Guerre, attentats et situations de crise
L’étude des rumeurs occasionnées par le 11 septembre permet de les faire correspondre aux rumeurs de guerre en général. Même si en apparence des actions terroristes n’ont pas à voir directement avec une guerre proprement dite, le contexte auquel elles donnent naissance est un contexte de crise, d’incertitude et d’angoisse qui, presque mécaniquement, fait émerger un type de rumeurs que l’on trouve essentiellement en période de guerre. C’est cette identité de la situation de crise avec la situation de guerre qui explique que la France, pourtant non touchée directement par les attentats, ait connu sur son sol une circulation de rumeurs qu’on ne trouve habituellement que dans les pays en guerre. Ainsi de la « rumeur du portefeuille » où un homme prévient une femme qui l’aide de l’imminence d’un attentat, rumeur qui avait déjà circulé à la Libération.
Si l’une des définitions, discutable, de la rumeur est qu’elle est une information non confirmée par les médias ou le pouvoir en place, les rumeurs de guerre ont ceci de particulier qu’elle n’attendent aucune confirmation et qu’au contraire elles se diffusent contre l’Etat et les journalistes. Sous l’Occupation, par exemple, il n‘aurait servi à rien que Vichy confirme ou non une information car tout ce qui en émanait était considéré comme mensonger par principe. Seules des informations non-officielles circulaient, faisant perdre de sa pertinence à la qualification de rumeurs. Aujourd’hui, pour des raisons complexes, et depuis la Guerre du Golfe, la défiance est telle par rapport aux politiques, aux médias et aux images qu’ils diffusent, que leurs propos sont perçus avec circonspection. Comme s’ils étaient dans la captation-occultation des informations, comme s’ils dressaient, entre le citoyen et les faits, un récit contrôlé et opaque. La perception des informations officielles comme autant d’informations-écran et d’obstacles a pour conséquence un « dubitationnisme » (Taguieff) et un relativisme généralisés qui forment le terreau sur lequel poussent les rumeurs de crise.
L’enjeu n’est donc pas dans l’établissement de la véracité d’une rumeur, mais dans la façon dont les rumeurs naviguent à côté des médias, se développant aux confins du territoire qu’ils couvrent, et plus encore il est dans l’appréhension de l’« attelage » que forment irréductiblement l’événement et ses rumeurs.
L’attribution causale
Assez rapidement après les attentats, et contre les versions autorisées, un certain nombre de rumeurs se développent qui ont pour point commun de refuser la responsabilité généralement admise (celle d’Oussama Ben Laden et de son réseau) pour lui substituer une causalité différente. Assez couramment l’attribution causale dégagée pour expliquer des événements colossaux et difficilement assimilables (Révolution, morts de personnalités, attentats) est refusée comme trop pauvre et se voit remplacée par une causalité plus subtile et plus riche. C’est le sens de la rumeur selon laquelle 4000 employés israéliens travaillant dans les tours du World Trade Center auraient été prévenus de l’imminence d’un attentat d’envergure et ne se seraient pas rendus à leur travail le jour fatidique. La causalité se déplace du Moyen-Orient vers le Proche, de l’Islam au judaïsme. On n’est pas très loin du complot antisémite.
Lire la suite en format PDF.
Source : Les Dossiers de l’Audiovisuel, n°104, juillet-août 2002, p. 48-50.
L'auteur :
Emmanuel Taïeb est maître de conférences en science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble.
Du même auteur, voir aussi :
« Des rumeurs de guerre et de quelques cas de rumeurs après le 11 septembre 2001 ».
Guerre, attentats et situations de crise
L’étude des rumeurs occasionnées par le 11 septembre permet de les faire correspondre aux rumeurs de guerre en général. Même si en apparence des actions terroristes n’ont pas à voir directement avec une guerre proprement dite, le contexte auquel elles donnent naissance est un contexte de crise, d’incertitude et d’angoisse qui, presque mécaniquement, fait émerger un type de rumeurs que l’on trouve essentiellement en période de guerre. C’est cette identité de la situation de crise avec la situation de guerre qui explique que la France, pourtant non touchée directement par les attentats, ait connu sur son sol une circulation de rumeurs qu’on ne trouve habituellement que dans les pays en guerre. Ainsi de la « rumeur du portefeuille » où un homme prévient une femme qui l’aide de l’imminence d’un attentat, rumeur qui avait déjà circulé à la Libération.
Si l’une des définitions, discutable, de la rumeur est qu’elle est une information non confirmée par les médias ou le pouvoir en place, les rumeurs de guerre ont ceci de particulier qu’elle n’attendent aucune confirmation et qu’au contraire elles se diffusent contre l’Etat et les journalistes. Sous l’Occupation, par exemple, il n‘aurait servi à rien que Vichy confirme ou non une information car tout ce qui en émanait était considéré comme mensonger par principe. Seules des informations non-officielles circulaient, faisant perdre de sa pertinence à la qualification de rumeurs. Aujourd’hui, pour des raisons complexes, et depuis la Guerre du Golfe, la défiance est telle par rapport aux politiques, aux médias et aux images qu’ils diffusent, que leurs propos sont perçus avec circonspection. Comme s’ils étaient dans la captation-occultation des informations, comme s’ils dressaient, entre le citoyen et les faits, un récit contrôlé et opaque. La perception des informations officielles comme autant d’informations-écran et d’obstacles a pour conséquence un « dubitationnisme » (Taguieff) et un relativisme généralisés qui forment le terreau sur lequel poussent les rumeurs de crise.
L’enjeu n’est donc pas dans l’établissement de la véracité d’une rumeur, mais dans la façon dont les rumeurs naviguent à côté des médias, se développant aux confins du territoire qu’ils couvrent, et plus encore il est dans l’appréhension de l’« attelage » que forment irréductiblement l’événement et ses rumeurs.
L’attribution causale
Assez rapidement après les attentats, et contre les versions autorisées, un certain nombre de rumeurs se développent qui ont pour point commun de refuser la responsabilité généralement admise (celle d’Oussama Ben Laden et de son réseau) pour lui substituer une causalité différente. Assez couramment l’attribution causale dégagée pour expliquer des événements colossaux et difficilement assimilables (Révolution, morts de personnalités, attentats) est refusée comme trop pauvre et se voit remplacée par une causalité plus subtile et plus riche. C’est le sens de la rumeur selon laquelle 4000 employés israéliens travaillant dans les tours du World Trade Center auraient été prévenus de l’imminence d’un attentat d’envergure et ne se seraient pas rendus à leur travail le jour fatidique. La causalité se déplace du Moyen-Orient vers le Proche, de l’Islam au judaïsme. On n’est pas très loin du complot antisémite.
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Source : Les Dossiers de l’Audiovisuel, n°104, juillet-août 2002, p. 48-50.
L'auteur :
Emmanuel Taïeb est maître de conférences en science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble.
Du même auteur, voir aussi :
« Des rumeurs de guerre et de quelques cas de rumeurs après le 11 septembre 2001 ».
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