Il y a sept ans, le monde découvrait les images de la terrible attaque chimique perpétrée dans la Ghouta de Damas par le régime syrien. Un crime nié par un chercheur du MIT à la retraite et un « journaliste indépendant » fan de Dieudonné. Autopsie d’un cas d’école.
Près de 1500 morts, dont plus de la moitié de femmes et d’enfants. L’attaque survenue le 21 août 2013 dans la Ghouta de Damas, il y a tout juste sept ans, reste encore aujourd’hui la pire attaque chimique depuis celle commise par Saddam Hussein à Halabja en 1988. Elle est aussi la mère de toute les batailles sur le terrain de la guerre de l’information du conflit syrien.
Dans cette vaste plaine agricole à l'est de Damas alors sous contrôle rebelle, les symptômes observés sur les victimes – pupilles dilatées, hallucinations, troubles respiratoires et surabondance de sécrétions buccales – ne laissent que peu de doutes sur l’utilisation d’un redoutable agent neurotoxique : le sarin.
L’identification de l’arme du crime désigne à son tour son auteur. Pas moins de douze États, dont la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, Israël et la Turquie, ainsi que la Ligue Arabe et l’ONG Human Rights Watch, incriminent le gouvernement syrien. Ce dernier, à l’unisson de ses alliés russe et iranien, retourne quant à lui l'accusation contre les rebelles. Damas n’est pas encore signataire de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques.
La suite est connue : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France renoncent finalement à punir le franchissement par Bachar el-Assad de la fameuse « ligne rouge » tracée par le président Obama un an plus tôt. Sur la toile, l’offensive contre la vérité est en revanche bel et bien lancée par Assad et ses partisans.
Le 4 février 2014, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, participe à une conférence à l’Essec au sujet du conflit syrien. Un certain « Jonathan », qui se présente comme « journaliste indépendant pour l’Agence Info Libre » intervient et cite un rapport du Massachusetts Institute of Technology (MIT), censé prouver qu’Assad n’est pas responsable du massacre de la Ghouta. Il demande au chef de la diplomatie française de présenter ses excuses pour avoir affirmé le contraire.
La vidéo de l’échange, mise en ligne le jour même sur la chaîne YouTube de l'Agence Info Libre, fait le bonheur des réseaux d’extrême droite. « Un courageux journaliste pose à Laurent Fabius "la question qui tue" ! », s’exclame Christophe Servan sur Boulevard Voltaire [archive], site fondé par Robert Ménard et condamné pour incitation à la haine raciale en novembre 2014.
Le « courageux journaliste » n’est autre que Jonathan Moadab. Comme le note alors Boulevard Voltaire, il « a fondé la toute récente Agence Info Libre déjà bien connue des internautes pour sa couverture des manifestations autour de l’affaire Dieudonné, Jour de colère et la Manif pour tous. »
Cofondateur, avec Raphaël Berland, du média de « ré-information citoyenne » Le Cercle des Volontaires, Jonathan Moadab – qui, explique Le Monde, « a développé avec le recul une lecture critique de ses visites des chambres à gaz en Pologne » – est l'un des « rares » fans du polémiste antisémite Dieudonné M'Bala M'Bala a se définir à la fois comme « juif pratiquant et antisioniste ».
Les publications de l’Agence Info Libre au sujet de la Syrie parlent d’elles-mêmes. En 2016, le site accuse par exemple Hillary Clinton de vouloir « Détruire la Syrie pour Israël » et organise une conférence intitulée « Que se passe-t-il réellement en Syrie ? » avec Régis Chamagne, ancien membre de l’Union populaire républicaine (UPR).
En 2015, le site publie un long reportage sur une manifestation de soutien à l’intervention russe en Syrie, où une poignée de manifestants brandit des portraits d’Assad en plein Paris. L’agence donne alors la parole à Alain Benajam, président de Réseau Voltaire-France. On y retrouve également Victor Lenta, militant d’ultra-droite parti rejoindre des milices pro-russes dans le Donbass l’année précédente et qui fera une incursion remarquée dans le mouvement des Gilets jaunes en 2019.
