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Le mythe des 4 000 Juifs absents du World Trade Center

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Publié par Antoine Vitkine03 novembre 2007,

Selon une tenace rumeur conspirationniste, les Juifs auraient été informés à l'avance de l'imminence d'une attaque contre les Tours jumelles de New York. Antoine Vitkine revient sur l'origine de cette théorie du complot antisémite.

11 septembre 2001, 9 h 20 du matin, heure du Pacifique. Alors que les ruines du World Trade Center fument encore, une télévision libanaise, Al-Manar TV, annonce que les attaques ont été revendiquées par l’Armée rouge japonaise. Motif, venger les attaques de Hiroshima* et Nagasaki, cinquante-six ans auparavant.

13 septembre, le journal jordanien Al-Doustour titre : « Ce qui s’est passé est le travail du sionisme juif américain et des sionistes qui contrôlent le monde économiquement, politiquement et par les médias ».

Dans les trois jours après les attentats de New York et Washington, le FBI identifie et publie les noms des dix-neuf hommes qui ont conduit les attaques, sous la direction de Mohammed Atta. Ils sont tous membres d’Al-Qaeda.

Le 17 septembre 2001, la chaîne libanaise du Hezbollah ouvre son journal avec un scoop qu’elle attribue au journal jordanien Al-Watan, lui-même informé par « des sources diplomatiques arabes » : 4 000 Juifs ne sont pas venus travailler au World Trade Center, avertis par le Mossad de l’imminence d’une attaque menée par des agents israéliens.

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11 septembre 2001, 9 h 20 du matin, heure du Pacifique. Alors que les ruines du World Trade Center fument encore, une télévision libanaise, Al-Manar TV, annonce que les attaques ont été revendiquées par l’Armée rouge japonaise. Motif, venger les attaques de Hiroshima* et Nagasaki, cinquante-six ans auparavant.

13 septembre, le journal jordanien Al-Doustour titre : « Ce qui s’est passé est le travail du sionisme juif américain et des sionistes qui contrôlent le monde économiquement, politiquement et par les médias ».

Dans les trois jours après les attentats de New York et Washington, le FBI identifie et publie les noms des dix-neuf hommes qui ont conduit les attaques, sous la direction de Mohammed Atta. Ils sont tous membres d’Al-Qaeda.

Le 17 septembre 2001, la chaîne libanaise du Hezbollah ouvre son journal avec un scoop qu’elle attribue au journal jordanien Al-Watan, lui-même informé par « des sources diplomatiques arabes » : 4 000 Juifs ne sont pas venus travailler au World Trade Center, avertis par le Mossad de l’imminence d’une attaque menée par des agents israéliens.

Dans les jours qui suivent, des dizaines de journaux arabes ou musulmans, à Londres, au Caire, à Téhéran, à Damas, à Riyad, rapportent l’affaire des 4 000 Juifs manquants.

Le 19 septembre 2001, en direct sur Al-Jazira, le présentateur vedette Faycal Al-Qassem avance qu’« aucun des 4 000 Juifs travaillant au WTC n’est venu travailler le 11 septembre ». La chaîne qatarie est potentiellement regardée par quarante millions de téléspectateurs. Al-Qassem sera suspendu quelques semaines par sa hiérarchie.

Le 21 septembre, la Pravda russe emboîte le pas, sous la signature d’Irina Malenko, reprenant pratiquement mot pour mot les « révélations » d’Al-Manar.

Le 5 octobre, Mohammed Gamei’a, prestigieux cheikh du Vatican musulman, l’université Al-Azhar, défend la thèse du complot israélien dans une longue interview publiée par un site Internet égyptien. Il explique que les Juifs américains, influents dans les médias, empêchent l’information de filtrer.

Le 8 novembre 2003, à Paris, lors d’un meeting du Front national, un jeune militant lepéniste m’explique que le Mossad est derrière les attentats du 11 septembre parce que les 4 000 Juifs travaillant dans les tours ne sont pas venus travailler. Quand je lui demande comment il le sait, il me répond qu’il l’a vu sur Internet.

