Un peu d'anachronisme, un soupçon de révisionnisme et beaucoup de propagande... : bien que l'élargissement de l'OTAN ne fut jamais à proprement parler l'objet de discussions entre Occidentaux et Soviétiques dans les années 1990-1991, le mythe d'une « promesse non tenue » qui aurait été faite à la Russie a la vie dure.
C'est un élément de langage qui est martelé par Vladimir Poutine et ses alliés depuis plus de dix ans : les pays occidentaux se seraient prétendument engagés auprès de la Russie à ne pas étendre les frontières de l'Alliance atlantique dans les pays anciennement membres du Bloc de l'Est.
Ancien speechwriter du Secrétaire général de l'OTAN, Michael Rühle est catégorique : « il n'y a jamais eu, de la part de l'Ouest, d'engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l'OTAN au-delà des frontières d'une Allemagne réunifiée ». De fait, aucun traité ni accord international ne mentionne une quelconque « promesse » de ce genre. Un thème qui, selon le politologue Olivier Schmitt, professeur associé au Center for War Studies (University of Southern Denmark), « fonctionne comme un motif récurrent servant à alimenter un fantasme d’encerclement », argument utilisé par les « admirateurs du régime russe pour justifier son agression en Ukraine, comme si l’OTAN n’avait jamais cessé de vouloir détruire la Russie » (voir Pourquoi Poutine est notre allié ?, Hikari éditions, 2017).
La publication, mardi 12 décembre, d'une analyse de 30 documents déclassifiés sous le titre « NATO Expansion: What Gorbachev Heard » [« Elargissement de l'OTAN : ce que Gorbatchev a entendu »] réalisée par les chercheurs Svetlana Savranskaja et Tom Blanton, est venue relancer la machine à fantasmes. L'article est paru sur le site de National Security Archive, une association américaine à but non lucratif ayant pour mission de publier des documents officiels déclassifiés sur les questions de sécurité nationale. Il montre qu'en 1990 et 1991, des dirigeants occidentaux comme le président américain George Bush et le secrétaire général de l'OTAN Manfred Wörner, avaient déclaré au président soviétique Mikhaïl Gorbatchev ne pas être favorables à ce que des pays d'Europe centrale et orientale rejoignent l'OTAN... dans un contexte où personne n'imagine alors la rapide dislocation de l'Union soviétique à la fin de l'année 1991.
Le 14 décembre, le site de RT France s'emparait de l'étude de Savranskaja et Blanton pour titrer : « Des documents déclassifiés prouvent que l'OTAN avait promis à Gorbatchev de ne pas s'étendre à l'Est ». « Gorbatchev a-t-il été trompé par l'OTAN ? » s'interrogeait avec gravité le compte Facebook de cette chaîne de télévision internationale contrôlé par le gouvernement russe. Le site Sputnik, organe jumeau de RT, titrait quant à lui « Promesse non tenue : la garantie du non-élargissement de l'Otan vers l'Est enfin prouvée ? ». Une « info » rapidement reprise par plusieurs sites complotistes comme Al-Manar, AlterInfo.net ou Arrêt sur info.
Quelques jours plus tard, le directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface, se fendait d'un tweet partagé près de 500 fois expliquant que « Gorbatchev avait bien reçu des garanties du non élargissement de l’OTAN après la réunification allemande [chose que les] néo-conservateurs ont toujours nié ». « Ils sont désavoués par les archives de l’OTAN » concluait le géopolitologue, enfonçant le clou sur son compte Facebook : « Ces engagements avaient été pris par James Baker, Georges Bush, les chef d’État et de gouvernement allemand, français, anglais et le secrétaire général de l’OTAN ».
Qu'en est-il réellement ?
Le tweet de Pascal Boniface a suscité les réactions affligées des spécialistes du sujet comme le directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) Bruno Tertrais et Olivier Schmitt :
A peu près tout est faux dans ce tweet. https://t.co/xbLP9J2KHh
— Bruno Tertrais (@BrunoTertrais) 18 décembre 2017
Accessoirement, on voit que M. Boniface n'a même pas daigné regarder les fameux documents, ce sont tous des docs diplos US, Sovs, UK ou FR, l'OTAN n'a strictement rien à voir là-dedans. Et comme il est précisé ds les docs qui accompagnent les archives, ça n'apprend rien que...
