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Le « complot contre la paix » de Vladimir Poutine

Publié par Nicolas Bernard05 mars 2022,

Les complotistes, en stigmatisant d’imaginaires conspirations pour expliquer ou même justifier l’invasion de l’Ukraine par la Russie, éludent un authentique « complot contre la paix » concocté par Vladimir Poutine et son régime. Une infraction internationale dont la qualification remonte au procès de Nuremberg.

Montage CW.

Le nazisme appelait une réplique judiciaire à la hauteur de la catastrophe à la fois mondiale et inédite que ses crimes ont entraîné. Le procès de Nuremberg, où furent convoqués la loi et le droit pour juger les dirigeants du Troisième Reich, constitua, sur ce plan, une réussite [1].

Les accusés nazis devaient y répondre de quatre chefs d’accusation : « plan concerté ou complot » en vue d’asservir l’Europe, « crimes contre la paix », « crimes de guerre », et « crimes contre l’humanité ». Cette dernière qualification était entièrement nouvelle, mais ne constituait pas la seule originalité d’un tel procès, dans la mesure où c’est bel et bien la notion de « complot » ou de « plan concerté » qui fut au cœur de l’accusation.

Le Ministère Public aurait certes pu se limiter à juxtaposer les agressions, invasions, massacres, exterminations, pillages et autres innombrables atrocités du régime nazi. Sur une proposition émise le 15 septembre 1944 par le lieutenant-colonel Murray C. Bernays [2], les Alliés allèrent toutefois plus loin, en posant, comme premier fondement des poursuites, la qualification de « conspiration ».

Méconnue, une telle infraction tire sa source du droit anglo-saxon. Comme le définit un procureur américain à Nuremberg, Telford Taylor, « le complot en tant que délit n’incrimine pas un seul individu. Le complot est l’infraction commise par deux personnes ou plus, procédant à des préparatifs ou agissant ensemble pour commettre un délit autre que le seul fait de s’associer dans ce but » [3]. En d’autres termes, le « complot » consiste en une entente de plusieurs individus en vue de commettre un délit ou un crime distinct, et s’avère punissable à ce titre.

Une qualification utile… mais restreinte par le Tribunal militaire international

Appliquée aux nazis, cette qualification pénale présentait plusieurs mérites. Tout d’abord, elle redonnait cohérence et logique à l’ensemble des crimes hitlériens, en les inscrivant dans une conspiration. Ensuite, elle permettait de poursuivre des responsables nazis sans qu’il soit besoin d’établir qu’ils aient commis l'ensemble des infractions auxquelles tendait ladite conspiration : adhérer à celle-ci revenait à assumer pénalement les actes produits par cette entente criminelle, lors même que l’accusé ne les aurait pas accomplis.

Dernier apport, et non des moindres, l’inculpation revenait à élargir le spectre des poursuites : à se limiter, en effet, aux autres infractions, n’étaient punissables que les crimes commis en temps de guerre ; or, l’infraction de complot englobait des actes perpétrés avant la guerre (prise du pouvoir, écrasement des oppositions, persécutions raciales, réarmement, premières expansions territoriales en Autriche et Tchécoslovaquie), puisque, précisément, de tels agissements constituaient chacune des mailles de l’entente criminelle [4]

L’imputation de « complot » ou de « plan concerté » n’en souleva pas moins, avant et pendant le procès, des objections, liées notamment à son caractère inédit en droit international [5]. Au demeurant, l’article 6 du statut du Tribunal de Nuremberg, fixé par les accords de Londres du 8 août 1945, s’arrêtait à la poursuite des crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et ne mentionnait le « complot » qu’à titre accessoire, sans en faire un crime spécifique – sauf s’agissant des crimes contre la paix.

En définitive, le Tribunal fit preuve de circonspection. Considérant que « le statut [de cette juridiction] ne définit pas le complot », il borna l’incrimination à la préparation des guerres d’agression [6], sachant que le magistrat français, Donnedieu de Vabres, avait proposé d’écarter totalement cette qualification [7]. Ce qui amena les juges à admettre « l’existence de plans concertés et successifs plutôt que celle d’un complot les englobant tous » [8]. Ne furent condamnés pour complot contre la paix que huit accusés sur vingt-quatre [9].