Le 23 avril 2004, au Caire, le directeur du journal Al-Gumhuriya, Abd El Wahhad Adas, écrit « que 4 000 Juifs d’origine américaine [sic] exerçant au WTC, avaient reçu l’ordre du Mossad de ne pas travailler ce jour-là ». Il ne se passe pas un mois sans qu’un journal arabe ne mentionne l’affaire.

Courant 2004, des adolescents d’une cité de Toulouse expliquent au sociologue Didier Lapeyronnie que les Juifs sont derrière les attentats du 11 septembre.

Pendant tout ce temps, depuis le 11 septembre 2001, en proche banlieue parisienne, Martine Saada pleure son fils Thierry, 26 ans. Il est une des trois à quatre cents victimes juives ou d’origine juive des attentats de New York. Thierry Saada, jeune marié dont la femme était enceinte, venait de décrocher son premier job dans une banque d’affaires du World Trade Center.

Al-Manar TV ou la haine par satellite

À l’âge de l’info en temps réel, aucune information n’est anodine, aussi folle soit-elle. Dans le courant de l’année 2002, un vaste sondage mené au Maroc, en Égypte, en Syrie et au Liban, sous l’égide du département d’État américain, révélait que 62 % des sondés étaient persuadés que le 11 septembre n’était pas imputable à Al-Qaeda. Rien n’indique que 62 % des sondés donnent précisément foi à la rumeur des 4 000 Juifs, ou aux thèses de Meyssan. Mais il ne fait pas de doute que les aberrations lancées par Al-Manar TV ont amplement contribué à troubler les esprits et à instiller l’idée que tout n’était pas clair et que donc la vérité était ailleurs.

Le chiffre de 4 000 Juifs est totalement imaginaire. Personne ne peut dire avec certitude combien de Juifs travaillaient dans les tours, dans la mesure où, fort heureusement, personne ne tenait de registre des Juifs du World Trade Center. Pour savoir combien sont morts dans les tours, on en est réduit à compter les noms à consonance juive parmi les patronymes des victimes. Ils sont nombreux, entre trois et quatre cents : Adler, Aron, Berger, Bernstein, Cohen, Eichler, Eisenberg, etc. La folie de certains esprits oblige à dresser des listes, une pratique de sinistre mémoire.

Alors pourquoi précisément ce chiffre ? On en trouve trace dans une interview donnée par un diplomate israélien en poste à New York le matin des attentats. Celui-ci déclarait que ses services avaient reçu 4 000 appels téléphoniques d’Israéliens, inquiets pour leurs proches, citoyens israéliens vivant ou travaillant à Manhattan. Comment cette brève s’est métamorphosée en la théorie d’Al-Manar que l’on sait ? Insondables sont les mystères de l’imagination lorsqu’elle est en proie à la paranoïa, au dogmatisme et à la bêtise.

Sans doute aussi les journalistes de la chaîne libanaise n’ont-ils vu que peu d’inconvénients à prendre des libertés avec la déontologie. Al-Manar TV est en effet la propriété d’un groupe en bonne place sur la liste des organisations terroristes du département d’État américain : le Hezbollah, le « parti de Dieu » télécommandé par l’Iran.

Après avoir révélé le scoop prouvant l’implication du Mossad, le présentateur avait avancé un argument supplémentaire : « Les seuls à profiter de cet acte de terrorisme sont les Juifs ». Autrement dit : à qui profite le crime ?

Les programmes d’Al-Manar TV sont à cette aune. Fort d’un personnel techniquement compétent, la chaîne fournit des clips léchés à la gloire des martyrs, des appels à la destruction d’Israël et toute sorte de choses de ce genre. Du matin au soir, des clips montés à partir d’images d’actualité, d’archives de la Seconde Guerre mondiale mêlant camps de concentration et bombardement des villes allemandes. Et, régulièrement des messages en hébreu s’intercalent : « Juifs, rentrez chez vous en Europe et aux États-Unis ! La Palestine sera votre tombeau ».

