Les Polonais ont-ils été tous et exclusivement les martyrs des nazis ? La Russie soviétique a-t-elle vraiment « libéré » la Pologne ? Sur fond de commémorations du 75e anniversaire de la découverte d'Auschwitz par l'Armée rouge, Moscou et Varsovie se livrent une implacable guerre des représentations.
Dans une tribune retentissante publiée mardi sur le site américain Politico Europe, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki (parti Droit et justice, PiS), a dénoncé la tentative de Moscou de « réécrire l'histoire » de la Seconde Guerre mondiale alors que plusieurs chefs d'Etat étaient attendus à Jérusalem, hier, au Forum international sur la Shoah, pour commémorer le 75e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau.
« Loin d'être un "libérateur", l'Union soviétique a facilité l’entreprise nazie et perpétré ses propres crimes – avant et après la libération d’Auschwitz » écrit sans ambages le chef du gouvernement polonais. Ses mots s'inscrivent dans une série de passes d'armes qui ponctuent depuis des années les relations entre la Pologne et la Russie et voit s'affronter deux récits nationaux concurrents. Les enjeux qui entourent l'écriture de l'histoire, particulièrement de la Seconde Guerre mondiale, revêtent en effet une dimension politique majeure pour Varsovie aussi bien que pour Moscou.
En 2018, la Pologne a ainsi fait voter une loi controversée – en partie retirée depuis – qui punissait de 3 ans d'emprisonnement toute personne « attribuant à la République de Pologne et à la nation polonaise, publiquement et contrairement à la réalité des faits, la responsabilité ou la coresponsabilité de crimes nazis perpétrés par le IIIe Reich allemand ». Quant à la Russie, elle a adopté en 2014 une loi « sur la lutte contre la réhabilitation du nazisme » décrite par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) comme un prétexte pour empêcher toute remise en cause du storytelling officiel concernant les agissements de l'Armée rouge pendant la guerre (la loi prévoit des peines allant jusqu'à 5 ans de prison et 1 million de roubles d'amende).
Mais l'algarade russo-polonaise a surtout pour toile de fond l'adoption par le Parlement européen, le 19 septembre dernier, d'une résolution sur « l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe » qui rend l'Allemagne nazie et l'Union soviétique solidairement responsables du déclenchement du conflit :
« La Seconde Guerre mondiale [...] a été déclenchée comme conséquence immédiate du tristement célèbre pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939, également connu sous le nom de pacte Molotov-Ribbentrop, et de ses protocoles secrets, dans le cadre desquels deux régimes totalitaires ayant tous deux l’objectif de conquérir le monde se partageaient l’Europe en deux sphères d’influence ».
Ce pacte, qui tenait de l'alliance à la fois stratégique, économique, technologique et militaire, comprenait non seulement une intensification prodigieuse des échanges entre les deux puissances (livraison de céréales et de pétrole soviétiques à l'Allemagne, prêt à faible intérêt concédé à l'URSS, etc.) mais aussi et surtout un redécoupage de la carte de l'Europe : le partage de la Pologne entre l'Allemagne et l'URSS, l'annexion par celle-ci de territoires roumains, des trois républiques de Lituanie, de Lettonie et d’Estonie et l'invasion de la Finlande. Parmi les autres dispositions secrètes figurait la remise aux autorités nazies d'antifascistes allemands et autrichiens réfugiés en URSS. De quoi embarrasser le régime soviétique après la guerre dont la politique officielle fut, quasiment jusqu'à sa chute, de nier l'existence du pacte.
La résolution rappelle que, malgré la condamnation du pacte par le Congrès des députés du peuple de l’URSS en 1989, « en août 2019, les autorités russes ont rejeté toute responsabilité dans ce pacte et ses conséquences et promeuvent désormais une théorie selon laquelle la Pologne, les États baltes et l’Europe de l’Ouest sont en réalité les véritables instigateurs de la Seconde Guerre mondiale. » Last but not least, le texte indique que le Parlement européen « s’inquiète vivement des efforts déployés par les dirigeants de la Russie d’aujourd’hui pour déformer les faits historiques et blanchir les crimes commis par le régime totalitaire soviétique [et] considère ces tentatives comme un élément dangereux de la guerre de l’information qui est menée contre l’Europe démocratique ».
