Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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La critique des médias, sa légitimité et ses excès vus par Laurent Joffrin

Publié par La Rédaction29 avril 2010, ,

« Les médias mentent » nous disent les complotistes. À travers ce slogan, c’est pourtant le principe même de la démocratie moderne qui est suspecté.

Montage CW.

Média-Paranoïa. C'est le titre d'un petit livre publié l'année dernière par Laurent Joffrin (Seuil, coll. Mediathèque, 2009, 131 pp.). Le directeur de Libération essayait d'y décrire ce « mal qui mine les démocraties modernes », un mal né d'une « mise en question légitime » ayant dégénéré au cours de la dernière décennie « en rejet indistinct de l’ensemble des organes d’information, en défiance systématique à l’égard des télévisions, des radios et des journaux, en un credo complotiste et agressif, en une forme nouvelle de poujadisme sémiologique et branché, bref en média-paranoïa ».

Cette « média-paranoïa », Joffrin la définit comme une « idéologie, fruste, négative, fantasmatique, mais diablement efficace, tant elle caresse dans le sens du poil les préjugés les plus anciens, qui voient dans la démocratie des droits de l’homme non une chance pour les citoyens de toutes conditions mais un artifice qui berne le peuple et protège les intérêts d’une oligarchie cosmopolite et ploutocratique ». Que l'on ne se méprenne pas : « Justifiée, nécessaire, précieuse, écrit l'auteur, la critique du journalisme est un exercice élémentaire dans une société ouverte. Les erreurs, les insuffisances, les fautes des médias sont suffisamment nombreuses pour qu’une saine vigilance anime le citoyen à leur égard ».

Voici quelques extraits d'un livre qui, en dernière analyse, vaut mieux que certains comptes-rendus, flatteurs ou assassins, qui ont pu en être tirés lors de sa sortie :

Progressivement, l’idée s’est répandue dans le public que le système médiatique n’est qu’un vaste appareil de manipulation de l’opinion mis au service d’intérêts obscurs et malfaisants, une simple région du pouvoir sans autonomie propre ni règles loyales de traitement de l’actualité, un simple discours parmi d’autres, aussi arbitraire que n’importe quelle élucubration fanatique, une machine à tromper et à dominer actionnée par les puissants au détriment du peuple. Née d’erreurs graves et de dérives commerciales ou financières effectivement inquiétantes, cette vision dénonciatrice a étendu la condamnation de la partie vers le tout, elle a tiré de symptômes disparates un diagnostic définitif. [...]

L’espace public, en démocratie, suppose qu’on se mette d’accord, au moins, sur les faits essentiels, tels qu’ils sont portés à la connaissance du public par les journalistes (même s’ils sont loin d’être les seuls, fort heureusement, à informer leurs contemporains). Les interprétations, les politiques à mener, les philosophies à défendre sont ensuite libres et multiples. Mais enfin, il faut à cette discussion une base commune. Nous tenons que les journaux, les télévisions, les radios et les grands sites d’information fournissent cette base de discussion, même s’ils le font imparfaitement. Dans la média-paranoïa, qui postule le caractère mensonger de tout compte rendu médiatique, elle disparaît. Elle est remplacée par le choc confus des préjugés et des dénonciations, souvent relayés par Internet, dont on proclame la supériorité par le simple fait que la toile concurrence les médias classiques et, souvent, les dénonce, prétendant peu ou prou au statut qui était celui des dissidents en pays totalitaire. Or comment faire fonctionner une démocratie, assurer la loyauté de l’élection, soumettre les actions du pouvoir à la critique collective, si le système d’information est essentiellement menteur et manipulateur et s’il faut lui opposer non une posture critique visant à l’améliorer mais une philippique permanente visant à le discréditer ? C’est alors le principe même de la démocratie moderne qui est suspecté. Rien à attendre des médias, rien à sauver du journalisme : il ne faut accorder sa confiance, dès lors, qu’aux idéologues de la rupture, aux gourous anti-systèmes, aux apôtres de la radicalité, de droite ou de gauche, qui, eux, ont su se défaire de l’illusion journalistique comme de la fumée démocratique. [...]