Ne pensez pas qu’Al-Manar soit une chaîne ringarde. En novembre 2003, elle a diffusé un feuilleton doté d’un budget de 2 millions de dollars, Al-Chatat, « Diaspora » en français.

La série raconte à sa manière l’histoire du sionisme. Selon « Diaspora », les Juifs tentent de contrôler le monde par le biais d’un gouver
nement juif mondial secret, dirigé depuis le XIXe siècle par la famille Rothschild.

Sous leur direction, les Juifs seraient responsables d’à peu près tous les événements noirs du siècle précédent, de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo à la guerre froide. Ils auraient ainsi aidé Hitler à exterminer les Juifs d’Europe, déclenché les deux guerres mondiales, largué les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

Avec la révolution des paraboles, Al-Manar TV est reçue dans l’ensemble des pays arabes – et assez regardée : son ton résolument engagé séduit.

Il n’y a pas que le monde arabe : Al-Manar est relayée dans le monde par neuf satellites dont Hotbird 4. Ce satellite appartient à la société française Eutelsat et dessert près de cent millions de foyers en Europe, en Afrique du Nord, et au Moyen-Orient. En France, 2,6 millions de foyers ont une parabole orientée vers Hotbird et ont donc la possibilité de capter la chaîne du Hezbollah.

Du reste, Al-Manar a pensé aux téléspectateurs qui ne comprennent pas l’arabe. Elle diffuse des programmes quotidiens en français et en anglais. L’émission francophone est visible à 21 h 30, temps universel, pendant vingt-cinq minutes.

Signe que ces torrents de haine ne sont pas une calamité naturelle contre laquelle on ne peut rien, cet été, à la suite de l’action d’associations juives, le gouvernement français a saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel en vue d’interdire la diffusion d’Al-Manar sur le réseau Eutelsat . Si le droit le permet, la technique rend douteux le succès d’une telle censure, car on ne pourra jamais interdire l’achat de paraboles capables de capter les ondes par-delà les frontières.

En tout cas, la pérennité de la chaîne est au moins assurée dans le monde arabe. Il n’est qu’à voir l’opulence de Mahmud Bakri, le représentant officiel d’Al-Manar dans la capitale égyptienne. Je l’ai rencontré en février 2004, au Caire.

(…) Tiré à quatre épingles dans un costume de bonne coupe, évoluant dans de splendides locaux, conduit par un chauffeur, ce dernier ressemble plus à un cadre supérieur d’une grande banque qu’à un prétendant au martyr du Hezbollah. « J’ai une vision professionnelle de mon travail de journaliste, explique-t-il en préalable. Mais j’ai aussi une vision politique : je refuse la colonisation des pays arabes et l’hégémonie américaine ».

Bakri n’est pas directement à l’origine de l’information délirante sur les Juifs du WTC, puisqu’elle venait du siège de Beyrouth, mais il continue d’en défendre la véracité. « Cette information d’Al-Manar donne une vision précise de ce qui s’est passé le 11 septembre et de qui est derrière ».

Pour preuve, il se livre à un jeu de questions-réponses : « Pourquoi pas le Mossad ? S’agit-il d’un simple accident normal effectué par de jeunes Arabes ou s’agit-il d’un complot ? Car il faut lier ces événements avec leur suite, la guerre contre le terrorisme et la destruction de pays arabes musulmans, dans le cadre d’un plan américain qui vise à servir les intérêts israéliens en premier lieu. Et si en plus on voit qu’il y a un soutien américain à Israël hors du commun, on peut arriver à la conclusion que le 11 septembre était un complot israélien ».

Argument classique des aficionados du complot, à Paris comme au Caire, qui consiste à inverser les faits et les conséquences, au nom du non moins classique « à qui profite le crime ? ».

