La tribune publiée le 9 novembre sur Facebook par le Premier ministre Edouard Philippe établit un parallèle avec la Nuit de cristal du 9 novembre 1938 afin de dénoncer la hausse de 69% des actes antisémites depuis le début de l’année 2018. Cette insistance mémorielle est salutaire, mais malheureusement insuffisante.
En effet, si le passé est un guide pour la mémoire, il l’est rarement pour l’action. Or nous ne sommes pas dans les années 30. Ce n’est pas l’antisémitisme nazi de 1938 qui se dresse devant nous, mais bien celui de 2018 touchant particulièrement la France et plus communément appelé « nouvel antisémitisme ». Ce rapport au réel nous oblige à adopter une nouvelle grille de lecture si l’on veut s’attaquer aux racines du problème.
Que nous dit le réel ?
Que l’antisémitisme tue : en France d’abord. Il est utile de rappeler les noms de Sébastien Selam, sans doute la première victime, d’Ilan Halimi tué par le gang des barbares ; de Jonathan, Arieh et Gabriel Sandler, de Myriam Monsonégo, tous exécutés par Mohamed Merah ; de Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yoav Hattab, tous abattus à l’hyper casher de Vincennes par Amedy Coulibaly. De Sarah Halimi battue et défenestrée par Kobili Traoré. De Mireille Knoll, rescapée de la Shoah mais poignardée à son domicile. A l’étranger, souvenons-nous de Emanuel et Miriam Riva, Dominique Sabrier et Alexandre Strens assassinés lors de l’attaque du musée juif de Bruxelles, de Dan Uzan tué devant la Grande synagogue de Copenhague ; de Sylvan et Bernice Simon, Cecil et David Rosenthal, Joyce Fienberg, Richard Gottfried, Rose Mallinger, Jerry Rabinowitz, Daniel Stein, Melvin Wax, et Irving Younger assassinés dans une synagogue de Pittsburgh. Tous tués au cri de « Les Juifs doivent mourir ». Morts, parce que juifs ! Comme on le voit, cette hausse de l'antisémitisme n’est pas spécifiquement française, elle se répand dans toutes les sociétés aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne.
Certes l'antisémitisme ne mène pas forcément à la mort. C'est un poison quotidien qui, à force de violences verbales et physiques, de propos dégradants, de menaces, de harcèlement, transforme en cauchemar la vie de nos concitoyens de confession juive. Les forçant, dans certains endroits, à vivre dans la peur et à se sentir partout en insécurité, y compris à l’école où ils scolarisent leurs enfants.
Que nous dit encore le réel ?
Que l’antisémitisme est un trait caractéristique de tous les extrêmes politiques et culturels, des « suprématistes blancs » aux islamistes, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Une partie de la gauche, en effet, fait preuve de complaisance avec ce nouvel antisémitisme. N’ayons pas peur de le dire, la solidarité inconditionnelle avec le peuple palestinien conduit certains responsables de gauche à supporter des paroles inacceptables et à partager des combats avec des activistes infréquentables. Le Labour de Jeremy Corbyn, qui se révèle gangréné par des courants antisémites, en est l’exemple le plus frappant. Pourtant, la cause palestinienne mérite un meilleur soutien que celui d'antisémites à peine grimés en antisionistes. En France, la complaisance avec les thèses indigénistes conduit aux mêmes dérives.
Que nous dit toujours le réel ?
Qu’après l’école, l’antisémitisme gagne du terrain à l'Université. Jadis lieu de culture et d’élévation intellectuelle, l’Université est devenue à certains endroits un lieu où les propos et les tags antisémites fleurissent. Si ce fait est surprenant, il nous invite à méditer sur les rapports complexes de l’instruction et du fanatisme. L’école forme autant des citoyens que des individus et son développement n’est pas la garantie, comme le croyaient les premiers Républicains à la suite de la Révolution française, de l’essor des Lumières et de l’esprit critique. Au contraire, elle fabrique avant tout désormais des consciences individuelles qui vont chercher dans tous les récits disponibles de quoi se bricoler des identités personnelles. Sans esprit critique, le niveau d’instruction condamne à l’adhésion à toutes sortes de croyances, menant parfois ces esprits à se complaire dans l’abject.
Que nous dit enfin le réel de manière insistante ?
