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La caution juive des antisémites

Publié par Brigitte Stora et Robert Hirsch22 janvier 2021

Pour Brigitte Stora et Robert Hirsch, la dernière sortie d'Houria Bouteldja (« on ne peut pas être Israélien innocemment ») et les soutiens qui lui ont été témoignés depuis lors, doivent être réinscrits dans un héritage précis : celui de l'antisémitisme stalinien.

Texte de soutien à Houria Bouteldja sur le site acta.zone (capture d'écran, 17/01/2021).

Les tribunes se multiplient pour soutenir Houria Bouteldja et son texte déprogrammé de Mediapart dans lequel l’ex-patronne des Indigènes de la République tentait à nouveau d’absoudre la haine antisémite, dirigée cette fois contre la candidate de Miss France, April Benyaoum, Miss Provence. Sans justifier des termes tels que « Tonton Hitler, t’as oublié d’exterminer Miss Provence », Bouteldja a expliqué qu’« on ne peut pas être Israélien innocemment ». Sachant qu’il ne s’agit pas pour elle d’incriminer Arabes et Druzes d’Israël, on aura traduit : « on n’est pas juif impunément ».

Dans ce texte, Bouteldja propose un néologisme, « l’antijuivisme », qui serait une sorte d’« antisionisme des imbéciles » porté par les « antisémites édentés » de banlieue. On appréciera le mépris de ces auto-entrepreneurs de la haine, vis-à-vis de ceux qu’ils prétendent représenter.

Depuis des années Bouteldja exprime cette haine qui n’a d’antisioniste que le nom. Et depuis des années, des intellectuels, des institutions, des médias continuent de la soutenir et de la justifier. Parmi ses fidèles se trouve l’UJFP (Union juive française pour la paix).

Fort de quelques dizaines de membres, ce groupe occupe depuis plus de 25 ans une place de choix dans les médias. Fidèles des Indigènes de la république, soutiens infaillibles de Tariq Ramadan, pétitionnant pour soutenir Dieudonné, régulièrement cités par Soral, cette mouvance a su jouer de l’obscénité de l’air du temps, mêlant scandale et narcissisme. Leur profession de foi est un antisionisme obsessionnel, qui trouve plus de vertus au Hamas et au Hezbollah qu’à l’État d’Israël. Pour démontrer que les Juifs n’ont rien à voir avec Israël, ces gens passent leur existence à écrire sur le sujet ; on a connu dénégation plus convaincante.

En dépit de son sigle, délicieusement médiatique, jamais l’UJFP n’a mené la moindre action pour la paix, ni en Israël ni en France ; quant au nom juif il semble n’avoir qu’une fonction : la dénonciation. Ainsi, chaque fois que l’antisémitisme a frappé, ce groupe l’a, soit nié, soit relativisé, refusant fièrement de défiler pour la mémoire d’Ilan Halimi et organisant au moment d’une manifestation contre l’antisémitisme en février 2019 une contre-manifestation contre… son « instrumentalisation ».

Un narcissisme obscène

Leur texte de 2012 après les assassinats perpétrés par Merah est un modèle du genre, s’émouvant, à juste titre, de « la situation des banlieues et leur délaissement par les pouvoirs publics », de « l’inquiétude de nos concitoyens d’origine musulmane », mais ne disant rien de l’angoisse des Juifs de France après l’assassinat d’enfants juifs pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. En revanche, le texte proteste contre… le rapatriement des corps en Israël et conclut en expliquant que la politique israélienne « met en danger la paix et la cohésion de toutes les sociétés, de la nôtre en particulier ». On est tout près de l’explication du monde par le « complot sioniste » – juif – mondial.

Les militants juifs de l’antisionisme ont popularisé l’idée, devenue doxa au sein de certains secteurs de la gauche, que la haine des musulmans, bien réelle, aurait remplacé celle des Juifs. De pétitions en tribunes, de colloques en manifestations comme celle du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, ils n’ont cessé de marteler ce mot d’ordre « Juifs hier, musulmans aujourd’hui », dont la traduction n’est autre que : « pour les Juifs, de nos jours, il n’y a plus rien à craindre ». D’où l’abstention dans la lutte contre l’antisémitisme de ces Juifs du déni. D’où aussi cette stupéfiante lettre des 38 « personnalités juives » du 25 novembre dernier dans L’Obs. Partant d’une juste préoccupation, celle de protester contre les gardes à vue abusives d’élèves, parfois âgés de 11 ans, coupables de réflexions négatives lors des hommages à Samuel Paty, les 38 expliquaient :