Lorsqu’on lui avance que 300 Juifs au moins sont morts dans les tours, Mahmud Bakri reconnaît que lui-même n’a pas de preuves certaines à avancer, mais il renvoie à la direction d’Al-Manar. Au fond, il se fiche éperdument qu’on lui avance des noms. On pourrait lui parler de Thierry Saada, 26 ans, ce jeune Français de confession juive, mort dans les tours. Qu’importe Thierry Saada à Mahmoud Bakri. Son opinion est faite et elle importe plus que les faits. Sans doute le Mossad a-t-il oublié de prévenir le jeune homme.

* coquille dans le texte initial corrigée.

 

Source : Antoine Vitkine, Les Nouveaux imposteurs, La Martinière, 2005.

Voir aussi :

Quand votre boîte e-mail relaye la thèse du complot juif

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11 septembre 2001, 9 h 20 du matin, heure du Pacifique. Alors que les ruines du World Trade Center fument encore, une télévision libanaise, Al-Manar TV, annonce que les attaques ont été revendiquées par l’Armée rouge japonaise. Motif, venger les attaques de Hiroshima* et Nagasaki, cinquante-six ans auparavant.

13 septembre, le journal jordanien Al-Doustour titre : « Ce qui s’est passé est le travail du sionisme juif américain et des sionistes qui contrôlent le monde économiquement, politiquement et par les médias ».

Dans les trois jours après les attentats de New York et Washington, le FBI identifie et publie les noms des dix-neuf hommes qui ont conduit les attaques, sous la direction de Mohammed Atta. Ils sont tous membres d’Al-Qaeda.

Le 17 septembre 2001, la chaîne libanaise du Hezbollah ouvre son journal avec un scoop qu’elle attribue au journal jordanien Al-Watan, lui-même informé par « des sources diplomatiques arabes » : 4 000 Juifs ne sont pas venus travailler au World Trade Center, avertis par le Mossad de l’imminence d’une attaque menée par des agents israéliens.

Dans les jours qui suivent, des dizaines de journaux arabes ou musulmans, à Londres, au Caire, à Téhéran, à Damas, à Riyad, rapportent l’affaire des 4 000 Juifs manquants.

Le 19 septembre 2001, en direct sur Al-Jazira, le présentateur vedette Faycal Al-Qassem avance qu’« aucun des 4 000 Juifs travaillant au WTC n’est venu travailler le 11 septembre ». La chaîne qatarie est potentiellement regardée par quarante millions de téléspectateurs. Al-Qassem sera suspendu quelques semaines par sa hiérarchie.

Le 21 septembre, la Pravda russe emboîte le pas, sous la signature d’Irina Malenko, reprenant pratiquement mot pour mot les « révélations » d’Al-Manar.

Le 5 octobre, Mohammed Gamei’a, prestigieux cheikh du Vatican musulman, l’université Al-Azhar, défend la thèse du complot israélien dans une longue interview publiée par un site Internet égyptien. Il explique que les Juifs américains, influents dans les médias, empêchent l’information de filtrer.

Le 8 novembre 2003, à Paris, lors d’un meeting du Front national, un jeune militant lepéniste m’explique que le Mossad est derrière les attentats du 11 septembre parce que les 4 000 Juifs travaillant dans les tours ne sont pas venus travailler. Quand je lui demande comment il le sait, il me répond qu’il l’a vu sur Internet.

Le 23 avril 2004, au Caire, le directeur du journal Al-Gumhuriya, Abd El Wahhad Adas, écrit « que 4 000 Juifs d’origine américaine [sic] exerçant au WTC, avaient reçu l’ordre du Mossad de ne pas travailler ce jour-là ». Il ne se passe pas un mois sans qu’un journal arabe ne mentionne l’affaire.

Courant 2004, des adolescents d’une cité de Toulouse expliquent au sociologue Didier Lapeyronnie que les Juifs sont derrière les attentats du 11 septembre.

Pendant tout ce temps, depuis le 11 septembre 2001, en proche banlieue parisienne, Martine Saada pleure son fils Thierry, 26 ans. Il est une des trois à quatre cents victimes juives ou d’origine juive des attentats de New York. Thierry Saada, jeune marié dont la femme était enceinte, venait de décrocher son premier job dans une banque d’affaires du World Trade Center.