Jonathan Moadab cumule son rôle d’animateur de l’Agence Info Libre avec celui de correspondant pour l’agence de presse-vidéo pro-Kremlin Ruptly. Un léger penchant pour Poutine qu’il ne dément pas en se recasant plus tard chez la cousine, RT France, où il sera la victime en 2019 d’un risible canular. Aujourd’hui « indépendant », il continue à alimenter l’organe officieux du Kremlin lors des manifestations des Gilets jaunes.
Pour ne rien gâcher, il collabore en 2013 avec Béatrice Pignède à la réalisation du film conspirationniste « L’Oligarchie et le Sionisme », ainsi qu’au documentaire révisionniste « Rwanda, 20 ans après », réalisé en 2014 par des compagnons de route de Thierry Meyssan, lui-même adorateur d’Assad et résidant à Damas. Le monde est petit.
L’échange entre Moadab et Fabius fait son petit bonhomme de chemin jusque dans les colonnes de l'hebdomadaire Le Point. L’article « Attaque chimique en Syrie : le rapport qui dérange », publié en février 2014, précise néanmoins, en s’appuyant sur plusieurs spécialistes français, que malgré les conclusions jugées « crédibles » du MIT, il reste « 98 % de chances pour que le régime syrien soit l'auteur de l'attaque, bien qu'il ne faille pas négliger les 2 % restants ».
Le fameux rapport a été rédigé par Theodore Postol, professeur au MIT, et Richard Lloyd, ancien inspecteur de l'ONU et spécialiste des missiles. En se basant sur de nombreuses données en source ouverte, les deux chercheurs affirment avoir identifié le type de roquette utilisé lors de l’attaque chimique de la Ghouta. Des roquettes qui, selon eux, auraient une portée limitée à deux kilomètres.
Malgré tous ses aspects techniques, le postulat du rapport est assez simple : ces roquettes n’auraient pu être lancées depuis le « cœur » du territoire contrôlé par le régime, contrairement à ce qu’avait indiqué à l’époque le renseignement américain, ce qui aurait requis une portée d’environ dix kilomètres.
« Le document de 23 pages affirme que les attaques chimiques ont tout simplement été lancées depuis une zone tenue par les rebelles syriens », résume Le Point. Mais « contrairement aux dires du journaliste qui a interpellé Laurent Fabius à l'Essec, le rapport du MIT ne disculpe pas Bachar al-Assad ».
Après avoir repris l’argument du rapport Lloyd-Postol dès décembre 2013, le journaliste d’investigation américain Seymour Hersh remet une pièce dans la machine. Dans un article publié en avril 2014 par la London Review of Books et intitulé « The Red Line and the Rat Line » (« La ligne rouge et la route secrète ») il assure, en se basant sur quelques sources anonymes, que l’attaque chimique de la Ghouta est un complot.
Alors que son rapport initial faisait preuve d’une relative prudence, Postol, le très respecté professeur du MIT, affirme soudain en juillet 2014 sur RT que les rebelles sont responsables de l’attaque chimique de la Ghouta, toujours en se basant sur les conclusions de son propre rapport et en reprenant la théorie de Seymour Hersh.
C’est à ce moment qu’intervient « Rocket man », tel que le New Yorker surnomme Eliot Higgins pour sa capacité à analyser et à identifier depuis plusieurs années déjà les armes utilisées en Syrie. Sur Brown Moses, ancêtre du site d’investigation Bellingcat, le blogueur britannique démontre dès août 2013 que l’attaque de la Ghouta aurait bel et bien pu être menée par l’armée syrienne, dont il a repéré la présence dans des zones proches des sites d’impact.
Surtout, Postol a selon lui sous-estimé la portée des roquettes tout en se basant sur une carte erronée des positions rebelles. Avec le spécialiste des armes chimiques Dan Kaszeta, il démonte également point par point la thèse de Seymour Hersh en avril 2014.