« Falsification de l’histoire »
En décembre 2019, à plusieurs occasions, Vladimir Poutine en personne a riposté en dénonçant dans cette résolution un « mensonge impardonnable » et une « falsification de l’histoire ». Selon le président russe, la tentative de placer sur le même plan l'Allemagne nazie et l'Union soviétique est en effet « un pur délire », se faisant fort de rappeler, documents d’archives à l'appui, les accords signés avec Hitler avant le pacte Molotov-Ribbentrop : l'accord de non-agression avec la Pologne en 1934 (qui était toutefois caduc au moment de la signature du pacte germano-soviétique), les accords de Munich (septembre 1938), la déclaration franco-allemande du 6 décembre 1938, l’accord de non-agression de mars 1939 avec la Lituanie puis celui de juin 1939 avec la Lettonie. Poutine n'a pas non plus hésité à accuser la Pologne de complicité avec les nazis – dans un projet resté lettre morte de déportation des Juifs en Afrique – et à qualifier Józef Lipski, l'ambassadeur de Pologne en Allemagne de 1934 jusqu'au déclenchement de la guerre en 1939, de « salaud » et de « porc antisémite ».
Pour le chef du gouvernement polonais cependant, si, pour l’Europe de l’Ouest, la tragédie de la guerre a pris fin avec la défaite de l’Allemagne nazie en 1945, pour beaucoup d’autres nations européennes, le rétablissement de la paix n’a signifié rien d'autre que le début d'une nouvelle tragédie :
« L’occupation soviétique, qui allait durer 45 autres années, a coûté des millions de vies humaines et a volé à la Pologne et à l’Europe centrale leur indépendance et les chances d’un développement économique normal. »
Morawiecki considère que la Russie minimise ou passe sous silence des aspects essentiels du pacte germano-soviétique sans lequel le IIIe Reich n’aurait jamais pu reconstituer ses capacités militaires, battre la Pologne et la France si facilement ni avoir tant de latitude dans la conception et la mise en oeuvre de l'extermination des Juifs d'Europe. De plus, « en campant l’Union soviétique en sauveur du monde contre le nazisme, le président russe Vladimir Poutine omet l’invasion militaire russe de la Pologne et des États baltes – Estonie, Lettonie, Lituanie – en juin 1940, et la guerre faite à la Finlande de novembre 1939 à mars 1940. »
Auschwitz aurait pu être libéré six mois plus tôt
Une autre des falsifications du Kremlin pointées par Morawiecki concerne la « libération » de la capitale polonaise dont la Russie ne manque pas de s'enorgueillir. Selon lui, « l’Armée rouge a tranquillement assisté à l’agonie de Varsovie. Ses deux soulèvements – le premier, du ghetto juif en 1943 ; le second, de toute la ville en 1944 – prouvent la cruauté des crimes allemands. Mais tandis que le peuple de Varsovie espérait une aide extérieure, Joseph Staline n’a jamais donné l’ordre à l’Armée rouge d’intervenir » – ce qui est historiquement exact.
Quant au camp d'extermination d'Auschwitz, le premier ministre polonais estime que l’Armée rouge aurait pu le libérer six mois plus tôt :
« À l’été 1944, l’armée soviétique n’était qu’à 200 kilomètres d’Auschwitz, mais son offensive fut reportée, permettant aux Allemands de se retirer et d’organiser des "Marches de la mort" jusqu’en janvier 1945. Le sauvetage des Juifs n’a jamais été une priorité pour Joseph Staline et l’Armée rouge. »
Mateusz Morawiecki rappelle que « les pertes polonaises dues à la Seconde Guerre mondiale sont parmi les plus élevées au monde : six millions de Polonais furent tués, dont trois millions de Juifs. Le pays fut complètement ruiné. »
La réaction de la diplomatie russe ne s'est pas fait attendre. Le 21 janvier, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova – qui s'était illustrée en 2016 par des commentaires jugés antisémites – a qualifié de « suicidaires » les propos du Premier ministre polonais, suggérant qu'au contraire la Pologne devrait être reconnaissante à l'égard de l'URSS pour avoir reçu, à l’issue de la guerre, des territoires qui appartenaient auparavant à l’Allemagne et pour avoir pu faire partie des pays fondateurs de l’ONU. « Et c’est juste une petite partie de ce que l’Union soviétique et son peuple ont fait pour le rétablissement de la Pologne d’après-guerre » complète Zakharova.
