Dans son dernier rapport, la Miviludes met en garde contre l'essor et le caractère protéiforme des nouvelles dérives sectaires. Et pointe du doigt l'influence des discours complotistes dans les processus d'emprise.
Longtemps cantonné à des groupes religieux marginaux, le phénomène sectaire s’immisce aujourd’hui dans des sphères beaucoup plus larges : santé alternative, coaching de vie, développement personnel et pratiques spirituelles « douces ». Ces nouveaux visages de l’emprise ciblent souvent des individus fragilisés ou en quête de sens. Les techniques d’emprise mentale évoluent : séduction, isolement, déconnexion d’avec les proches, puis contrôle psychologique, économique, voire sexuel.
Publié le 8 avril 2025, le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alerte sur cette mutation préoccupante. En dix ans, le nombre de signalements a plus que doublé, passant de 2 160 en 2015 à 4 571 en 2024.
Cette dynamique est portée par la viralité des réseaux sociaux. Influenceurs, pseudo-guérisseurs ou « coachs » boostent leur visibilité numérique pour vendre des formations, des stages ou des « soins » aux promesses creuses − parfois dangereuses. Les exemples sont nombreux. En mai 2024, nous vous racontions l’histoire de cet homme atteint d’un cancer qui avait interrompu sa chimiothérapie après que l’une des influenceuses de la chaîne Julie & Leelou Live le lui avait conseillé. Celle-ci lui recommandait de privilégier l’eau de mer ou le jeûne, une pratique censée « régénérer les cellules ». Il est mort quelques semaines plus tard.
Face à cette emprise 2.0, l’État tente de s’adapter. La lutte contre les dérives sectaires s’organise autour de quatre axes : meilleure connaissance du phénomène, accompagnement des victimes, renforcement juridique et coopération européenne. La Miviludes s’appuie également sur un réseau d’acteurs (préfectures, parquets, associations spécialisées comme l’UNADFI, le GEMPPI ou le CAFFES) et sur la montée en puissance de la formation des professionnels de santé, de l’éducation et de la justice. Elle collabore également étroitement avec la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT), qui dispose d’une cellule dédiée aux dérives sectaires et complotistes et joue un rôle clé dans le repérage des groupes à risque et la production de renseignements sur ces phénomènes.
L'une des évolutions les plus préoccupantes pointées par l’institution est que les théories du complot, derrière des récits de bien-être ou d’éveil, agissent désormais comme un moteur puissant de repli et de défiance, catalysant le rejet des institutions, le dénigrement des élites et la méfiance envers la science.
La Miviludes consacre en effet une attention particulière à la montée du conspirationnisme, appréhendé comme une forme contemporaine de remise en cause des institutions, et parfois, comme un terreau favorable à l’émergence de groupes fermés. Bien que tous les récits complotistes ne relèvent pas de logiques sectaires, ils peuvent néanmoins jouer un rôle de déclencheur ou de facilitateur. Le rapport situe cette dynamique dans « l’ère de la post-vérité », un moment où « pour beaucoup, une opinion équivaut à un fait » et où « il n’existe plus de vérité universelle mais une somme de vérités personnelles ». Cette mutation culturelle, nourrie par l’émergence des réseaux sociaux et un populisme qui prétend « apporter des réponses simples à des problèmes complexes », explique, selon la Miviludes, la prolifération de discours conspirationnistes dans tous les champs de la société : santé, politique, économie, et même science. Le complotisme, lit-on encore, « incite les individus à se détacher des normes sociales et à s’isoler des opinions majoritaires », jusqu’à rejoindre des communautés fermées organisées autour d’un contre-savoir.
Depuis la pandémie de Covid-19, ces discours explosent. Entre 2022 et 2024, ils ont représenté 13 % des signalements traités par la Miviludes. Parmi eux, un nombre croissant comporte une dimension explicitement antiétatique. Certains groupes, comme les « Citoyens souverains », revendiquent leur sécession d'avec la République française. Le rapport cite notamment le cas d’une mère appartenant à ce groupe, suivie par l’Aide sociale à l’enfance, qui refuse d’être nommée par son nom de famille.
Le cas du « réseau Solaris » concentre particulièrement les préoccupations de la Miviludes. Ce collectif, né pendant la pandémie et fondé par Frédéric Vidal, se présente comme un réseau d’entraide autonome et décentralisé, « basé sur l’humain » et la solidarité locale. Mais derrière cette façade bienveillante, de nombreux signalements pointent des dérives inquiétantes. Des membres évoquent des pressions financières pour l’achat de matériel prétendument indispensable (comme des panneaux solaires qui ne sont jamais installés), l’adoption de modes de vie alternatifs stricts (régimes alimentaires, « médecines » parallèles, codes vestimentaires), et un isolement progressif vis-à-vis de l’extérieur. Le groupe valorise une « vérité révélée », alimentée par un discours conspirationniste global qui présente le monde extérieur comme corrompu, dangereux, voire irréel. Pour la Miviludes, le cas de Solaris illustre bien ces nouvelles zones grises, à la frontière entre autonomie revendiquée, dérive sectaire et repli survivaliste.