— Olivier Schmitt (@Olivier1Schmitt) 18 décembre 2017
L'affaire a finalement inspiré à Bruno Tertrais un thread cinglant en dix points mettant à mal la thèse de la « promesse occidentale » à la Russie :
« Ce fameux dossier n’apporte pas grand-chose de nouveau à ce qui était déjà connu. La référence, en termes d’analyse d’archives déclassifiées sur le sujet, reste le débat suscité par la revue International Security en 2016. Contrairement à certaines présentations qui en ont été faite, il ne s’agit nullement "d’archives de l’OTAN", mais de documents diplomatiques nationaux. Une promesse formelle fut bel et bien faite en 1990 : celle de ne pas faire avancer la "juridiction militaire" de l’OTAN au-delà de la frontière interallemande. Promesse tenue et codifiée dans le traité "4+2" de règlement de la question allemande : il n’y aura aucune force étrangère et aucune infrastructure de l’OTAN sur le territoire des nouveaux Länder (il n’y en a toujours pas). Contrairement à la lecture rapide (si elle a même été faite) de ces documents par certains commentateurs, ces documents ne recèlent aucune trace d’une promesse formelle, par les Etats-Unis, l’Allemagne (a fortiori par l’OTAN) de "ne pas élargir l’OTAN à l’Est". On y trouve un engagement à "tenir compte des intérêts de sécurité soviétiques" (rappel : l’URSS n’existe plus) et à créer de nouvelles structures de sécurité en Europe (rappel : ce qui sera fait avec la transformation de la CSCE en OSCE et la création du Conseil OTAN-Russie). En mars 1991, John Major (qui au demeurant n’engageait que lui-même) disait à Gorbatchev : "l’élargissement de l’OTAN n’est pas sur la table". Il disait vrai. Personne n’y pensera sérieusement avant 1993. Soit après l’éclatement de l’URSS et celui – sanglant – de la Yougoslavie. Episodes qui amenèrent Américains et Allemands à envisager d’accueillir favorablement dans l’Alliance certains anciens membres du Pacte de Varsovie. Ce qui n’empêchera pas les pays membres de l’OTAN de déclarer unilatéralement en 1997, pour "rassurer la Russie", que l’Alliance ne déploierait ni armes nucléaires ni forces de combat substantielles sur le territoire des nouveaux pays membres. Quant au titre du dossier, "What Gorbachev Heard", il contredit ce que dit… un certain Gorbatchev lui-même ».
Le chercheur fait allusion à une interview de Mikhaïl Gorbatchev datée d'octobre 2014. Ne cachant pas son amertume quant à la question de l'élargissement de l'OTAN et critiquant le « manque de volonté » des Occidentaux de « prendre en considération le point de vue de la Russie », l'ancien dirigeant soviétique confirmait toutefois que « le sujet de "l'élargissement de l'OTAN" n'a pas du tout été discuté, et n'a pas été évoqué dans ces années-là ». « Je dis cela en pleine responsabilité, ajoutait-il. Pas un seul pays d'Europe de l'Est n'a soulevé la question, pas même après la disparition du Pacte de Varsovie en 1991. Les dirigeants occidentaux ne l'ont pas fait non plus. Une autre question a été abordée : s'assurer que les structures militaires de l'OTAN n'évolueraient pas et que les forces armées supplémentaires de l'Alliance ne seraient pas déployées sur le territoire de la RDA d'alors après la réunification allemande. [...] Donc, ne dépeignez pas Gorbatchev et les autorités soviétiques d'alors comme des gens naïfs que les Occidentaux auraient mené par le bout du nez. S'il y a eu de la naïveté, ce fut plus tard, quand la question a surgi. Au début, la Russie n'a pas fait d'objection ».