Soviétiques et Nazis furent dans le même camp du début de la guerre, en septembre 1939, à juin 1941. Après l'invasion de la Pologne, les troupes de l'Armée rouge et de la Wehrmacht défilèrent même conjointement à Brest-Litovsk. L'URSS porte en outre la responsabilité de l'assassinat et de la déportation de dizaines de milliers de citoyens polonais.
Si la majorité conservatrice au pouvoir à Varsovie favorise, sur les années noires de la guerre, un récit confortant l'image d'un peuple polonais qui aurait été exclusivement du côté des victimes de la barbarie nazie, la réalité est plus contrastée. Des civils polonais ont prêté main forte aux occupants allemands en livrant des Juifs, voire en participant activement aux massacres comme à Jedwabne en juillet 1941. La Pologne détient, à la fois, le triste privilège d'être le seul pays où un pogrom antisémite a été perpétré plus d'un an après la fin de la guerre, en 1946, et le record du nombre de Justes parmi les Nations – des citoyens polonais non-Juifs qui ont pris des risques pour sauver des Juifs pendant la guerre – reconnus par Yad Vashem, l'Institut international pour la mémoire de la Shoah. La Résistance polonaise a aussi organisé, de 1942 à 1945, un réseau clandestin d’aide – connu sous le nom de code « Żegota » –, qui a permis de soustraire quelque 100 000 Juifs aux crimes allemands. En Pologne, les collaborateurs ou les dénonciateurs de Juifs étaient punis de mort par l’Armée de l’Intérieur, bras armé du Gouvernement polonais en exil. Celui-ci fut aussi le premier, dès la fin de l'année 1942, à tenter d'alerter le monde sur la réalité du génocide en cours.
Voir aussi :
La « conspiration de Munich » : usages passés et présents d’un thème d’accusation anti-occidental
Pologne : « une intrusion inouïe dans la liberté de la recherche » selon Jean-Charles Szurek
Les Polonais ont-ils été tous et exclusivement les martyrs des nazis ? La Russie soviétique a-t-elle vraiment « libéré » la Pologne ? Sur fond de commémorations du 75e anniversaire de la découverte d'Auschwitz par l'Armée rouge, Moscou et Varsovie se livrent une implacable guerre des représentations.
Dans une tribune retentissante publiée mardi sur le site américain Politico Europe, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki (parti Droit et justice, PiS), a dénoncé la tentative de Moscou de « réécrire l'histoire » de la Seconde Guerre mondiale alors que plusieurs chefs d'Etat étaient attendus à Jérusalem, hier, au Forum international sur la Shoah, pour commémorer le 75e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau.
« Loin d'être un "libérateur", l'Union soviétique a facilité l’entreprise nazie et perpétré ses propres crimes – avant et après la libération d’Auschwitz » écrit sans ambages le chef du gouvernement polonais. Ses mots s'inscrivent dans une série de passes d'armes qui ponctuent depuis des années les relations entre la Pologne et la Russie et voit s'affronter deux récits nationaux concurrents. Les enjeux qui entourent l'écriture de l'histoire, particulièrement de la Seconde Guerre mondiale, revêtent en effet une dimension politique majeure pour Varsovie aussi bien que pour Moscou.
En 2018, la Pologne a ainsi fait voter une loi controversée – en partie retirée depuis – qui punissait de 3 ans d'emprisonnement toute personne « attribuant à la République de Pologne et à la nation polonaise, publiquement et contrairement à la réalité des faits, la responsabilité ou la coresponsabilité de crimes nazis perpétrés par le IIIe Reich allemand ». Quant à la Russie, elle a adopté en 2014 une loi « sur la lutte contre la réhabilitation du nazisme » décrite par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) comme un prétexte pour empêcher toute remise en cause du storytelling officiel concernant les agissements de l'Armée rouge pendant la guerre (la loi prévoit des peines allant jusqu'à 5 ans de prison et 1 million de roubles d'amende).