Al-Manar TV ou la haine par satellite

À l’âge de l’info en temps réel, aucune information n’est anodine, aussi folle soit-elle. Dans le courant de l’année 2002, un vaste sondage mené au Maroc, en Égypte, en Syrie et au Liban, sous l’égide du département d’État américain, révélait que 62 % des sondés étaient persuadés que le 11 septembre n’était pas imputable à Al-Qaeda. Rien n’indique que 62 % des sondés donnent précisément foi à la rumeur des 4 000 Juifs, ou aux thèses de Meyssan. Mais il ne fait pas de doute que les aberrations lancées par Al-Manar TV ont amplement contribué à troubler les esprits et à instiller l’idée que tout n’était pas clair et que donc la vérité était ailleurs.

Le chiffre de 4 000 Juifs est totalement imaginaire. Personne ne peut dire avec certitude combien de Juifs travaillaient dans les tours, dans la mesure où, fort heureusement, personne ne tenait de registre des Juifs du World Trade Center. Pour savoir combien sont morts dans les tours, on en est réduit à compter les noms à consonance juive parmi les patronymes des victimes. Ils sont nombreux, entre trois et quatre cents : Adler, Aron, Berger, Bernstein, Cohen, Eichler, Eisenberg, etc. La folie de certains esprits oblige à dresser des listes, une pratique de sinistre mémoire.

Alors pourquoi précisément ce chiffre ? On en trouve trace dans une interview donnée par un diplomate israélien en poste à New York le matin des attentats. Celui-ci déclarait que ses services avaient reçu 4 000 appels téléphoniques d’Israéliens, inquiets pour leurs proches, citoyens israéliens vivant ou travaillant à Manhattan. Comment cette brève s’est métamorphosée en la théorie d’Al-Manar que l’on sait ? Insondables sont les mystères de l’imagination lorsqu’elle est en proie à la paranoïa, au dogmatisme et à la bêtise.

Sans doute aussi les journalistes de la chaîne libanaise n’ont-ils vu que peu d’inconvénients à prendre des libertés avec la déontologie. Al-Manar TV est en effet la propriété d’un groupe en bonne place sur la liste des organisations terroristes du département d’État américain : le Hezbollah, le « parti de Dieu » télécommandé par l’Iran.

Après avoir révélé le scoop prouvant l’implication du Mossad, le présentateur avait avancé un argument supplémentaire : « Les seuls à profiter de cet acte de terrorisme sont les Juifs ». Autrement dit : à qui profite le crime ?

Les programmes d’Al-Manar TV sont à cette aune. Fort d’un personnel techniquement compétent, la chaîne fournit des clips léchés à la gloire des martyrs, des appels à la destruction d’Israël et toute sorte de choses de ce genre. Du matin au soir, des clips montés à partir d’images d’actualité, d’archives de la Seconde Guerre mondiale mêlant camps de concentration et bombardement des villes allemandes. Et, régulièrement des messages en hébreu s’intercalent : « Juifs, rentrez chez vous en Europe et aux États-Unis ! La Palestine sera votre tombeau ».

Ne pensez pas qu’Al-Manar soit une chaîne ringarde. En novembre 2003, elle a diffusé un feuilleton doté d’un budget de 2 millions de dollars, Al-Chatat, « Diaspora » en français.

La série raconte à sa manière l’histoire du sionisme. Selon « Diaspora », les Juifs tentent de contrôler le monde par le biais d’un gouver
nement juif mondial secret, dirigé depuis le XIXe siècle par la famille Rothschild.

Sous leur direction, les Juifs seraient responsables d’à peu près tous les événements noirs du siècle précédent, de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo à la guerre froide. Ils auraient ainsi aidé Hitler à exterminer les Juifs d’Europe, déclenché les deux guerres mondiales, largué les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

Avec la révolution des paraboles, Al-Manar TV est reçue dans l’ensemble des pays arabes – et assez regardée : son ton résolument engagé séduit.

