qui profitait exclusivement aux premières en abandonnant les secondes à leur camisole identitaire (5), le législateur a donc pris le parti de rogner temporairement (pendant le temps scolaire uniquement) la liberté des unes afin d’offrir aux autres une excuse légale pour échapper aux injonctions familiales et aux pressions communautaires. Tandis que la loi du 11 octobre 2010, souvent présentée à tort comme la suite logique de celle de 2004, consiste en un obstacle juridique contre les revendications de personnes qui nous signifient physiquement que nous ne sommes pas leur égal, qu’elles ne sont pas concernées par nos conventions sociales et revendiquent donc le droit exorbitant de désigner les individus habilités à les reconnaître (avec pour corollaire, entre autres, le droit de récuser les agents masculins dans les services publics).
Naturellement, ces lois d’interdiction ne sont pas la panacée et il faut empêcher que, sous prétexte que le port d’un foulard islamique ne pourrait être synonyme que d’intégrisme ou d’asservissement, elles soient détournées de leur fonction sociale pour justifier une chasse générale aux signes extérieurs d’islamité. Mais, exception faite de quelques décisions discutables (6), les tribunaux veillent à réprimer les abus en la matière, comme en atteste une jurisprudence particulièrement fournie.
I.K. : La France, contrairement à une idée reçue, n’est pas en guerre contre la visibilité de l’islam. Ses tribunaux veillent à limiter les interprétations abusives de la loi du 15 mars 2004, comme l’a encore récemment prouvé le tribunal administratif de Versailles en annulant par deux fois le règlement intérieur d’une base de loisirs municipal qui interdisait le port du voile. En outre, la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, vient récemment de conforter les mères voilées dans leur droit d’accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires. Quant à l’Observatoire de la laïcité présidé par Jean-Louis Bianco, il se fait fort de rappeler les contraintes et limites de la loi à cet égard, notamment pour ce qui relève du port du voile islamique pour toute autre personne que des agents de l’État, y compris dans les enceintes scolaires (cas des personnes en formation par exemple au Greta, et qui par leur statut ne sont pas soumises à la loi de 2004). Dans l’affaire Baby Loup, si la Cour de cassation a donné gain de cause à l’association, elle a refusé de consacrer la notion d’entreprise de tendance laïque au motif qu’elle mettrait en péril le principe de liberté d’expression religieuse des salariés et pourrait in fine aboutir à une discrimination à l’embauche fondée sur la conviction religieuse de l’impétrant.
La loi de 1905 elle-même a été aménagée par des moyens détournés pour permettre les subventions au culte musulman via la création des baux emphytéotiques administratifs cultuels. Ainsi les municipalités sont désormais les premiers bailleurs fonciers de l’islam : sur 190 mosquées inaugurées depuis 2011 ou en cours de construction, 114 projets ont été rendus possible grâce à la cession d’un terrain municipal. Le Conseil d’État avait en effet, en juillet 2011, clairement opté pour une « laïcité ouverte » en désavouant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui avait invalidé un bail emphytéotique au motif qu’il s’agissait d’une subvention déguisée, solution traditionnelle des tribunaux administratifs relative à toute cession de terrain à un prix inférieur à sa valeur vénale.
Par ailleurs, la construction de mosquées s’accompagne également, depuis quelques années, de montages financiers qualifiés de «contournements» de la loi de Séparation, qui toutefois ne l’enfreignent pas, avec des subventions accordées pour les parties culturelles des lieux de culte en vertu d’une lecture particulière de la loi de 1905 : une notion de « rattrapage historique » très éloignée de ses pères fondateurs.
Enfin, nous avons montré dans l’essai que, d’une part, le taux d’élucidation des profanations, s’il est médiocre toutes religions confondues, est légèrement supérieur dans les affaires touchant le culte musulman, et que, d’autre part, en matière de sanctions pénales, les magistrats font au contraire preuve d’une intransigeance qui met à bas le mythe de l’impunité.
C. W. : Vous vous inscrivez également en faux contre la thèse d’une « islamophobie médiatique dominante » en rappelant par exemple que, dans l’affaire des tueries de Toulouse et Montauban, de nombreux journaux ont commencé par écarter l’éventualité d’un attentat islamiste, privilégiant une piste d’extrême droite – chacun ayant alors en tête les attentats d’Oslo perpétrés quelques mois plus tôt. Lorsque l'identité de Mohamed Merah fut révélée, ce n'est pourtant pas à un déferlement d'islamophobie médiatique que nous avons alors assisté. Ni les médias conventionnels ni la blogosphère ne se sont mis à reprocher aux « musulmans » les crimes de Merah. Au contraire, l’industrie du conspirationnisme s’est mise en branle pour tenter de le dédouaner et faire valoir la thèse d’un complot d’Etat visant à stigmatiser l'islam...
I.K. : La thèse du complot d’État pour ce qui concerne le terrorisme dit islamique a également été reprise, particulièrement sur internet, chaque fois que Daech a assassiné des otages. Ainsi, les décapitations atroces notamment de Hervé Gourdel sont-elles perçues par la sphère complotiste comme des prétextes à l’expression d’une islamophobie latente, embusquée, n’attendant qu’un signal pour se répandre dans toute la société. On a même pu lire que le « calife » Al-Baghdadi était en réalité un « agent du Mossad » entraîné en Israël, et donc l’agent d’un complot contre l’islam, tout comme Merah.