Que l’antisémitisme se répand surtout chez les jeunes et particulièrement sur internet, sur fond de multiplication des théories du complot associant les juifs au pouvoir, à l’argent et les rendant responsables de la plupart des maux de notre temps. Situation ô combien paradoxale : internet permet à la fois d’accéder à l’ensemble des connaissances de l’humanité, depuis le creux de sa main, tout en s’exposant aux pires rumeurs, idées reçues et aux messages de haine les plus funestes. De fait, l’antisémitisme se répand sur fond de complotisme pour qui les attentats du 11 septembre 2001 tiennent lieu de véritable date de naissance. Attaque terroriste la plus documentée de l’histoire de l’humanité, elle n’en reste pas moins la plus grande source de fake news. Encore à ce jour, 17 ans plus tard, certains croient dur comme fer qu’il s’agissait d’un « inside job » de la CIA, sous l’influence du Mossad et plus globalement d’Israël conduisant à la libération de la parole antisémite et raciste.
Telle est la réalité.
Il faut donc reprendre la lutte contre l’antisémitisme à la base !
D’abord, en déclarant la lutte contre l’antisémitisme grande cause nationale et en mettant à disposition des pouvoirs publics et des acteurs de terrain les moyens nécessaires pour agir.
En sanctionnant plus sévèrement les propos antisémites, notamment ceux tenus sur les réseaux sociaux, et ce dès le premier dérapage pour prévenir la récidive. Pour cela il est temps de mettre en place une législation qui oblige les hébergeurs à prendre leurs responsabilités.
En ne montrant plus aucune complaisance pour les thèses indigénistes parce qu’elles permettent le développement de l’antisémitisme sous couvert d’antisionisme.
En luttant contre le complotisme. L’éducation nationale doit continuer de développer certaines initiatives pédagogiques déjà lancées : dès le collège, des activités d’éveil à l’esprit critique. Une véritable éducation à l’usage des moteurs de recherche, couplée à une sensibilisation aux risques que rencontrent particulièrement les jeunes adolescents sur internet, en s’exposant à des dévoiements pervers de la réalité, véhiculant de plus en plus souvent des messages antisémites à peine latents voire totalement assumés comme tels !
Le combat contre l’antisémitisme est un combat universel et républicain. C’est l’un des combats premiers du Printemps Républicain. Nous ne pouvons pas tout attendre de la puissance publique. Nous devons nous mobiliser collectivement et ce qu’importe nos religions, nos convictions politiques et nos philosophies. Ce n’est pas un problème qui ne concerne que les juifs mais bien tout le monde ; au même titre que la haine antimusulmans ne concerne pas que les musulmans et que l’homophobie n’est pas le seul problème des homosexuels.
C’est tout le corps social qui doit s’élever contre cette infamie.
(Ce texte a été initialement publié sur la page Facebook du Printemps républicain)
La tribune publiée le 9 novembre sur Facebook par le Premier ministre Edouard Philippe établit un parallèle avec la Nuit de cristal du 9 novembre 1938 afin de dénoncer la hausse de 69% des actes antisémites depuis le début de l’année 2018. Cette insistance mémorielle est salutaire, mais malheureusement insuffisante.
En effet, si le passé est un guide pour la mémoire, il l’est rarement pour l’action. Or nous ne sommes pas dans les années 30. Ce n’est pas l’antisémitisme nazi de 1938 qui se dresse devant nous, mais bien celui de 2018 touchant particulièrement la France et plus communément appelé « nouvel antisémitisme ». Ce rapport au réel nous oblige à adopter une nouvelle grille de lecture si l’on veut s’attaquer aux racines du problème.
Que nous dit le réel ?
Que l’antisémitisme tue : en France d’abord. Il est utile de rappeler les noms de Sébastien Selam, sans doute la première victime, d’Ilan Halimi tué par le gang des barbares ; de Jonathan, Arieh et Gabriel Sandler, de Myriam Monsonégo, tous exécutés par Mohamed Merah ; de Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yoav Hattab, tous abattus à l’hyper casher de Vincennes par Amedy Coulibaly. De Sarah Halimi battue et défenestrée par Kobili Traoré. De Mireille Knoll, rescapée de la Shoah mais poignardée à son domicile. A l’étranger, souvenons-nous de Emanuel et Miriam Riva, Dominique Sabrier et Alexandre Strens assassinés lors de l’attaque du musée juif de Bruxelles, de Dan Uzan tué devant la Grande synagogue de Copenhague ; de Sylvan et Bernice Simon, Cecil et David Rosenthal, Joyce Fienberg, Richard Gottfried, Rose Mallinger, Jerry Rabinowitz, Daniel Stein, Melvin Wax, et Irving Younger assassinés dans une synagogue de Pittsburgh. Tous tués au cri de « Les Juifs doivent mourir ». Morts, parce que juifs ! Comme on le voit, cette hausse de l'antisémitisme n’est pas spécifiquement française, elle se répand dans toutes les sociétés aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne.
Certes l'antisémitisme ne mène pas forcément à la mort. C'est un poison quotidien qui, à force de violences verbales et physiques, de propos dégradants, de menaces, de harcèlement, transforme en cauchemar la vie de nos concitoyens de confession juive. Les forçant, dans certains endroits, à vivre dans la peur et à se sentir partout en insécurité, y compris à l’école où ils scolarisent leurs enfants.