Derrière l’idéologie, les intérêts économiques ne sont jamais loin. Le rapport alerte sur une instrumentalisation marchande croissante de ces récits. Certaines figures diffusent des contenus conspirationnistes pour vendre stages, consultations, produits ou formations, souvent vides de contenu réel. Le schéma est bien rodé : d’abord séduire avec un discours consolatoire ou transgressif, ensuite isoler (en coupant les victimes de leurs repères sociaux ou médicaux), puis contrôler.
À cela s’ajoute l’effet démultiplicateur du numérique. Le rapport pointe du doigt le rôle central joué par certains « influenceurs du complotisme », qui « disposent d’une tribune pour diffuser leurs messages, leurs services ou leurs produits à une bien plus large audience ». Ces figures, souvent charismatiques, imposent des logiques d’adhésion sans réel débat, en répétant des injonctions telles que « exerce ton esprit critique », « fais tes propres recherches », ou encore « ne crois pas tout ce qu’on te dit ». Des formules qui, selon la Miviludes, « entravent le dialogue et la réflexion personnelle », car elles ne s’accompagnent d’aucune méthodologie, laissant la place à l’adhésion à des croyances fermées. « C’est une mécanique qui se ressemble, que l’on se situe dans le domaine sanitaire, religieux ou même dans le coaching. Seul le masque est différent », résume Étienne Apaire, président de la Miviludes, dans Le Figaro.
Le rapport alerte aussi sur de nouvelles menaces : l’essor de l’intelligence artificielle dans les dispositifs d’emprise, les environnements immersifs ou encore les formes de « cyber-emprise », plus difficiles à détecter.
Au-delà des chiffres, le rapport 2022-2024 appelle à un changement de paradigme : les phénomènes sectaires ne relèvent plus uniquement de communautés religieuses isolées. Ils se déplacent, s’individualisent, se marchandisent, et prospèrent dans l’écosystème numérique. La Miviludes plaide pour une reconnaissance institutionnelle plus forte des dommages subis par les victimes, en particulier les mineurs, et pour une adaptation des outils de prévention, de repérage et d’accompagnement à ces nouvelles formes d’emprise, souvent invisibles, diffuses et polymorphes.
Car ce phénomène ne se limite plus aux marges : il remet en question les piliers mêmes de notre société. Il affecte des enjeux essentiels, de la santé publique à la cohésion sociale, tout en fragilisant les fondements de la démocratie.
Longtemps cantonné à des groupes religieux marginaux, le phénomène sectaire s’immisce aujourd’hui dans des sphères beaucoup plus larges : santé alternative, coaching de vie, développement personnel et pratiques spirituelles « douces ». Ces nouveaux visages de l’emprise ciblent souvent des individus fragilisés ou en quête de sens. Les techniques d’emprise mentale évoluent : séduction, isolement, déconnexion d’avec les proches, puis contrôle psychologique, économique, voire sexuel.
Publié le 8 avril 2025, le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alerte sur cette mutation préoccupante. En dix ans, le nombre de signalements a plus que doublé, passant de 2 160 en 2015 à 4 571 en 2024.
Cette dynamique est portée par la viralité des réseaux sociaux. Influenceurs, pseudo-guérisseurs ou « coachs » boostent leur visibilité numérique pour vendre des formations, des stages ou des « soins » aux promesses creuses − parfois dangereuses. Les exemples sont nombreux. En mai 2024, nous vous racontions l’histoire de cet homme atteint d’un cancer qui avait interrompu sa chimiothérapie après que l’une des influenceuses de la chaîne Julie & Leelou Live le lui avait conseillé. Celle-ci lui recommandait de privilégier l’eau de mer ou le jeûne, une pratique censée « régénérer les cellules ». Il est mort quelques semaines plus tard.
Face à cette emprise 2.0, l’État tente de s’adapter. La lutte contre les dérives sectaires s’organise autour de quatre axes : meilleure connaissance du phénomène, accompagnement des victimes, renforcement juridique et coopération européenne. La Miviludes s’appuie également sur un réseau d’acteurs (préfectures, parquets, associations spécialisées comme l’UNADFI, le GEMPPI ou le CAFFES) et sur la montée en puissance de la formation des professionnels de santé, de l’éducation et de la justice. Elle collabore également étroitement avec la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT), qui dispose d’une cellule dédiée aux dérives sectaires et complotistes et joue un rôle clé dans le repérage des groupes à risque et la production de renseignements sur ces phénomènes.
L'une des évolutions les plus préoccupantes pointées par l’institution est que les théories du complot, derrière des récits de bien-être ou d’éveil, agissent désormais comme un moteur puissant de repli et de défiance, catalysant le rejet des institutions, le dénigrement des élites et la méfiance envers la science.