Il n’y a pas que le monde arabe : Al-Manar est relayée dans le monde par neuf satellites dont Hotbird 4. Ce satellite appartient à la société française Eutelsat et dessert près de cent millions de foyers en Europe, en Afrique du Nord, et au Moyen-Orient. En France, 2,6 millions de foyers ont une parabole orientée vers Hotbird et ont donc la possibilité de capter la chaîne du Hezbollah.

Du reste, Al-Manar a pensé aux téléspectateurs qui ne comprennent pas l’arabe. Elle diffuse des programmes quotidiens en français et en anglais. L’émission francophone est visible à 21 h 30, temps universel, pendant vingt-cinq minutes.

Signe que ces torrents de haine ne sont pas une calamité naturelle contre laquelle on ne peut rien, cet été, à la suite de l’action d’associations juives, le gouvernement français a saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel en vue d’interdire la diffusion d’Al-Manar sur le réseau Eutelsat . Si le droit le permet, la technique rend douteux le succès d’une telle censure, car on ne pourra jamais interdire l’achat de paraboles capables de capter les ondes par-delà les frontières.

En tout cas, la pérennité de la chaîne est au moins assurée dans le monde arabe. Il n’est qu’à voir l’opulence de Mahmud Bakri, le représentant officiel d’Al-Manar dans la capitale égyptienne. Je l’ai rencontré en février 2004, au Caire.

(…) Tiré à quatre épingles dans un costume de bonne coupe, évoluant dans de splendides locaux, conduit par un chauffeur, ce dernier ressemble plus à un cadre supérieur d’une grande banque qu’à un prétendant au martyr du Hezbollah. « J’ai une vision professionnelle de mon travail de journaliste, explique-t-il en préalable. Mais j’ai aussi une vision politique : je refuse la colonisation des pays arabes et l’hégémonie américaine ».

Bakri n’est pas directement à l’origine de l’information délirante sur les Juifs du WTC, puisqu’elle venait du siège de Beyrouth, mais il continue d’en défendre la véracité. « Cette information d’Al-Manar donne une vision précise de ce qui s’est passé le 11 septembre et de qui est derrière ».

Pour preuve, il se livre à un jeu de questions-réponses : « Pourquoi pas le Mossad ? S’agit-il d’un simple accident normal effectué par de jeunes Arabes ou s’agit-il d’un complot ? Car il faut lier ces événements avec leur suite, la guerre contre le terrorisme et la destruction de pays arabes musulmans, dans le cadre d’un plan américain qui vise à servir les intérêts israéliens en premier lieu. Et si en plus on voit qu’il y a un soutien américain à Israël hors du commun, on peut arriver à la conclusion que le 11 septembre était un complot israélien ».

Argument classique des aficionados du complot, à Paris comme au Caire, qui consiste à inverser les faits et les conséquences, au nom du non moins classique « à qui profite le crime ? ».

Lorsqu’on lui avance que 300 Juifs au moins sont morts dans les tours, Mahmud Bakri reconnaît que lui-même n’a pas de preuves certaines à avancer, mais il renvoie à la direction d’Al-Manar. Au fond, il se fiche éperdument qu’on lui avance des noms. On pourrait lui parler de Thierry Saada, 26 ans, ce jeune Français de confession juive, mort dans les tours. Qu’importe Thierry Saada à Mahmoud Bakri. Son opinion est faite et elle importe plus que les faits. Sans doute le Mossad a-t-il oublié de prévenir le jeune homme.

* coquille dans le texte initial corrigée.

 

Source : Antoine Vitkine, Les Nouveaux imposteurs, La Martinière, 2005.

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à propos de l'auteur
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Antoine Vitkine
Antoine Vitkine est essayiste et documentariste. Il est l'auteur de "Les Nouveaux imposteurs" (La Martinière, 2005) et, avec Barbara Necek, des films documentaires "Le Grand complot" et "Le 11 septembre n'a pas eu lieu" (Doc en stock, 2004).
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