Loose Change Final Cut devait être le documentaire définitif de la série : cette troisième version ne tint pas la promesse de son titre puisque sortait le 22 septembre 2009 Loose Change 9/11, An American Coup, nouvel opus qu’un budget conséquent (3 millions de dollars) et un résumé ronflant (à lire sur le site reopen 911) avaient pour tâche de légitimer.
Cette quatrième version est sans surprise : elle est, comme les précédentes, la mise à jour des arguments. Ainsi disparaissent quelques thèses « débunkées» (c'est à dire démontées par les opposants à la théorie du complot), comme la référence à un nuage « pyroclastique » pour qualifier la fumée consécutive à l’effondrement des Twin Towers. Inversement, An American Coup rend longuement compte de ce qui constitue aujourd’hui le nouveau centre de gravité des théories conspirationnistes : les traces de nano-thermites prétendument retrouvées dans les décombres du World Trade Center. An American Coup assure faire peau neuve, mais la nouveauté alléguée du matériau réside le plus souvent dans le fait d’utiliser des séquences certes inédites, mais interchangeables avec celles des précédents Loose Change : un nouveau témoin pour le même témoignage ou un extrait différent pour un argument qui demeure identique.
Pourtant, de la première à la quatrième version de Loose Change, il y a bien quelque chose qui évolue et se précise. Si les arguments restent au fond les mêmes, la posture rhétorique de leurs partisans change : il s’agit désormais moins d’accuser ouvertement que d’endosser la posture intellectuelle autant que citoyenne du scepticisme. A l’instar des personnages médiatiques qui relaient ces thèses, on parle alors des « leçons de l’Histoire » et on fait allusion à d’illustres précédents. C’est ainsi qu’est conçu le premier quart d’heure du film, qui prétend inscrire les attentats du 11-Septembre dans une relecture des grandes manipulations du XXe siècle. La facilité de ces parallèles ne cache cependant pas le dérèglement de l’analogie. Ainsi, dans son générique qui se veut également un historique de la tragédie et dont les effets de montage provoquent délibérément une confusion de l’ordre chronologique et de l’ordre logique, Avery glisse quelques plans de l’ouragan Katrina : l’incurie ou la médiocrité d’un gouvernement est censée valoir ici pour une volonté malveillante et la preuve du complot. C’est confondre ce qui est intentionnel avec ce qui ne l’est pas, et le documentaire, en étant moins affirmatif que les versions précédentes, expose paradoxalement davantage ses failles en ne cessant de juxtaposer comme pour les additionner les preuves inconciliables de l’incompétence et du génie complotiste.
Source : site de la revue Esprit, 3 mars 2010.
L'auteure :
Aurélie Ledoux est agrégée de philosophie, enseignante à l'Université de Paris 7 et auteure d'une thèse de doctorat sur le cinéma américain contemporain. En mars-avril 2009, elle avait publié dans Esprit un long texte sur Loose Change, « Vidéos en ligne : la preuve par l’image ? ». Cet article peut être téléchargé en format pdf sur le site de la revue.
Loose Change Final Cut devait être le documentaire définitif de la série : cette troisième version ne tint pas la promesse de son titre puisque sortait le 22 septembre 2009 Loose Change 9/11, An American Coup, nouvel opus qu’un budget conséquent (3 millions de dollars) et un résumé ronflant (à lire sur le site reopen 911) avaient pour tâche de légitimer.
Cette quatrième version est sans surprise : elle est, comme les précédentes, la mise à jour des arguments. Ainsi disparaissent quelques thèses « débunkées» (c'est à dire démontées par les opposants à la théorie du complot), comme la référence à un nuage « pyroclastique » pour qualifier la fumée consécutive à l’effondrement des Twin Towers. Inversement, An American Coup rend longuement compte de ce qui constitue aujourd’hui le nouveau centre de gravité des théories conspirationnistes : les traces de nano-thermites prétendument retrouvées dans les décombres du World Trade Center. An American Coup assure faire peau neuve, mais la nouveauté alléguée du matériau réside le plus souvent dans le fait d’utiliser des séquences certes inédites, mais interchangeables avec celles des précédents Loose Change : un nouveau témoin pour le même témoignage ou un extrait différent pour un argument qui demeure identique.
Pourtant, de la première à la quatrième version de Loose Change, il y a bien quelque chose qui évolue et se précise. Si les arguments restent au fond les mêmes, la posture rhétorique de leurs partisans change : il s’agit désormais moins d’accuser ouvertement que d’endosser la posture intellectuelle autant que citoyenne du scepticisme. A l’instar des personnages médiatiques qui relaient ces thèses, on parle alors des « leçons de l’Histoire » et on fait allusion à d’illustres précédents. C’est ainsi qu’est conçu le premier quart d’heure du film, qui prétend inscrire les attentats du 11-Septembre dans une relecture des grandes manipulations du XXe siècle. La facilité de ces parallèles ne cache cependant pas le dérèglement de l’analogie. Ainsi, dans son générique qui se veut également un historique de la tragédie et dont les effets de montage provoquent délibérément une confusion de l’ordre chronologique et de l’ordre logique, Avery glisse quelques plans de l’ouragan Katrina : l’incurie ou la médiocrité d’un gouvernement est censée valoir ici pour une volonté malveillante et la preuve du complot. C’est confondre ce qui est intentionnel avec ce qui ne l’est pas, et le documentaire, en étant moins affirmatif que les versions précédentes, expose paradoxalement davantage ses failles en ne cessant de juxtaposer comme pour les additionner les preuves inconciliables de l’incompétence et du génie complotiste.
Source : site de la revue Esprit, 3 mars 2010.
L'auteure :
Aurélie Ledoux est agrégée de philosophie, enseignante à l'Université de Paris 7 et auteure d'une thèse de doctorat sur le cinéma américain contemporain. En mars-avril 2009, elle avait publié dans Esprit un long texte sur Loose Change, « Vidéos en ligne : la preuve par l’image ? ». Cet article peut être téléchargé en format pdf sur le site de la revue.
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