La Miviludes consacre en effet une attention particulière à la montée du conspirationnisme, appréhendé comme une forme contemporaine de remise en cause des institutions, et parfois, comme un terreau favorable à l’émergence de groupes fermés. Bien que tous les récits complotistes ne relèvent pas de logiques sectaires, ils peuvent néanmoins jouer un rôle de déclencheur ou de facilitateur. Le rapport situe cette dynamique dans « l’ère de la post-vérité », un moment où « pour beaucoup, une opinion équivaut à un fait » et où « il n’existe plus de vérité universelle mais une somme de vérités personnelles ». Cette mutation culturelle, nourrie par l’émergence des réseaux sociaux et un populisme qui prétend « apporter des réponses simples à des problèmes complexes », explique, selon la Miviludes, la prolifération de discours conspirationnistes dans tous les champs de la société : santé, politique, économie, et même science. Le complotisme, lit-on encore, « incite les individus à se détacher des normes sociales et à s’isoler des opinions majoritaires », jusqu’à rejoindre des communautés fermées organisées autour d’un contre-savoir.
Depuis la pandémie de Covid-19, ces discours explosent. Entre 2022 et 2024, ils ont représenté 13 % des signalements traités par la Miviludes. Parmi eux, un nombre croissant comporte une dimension explicitement antiétatique. Certains groupes, comme les « Citoyens souverains », revendiquent leur sécession d'avec la République française. Le rapport cite notamment le cas d’une mère appartenant à ce groupe, suivie par l’Aide sociale à l’enfance, qui refuse d’être nommée par son nom de famille.
Le cas du « réseau Solaris » concentre particulièrement les préoccupations de la Miviludes. Ce collectif, né pendant la pandémie et fondé par Frédéric Vidal, se présente comme un réseau d’entraide autonome et décentralisé, « basé sur l’humain » et la solidarité locale. Mais derrière cette façade bienveillante, de nombreux signalements pointent des dérives inquiétantes. Des membres évoquent des pressions financières pour l’achat de matériel prétendument indispensable (comme des panneaux solaires qui ne sont jamais installés), l’adoption de modes de vie alternatifs stricts (régimes alimentaires, « médecines » parallèles, codes vestimentaires), et un isolement progressif vis-à-vis de l’extérieur. Le groupe valorise une « vérité révélée », alimentée par un discours conspirationniste global qui présente le monde extérieur comme corrompu, dangereux, voire irréel. Pour la Miviludes, le cas de Solaris illustre bien ces nouvelles zones grises, à la frontière entre autonomie revendiquée, dérive sectaire et repli survivaliste.
Derrière l’idéologie, les intérêts économiques ne sont jamais loin. Le rapport alerte sur une instrumentalisation marchande croissante de ces récits. Certaines figures diffusent des contenus conspirationnistes pour vendre stages, consultations, produits ou formations, souvent vides de contenu réel. Le schéma est bien rodé : d’abord séduire avec un discours consolatoire ou transgressif, ensuite isoler (en coupant les victimes de leurs repères sociaux ou médicaux), puis contrôler.
À cela s’ajoute l’effet démultiplicateur du numérique. Le rapport pointe du doigt le rôle central joué par certains « influenceurs du complotisme », qui « disposent d’une tribune pour diffuser leurs messages, leurs services ou leurs produits à une bien plus large audience ». Ces figures, souvent charismatiques, imposent des logiques d’adhésion sans réel débat, en répétant des injonctions telles que « exerce ton esprit critique », « fais tes propres recherches », ou encore « ne crois pas tout ce qu’on te dit ». Des formules qui, selon la Miviludes, « entravent le dialogue et la réflexion personnelle », car elles ne s’accompagnent d’aucune méthodologie, laissant la place à l’adhésion à des croyances fermées. « C’est une mécanique qui se ressemble, que l’on se situe dans le domaine sanitaire, religieux ou même dans le coaching. Seul le masque est différent », résume Étienne Apaire, président de la Miviludes, dans Le Figaro.
Le rapport alerte aussi sur de nouvelles menaces : l’essor de l’intelligence artificielle dans les dispositifs d’emprise, les environnements immersifs ou encore les formes de « cyber-emprise », plus difficiles à détecter.
Au-delà des chiffres, le rapport 2022-2024 appelle à un changement de paradigme : les phénomènes sectaires ne relèvent plus uniquement de communautés religieuses isolées. Ils se déplacent, s’individualisent, se marchandisent, et prospèrent dans l’écosystème numérique. La Miviludes plaide pour une reconnaissance institutionnelle plus forte des dommages subis par les victimes, en particulier les mineurs, et pour une adaptation des outils de prévention, de repérage et d’accompagnement à ces nouvelles formes d’emprise, souvent invisibles, diffuses et polymorphes.
Car ce phénomène ne se limite plus aux marges : il remet en question les piliers mêmes de notre société. Il affecte des enjeux essentiels, de la santé publique à la cohésion sociale, tout en fragilisant les fondements de la démocratie.
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