Mais l'algarade russo-polonaise a surtout pour toile de fond l'adoption par le Parlement européen, le 19 septembre dernier, d'une résolution sur « l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe » qui rend l'Allemagne nazie et l'Union soviétique solidairement responsables du déclenchement du conflit :
« La Seconde Guerre mondiale [...] a été déclenchée comme conséquence immédiate du tristement célèbre pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939, également connu sous le nom de pacte Molotov-Ribbentrop, et de ses protocoles secrets, dans le cadre desquels deux régimes totalitaires ayant tous deux l’objectif de conquérir le monde se partageaient l’Europe en deux sphères d’influence ».
Ce pacte, qui tenait de l'alliance à la fois stratégique, économique, technologique et militaire, comprenait non seulement une intensification prodigieuse des échanges entre les deux puissances (livraison de céréales et de pétrole soviétiques à l'Allemagne, prêt à faible intérêt concédé à l'URSS, etc.) mais aussi et surtout un redécoupage de la carte de l'Europe : le partage de la Pologne entre l'Allemagne et l'URSS, l'annexion par celle-ci de territoires roumains, des trois républiques de Lituanie, de Lettonie et d’Estonie et l'invasion de la Finlande. Parmi les autres dispositions secrètes figurait la remise aux autorités nazies d'antifascistes allemands et autrichiens réfugiés en URSS. De quoi embarrasser le régime soviétique après la guerre dont la politique officielle fut, quasiment jusqu'à sa chute, de nier l'existence du pacte.
La résolution rappelle que, malgré la condamnation du pacte par le Congrès des députés du peuple de l’URSS en 1989, « en août 2019, les autorités russes ont rejeté toute responsabilité dans ce pacte et ses conséquences et promeuvent désormais une théorie selon laquelle la Pologne, les États baltes et l’Europe de l’Ouest sont en réalité les véritables instigateurs de la Seconde Guerre mondiale. » Last but not least, le texte indique que le Parlement européen « s’inquiète vivement des efforts déployés par les dirigeants de la Russie d’aujourd’hui pour déformer les faits historiques et blanchir les crimes commis par le régime totalitaire soviétique [et] considère ces tentatives comme un élément dangereux de la guerre de l’information qui est menée contre l’Europe démocratique ».
« Falsification de l’histoire »
En décembre 2019, à plusieurs occasions, Vladimir Poutine en personne a riposté en dénonçant dans cette résolution un « mensonge impardonnable » et une « falsification de l’histoire ». Selon le président russe, la tentative de placer sur le même plan l'Allemagne nazie et l'Union soviétique est en effet « un pur délire », se faisant fort de rappeler, documents d’archives à l'appui, les accords signés avec Hitler avant le pacte Molotov-Ribbentrop : l'accord de non-agression avec la Pologne en 1934 (qui était toutefois caduc au moment de la signature du pacte germano-soviétique), les accords de Munich (septembre 1938), la déclaration franco-allemande du 6 décembre 1938, l’accord de non-agression de mars 1939 avec la Lituanie puis celui de juin 1939 avec la Lettonie. Poutine n'a pas non plus hésité à accuser la Pologne de complicité avec les nazis – dans un projet resté lettre morte de déportation des Juifs en Afrique – et à qualifier Józef Lipski, l'ambassadeur de Pologne en Allemagne de 1934 jusqu'au déclenchement de la guerre en 1939, de « salaud » et de « porc antisémite ».
Pour le chef du gouvernement polonais cependant, si, pour l’Europe de l’Ouest, la tragédie de la guerre a pris fin avec la défaite de l’Allemagne nazie en 1945, pour beaucoup d’autres nations européennes, le rétablissement de la paix n’a signifié rien d'autre que le début d'une nouvelle tragédie :
« L’occupation soviétique, qui allait durer 45 autres années, a coûté des millions de vies humaines et a volé à la Pologne et à l’Europe centrale leur indépendance et les chances d’un développement économique normal. »
Morawiecki considère que la Russie minimise ou passe sous silence des aspects essentiels du pacte germano-soviétique sans lequel le IIIe Reich n’aurait jamais pu reconstituer ses capacités militaires, battre la Pologne et la France si facilement ni avoir tant de latitude dans la conception et la mise en oeuvre de l'extermination des Juifs d'Europe. De plus, « en campant l’Union soviétique en sauveur du monde contre le nazisme, le président russe Vladimir Poutine omet l’invasion militaire russe de la Pologne et des États baltes – Estonie, Lettonie, Lituanie – en juin 1940, et la guerre faite à la Finlande de novembre 1939 à mars 1940. »
Auschwitz aurait pu être libéré six mois plus tôt
Une autre des falsifications du Kremlin pointées par Morawiecki concerne la « libération » de la capitale polonaise dont la Russie ne manque pas de s'enorgueillir. Selon lui, « l’Armée rouge a tranquillement assisté à l’agonie de Varsovie. Ses deux soulèvements – le premier, du ghetto juif en 1943 ; le second, de toute la ville en 1944 – prouvent la cruauté des crimes allemands. Mais tandis que le peuple de Varsovie espérait une aide extérieure, Joseph Staline n’a jamais donné l’ordre à l’Armée rouge d’intervenir » – ce qui est historiquement exact.