Le legs de Nuremberg : du « complot contre la paix » au « crime d’agression » de Vladimir Poutine

L’accusation de complot en vue de préparer des guerres d’agression ne fut pas oubliée en droit international. D’abord parce qu’elle nourrit l’accusation portée contre les criminels de guerre japonais lors du procès de Tôkyô, qui se tint de 1946 à 1948. Ensuite parce que les « Principes de Nuremberg » établis en 1950 par la Commission du droit international, sur demande de l'Assemblée générale des Nations unies qualifièrent de « crime international » le fait de « projeter, préparer, déclencher ou poursuivre une guerre d’agression ou une guerre faite en violation de traités, accords et engagements internationaux » ou de « participer à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes mentionnés à l’alinéa [précédent] ».

Il est vrai que, de tels Principes, non ratifiés par les États, n’avaient pas en eux-mêmes de caractère juridiquement contraignant. Cependant, l’article 8 bis du Statut de la Cour pénale internationale sanctionne au titre du « crime d’agression » les agissements suivants : « la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies », ce qui inclut « l’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du territoire d’un autre État » ainsi que « le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État ».

Ainsi, la planification, la préparation d’une invasion d’un autre État, caractéristiques d’un « complot contre la paix » tel que jugé à Nuremberg, constituent des crimes internationaux, passibles de poursuites devant la Cour pénale internationale.

A l’évidence, l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine qualifie le « crime d’agression ». De même, les préparatifs de l’invasion traduisent un « complot contre la paix » qui constitue, lui-aussi, le « crime d’agression » : le regroupement de forces armées russes autour des frontières ukrainiennes, l’usage de forces aériennes, navales, et terrestres pour envahir ce territoire en collusion avec le Bélarus, la recherche même de prétextes pour justifier une telle guerre (false flags), ne résultent pas de décisions prises du jour au lendemain, en réaction à une imaginaire agression ukrainienne, mais découlent manifestement d’une « planification », d’une « préparation », en d’autres termes d’un « complot contre la paix » organisé par le maître du Kremlin avec l’aide de son gouvernement, de son appareil de renseignement et de ses responsables militaires.

Poursuivre Vladimir Poutine pour « crime d’agression » : un parcours d’obstacles juridiques

Si les agissements de Vladimir Poutine et de son régime révèlent un « complot contre la paix », peuvent-ils faire l’objet de poursuites devant la Cour pénale internationale ? Le statut de Rome, qui fonde ladite juridiction, est entré en vigueur le 1er juillet 2002 après sa ratification par soixante Etats. S’agissant du « crime d’agression », la Cour a obtenu compétence pour agir à compter du 17 juillet 2018.

Toutefois, la poursuite d’un tel crime n’est pas sans susciter d’abondantes difficultés, ne serait-ce qu’au regard de la compétence du Conseil de Sécurité de l’ONU pour sanctionner tout emploi de la force contraire à la Charte des Nations unies. De surcroît, la Cour ne peut agir contre des États, uniquement contre des individus. Et encore ne peut-elle poursuivre que des ressortissants d’États qui ont ratifié l’amendement instaurant cette infraction. Or, la Russie, qui avait signé le statut de Rome le 13 septembre 2000, s’en est retirée en 2016. L’Ukraine n’a pas davantage ratifié l’accord, mais, en 2015, a reconnu la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire depuis le 20 février 2014.

Il semble en découler que la Cour pénale internationale ne peut poursuivre Vladimir Poutine et ses séides pour « crime d’agression ». C’est, au demeurant, ce qu’a considéré le Procureur de cette juridiction.

Ce qui ne signifie nullement que le Droit est désarmé : l’avocat et historien Philippe Sands recommande notamment la création d’un Tribunal spécial par les Nations unies, une recommandation qui n’a rien d’impossible sur le plan juridique. Et en toute hypothèse, la Cour pénale internationale s’est déclarée compétente pour enquêter sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité de l’agresseur russe sur le territoire ukrainien. A tout le moins la Justice internationale s’intéressera-t-elle aux effets du « complot contre la paix »…

 