« Si l’histoire doit participer de notre boussole politique pour le présent, alors il nous est impossible de ne pas évoquer l’expérience de milliers d’enfants juifs, français ou étrangers, dépouillés de leur enfance et de leur dignité par l’agenda politique vichyste et sa suspicion antisémite. »

Ces réflexions sont dangereuses car elles peuvent alimenter la propagande islamiste. D’autre part, ce narcissisme obscène dessert les « enfants musulmans », car il s’agit encore une fois de parler de soi en instrumentalisant les autres. Enfin, comparer la répression gouvernementale au pétainisme allié des nazis est une faute grave à l’heure où l’extrême droite, la véritable héritière de Vichy, menace. Ces raccourcis historiques désarment dans la lutte contre l’antisémitisme, mais aussi contre l’islamisme et pour le combat antiraciste.

Chaque fois que ces militants s’expriment, le nom juif n’est avancé que pour le dénoncer, offrant une caution juive à l’entreprise antijuive tout en gratifiant ses membres d’une visibilité inespérée, et même d’un certain prestige à gauche. Il est peut-être temps de s’interroger sur la place disproportionnée qu’une telle parole a réussi à prendre.

Dans une société où le narcissisme se combine avec le vide des idées, on aime à exhiber des artefacts avec un goût à peine voilé de la trahison et du retournement ; la parole des femmes antiféministes, des Maghrébins vomissant l’islam et des Juifs qui se haïssent est une parole prisée, tendance. Elle souligne la jubilation face à la destruction de toute solidarité, adoubant les parcours de celles et ceux qui combinent un pur individualisme libéral avec un narcissisme débridé. Ces paroles, ô combien « vendeuses », viennent conforter les propos misogynes, racistes et antisémites offrant à ceux qui les promeuvent la couverture nécessaire, la permission qui leur manquaient.

Pendant toutes les années 2000, la voix des Juifs antisionistes professionnels, la seule autorisée pour l’extrême gauche, se répandit de tribunes en plateaux télés ; des Juifs qui trouvaient une légitimité à ne brandir leur nom qu’à la condition explicite de le dénoncer furent considérés comme la version légitime et enfin innocente de se revendiquer comme Juifs. Nous avons eu droit ad nauseam à ces postures rebelles qui jouèrent un rôle dans la sous-estimation de l’antisémitisme, celui qui poussait des milliers de familles juives modestes vers le départ, celui qui régulièrement a continué de tuer des Juifs dans un silence assourdissant.

Les combats antiracistes et décoloniaux ont alerté sur la persistance d’imaginaires qui ont validé et reconduit l’oppression. Il n’aura échappé à personne, à part aux racistes, que le dessin d’une députée noire les fers aux pieds ne saurait relever de l’innocence, du hasard, voire de la liberté artistique… L’esclavage et le colonialisme font encore partie des regrets de certains. De la même manière, il est difficile d’oublier que l’Occident chrétien s’est largement fondé sur la mort d’un Juif nommé Jésus. Il faut peut-être rappeler que cette place orgueilleusement revendiquée, celle du Juif martyr sacrifié sur la croix, mort en messie pour sauver l’humanité au prix de sa propre disparition, est quelque chose d’un peu antérieur à l’existence de ces agitateurs.

Porter témoignage contre leur nom

La saga de ces Juifs qui ne cessent de se dénoncer relève essentiellement du stalinisme. L’innovation de l’antisémitisme stalinien consista à utiliser et associer des Juifs dans la dénonciation d’autres Juifs, mettant en scène les seuls Juifs « innocents », ceux qui précisément participent de leur auto-abolition… « Engagés », dans les deux sens du mot, sans état d’âme, dans la chasse aux trotskistes et dans les campagnes antisionistes jusqu’à la dénonciation des « médecins empoisonneurs », ces Juifs n’eurent qu’une fonction : porter témoignage contre leur nom. Dans un jeu de miroir, l’antisémitisme à la fois virulent et honteux du pouvoir soviétique convoqua la judéité de certains juifs staliniens, une judéité de contrebande, dont ils se délestèrent comme on se délivre d’une mauvaise marchandise. Et ce geste, comme un aveu, une communion ou une nouvelle profession de foi, se devait d’être publique. On leur demanda donc de « témoigner » contre eux-mêmes en signant des pétitions, des tribunes destinées à valider l’entreprise antijuive.