Quant au camp d'extermination d'Auschwitz, le premier ministre polonais estime que l’Armée rouge aurait pu le libérer six mois plus tôt :
« À l’été 1944, l’armée soviétique n’était qu’à 200 kilomètres d’Auschwitz, mais son offensive fut reportée, permettant aux Allemands de se retirer et d’organiser des "Marches de la mort" jusqu’en janvier 1945. Le sauvetage des Juifs n’a jamais été une priorité pour Joseph Staline et l’Armée rouge. »
Mateusz Morawiecki rappelle que « les pertes polonaises dues à la Seconde Guerre mondiale sont parmi les plus élevées au monde : six millions de Polonais furent tués, dont trois millions de Juifs. Le pays fut complètement ruiné. »
La réaction de la diplomatie russe ne s'est pas fait attendre. Le 21 janvier, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova – qui s'était illustrée en 2016 par des commentaires jugés antisémites – a qualifié de « suicidaires » les propos du Premier ministre polonais, suggérant qu'au contraire la Pologne devrait être reconnaissante à l'égard de l'URSS pour avoir reçu, à l’issue de la guerre, des territoires qui appartenaient auparavant à l’Allemagne et pour avoir pu faire partie des pays fondateurs de l’ONU. « Et c’est juste une petite partie de ce que l’Union soviétique et son peuple ont fait pour le rétablissement de la Pologne d’après-guerre » complète Zakharova.
Soviétiques et Nazis furent dans le même camp du début de la guerre, en septembre 1939, à juin 1941. Après l'invasion de la Pologne, les troupes de l'Armée rouge et de la Wehrmacht défilèrent même conjointement à Brest-Litovsk. L'URSS porte en outre la responsabilité de l'assassinat et de la déportation de dizaines de milliers de citoyens polonais.
Si la majorité conservatrice au pouvoir à Varsovie favorise, sur les années noires de la guerre, un récit confortant l'image d'un peuple polonais qui aurait été exclusivement du côté des victimes de la barbarie nazie, la réalité est plus contrastée. Des civils polonais ont prêté main forte aux occupants allemands en livrant des Juifs, voire en participant activement aux massacres comme à Jedwabne en juillet 1941. La Pologne détient, à la fois, le triste privilège d'être le seul pays où un pogrom antisémite a été perpétré plus d'un an après la fin de la guerre, en 1946, et le record du nombre de Justes parmi les Nations – des citoyens polonais non-Juifs qui ont pris des risques pour sauver des Juifs pendant la guerre – reconnus par Yad Vashem, l'Institut international pour la mémoire de la Shoah. La Résistance polonaise a aussi organisé, de 1942 à 1945, un réseau clandestin d’aide – connu sous le nom de code « Żegota » –, qui a permis de soustraire quelque 100 000 Juifs aux crimes allemands. En Pologne, les collaborateurs ou les dénonciateurs de Juifs étaient punis de mort par l’Armée de l’Intérieur, bras armé du Gouvernement polonais en exil. Celui-ci fut aussi le premier, dès la fin de l'année 1942, à tenter d'alerter le monde sur la réalité du génocide en cours.
Voir aussi :
La « conspiration de Munich » : usages passés et présents d’un thème d’accusation anti-occidental
Pologne : « une intrusion inouïe dans la liberté de la recherche » selon Jean-Charles Szurek
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