Créée en 1949, l'OTAN compte aujourd'hui vingt-neuf Etats membres (dernier en date : le Monténégro, depuis juin 2017) contre seize à la fin de la Guerre froide. La Bosnie-Herzégovine, l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Géorgie sont candidates à l'adhésion.
C'est un élément de langage qui est martelé par Vladimir Poutine et ses alliés depuis plus de dix ans : les pays occidentaux se seraient prétendument engagés auprès de la Russie à ne pas étendre les frontières de l'Alliance atlantique dans les pays anciennement membres du Bloc de l'Est.
Ancien speechwriter du Secrétaire général de l'OTAN, Michael Rühle est catégorique : « il n'y a jamais eu, de la part de l'Ouest, d'engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l'OTAN au-delà des frontières d'une Allemagne réunifiée ». De fait, aucun traité ni accord international ne mentionne une quelconque « promesse » de ce genre. Un thème qui, selon le politologue Olivier Schmitt, professeur associé au Center for War Studies (University of Southern Denmark), « fonctionne comme un motif récurrent servant à alimenter un fantasme d’encerclement », argument utilisé par les « admirateurs du régime russe pour justifier son agression en Ukraine, comme si l’OTAN n’avait jamais cessé de vouloir détruire la Russie » (voir Pourquoi Poutine est notre allié ?, Hikari éditions, 2017).
La publication, mardi 12 décembre, d'une analyse de 30 documents déclassifiés sous le titre « NATO Expansion: What Gorbachev Heard » [« Elargissement de l'OTAN : ce que Gorbatchev a entendu »] réalisée par les chercheurs Svetlana Savranskaja et Tom Blanton, est venue relancer la machine à fantasmes. L'article est paru sur le site de National Security Archive, une association américaine à but non lucratif ayant pour mission de publier des documents officiels déclassifiés sur les questions de sécurité nationale. Il montre qu'en 1990 et 1991, des dirigeants occidentaux comme le président américain George Bush et le secrétaire général de l'OTAN Manfred Wörner, avaient déclaré au président soviétique Mikhaïl Gorbatchev ne pas être favorables à ce que des pays d'Europe centrale et orientale rejoignent l'OTAN... dans un contexte où personne n'imagine alors la rapide dislocation de l'Union soviétique à la fin de l'année 1991.
Le 14 décembre, le site de RT France s'emparait de l'étude de Savranskaja et Blanton pour titrer : « Des documents déclassifiés prouvent que l'OTAN avait promis à Gorbatchev de ne pas s'étendre à l'Est ». « Gorbatchev a-t-il été trompé par l'OTAN ? » s'interrogeait avec gravité le compte Facebook de cette chaîne de télévision internationale contrôlé par le gouvernement russe. Le site Sputnik, organe jumeau de RT, titrait quant à lui « Promesse non tenue : la garantie du non-élargissement de l'Otan vers l'Est enfin prouvée ? ». Une « info » rapidement reprise par plusieurs sites complotistes comme Al-Manar, AlterInfo.net ou Arrêt sur info.
Quelques jours plus tard, le directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface, se fendait d'un tweet partagé près de 500 fois expliquant que « Gorbatchev avait bien reçu des garanties du non élargissement de l’OTAN après la réunification allemande [chose que les] néo-conservateurs ont toujours nié ». « Ils sont désavoués par les archives de l’OTAN » concluait le géopolitologue, enfonçant le clou sur son compte Facebook : « Ces engagements avaient été pris par James Baker, Georges Bush, les chef d’État et de gouvernement allemand, français, anglais et le secrétaire général de l’OTAN ».
Qu'en est-il réellement ?
Le tweet de Pascal Boniface a suscité les réactions affligées des spécialistes du sujet comme le directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) Bruno Tertrais et Olivier Schmitt :
A peu près tout est faux dans ce tweet. https://t.co/xbLP9J2KHh
— Bruno Tertrais (@BrunoTertrais) 18 décembre 2017
Accessoirement, on voit que M. Boniface n'a même pas daigné regarder les fameux documents, ce sont tous des docs diplos US, Sovs, UK ou FR, l'OTAN n'a strictement rien à voir là-dedans. Et comme il est précisé ds les docs qui accompagnent les archives, ça n'apprend rien que...