Pour défendre son travail, le professeur Theodore Postol fait alors appel à une étudiante en chimie du nom de Maram Susli, alias PartisanGirl, une youtubeuse conspirationniste pro-Assad. Celle-ci affirme même lui avoir « fourni un peu de [ses] connaissances en chimie » pour répondre aux critique d'Eliot Higgins et Dan Kaszeta, jetant ainsi une ombre douteuse sur les conclusions de Postol que le prestigieux sceau du MIT ne permet plus de dissiper.
Dans une interview accordée au complotiste Ryan Dawson en 2014 au sujet de la jeune blogueuse, le chercheur du MIT lâche sans sourciller : « Je savais qu’elle était chimiste car je la suivais sur Twitter. Je pouvais voir à sa voix qu’elle était une chimiste aguerrie ».
« Il semble clair que toutes les tentatives d’accuser l’opposition pour l’attaque du 21 août [2013] s’effondrent dès que l’on examine les informations les plus basiques établies à propos de l’attaque », écrit Eliot Higgins un an après le massacre de la Ghouta. C’est peut-être à ce moment qu’un adulte aurait pu siffler la fin de la récréation.
Sauf que l’univers des conspirationnistes pro-Assad n’obéit qu’à une seule loi : le ridicule ne tue pas. Durant les sept années du conflit syrien qui suivront la Ghouta, Theodore Postol n’a de cesse de nier l’implication du régime dans la macabre succession des massacres chimiques, et ce malgré l’accumulation exceptionnelle de preuves.
Dans ce qui ressemble à une autodestruction des derniers vestiges de sa propre crédibilité, il accumule les confusions, les erreurs factuelles, les défauts de lecture courante au sujet des attaques de Khan Cheikhoun (2017) et Douma (2018) et mélange même les dates. Le professeur émérite (à la retraite) du MIT est même désavoué par ses pairs lorsque le journal scientifique Science & Global Security refuse de publier l'un de ses rapports en 2019. Heureusement, la chaîne RT continue de lui offrir une plateforme d’atterrissage d’urgence.
Le héros de la fachosphère française, Jonathan Moadab, n’est pas en reste. Après ses cinq minutes de gloire face à Laurent Fabius en 2014, son site, Agence Info Libre, met en ligne la traduction en français d’un texte issu du site du conspirationniste américain Alex Jones citant les déclarations de Bouthaina Shaaban (une proche conseillère de Bachar el-Assad) selon lesquelles James Foley, journaliste américain décapité par l’État islamique en août 2014, aurait en réalité été tué un an auparavant. Le Cercle des Volontaires, autre site co-fondé par Moadab, va jusqu'à attaquer les parents de James Foley. « La mère ne montre aucun signe de tristesse », pouvait-t-on y lire à l’époque.
N’oubliant pas à qui il doit une partie de sa notoriété, le journaliste de RT reprend les interviews de Postol accordées à la chaîne russe. La boucle est bouclée.
Quant à Maram Susli, elle se distinguera à nouveau le 15 avril 2019, en accusant cette fois-ci Emmanuel Macron d’avoir « probablement mis le feu à Notre-Dame pour discréditer les Gilets jaunes ».
Au cours du conflit syrien, plus de 330 attaques à l’arme chimique ont été recensées. La quasi-totalité d’entre elles est attribuable au régime syrien, selon une étude du Global Public Policy Institute (GPPI) publiée en 2019, qui précise que ces attaques ont majoritairement ciblé les civils dans une « stratégie de punition collective des populations vivant dans les régions sous contrôle de l’opposition ».
Malgré une virulente campagne de désinformation menée à son encontre depuis 2019, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) continue à mener son travail sur la Syrie. Son dernier rapport, publié en avril dernier, pointe à nouveau la responsabilité directe du régime syrien dans trois attaques commises en 2017.
Une preuve supplémentaire versée à un dossier qui ne fait que s’épaissir depuis sept ans, dessinant une réalité accablante qu’Assad et ses drôles de soutiens continuent malgré tout à tordre pour coller à leur récit « alternatif » sur la Syrie.