Notes :
[1] Voir sur ce point, les travaux, en français de François Delpla, Nuremberg face à l'Histoire, Paris, L’Archipel, 2006 ; Annette Wieviorka, Le procès de Nuremberg, Paris, Liana Levi, 2017 et (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, Bruxelles, Complexe, 1996 ; François de Fontenette, Le procès de Nuremberg, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1996 ; Jean-Marc Varaut, Le procès de Nuremberg, Paris, Perrin, 1992 et Hachette/Pluriel, 1993.
[2] « Memorandum. Subject: Trial of European War Criminals (by Colonel Murray C. Bernays, G-1), September 15, 1944 », in Bradley F. Smith, The American Road to Nuremberg. The Documentary Record 1944-1945, Stanford, Hoover Institution Press, 1982, p. 33-37.
[3] Telford Taylor, Procureur à Nuremberg, Paris, Seuil, 1995, p. 567 (trad. de l’anglais).
[4] A défaut, la poursuite de tels actes ne pouvait relever que de la justice allemande, mais cette dernière, en 1945, n’avait évidemment ni les moyens, ni même la légitimité à cette fin… Le ratage exemplaire du procès de criminels de guerre allemands à Leipzig peu après la Première Guerre mondiale avait constitué, sur ce point, un fâcheux précédent – voir Jean-Jacques Becker, « Les procès de Leipzig », in Wieviorka (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, op. cit., p. 51-60
[5] Voir la synthèse de J.J. Lador-Lederer, « The Nuremberg Judgment Revisited: The Bernays Postulate », Netherlands International Law Review, 1983, vol. 30, n°3, décembre 1983, p. 360-373 ainsi que Lachezar Yanev, « A Janus-Faced concept: Nuremberg's law on conspiracy vis-à-vis the notion of joint criminal enterprise », Criminal Law Forum, vol. 26, 2015, p. 419–456.
[6] Tribunal militaire international, Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international ; Nuremberg, 24 novembre 1945 - 1er octobre 1946, vol. XXII, Nuremberg, 1949, p. 497-499.
[7] Taylor, Procureur à Nuremberg, op. cit., p. 567-568. Voir également Ann-Sophie Schöpfel, « La voix des juges français dans les procès de Nuremberg et de Tokyo. Défense d'une idée de justice universelle », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2013/1, n°249, p. 101-114.
[8] Procès des grands criminels de guerre, vol. XXII, op. cit., p. 498.
[9] A savoir Hermann Göring, Rudolf Hess, les généraux Wilhelm Keitel et Alfred Jodl, le Grand-Amiral Erich Raeder, l’ex-Ministre des Affaires étrangères Konstantin von Neurath, son successeur Joachim von Ribbentrop, ainsi que l’idéologue nazi Alfred Rosenberg.

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Le nazisme appelait une réplique judiciaire à la hauteur de la catastrophe à la fois mondiale et inédite que ses crimes ont entraîné. Le procès de Nuremberg, où furent convoqués la loi et le droit pour juger les dirigeants du Troisième Reich, constitua, sur ce plan, une réussite [1].

Les accusés nazis devaient y répondre de quatre chefs d’accusation : « plan concerté ou complot » en vue d’asservir l’Europe, « crimes contre la paix », « crimes de guerre », et « crimes contre l’humanité ». Cette dernière qualification était entièrement nouvelle, mais ne constituait pas la seule originalité d’un tel procès, dans la mesure où c’est bel et bien la notion de « complot » ou de « plan concerté » qui fut au cœur de l’accusation.

Le Ministère Public aurait certes pu se limiter à juxtaposer les agressions, invasions, massacres, exterminations, pillages et autres innombrables atrocités du régime nazi. Sur une proposition émise le 15 septembre 1944 par le lieutenant-colonel Murray C. Bernays [2], les Alliés allèrent toutefois plus loin, en posant, comme premier fondement des poursuites, la qualification de « conspiration ».

Méconnue, une telle infraction tire sa source du droit anglo-saxon. Comme le définit un procureur américain à Nuremberg, Telford Taylor, « le complot en tant que délit n’incrimine pas un seul individu. Le complot est l’infraction commise par deux personnes ou plus, procédant à des préparatifs ou agissant ensemble pour commettre un délit autre que le seul fait de s’associer dans ce but » [3]. En d’autres termes, le « complot » consiste en une entente de plusieurs individus en vue de commettre un délit ou un crime distinct, et s’avère punissable à ce titre.

Une qualification utile… mais restreinte par le Tribunal militaire international

Appliquée aux nazis, cette qualification pénale présentait plusieurs mérites. Tout d’abord, elle redonnait cohérence et logique à l’ensemble des crimes hitlériens, en les inscrivant dans une conspiration. Ensuite, elle permettait de poursuivre des responsables nazis sans qu’il soit besoin d’établir qu’ils aient commis l'ensemble des infractions auxquelles tendait ladite conspiration : adhérer à celle-ci revenait à assumer pénalement les actes produits par cette entente criminelle, lors même que l’accusé ne les aurait pas accomplis.