— Olivier Schmitt (@Olivier1Schmitt) 18 décembre 2017
L'affaire a finalement inspiré à Bruno Tertrais un thread cinglant en dix points mettant à mal la thèse de la « promesse occidentale » à la Russie :
« Ce fameux dossier n’apporte pas grand-chose de nouveau à ce qui était déjà connu. La référence, en termes d’analyse d’archives déclassifiées sur le sujet, reste le débat suscité par la revue International Security en 2016. Contrairement à certaines présentations qui en ont été faite, il ne s’agit nullement "d’archives de l’OTAN", mais de documents diplomatiques nationaux. Une promesse formelle fut bel et bien faite en 1990 : celle de ne pas faire avancer la "juridiction militaire" de l’OTAN au-delà de la frontière interallemande. Promesse tenue et codifiée dans le traité "4+2" de règlement de la question allemande : il n’y aura aucune force étrangère et aucune infrastructure de l’OTAN sur le territoire des nouveaux Länder (il n’y en a toujours pas). Contrairement à la lecture rapide (si elle a même été faite) de ces documents par certains commentateurs, ces documents ne recèlent aucune trace d’une promesse formelle, par les Etats-Unis, l’Allemagne (a fortiori par l’OTAN) de "ne pas élargir l’OTAN à l’Est". On y trouve un engagement à "tenir compte des intérêts de sécurité soviétiques" (rappel : l’URSS n’existe plus) et à créer de nouvelles structures de sécurité en Europe (rappel : ce qui sera fait avec la transformation de la CSCE en OSCE et la création du Conseil OTAN-Russie). En mars 1991, John Major (qui au demeurant n’engageait que lui-même) disait à Gorbatchev : "l’élargissement de l’OTAN n’est pas sur la table". Il disait vrai. Personne n’y pensera sérieusement avant 1993. Soit après l’éclatement de l’URSS et celui – sanglant – de la Yougoslavie. Episodes qui amenèrent Américains et Allemands à envisager d’accueillir favorablement dans l’Alliance certains anciens membres du Pacte de Varsovie. Ce qui n’empêchera pas les pays membres de l’OTAN de déclarer unilatéralement en 1997, pour "rassurer la Russie", que l’Alliance ne déploierait ni armes nucléaires ni forces de combat substantielles sur le territoire des nouveaux pays membres. Quant au titre du dossier, "What Gorbachev Heard", il contredit ce que dit… un certain Gorbatchev lui-même ».
Le chercheur fait allusion à une interview de Mikhaïl Gorbatchev datée d'octobre 2014. Ne cachant pas son amertume quant à la question de l'élargissement de l'OTAN et critiquant le « manque de volonté » des Occidentaux de « prendre en considération le point de vue de la Russie », l'ancien dirigeant soviétique confirmait toutefois que « le sujet de "l'élargissement de l'OTAN" n'a pas du tout été discuté, et n'a pas été évoqué dans ces années-là ». « Je dis cela en pleine responsabilité, ajoutait-il. Pas un seul pays d'Europe de l'Est n'a soulevé la question, pas même après la disparition du Pacte de Varsovie en 1991. Les dirigeants occidentaux ne l'ont pas fait non plus. Une autre question a été abordée : s'assurer que les structures militaires de l'OTAN n'évolueraient pas et que les forces armées supplémentaires de l'Alliance ne seraient pas déployées sur le territoire de la RDA d'alors après la réunification allemande. [...] Donc, ne dépeignez pas Gorbatchev et les autorités soviétiques d'alors comme des gens naïfs que les Occidentaux auraient mené par le bout du nez. S'il y a eu de la naïveté, ce fut plus tard, quand la question a surgi. Au début, la Russie n'a pas fait d'objection ».
Créée en 1949, l'OTAN compte aujourd'hui vingt-neuf Etats membres (dernier en date : le Monténégro, depuis juin 2017) contre seize à la fin de la Guerre froide. La Bosnie-Herzégovine, l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Géorgie sont candidates à l'adhésion.
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