Voir aussi :
Pour Ron Paul, le massacre de la Ghouta est un « false flag »
Seymour Hersh, Die Welt et l'attaque chimique de Khan Cheikhoun
(Dernière mise à jour le 01/09/2020 : reformulations)
Près de 1500 morts, dont plus de la moitié de femmes et d’enfants. L’attaque survenue le 21 août 2013 dans la Ghouta de Damas, il y a tout juste sept ans, reste encore aujourd’hui la pire attaque chimique depuis celle commise par Saddam Hussein à Halabja en 1988. Elle est aussi la mère de toute les batailles sur le terrain de la guerre de l’information du conflit syrien.
Dans cette vaste plaine agricole à l'est de Damas alors sous contrôle rebelle, les symptômes observés sur les victimes – pupilles dilatées, hallucinations, troubles respiratoires et surabondance de sécrétions buccales – ne laissent que peu de doutes sur l’utilisation d’un redoutable agent neurotoxique : le sarin.
L’identification de l’arme du crime désigne à son tour son auteur. Pas moins de douze États, dont la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, Israël et la Turquie, ainsi que la Ligue Arabe et l’ONG Human Rights Watch, incriminent le gouvernement syrien. Ce dernier, à l’unisson de ses alliés russe et iranien, retourne quant à lui l'accusation contre les rebelles. Damas n’est pas encore signataire de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques.
La suite est connue : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France renoncent finalement à punir le franchissement par Bachar el-Assad de la fameuse « ligne rouge » tracée par le président Obama un an plus tôt. Sur la toile, l’offensive contre la vérité est en revanche bel et bien lancée par Assad et ses partisans.
Le 4 février 2014, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, participe à une conférence à l’Essec au sujet du conflit syrien. Un certain « Jonathan », qui se présente comme « journaliste indépendant pour l’Agence Info Libre » intervient et cite un rapport du Massachusetts Institute of Technology (MIT), censé prouver qu’Assad n’est pas responsable du massacre de la Ghouta. Il demande au chef de la diplomatie française de présenter ses excuses pour avoir affirmé le contraire.
La vidéo de l’échange, mise en ligne le jour même sur la chaîne YouTube de l'Agence Info Libre, fait le bonheur des réseaux d’extrême droite. « Un courageux journaliste pose à Laurent Fabius "la question qui tue" ! », s’exclame Christophe Servan sur Boulevard Voltaire [archive], site fondé par Robert Ménard et condamné pour incitation à la haine raciale en novembre 2014.
Le « courageux journaliste » n’est autre que Jonathan Moadab. Comme le note alors Boulevard Voltaire, il « a fondé la toute récente Agence Info Libre déjà bien connue des internautes pour sa couverture des manifestations autour de l’affaire Dieudonné, Jour de colère et la Manif pour tous. »
Cofondateur, avec Raphaël Berland, du média de « ré-information citoyenne » Le Cercle des Volontaires, Jonathan Moadab – qui, explique Le Monde, « a développé avec le recul une lecture critique de ses visites des chambres à gaz en Pologne » – est l'un des « rares » fans du polémiste antisémite Dieudonné M'Bala M'Bala a se définir à la fois comme « juif pratiquant et antisioniste ».
Les publications de l’Agence Info Libre au sujet de la Syrie parlent d’elles-mêmes. En 2016, le site accuse par exemple Hillary Clinton de vouloir « Détruire la Syrie pour Israël » et organise une conférence intitulée « Que se passe-t-il réellement en Syrie ? » avec Régis Chamagne, ancien membre de l’Union populaire républicaine (UPR).
En 2015, le site publie un long reportage sur une manifestation de soutien à l’intervention russe en Syrie, où une poignée de manifestants brandit des portraits d’Assad en plein Paris. L’agence donne alors la parole à Alain Benajam, président de Réseau Voltaire-France. On y retrouve également Victor Lenta, militant d’ultra-droite parti rejoindre des milices pro-russes dans le Donbass l’année précédente et qui fera une incursion remarquée dans le mouvement des Gilets jaunes en 2019.
