Quelle est la logique de la haine ? Comment cet affect individuel peut-il animer des persecutions collectives ?
Ce nouveau livre de Jacob Rogozinski – professeur de philosophie à l’université de Strasbourg, auteur d’une œuvre déjà importante, qui a porté en particulier sur Kant, ou plus récemment sur Artaud et sur Derrida – est un ouvrage imposant, par ses dimensions et par la multiplicité des thèmes qu’il aborde. Il constitue en quelque sorte la suite de son ouvrage Le Moi et la Chair (Le Cerf, 2007), texte ambitieux dans lequel l’auteur se présentait en fondateur d’une nouvelle discipline, l’ego-analyse . Il s’agit d’une certaine manière d’appliquer les concepts de l’ego-analyse à des phénomènes historiques et sociaux, comme Freud l’avait fait en appliquant les concepts de la psychanalyse à l’étude des cultures et des religions.
L’ouvrage se penche sur un phénomène que l’on pensait connu, mais qui n’a jusqu’à présent gère suscité l’intérêt des philosophes, à savoir la persécution des sorcières au cours des XVIe et XVIIe siècles. Jacob Rogozinski a le mérite de nous rappeler l’ampleur du phénomène : entre 80 000 et 200 000 victimes, dénoncées, humiliées, torturées puis brûlées. Mais il nous rappelle aussi que ce phénomène ne s’est pas produit au cours d’un Moyen Âge que l’on imagine volontiers obscurantiste et sujet à des croyances religieuses irrationnelles, mais en plein processus de modernisation et de sécularisation. On brûle les sorcières au moment où Descartes écrit son Discours de la méthode ; et c’est ce même Jean Bodin, qui prend des positions humanistes sur les guerres de religion, fonde la théorie moderne de la souveraineté, et écrit un traité intitulé De la démonomanie des sorciers, qui dénonce l’omniprésence des sorciers dans la société (jusqu’à la cour du roi lui-même) et détaille les meilleurs moyens de les torturer. L’idée naïve – mais encore partagée par certains historiens – d’un progrès de l’histoire vers les Lumières, n’en sort pas indemne. [...]
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