Que nous dit encore le réel ?
Que l’antisémitisme est un trait caractéristique de tous les extrêmes politiques et culturels, des « suprématistes blancs » aux islamistes, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Une partie de la gauche, en effet, fait preuve de complaisance avec ce nouvel antisémitisme. N’ayons pas peur de le dire, la solidarité inconditionnelle avec le peuple palestinien conduit certains responsables de gauche à supporter des paroles inacceptables et à partager des combats avec des activistes infréquentables. Le Labour de Jeremy Corbyn, qui se révèle gangréné par des courants antisémites, en est l’exemple le plus frappant. Pourtant, la cause palestinienne mérite un meilleur soutien que celui d'antisémites à peine grimés en antisionistes. En France, la complaisance avec les thèses indigénistes conduit aux mêmes dérives.
Que nous dit toujours le réel ?
Qu’après l’école, l’antisémitisme gagne du terrain à l'Université. Jadis lieu de culture et d’élévation intellectuelle, l’Université est devenue à certains endroits un lieu où les propos et les tags antisémites fleurissent. Si ce fait est surprenant, il nous invite à méditer sur les rapports complexes de l’instruction et du fanatisme. L’école forme autant des citoyens que des individus et son développement n’est pas la garantie, comme le croyaient les premiers Républicains à la suite de la Révolution française, de l’essor des Lumières et de l’esprit critique. Au contraire, elle fabrique avant tout désormais des consciences individuelles qui vont chercher dans tous les récits disponibles de quoi se bricoler des identités personnelles. Sans esprit critique, le niveau d’instruction condamne à l’adhésion à toutes sortes de croyances, menant parfois ces esprits à se complaire dans l’abject.
Que nous dit enfin le réel de manière insistante ?
Que l’antisémitisme se répand surtout chez les jeunes et particulièrement sur internet, sur fond de multiplication des théories du complot associant les juifs au pouvoir, à l’argent et les rendant responsables de la plupart des maux de notre temps. Situation ô combien paradoxale : internet permet à la fois d’accéder à l’ensemble des connaissances de l’humanité, depuis le creux de sa main, tout en s’exposant aux pires rumeurs, idées reçues et aux messages de haine les plus funestes. De fait, l’antisémitisme se répand sur fond de complotisme pour qui les attentats du 11 septembre 2001 tiennent lieu de véritable date de naissance. Attaque terroriste la plus documentée de l’histoire de l’humanité, elle n’en reste pas moins la plus grande source de fake news. Encore à ce jour, 17 ans plus tard, certains croient dur comme fer qu’il s’agissait d’un « inside job » de la CIA, sous l’influence du Mossad et plus globalement d’Israël conduisant à la libération de la parole antisémite et raciste.
Telle est la réalité.
Il faut donc reprendre la lutte contre l’antisémitisme à la base !
D’abord, en déclarant la lutte contre l’antisémitisme grande cause nationale et en mettant à disposition des pouvoirs publics et des acteurs de terrain les moyens nécessaires pour agir.
En sanctionnant plus sévèrement les propos antisémites, notamment ceux tenus sur les réseaux sociaux, et ce dès le premier dérapage pour prévenir la récidive. Pour cela il est temps de mettre en place une législation qui oblige les hébergeurs à prendre leurs responsabilités.
En ne montrant plus aucune complaisance pour les thèses indigénistes parce qu’elles permettent le développement de l’antisémitisme sous couvert d’antisionisme.
En luttant contre le complotisme. L’éducation nationale doit continuer de développer certaines initiatives pédagogiques déjà lancées : dès le collège, des activités d’éveil à l’esprit critique. Une véritable éducation à l’usage des moteurs de recherche, couplée à une sensibilisation aux risques que rencontrent particulièrement les jeunes adolescents sur internet, en s’exposant à des dévoiements pervers de la réalité, véhiculant de plus en plus souvent des messages antisémites à peine latents voire totalement assumés comme tels !
Le combat contre l’antisémitisme est un combat universel et républicain. C’est l’un des combats premiers du Printemps Républicain. Nous ne pouvons pas tout attendre de la puissance publique. Nous devons nous mobiliser collectivement et ce qu’importe nos religions, nos convictions politiques et nos philosophies. Ce n’est pas un problème qui ne concerne que les juifs mais bien tout le monde ; au même titre que la haine antimusulmans ne concerne pas que les musulmans et que l’homophobie n’est pas le seul problème des homosexuels.
C’est tout le corps social qui doit s’élever contre cette infamie.
(Ce texte a été initialement publié sur la page Facebook du Printemps républicain)
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