Mais l’univers des blogs n’est pas le seul. Lors d’une manifestation organisée à Paris fin septembre en solidarité avec la victime - « Nous musulmans de France disons halte à la barbarie » –, le CCIF a déclaré que « les musulmans ne doivent pas jouer le jeu islamophobe, qui consiste à les placer en coupable et suspect idéal, les poussant sans arrêt à se justifier pour les agissements de tiers ».
L’idée reçue selon laquelle les médias conventionnels œuvreraient à stigmatiser les musulmans à chaque épisode terroriste est une idée fausse. Contrairement à ce qui est répété en boucle, et c’est également valable pour les attentats du 11-Septembre, les médias français s’emploient toujours, non pas à accuser les musulmans, mais bien au contraire à préciser que nos compatriotes de religion musulmane ne sont absolument pas concernés par les agissements des terroristes. Ce que reprochent d’ailleurs tant Vincent Geisser que Thomas Deltombe aux journalistes, lorsqu’ils les accusent d’opérer une distinction entre « bons » et « mauvais » musulmans.
Cela dit, notons que le massacre perpétré par Anders Breivik avait d’abord été attribué… à des islamistes. On pourra juger que ces contresens médiatiques, d’un côté comme de l’autre, s’expliquent par l’impérieuse nécessité de la réaction brûlante à « l’actualité ».
J-C M. : Chaque attentat islamiste entraîne effectivement un accès de fièvre conspirationniste au sein des mouvements de lutte contre l’islamophobie. Ce fut le cas après l’affaire Merah comme cela l’a été suite à la tuerie perpétrée au musée juif de Bruxelles, lorsque Tariq Ramadan prétendit qu’il ne s’agissait pas d’un crime antisémite et dénonça une « manœuvre de diversion quant aux vrais motifs et aux exécutants » en affirmant – à tort – que les victimes appartenaient aux services secrets israéliens (un statut Facebook « liké » par plus de 10 000 personnes).
Mais on rencontre également, aux côtés de cette forme spectaculaire de déni, un discours plus policé qui consiste à dire – pour reprendre la formule employée par le porte-parole du CCIF deux semaines après la tuerie de Bruxelles – que la focalisation des autorités et des médias sur le terrorisme islamiste serait « statistiquement irrationnelle » en comparaison du nombre bien plus important d’actes commis en Europe par des mouvements séparatistes. Discours qui fait écho à celui des sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, selon qui nos élites politiques exploiteraient « le spectre du terrorisme islamiste » pour fabriquer de toutes pièces un « problème musulman », comme d’autres agitait hier « celui du judéo-bolchévisme » pour fabriquer une « question juive » (7).
Face à cette pensée louvoyante, il faut rappeler une réalité brutale : au cours de la dernière décennie, 70% des victimes du terrorisme en Europe ont péri dans des attentats islamistes. Sur un total de 369 « victimes mortelles » recensées par Europol pour l’ensemble des attentats terroristes commis en Europe sur la période 2004-2013, on dénombre ainsi 261 morts dans des attentats islamistes, 79 dans des attentats d’extrême droite (dont 78 victimes d’Anders Breivik en 2011), 20 dans des attentats séparatistes et 9 dans des attentats d’extrême gauche.
Contre l’idée qu’une « étude raisonnée du fait terroriste en Europe » pourrait se fonder sur une comptabilité aveugle du nombre d’actes commis par mouvance, il faut aussi rappeler que le terrorisme islamiste est le seul à cibler systématiquement les populations civiles, là où les autres mouvances terroristes visent en priorité des cibles institutionnelles (bâtiments publics ou représentants de l’État) et causent principalement des dommages matériels. Autant de réalités qui justifient amplement cette « obsession » des autorités sans laquelle le terrorisme islamiste aurait cessé depuis longtemps d’être « statistiquement marginal » !
Notes :
(1) Auteurs de Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », La Découverte, 2013.
(2) Selon Vincent Geisser in La Nouvelle islamophobie, La Découverte, 2003.
(3) En 2013, les violences antisémites représentaient 40% du total des actes de violence à caractère raciste. Ce chiffre était de 50% en 2012 (source : rapport 2013 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme).
(4) Auteur de L’islam imaginaire. La construction médiatique de l'islamophobie en France (1975-2005), La Découverte, 2007.
(5) Voir à ce propos le témoignage de Neslinur Yilmaz (dont l’audition a été déterminante dans la décision de la commission Stasi de préconiser l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école) : Blandine Grosjean, « Voilée, semi-recluse puis rebelle », Libération, 22 décembre 2003.
(6) On peut ainsi reprocher aux tribunaux administratifs d’avoir validé des exclusions scolaires fondées sur une interdiction de « signes religieux ostentatoires par destination », c’est-à-dire les vêtements qui, bien que n’étant pas par nature des symboles religieux, peuvent le devenir en fonction de l’intention des élèves. Cette jurisprudence, en effet, autorise implicitement les établissements à pratiquer une politique d’intolérance au moindre signe d’islamité, totalement étrangère à la philosophie originelle de la commission Stasi.
(7) Abdellali Hajjat & Marwan Mohammed, Islamophobie (op. cit.), p. 185.
Isabelle Kersimon est journaliste indépendante.
Jean-Christophe Moreau, spécialiste de l’histoire du droit, est diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et de la Faculté de droit et de sciences politiques de l’université Aix-Marseille III.
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