Ainsi, en pleine affaire des blouses blanches, ils vont signer une lettre demandant la condamnation des « médecins empoisonneurs »… les accusant d’avoir « créé les conditions d’un renouveau de l’antisémitisme » en se mettant au service des « milliardaires américains et anglais, assoiffés de sang du peuple, au nom du profit ». Elle se termine par un vibrant appel aux travailleurs juifs afin d’unir leurs forces contre « l’aventurisme des millionnaires juifs, contre les dirigeants d’Israël et le sionisme international ». Les partis communistes du monde entier relaieront ces campagnes et L’Humanité publiera dans ses colonnes l’équivalent de ce texte, signé par des médecins juifs français*…

Ces méthodes et ce vocabulaire ont eu une grande postérité. Elles sont toujours monnaie courante dans la mouvance antisioniste et jouèrent un rôle dans le naufrage négationniste d’une partie de l’ultra-gauche. Là se trouve sans doute l’une des signatures, trop souvent méconnues, de l’héritage stalinien.

La dernière sortie de Bouteldja n’a rien de nouveau, tout comme son vocabulaire hérité directement du Goulag où elle souhaite, comme un aveu, envoyer les « sionistes ». Les justifications de ceux qui la saluent et n’ont cessé d’égarer la gauche, la jeunesse et la pensée ne sont pas neuves non plus. Ce qui doit nous interpeller collectivement, c’est ce goût persistant d’une certaine tradition occidentale pour les Juifs morts et pour ceux qui viennent proclamer leur abolition, ce qu’il est temps d’interroger c’est la mansuétude que leur accorde une partie de la gauche : il est temps qu’elle cesse.

 

* A l'initiative d'Annie Kriegel, une lettre fut publiée dans le journal L’Humanité du 27 janvier 1953 avec dix signatures de médecins, Juifs pour la plupart.

 

Voir aussi :

L’antisionisme soviétique et l’antisémitisme de gauche aujourd’hui

 

[Texte initialement publié le 19 janvier 2021 sur le blog de Brigitte Stora. Merci à ses auteurs de nous avoir autorisé à le reproduire ici.]

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Texte de soutien à Houria Bouteldja sur le site acta.zone (capture d'écran, 17/01/2021).

Les tribunes se multiplient pour soutenir Houria Bouteldja et son texte déprogrammé de Mediapart dans lequel l’ex-patronne des Indigènes de la République tentait à nouveau d’absoudre la haine antisémite, dirigée cette fois contre la candidate de Miss France, April Benyaoum, Miss Provence. Sans justifier des termes tels que « Tonton Hitler, t’as oublié d’exterminer Miss Provence », Bouteldja a expliqué qu’« on ne peut pas être Israélien innocemment ». Sachant qu’il ne s’agit pas pour elle d’incriminer Arabes et Druzes d’Israël, on aura traduit : « on n’est pas juif impunément ».

Dans ce texte, Bouteldja propose un néologisme, « l’antijuivisme », qui serait une sorte d’« antisionisme des imbéciles » porté par les « antisémites édentés » de banlieue. On appréciera le mépris de ces auto-entrepreneurs de la haine, vis-à-vis de ceux qu’ils prétendent représenter.

Depuis des années Bouteldja exprime cette haine qui n’a d’antisioniste que le nom. Et depuis des années, des intellectuels, des institutions, des médias continuent de la soutenir et de la justifier. Parmi ses fidèles se trouve l’UJFP (Union juive française pour la paix).

Fort de quelques dizaines de membres, ce groupe occupe depuis plus de 25 ans une place de choix dans les médias. Fidèles des Indigènes de la république, soutiens infaillibles de Tariq Ramadan, pétitionnant pour soutenir Dieudonné, régulièrement cités par Soral, cette mouvance a su jouer de l’obscénité de l’air du temps, mêlant scandale et narcissisme. Leur profession de foi est un antisionisme obsessionnel, qui trouve plus de vertus au Hamas et au Hezbollah qu’à l’État d’Israël. Pour démontrer que les Juifs n’ont rien à voir avec Israël, ces gens passent leur existence à écrire sur le sujet ; on a connu dénégation plus convaincante.