Reste, en exergue de ce court texte, une clarification nécessaire : qui pratique la média-paranoïa ? Une grande partie de l’opinion, il faut bien le dire et c’est là le point essentiel, pour qui les erreurs du système médiatique emportent une condamnation globale. Persuadée que le journalisme a par nature partie liée avec les élites économiques et politiques (notamment parce que les journalistes n’ont pas pris le soin de s’en démarquer suffisamment), cette majorité les jette dans l’opprobre général qui frappe une classe dirigeante à qui on reproche, souvent à juste titre, son égoïsme, son cynisme et surtout son incapacité à protéger classes moyennes et populaires des injustices et des cruautés de la société mondialisée. Compréhensible, cette réprobation générale est nourrie, accréditée, légitimée par un certain nombre de chroniqueurs et d’intellectuels qui en ont fait leur sésame vers la notoriété. Certains sont les rédacteurs d’articles réguliers de dénigrement de leur propre métier, d’autres sont des auteurs universitaires décidés à discréditer une profession concurrente, le journalisme, qu’ils jugent indûment visible sur le devant de la scène publique alors qu’ils sont eux-mêmes relégués dans l’ombre. D’autres enfin sont des militants qui usent de la critique des médias pour faire avancer leurs thèses.

Ces nombreux soldats de la foi média-paranoïaque ne forment évidemment pas un ensemble conscient et ordonné. Nulle alliance diabolique, nul complot anti-démocratique dans ce courant hétérogène et spontané. La plupart d’entre eux partent d’une sincère et juste indignation devant les fautes du système médiatique, beaucoup expriment des convictions désintéressées et indépendantes, d’autres encore croient œuvrer pour le bien des citoyens. Mais une petite minorité d’idéologues conscients voient aussi la média-paranoïa comme une chance : celle de faire progresser, derrière une dénonciation qui flatte des préjugés communs, leur détestation de la « démocratie bourgeoise » au profit d’une utopie funeste et répressive, qui n’a rien appris ni rien oublié des anciennes chimères révolutionnaires. La plupart des procureurs du journalisme, évidemment, ne voient pas la finalité de cette entreprise indirecte. Ils sont en quelque sorte, selon la formule de Lénine, les idiots utiles de ces ennemis de la liberté. Raison de plus pour leur ouvrir les yeux.

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Média-Paranoïa. C'est le titre d'un petit livre publié l'année dernière par Laurent Joffrin (Seuil, coll. Mediathèque, 2009, 131 pp.). Le directeur de Libération essayait d'y décrire ce « mal qui mine les démocraties modernes », un mal né d'une « mise en question légitime » ayant dégénéré au cours de la dernière décennie « en rejet indistinct de l’ensemble des organes d’information, en défiance systématique à l’égard des télévisions, des radios et des journaux, en un credo complotiste et agressif, en une forme nouvelle de poujadisme sémiologique et branché, bref en média-paranoïa ».

Cette « média-paranoïa », Joffrin la définit comme une « idéologie, fruste, négative, fantasmatique, mais diablement efficace, tant elle caresse dans le sens du poil les préjugés les plus anciens, qui voient dans la démocratie des droits de l’homme non une chance pour les citoyens de toutes conditions mais un artifice qui berne le peuple et protège les intérêts d’une oligarchie cosmopolite et ploutocratique ». Que l'on ne se méprenne pas : « Justifiée, nécessaire, précieuse, écrit l'auteur, la critique du journalisme est un exercice élémentaire dans une société ouverte. Les erreurs, les insuffisances, les fautes des médias sont suffisamment nombreuses pour qu’une saine vigilance anime le citoyen à leur égard ».

Voici quelques extraits d'un livre qui, en dernière analyse, vaut mieux que certains comptes-rendus, flatteurs ou assassins, qui ont pu en être tirés lors de sa sortie :

Progressivement, l’idée s’est répandue dans le public que le système médiatique n’est qu’un vaste appareil de manipulation de l’opinion mis au service d’intérêts obscurs et malfaisants, une simple région du pouvoir sans autonomie propre ni règles loyales de traitement de l’actualité, un simple discours parmi d’autres, aussi arbitraire que n’importe quelle élucubration fanatique, une machine à tromper et à dominer actionnée par les puissants au détriment du peuple. Née d’erreurs graves et de dérives commerciales ou financières effectivement inquiétantes, cette vision dénonciatrice a étendu la condamnation de la partie vers le tout, elle a tiré de symptômes disparates un diagnostic définitif. [...]