Dernier apport, et non des moindres, l’inculpation revenait à élargir le spectre des poursuites : à se limiter, en effet, aux autres infractions, n’étaient punissables que les crimes commis en temps de guerre ; or, l’infraction de complot englobait des actes perpétrés avant la guerre (prise du pouvoir, écrasement des oppositions, persécutions raciales, réarmement, premières expansions territoriales en Autriche et Tchécoslovaquie), puisque, précisément, de tels agissements constituaient chacune des mailles de l’entente criminelle [4]

L’imputation de « complot » ou de « plan concerté » n’en souleva pas moins, avant et pendant le procès, des objections, liées notamment à son caractère inédit en droit international [5]. Au demeurant, l’article 6 du statut du Tribunal de Nuremberg, fixé par les accords de Londres du 8 août 1945, s’arrêtait à la poursuite des crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et ne mentionnait le « complot » qu’à titre accessoire, sans en faire un crime spécifique – sauf s’agissant des crimes contre la paix.

En définitive, le Tribunal fit preuve de circonspection. Considérant que « le statut [de cette juridiction] ne définit pas le complot », il borna l’incrimination à la préparation des guerres d’agression [6], sachant que le magistrat français, Donnedieu de Vabres, avait proposé d’écarter totalement cette qualification [7]. Ce qui amena les juges à admettre « l’existence de plans concertés et successifs plutôt que celle d’un complot les englobant tous » [8]. Ne furent condamnés pour complot contre la paix que huit accusés sur vingt-quatre [9].

Le legs de Nuremberg : du « complot contre la paix » au « crime d’agression » de Vladimir Poutine

L’accusation de complot en vue de préparer des guerres d’agression ne fut pas oubliée en droit international. D’abord parce qu’elle nourrit l’accusation portée contre les criminels de guerre japonais lors du procès de Tôkyô, qui se tint de 1946 à 1948. Ensuite parce que les « Principes de Nuremberg » établis en 1950 par la Commission du droit international, sur demande de l'Assemblée générale des Nations unies qualifièrent de « crime international » le fait de « projeter, préparer, déclencher ou poursuivre une guerre d’agression ou une guerre faite en violation de traités, accords et engagements internationaux » ou de « participer à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes mentionnés à l’alinéa [précédent] ».

Il est vrai que, de tels Principes, non ratifiés par les États, n’avaient pas en eux-mêmes de caractère juridiquement contraignant. Cependant, l’article 8 bis du Statut de la Cour pénale internationale sanctionne au titre du « crime d’agression » les agissements suivants : « la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies », ce qui inclut « l’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du territoire d’un autre État » ainsi que « le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État ».

Ainsi, la planification, la préparation d’une invasion d’un autre État, caractéristiques d’un « complot contre la paix » tel que jugé à Nuremberg, constituent des crimes internationaux, passibles de poursuites devant la Cour pénale internationale.

A l’évidence, l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine qualifie le « crime d’agression ». De même, les préparatifs de l’invasion traduisent un « complot contre la paix » qui constitue, lui-aussi, le « crime d’agression » : le regroupement de forces armées russes autour des frontières ukrainiennes, l’usage de forces aériennes, navales, et terrestres pour envahir ce territoire en collusion avec le Bélarus, la recherche même de prétextes pour justifier une telle guerre (false flags), ne résultent pas de décisions prises du jour au lendemain, en réaction à une imaginaire agression ukrainienne, mais découlent manifestement d’une « planification », d’une « préparation », en d’autres termes d’un « complot contre la paix » organisé par le maître du Kremlin avec l’aide de son gouvernement, de son appareil de renseignement et de ses responsables militaires.

Poursuivre Vladimir Poutine pour « crime d’agression » : un parcours d’obstacles juridiques

Si les agissements de Vladimir Poutine et de son régime révèlent un « complot contre la paix », peuvent-ils faire l’objet de poursuites devant la Cour pénale internationale ? Le statut de Rome, qui fonde ladite juridiction, est entré en vigueur le 1er juillet 2002 après sa ratification par soixante Etats. S’agissant du « crime d’agression », la Cour a obtenu compétence pour agir à compter du 17 juillet 2018.