En dépit de son sigle, délicieusement médiatique, jamais l’UJFP n’a mené la moindre action pour la paix, ni en Israël ni en France ; quant au nom juif il semble n’avoir qu’une fonction : la dénonciation. Ainsi, chaque fois que l’antisémitisme a frappé, ce groupe l’a, soit nié, soit relativisé, refusant fièrement de défiler pour la mémoire d’Ilan Halimi et organisant au moment d’une manifestation contre l’antisémitisme en février 2019 une contre-manifestation contre… son « instrumentalisation ».

Un narcissisme obscène

Leur texte de 2012 après les assassinats perpétrés par Merah est un modèle du genre, s’émouvant, à juste titre, de « la situation des banlieues et leur délaissement par les pouvoirs publics », de « l’inquiétude de nos concitoyens d’origine musulmane », mais ne disant rien de l’angoisse des Juifs de France après l’assassinat d’enfants juifs pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. En revanche, le texte proteste contre… le rapatriement des corps en Israël et conclut en expliquant que la politique israélienne « met en danger la paix et la cohésion de toutes les sociétés, de la nôtre en particulier ». On est tout près de l’explication du monde par le « complot sioniste » – juif – mondial.

Les militants juifs de l’antisionisme ont popularisé l’idée, devenue doxa au sein de certains secteurs de la gauche, que la haine des musulmans, bien réelle, aurait remplacé celle des Juifs. De pétitions en tribunes, de colloques en manifestations comme celle du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, ils n’ont cessé de marteler ce mot d’ordre « Juifs hier, musulmans aujourd’hui », dont la traduction n’est autre que : « pour les Juifs, de nos jours, il n’y a plus rien à craindre ». D’où l’abstention dans la lutte contre l’antisémitisme de ces Juifs du déni. D’où aussi cette stupéfiante lettre des 38 « personnalités juives » du 25 novembre dernier dans L’Obs. Partant d’une juste préoccupation, celle de protester contre les gardes à vue abusives d’élèves, parfois âgés de 11 ans, coupables de réflexions négatives lors des hommages à Samuel Paty, les 38 expliquaient :

« Si l’histoire doit participer de notre boussole politique pour le présent, alors il nous est impossible de ne pas évoquer l’expérience de milliers d’enfants juifs, français ou étrangers, dépouillés de leur enfance et de leur dignité par l’agenda politique vichyste et sa suspicion antisémite. »

Ces réflexions sont dangereuses car elles peuvent alimenter la propagande islamiste. D’autre part, ce narcissisme obscène dessert les « enfants musulmans », car il s’agit encore une fois de parler de soi en instrumentalisant les autres. Enfin, comparer la répression gouvernementale au pétainisme allié des nazis est une faute grave à l’heure où l’extrême droite, la véritable héritière de Vichy, menace. Ces raccourcis historiques désarment dans la lutte contre l’antisémitisme, mais aussi contre l’islamisme et pour le combat antiraciste.

Chaque fois que ces militants s’expriment, le nom juif n’est avancé que pour le dénoncer, offrant une caution juive à l’entreprise antijuive tout en gratifiant ses membres d’une visibilité inespérée, et même d’un certain prestige à gauche. Il est peut-être temps de s’interroger sur la place disproportionnée qu’une telle parole a réussi à prendre.

Dans une société où le narcissisme se combine avec le vide des idées, on aime à exhiber des artefacts avec un goût à peine voilé de la trahison et du retournement ; la parole des femmes antiféministes, des Maghrébins vomissant l’islam et des Juifs qui se haïssent est une parole prisée, tendance. Elle souligne la jubilation face à la destruction de toute solidarité, adoubant les parcours de celles et ceux qui combinent un pur individualisme libéral avec un narcissisme débridé. Ces paroles, ô combien « vendeuses », viennent conforter les propos misogynes, racistes et antisémites offrant à ceux qui les promeuvent la couverture nécessaire, la permission qui leur manquaient.

Pendant toutes les années 2000, la voix des Juifs antisionistes professionnels, la seule autorisée pour l’extrême gauche, se répandit de tribunes en plateaux télés ; des Juifs qui trouvaient une légitimité à ne brandir leur nom qu’à la condition explicite de le dénoncer furent considérés comme la version légitime et enfin innocente de se revendiquer comme Juifs. Nous avons eu droit ad nauseam à ces postures rebelles qui jouèrent un rôle dans la sous-estimation de l’antisémitisme, celui qui poussait des milliers de familles juives modestes vers le départ, celui qui régulièrement a continué de tuer des Juifs dans un silence assourdissant.