Jonathan Moadab cumule son rôle d’animateur de l’Agence Info Libre avec celui de correspondant pour l’agence de presse-vidéo pro-Kremlin Ruptly. Un léger penchant pour Poutine qu’il ne dément pas en se recasant plus tard chez la cousine, RT France, où il sera la victime en 2019 d’un risible canular. Aujourd’hui « indépendant », il continue à alimenter l’organe officieux du Kremlin lors des manifestations des Gilets jaunes.
Pour ne rien gâcher, il collabore en 2013 avec Béatrice Pignède à la réalisation du film conspirationniste « L’Oligarchie et le Sionisme », ainsi qu’au documentaire révisionniste « Rwanda, 20 ans après », réalisé en 2014 par des compagnons de route de Thierry Meyssan, lui-même adorateur d’Assad et résidant à Damas. Le monde est petit.
L’échange entre Moadab et Fabius fait son petit bonhomme de chemin jusque dans les colonnes de l'hebdomadaire Le Point. L’article « Attaque chimique en Syrie : le rapport qui dérange », publié en février 2014, précise néanmoins, en s’appuyant sur plusieurs spécialistes français, que malgré les conclusions jugées « crédibles » du MIT, il reste « 98 % de chances pour que le régime syrien soit l'auteur de l'attaque, bien qu'il ne faille pas négliger les 2 % restants ».
Le fameux rapport a été rédigé par Theodore Postol, professeur au MIT, et Richard Lloyd, ancien inspecteur de l'ONU et spécialiste des missiles. En se basant sur de nombreuses données en source ouverte, les deux chercheurs affirment avoir identifié le type de roquette utilisé lors de l’attaque chimique de la Ghouta. Des roquettes qui, selon eux, auraient une portée limitée à deux kilomètres.
Malgré tous ses aspects techniques, le postulat du rapport est assez simple : ces roquettes n’auraient pu être lancées depuis le « cœur » du territoire contrôlé par le régime, contrairement à ce qu’avait indiqué à l’époque le renseignement américain, ce qui aurait requis une portée d’environ dix kilomètres.
« Le document de 23 pages affirme que les attaques chimiques ont tout simplement été lancées depuis une zone tenue par les rebelles syriens », résume Le Point. Mais « contrairement aux dires du journaliste qui a interpellé Laurent Fabius à l'Essec, le rapport du MIT ne disculpe pas Bachar al-Assad ».
Après avoir repris l’argument du rapport Lloyd-Postol dès décembre 2013, le journaliste d’investigation américain Seymour Hersh remet une pièce dans la machine. Dans un article publié en avril 2014 par la London Review of Books et intitulé « The Red Line and the Rat Line » (« La ligne rouge et la route secrète ») il assure, en se basant sur quelques sources anonymes, que l’attaque chimique de la Ghouta est un complot.
Alors que son rapport initial faisait preuve d’une relative prudence, Postol, le très respecté professeur du MIT, affirme soudain en juillet 2014 sur RT que les rebelles sont responsables de l’attaque chimique de la Ghouta, toujours en se basant sur les conclusions de son propre rapport et en reprenant la théorie de Seymour Hersh.
C’est à ce moment qu’intervient « Rocket man », tel que le New Yorker surnomme Eliot Higgins pour sa capacité à analyser et à identifier depuis plusieurs années déjà les armes utilisées en Syrie. Sur Brown Moses, ancêtre du site d’investigation Bellingcat, le blogueur britannique démontre dès août 2013 que l’attaque de la Ghouta aurait bel et bien pu être menée par l’armée syrienne, dont il a repéré la présence dans des zones proches des sites d’impact.
Surtout, Postol a selon lui sous-estimé la portée des roquettes tout en se basant sur une carte erronée des positions rebelles. Avec le spécialiste des armes chimiques Dan Kaszeta, il démonte également point par point la thèse de Seymour Hersh en avril 2014.
Pour défendre son travail, le professeur Theodore Postol fait alors appel à une étudiante en chimie du nom de Maram Susli, alias PartisanGirl, une youtubeuse conspirationniste pro-Assad. Celle-ci affirme même lui avoir « fourni un peu de [ses] connaissances en chimie » pour répondre aux critique d'Eliot Higgins et Dan Kaszeta, jetant ainsi une ombre douteuse sur les conclusions de Postol que le prestigieux sceau du MIT ne permet plus de dissiper.
