Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Le discours de M. Verdier, une machine à transformer de l’ignorance en théorie du complot

Le meilleur antidote aux sottises que colporte le chef du service météo de France Télévisions est le film « La Glace et le ciel » sur la vie et l’œuvre du grand glaciologue Claude Lorius.

Extrait de la vidéo promotionnelle du livre de Philippe Verdier (capture d'écran YouTube/Ring, octobre 2015).

Tout d’abord, manifestons ici un soutien confraternel sincère à Philippe Verdier, chef du service météo de France Télévisions, mis à pied par son employeur pour avoir écrit un livre climatosceptique. M. Verdier n’a pourtant pas détourné l’antenne de la télévision publique pour faire la promotion de son ouvrage. Pas plus qu’il ne semble avoir, dans le strict exercice de son métier, commis de faute ou d’erreur. Il faut donc le soutenir sans réserves. Et, cela fait, il faut user pleinement de la liberté que nous revendiquons pour lui, et démonter les sottises qu’il colporte.

Le journaliste nous assure par exemple que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) aurait « sciemment gommé les incertitudes » de ses rapports, sans doute pour plonger le bon peuple dans la terreur. Ce faisant, M. Verdier administre la preuve qu’il n’a sans doute jamais lu le moindre rapport ni même le moindre résumé d’un rapport du GIEC.

Car l’aurait-il fait qu’il n’aurait pas pu ne pas remarquer que non seulement le GIEC ne « gomme » pas les incertitudes, mais qu’il les met en avant et les formalise jusqu’à l’indigestion. Dans les textes du GIEC, les faits énoncés sont généralement tempérés de la probabilité quant à leur certitude, et assortis d’un niveau de confiance, en fonction de la force des preuves disponibles. Enfin, aucun chiffre n’est donné sans marge d’erreur.

Difficile de se convaincre que les scientifiques associés au GIEC cherchent à masquer les incertitudes… D’ailleurs, pourquoi le feraient-ils ? Chercher à répondre, c’est comprendre qu’il y a dans le discours de M. Verdier des erreurs de logique interne si grossières qu’on ne sait trop s’il faut en rire ou en pleurer. Les scientifiques sont « politisés », comme l’affirme M. Verdier ? Mais, dans ce cas, pourquoi chercheraient-ils à exagérer le problème ? Par quel sombre et tortueux dessein les Etats, qui montrent depuis deux décennies une totale incapacité à s’attaquer au problème climatique, chercheraient-ils à en exagérer la gravité ? Pour que leur incurie soit plus flagrante encore ?

Passons sur les « très nombreuses conséquences heureuses et positives du réchauffement », cheval de bataille de M. Verdier : ces effets sont également évalués par le GIEC, mais il se trouve simplement qu’ils sont très minoritaires face aux effets négatifs. Bref, c’est un peu comme si on se réjouissait de contracter un cancer au motif qu’il commencera par nous faire perdre du poids…

L’entretien des pelouses

Le discours de M. Verdier est en réalité une formidable machine à transformer de l’ignorance en théorie du complot. Un exemple amusant est celui du protoxyde d’azote. « Le protoxyde d’azote, qui ne représente que 6 % des gaz à effet de serre générés par l’homme, est presque 300 fois plus nocif que le CO2, écrit M. Verdier, cité dans l’hebdomadaire Marianne. Ce gaz est émis en grande quantité pour parfaire l’entretien des pelouses. » Voici notre intérêt piqué. D’autant que le présentateur météo ajoute : « Pourquoi, depuis vingt ans, n’a- t-on pas vu se dessiner un protocole pour interdire l’usage du protoxyde d’azote (…) ? »

A la lecture de ces lignes, on s’interroge : au lieu de s’attaquer aux puissants intérêts de l’entretien des pelouses, on ne s’en prendrait donc qu’aux pauvres gens qui ont le malheur d’émettre un peu de CO2 en prenant leur voiture pour aller travailler ? Il y aurait en effet de quoi légèrement s’agacer…

Le problème est que M. Verdier n’a semble-t-il pas compris la légende des graphiques qu’il a consultés. Le protoxyde d’azote ne représente pas 6 % du volume des gaz à effet de serre émis par les hommes, mais 6 % du potentiel de réchauffement des émissions anthropiques. En d’autres termes, ce chiffre de 6 % tient déjà compte du fameux facteur multiplicatif de 300… Voilà qui change tout, n’est-ce pas ?

Quant à l’affirmation selon laquelle l’augmentation de ce gaz tiendrait à l’entretien des pelouses, elle nous propulse à des sommets inédits de ridicule et de confusion. Le principal responsable est en réalité l’intensification de l’activité agricole et notamment l’usage d’engrais azotés, dont une part se dégrade dans les sols sous la forme du protoxyde d’azote. Se demander, comme le fait M. Verdier, pourquoi « l’usage du protoxyde d’azote » n’a pas été interdit n’a donc aucun sens, celui-ci étant principalement (outre quelques usages médicaux) un gaz-déchet…

Ces jours-ci, le meilleur antidote au discours porté par M. Verdier et ses thuriféraires est le beau film de Luc Jacquet, La Glace et le ciel, sur la vie et l’œuvre de Claude Lorius.

Claude Lorius, 83 ans, est ce grand glaciologue français dont le travail a permis d’élucider les climats anciens. Il aura au total passé près de dix années en Antarctique. C’est là que lui sont venues les deux ou trois idées géniales dont il a tiré le fil toute sa vie, et grâce auxquelles nous savons aujourd’hui ce qui nous arrive.

L’histoire de Claude Lorius est belle car elle illustre la beauté de la démarche scientifique, et la quantité de peines, d’efforts ou de sacrifices qu’il peut y avoir derrière une simple courbe publiée dans une revue savante. C’est aussi une histoire triste. Vers la fin du film, on le voit invité sur un plateau de télévision, dans les années 1980 ou 1990, tenter timidement de transmettre ce qu’il a appris, de donner l’alerte sur le péril climatique. On le voit face à des débatteurs professionnels, ignorants mais bardés de certitudes, qui le démentent et lui font la leçon.

Depuis, tout ce que redoutait Claude Lorius s’est produit, généralement en pire. Une chose n’a pas changé : comme le montre le tapage récent autour de M. Verdier, les bateleurs sont toujours là.

Source : Le Monde, 26 octobre 2015.

 

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