Les combats antiracistes et décoloniaux ont alerté sur la persistance d’imaginaires qui ont validé et reconduit l’oppression. Il n’aura échappé à personne, à part aux racistes, que le dessin d’une députée noire les fers aux pieds ne saurait relever de l’innocence, du hasard, voire de la liberté artistique… L’esclavage et le colonialisme font encore partie des regrets de certains. De la même manière, il est difficile d’oublier que l’Occident chrétien s’est largement fondé sur la mort d’un Juif nommé Jésus. Il faut peut-être rappeler que cette place orgueilleusement revendiquée, celle du Juif martyr sacrifié sur la croix, mort en messie pour sauver l’humanité au prix de sa propre disparition, est quelque chose d’un peu antérieur à l’existence de ces agitateurs.

Porter témoignage contre leur nom

La saga de ces Juifs qui ne cessent de se dénoncer relève essentiellement du stalinisme. L’innovation de l’antisémitisme stalinien consista à utiliser et associer des Juifs dans la dénonciation d’autres Juifs, mettant en scène les seuls Juifs « innocents », ceux qui précisément participent de leur auto-abolition… « Engagés », dans les deux sens du mot, sans état d’âme, dans la chasse aux trotskistes et dans les campagnes antisionistes jusqu’à la dénonciation des « médecins empoisonneurs », ces Juifs n’eurent qu’une fonction : porter témoignage contre leur nom. Dans un jeu de miroir, l’antisémitisme à la fois virulent et honteux du pouvoir soviétique convoqua la judéité de certains juifs staliniens, une judéité de contrebande, dont ils se délestèrent comme on se délivre d’une mauvaise marchandise. Et ce geste, comme un aveu, une communion ou une nouvelle profession de foi, se devait d’être publique. On leur demanda donc de « témoigner » contre eux-mêmes en signant des pétitions, des tribunes destinées à valider l’entreprise antijuive.

Ainsi, en pleine affaire des blouses blanches, ils vont signer une lettre demandant la condamnation des « médecins empoisonneurs »… les accusant d’avoir « créé les conditions d’un renouveau de l’antisémitisme » en se mettant au service des « milliardaires américains et anglais, assoiffés de sang du peuple, au nom du profit ». Elle se termine par un vibrant appel aux travailleurs juifs afin d’unir leurs forces contre « l’aventurisme des millionnaires juifs, contre les dirigeants d’Israël et le sionisme international ». Les partis communistes du monde entier relaieront ces campagnes et L’Humanité publiera dans ses colonnes l’équivalent de ce texte, signé par des médecins juifs français*…

Ces méthodes et ce vocabulaire ont eu une grande postérité. Elles sont toujours monnaie courante dans la mouvance antisioniste et jouèrent un rôle dans le naufrage négationniste d’une partie de l’ultra-gauche. Là se trouve sans doute l’une des signatures, trop souvent méconnues, de l’héritage stalinien.

La dernière sortie de Bouteldja n’a rien de nouveau, tout comme son vocabulaire hérité directement du Goulag où elle souhaite, comme un aveu, envoyer les « sionistes ». Les justifications de ceux qui la saluent et n’ont cessé d’égarer la gauche, la jeunesse et la pensée ne sont pas neuves non plus. Ce qui doit nous interpeller collectivement, c’est ce goût persistant d’une certaine tradition occidentale pour les Juifs morts et pour ceux qui viennent proclamer leur abolition, ce qu’il est temps d’interroger c’est la mansuétude que leur accorde une partie de la gauche : il est temps qu’elle cesse.

 

* A l'initiative d'Annie Kriegel, une lettre fut publiée dans le journal L’Humanité du 27 janvier 1953 avec dix signatures de médecins, Juifs pour la plupart.

 

Voir aussi :

L’antisionisme soviétique et l’antisémitisme de gauche aujourd’hui

 

[Texte initialement publié le 19 janvier 2021 sur le blog de Brigitte Stora. Merci à ses auteurs de nous avoir autorisé à le reproduire ici.]

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à propos de l'auteur
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Brigitte Stora et Robert Hirsch
Brigitte Stora est journaliste indépendante et autrice de "Que sont mes amis devenus… Les Juifs, Charlie puis tous les nôtres" (Editions Le Bord de l'eau, 2016). Robert Hirsch est historien. Il est l'auteur de "Sont-ils toujours des Juifs allemands ? La gauche radicale et les Juifs depuis 68" (Arbre bleu éditions, 2017).
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