L’espace public, en démocratie, suppose qu’on se mette d’accord, au moins, sur les faits essentiels, tels qu’ils sont portés à la connaissance du public par les journalistes (même s’ils sont loin d’être les seuls, fort heureusement, à informer leurs contemporains). Les interprétations, les politiques à mener, les philosophies à défendre sont ensuite libres et multiples. Mais enfin, il faut à cette discussion une base commune. Nous tenons que les journaux, les télévisions, les radios et les grands sites d’information fournissent cette base de discussion, même s’ils le font imparfaitement. Dans la média-paranoïa, qui postule le caractère mensonger de tout compte rendu médiatique, elle disparaît. Elle est remplacée par le choc confus des préjugés et des dénonciations, souvent relayés par Internet, dont on proclame la supériorité par le simple fait que la toile concurrence les médias classiques et, souvent, les dénonce, prétendant peu ou prou au statut qui était celui des dissidents en pays totalitaire. Or comment faire fonctionner une démocratie, assurer la loyauté de l’élection, soumettre les actions du pouvoir à la critique collective, si le système d’information est essentiellement menteur et manipulateur et s’il faut lui opposer non une posture critique visant à l’améliorer mais une philippique permanente visant à le discréditer ? C’est alors le principe même de la démocratie moderne qui est suspecté. Rien à attendre des médias, rien à sauver du journalisme : il ne faut accorder sa confiance, dès lors, qu’aux idéologues de la rupture, aux gourous anti-systèmes, aux apôtres de la radicalité, de droite ou de gauche, qui, eux, ont su se défaire de l’illusion journalistique comme de la fumée démocratique. [...]

Reste, en exergue de ce court texte, une clarification nécessaire : qui pratique la média-paranoïa ? Une grande partie de l’opinion, il faut bien le dire et c’est là le point essentiel, pour qui les erreurs du système médiatique emportent une condamnation globale. Persuadée que le journalisme a par nature partie liée avec les élites économiques et politiques (notamment parce que les journalistes n’ont pas pris le soin de s’en démarquer suffisamment), cette majorité les jette dans l’opprobre général qui frappe une classe dirigeante à qui on reproche, souvent à juste titre, son égoïsme, son cynisme et surtout son incapacité à protéger classes moyennes et populaires des injustices et des cruautés de la société mondialisée. Compréhensible, cette réprobation générale est nourrie, accréditée, légitimée par un certain nombre de chroniqueurs et d’intellectuels qui en ont fait leur sésame vers la notoriété. Certains sont les rédacteurs d’articles réguliers de dénigrement de leur propre métier, d’autres sont des auteurs universitaires décidés à discréditer une profession concurrente, le journalisme, qu’ils jugent indûment visible sur le devant de la scène publique alors qu’ils sont eux-mêmes relégués dans l’ombre. D’autres enfin sont des militants qui usent de la critique des médias pour faire avancer leurs thèses.

Ces nombreux soldats de la foi média-paranoïaque ne forment évidemment pas un ensemble conscient et ordonné. Nulle alliance diabolique, nul complot anti-démocratique dans ce courant hétérogène et spontané. La plupart d’entre eux partent d’une sincère et juste indignation devant les fautes du système médiatique, beaucoup expriment des convictions désintéressées et indépendantes, d’autres encore croient œuvrer pour le bien des citoyens. Mais une petite minorité d’idéologues conscients voient aussi la média-paranoïa comme une chance : celle de faire progresser, derrière une dénonciation qui flatte des préjugés communs, leur détestation de la « démocratie bourgeoise » au profit d’une utopie funeste et répressive, qui n’a rien appris ni rien oublié des anciennes chimères révolutionnaires. La plupart des procureurs du journalisme, évidemment, ne voient pas la finalité de cette entreprise indirecte. Ils sont en quelque sorte, selon la formule de Lénine, les idiots utiles de ces ennemis de la liberté. Raison de plus pour leur ouvrir les yeux.

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