Toutefois, la poursuite d’un tel crime n’est pas sans susciter d’abondantes difficultés, ne serait-ce qu’au regard de la compétence du Conseil de Sécurité de l’ONU pour sanctionner tout emploi de la force contraire à la Charte des Nations unies. De surcroît, la Cour ne peut agir contre des États, uniquement contre des individus. Et encore ne peut-elle poursuivre que des ressortissants d’États qui ont ratifié l’amendement instaurant cette infraction. Or, la Russie, qui avait signé le statut de Rome le 13 septembre 2000, s’en est retirée en 2016. L’Ukraine n’a pas davantage ratifié l’accord, mais, en 2015, a reconnu la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire depuis le 20 février 2014.

Il semble en découler que la Cour pénale internationale ne peut poursuivre Vladimir Poutine et ses séides pour « crime d’agression ». C’est, au demeurant, ce qu’a considéré le Procureur de cette juridiction.

Ce qui ne signifie nullement que le Droit est désarmé : l’avocat et historien Philippe Sands recommande notamment la création d’un Tribunal spécial par les Nations unies, une recommandation qui n’a rien d’impossible sur le plan juridique. Et en toute hypothèse, la Cour pénale internationale s’est déclarée compétente pour enquêter sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité de l’agresseur russe sur le territoire ukrainien. A tout le moins la Justice internationale s’intéressera-t-elle aux effets du « complot contre la paix »…

 

Notes :
[1] Voir sur ce point, les travaux, en français de François Delpla, Nuremberg face à l'Histoire, Paris, L’Archipel, 2006 ; Annette Wieviorka, Le procès de Nuremberg, Paris, Liana Levi, 2017 et (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, Bruxelles, Complexe, 1996 ; François de Fontenette, Le procès de Nuremberg, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1996 ; Jean-Marc Varaut, Le procès de Nuremberg, Paris, Perrin, 1992 et Hachette/Pluriel, 1993.
[2] « Memorandum. Subject: Trial of European War Criminals (by Colonel Murray C. Bernays, G-1), September 15, 1944 », in Bradley F. Smith, The American Road to Nuremberg. The Documentary Record 1944-1945, Stanford, Hoover Institution Press, 1982, p. 33-37.
[3] Telford Taylor, Procureur à Nuremberg, Paris, Seuil, 1995, p. 567 (trad. de l’anglais).
[4] A défaut, la poursuite de tels actes ne pouvait relever que de la justice allemande, mais cette dernière, en 1945, n’avait évidemment ni les moyens, ni même la légitimité à cette fin… Le ratage exemplaire du procès de criminels de guerre allemands à Leipzig peu après la Première Guerre mondiale avait constitué, sur ce point, un fâcheux précédent – voir Jean-Jacques Becker, « Les procès de Leipzig », in Wieviorka (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, op. cit., p. 51-60
[5] Voir la synthèse de J.J. Lador-Lederer, « The Nuremberg Judgment Revisited: The Bernays Postulate », Netherlands International Law Review, 1983, vol. 30, n°3, décembre 1983, p. 360-373 ainsi que Lachezar Yanev, « A Janus-Faced concept: Nuremberg's law on conspiracy vis-à-vis the notion of joint criminal enterprise », Criminal Law Forum, vol. 26, 2015, p. 419–456.
[6] Tribunal militaire international, Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international ; Nuremberg, 24 novembre 1945 - 1er octobre 1946, vol. XXII, Nuremberg, 1949, p. 497-499.
[7] Taylor, Procureur à Nuremberg, op. cit., p. 567-568. Voir également Ann-Sophie Schöpfel, « La voix des juges français dans les procès de Nuremberg et de Tokyo. Défense d'une idée de justice universelle », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2013/1, n°249, p. 101-114.
[8] Procès des grands criminels de guerre, vol. XXII, op. cit., p. 498.
[9] A savoir Hermann Göring, Rudolf Hess, les généraux Wilhelm Keitel et Alfred Jodl, le Grand-Amiral Erich Raeder, l’ex-Ministre des Affaires étrangères Konstantin von Neurath, son successeur Joachim von Ribbentrop, ainsi que l’idéologue nazi Alfred Rosenberg.

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à propos de l'auteur
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Nicolas Bernard
Nicolas Bernard, avocat, contribue régulièrement à Conspiracy Watch depuis 2017. Il co-anime avec Gilles Karmasyn le site Pratique de l’Histoire et Dévoiements négationnistes (PHDN.org). Il est également l’auteur, aux éditions Tallandier, de La Guerre germano-soviétique (« Texto », 2020), de La Guerre du Pacifique (« Texto », 2019) et de Oradour-sur-Glane, 10 juin 1944. Histoire d’un massacre dans l’Europe nazie (2024).
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