Dans une interview accordée au complotiste Ryan Dawson en 2014 au sujet de la jeune blogueuse, le chercheur du MIT lâche sans sourciller : « Je savais qu’elle était chimiste car je la suivais sur Twitter. Je pouvais voir à sa voix qu’elle était une chimiste aguerrie ».
« Il semble clair que toutes les tentatives d’accuser l’opposition pour l’attaque du 21 août [2013] s’effondrent dès que l’on examine les informations les plus basiques établies à propos de l’attaque », écrit Eliot Higgins un an après le massacre de la Ghouta. C’est peut-être à ce moment qu’un adulte aurait pu siffler la fin de la récréation.
Sauf que l’univers des conspirationnistes pro-Assad n’obéit qu’à une seule loi : le ridicule ne tue pas. Durant les sept années du conflit syrien qui suivront la Ghouta, Theodore Postol n’a de cesse de nier l’implication du régime dans la macabre succession des massacres chimiques, et ce malgré l’accumulation exceptionnelle de preuves.
Dans ce qui ressemble à une autodestruction des derniers vestiges de sa propre crédibilité, il accumule les confusions, les erreurs factuelles, les défauts de lecture courante au sujet des attaques de Khan Cheikhoun (2017) et Douma (2018) et mélange même les dates. Le professeur émérite (à la retraite) du MIT est même désavoué par ses pairs lorsque le journal scientifique Science & Global Security refuse de publier l'un de ses rapports en 2019. Heureusement, la chaîne RT continue de lui offrir une plateforme d’atterrissage d’urgence.
Le héros de la fachosphère française, Jonathan Moadab, n’est pas en reste. Après ses cinq minutes de gloire face à Laurent Fabius en 2014, son site, Agence Info Libre, met en ligne la traduction en français d’un texte issu du site du conspirationniste américain Alex Jones citant les déclarations de Bouthaina Shaaban (une proche conseillère de Bachar el-Assad) selon lesquelles James Foley, journaliste américain décapité par l’État islamique en août 2014, aurait en réalité été tué un an auparavant. Le Cercle des Volontaires, autre site co-fondé par Moadab, va jusqu'à attaquer les parents de James Foley. « La mère ne montre aucun signe de tristesse », pouvait-t-on y lire à l’époque.
N’oubliant pas à qui il doit une partie de sa notoriété, le journaliste de RT reprend les interviews de Postol accordées à la chaîne russe. La boucle est bouclée.
Quant à Maram Susli, elle se distinguera à nouveau le 15 avril 2019, en accusant cette fois-ci Emmanuel Macron d’avoir « probablement mis le feu à Notre-Dame pour discréditer les Gilets jaunes ».
Au cours du conflit syrien, plus de 330 attaques à l’arme chimique ont été recensées. La quasi-totalité d’entre elles est attribuable au régime syrien, selon une étude du Global Public Policy Institute (GPPI) publiée en 2019, qui précise que ces attaques ont majoritairement ciblé les civils dans une « stratégie de punition collective des populations vivant dans les régions sous contrôle de l’opposition ».
Malgré une virulente campagne de désinformation menée à son encontre depuis 2019, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) continue à mener son travail sur la Syrie. Son dernier rapport, publié en avril dernier, pointe à nouveau la responsabilité directe du régime syrien dans trois attaques commises en 2017.
Une preuve supplémentaire versée à un dossier qui ne fait que s’épaissir depuis sept ans, dessinant une réalité accablante qu’Assad et ses drôles de soutiens continuent malgré tout à tordre pour coller à leur récit « alternatif » sur la Syrie.
Voir aussi :
Pour Ron Paul, le massacre de la Ghouta est un « false flag »
Seymour Hersh, Die Welt et l'attaque chimique de Khan Cheikhoun
(Dernière mise à jour le 01/09/2020 : reformulations)
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