Historienne spécialiste de l’extrême droite et du négationnisme, Valérie Igounet est chercheuse associée à l’Institut d’histoire du temps présent, au CNRS. Elle est notamment l’auteure du livre Les Français d’abord (Inculte-Dernière marge, 190 p., 19,90 €, 2017). Elle vient également de faire paraître, avec Vincent Jarousseau, une enquête de terrain auprès des électeurs frontistes, L’Illusion nationale (Les Arènes, 168 p., 22,90 €).
En meeting à Nantes, le 26 février, Marine Le Pen a demandé aux fonctionnaires « de se garder de participer » aux « dérives » d’un « personnel politique aux abois » qui leur « demande d’utiliser les pouvoirs d’Etat pour surveiller les opposants, organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus, ou des cabales d’Etat ». « Dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection. Mais ses fonctionnaires, eux, devront assumer le poids de ces méthodes illégales », a-t-elle prévenu.
Le Monde : Ces déclarations rompent-elles avec la rhétorique généralement employée par la cheffe du Front national ?
Valérie Igounet : Il faut reconnaître qu’un seuil a été franchi. Jamais, la candidate FN n’avait menacé les fonctionnaires ni les magistrats. Il y a encore peu, elle courtisait ouvertement certains fonctionnaires, comme elle le faisait en s’adressant à d’autres catégories socioprofessionnelles, notamment par le biais de différents collectifs du Rassemblement Bleu Marine. Aujourd’hui, il semblerait que plus d’un agent de l’Etat sur cinq ait l’intention de voter Front national pour la présidentielle. Certaines catégories, comme la fonction publique hospitalière, sont davantage représentées dans ce vote FN.
Selon moi, Marine Le Pen revient sur le devoir de réserve, à savoir ce principe de neutralité du service public qui interdit « au fonctionnaire de faire de sa fonction l’instrument d’une propagande quelconque », selon le portail de la fonction publique. L’amalgame est flagrant. La présidente du FN offre ainsi la vision frontiste du traitement de l’information. A Nantes, elle a promis de rétablir l’Etat de droit, alors qu’elle en nie des principes élémentaires.
Le Monde : Avec cette charge contre le « système », Marine Le Pen délaisse l’image qu’elle cherchait à se construire de femme apaisée. Le durcissement de son discours vous surprend-il ?
Valérie Igounet : Marine Le Pen opère une seconde rupture, puisqu’elle se défait de certaines limites qu’elle avait généralement respectées jusqu’à présent. A Nantes, elle fustige ainsi « les puissances d’argent et médiatiques » qui seraient au service d’Emmanuel Macron ; puis dénonce les « cabales » qui la viseraient. La présidente du FN réactive ici un langage inhérent à l’extrême droite : la théorie du complot. Elle devient la « victime » d’un complot, au sens large du terme, puisqu’il est politique, médiatique et judiciaire.
La candidate frontiste opère ainsi, par ce discours, un retour aux fondamentaux. Elle renoue aussi avec l’histoire paternelle. Une affiche placardée au moment de l’émergence du parti dans les années 1980 disait à propos de Jean-Marie Le Pen : « Le Pen dit la vérité, ils le bâillonnent. » Ce « ils » visait les adversaires politiques et médiatiques de Jean-Marie Le Pen.
En même temps, Mme Le Pen se positionne en « victime » d’un système et s’arroge ce rôle qu’elle aime tant, celui du seul contre tous. Il s’agit, pour elle, de faire adhérer à la vision du monde qu’elle décrit et qu’elle propose à ses électeurs. Aux Estivales de Fréjus (les 17 et 18 septembre 2016), elle expliquait justement que le « moment [était] venu de voir le monde comme il va, et pas comme on nous le raconte ».
On voit bien la logique qui est à l’œuvre ici. La presse et les intellectuels figurent au premier rang de ceux que le FN désigne comme ses adversaires. Selon Marine Le Pen, les « médias ont perdu la confiance des Français ». Il n’est donc pas étonnant de l’entendre s’en prendre à la presse ou aux « médias officiels », selon le vocabulaire frontiste.
Elle sait aussi que certains de ses électeurs – une majorité de jeunes – s’informent de moins en moins par le biais de la presse et qu’ils font davantage confiance à Internet et aux réseaux sociaux. (...)
Lire la suite sur le site du Monde.
Voir aussi :
* Complot (éditorial de Libération, par Laurent Joffrin, 23 février 2017)
Historienne spécialiste de l’extrême droite et du négationnisme, Valérie Igounet est chercheuse associée à l’Institut d’histoire du temps présent, au CNRS. Elle est notamment l’auteure du livre Les Français d’abord (Inculte-Dernière marge, 190 p., 19,90 €, 2017). Elle vient également de faire paraître, avec Vincent Jarousseau, une enquête de terrain auprès des électeurs frontistes, L’Illusion nationale (Les Arènes, 168 p., 22,90 €).
En meeting à Nantes, le 26 février, Marine Le Pen a demandé aux fonctionnaires « de se garder de participer » aux « dérives » d’un « personnel politique aux abois » qui leur « demande d’utiliser les pouvoirs d’Etat pour surveiller les opposants, organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus, ou des cabales d’Etat ». « Dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection. Mais ses fonctionnaires, eux, devront assumer le poids de ces méthodes illégales », a-t-elle prévenu.
Le Monde : Ces déclarations rompent-elles avec la rhétorique généralement employée par la cheffe du Front national ?
Valérie Igounet : Il faut reconnaître qu’un seuil a été franchi. Jamais, la candidate FN n’avait menacé les fonctionnaires ni les magistrats. Il y a encore peu, elle courtisait ouvertement certains fonctionnaires, comme elle le faisait en s’adressant à d’autres catégories socioprofessionnelles, notamment par le biais de différents collectifs du Rassemblement Bleu Marine. Aujourd’hui, il semblerait que plus d’un agent de l’Etat sur cinq ait l’intention de voter Front national pour la présidentielle. Certaines catégories, comme la fonction publique hospitalière, sont davantage représentées dans ce vote FN.
Selon moi, Marine Le Pen revient sur le devoir de réserve, à savoir ce principe de neutralité du service public qui interdit « au fonctionnaire de faire de sa fonction l’instrument d’une propagande quelconque », selon le portail de la fonction publique. L’amalgame est flagrant. La présidente du FN offre ainsi la vision frontiste du traitement de l’information. A Nantes, elle a promis de rétablir l’Etat de droit, alors qu’elle en nie des principes élémentaires.
Le Monde : Avec cette charge contre le « système », Marine Le Pen délaisse l’image qu’elle cherchait à se construire de femme apaisée. Le durcissement de son discours vous surprend-il ?
Valérie Igounet : Marine Le Pen opère une seconde rupture, puisqu’elle se défait de certaines limites qu’elle avait généralement respectées jusqu’à présent. A Nantes, elle fustige ainsi « les puissances d’argent et médiatiques » qui seraient au service d’Emmanuel Macron ; puis dénonce les « cabales » qui la viseraient. La présidente du FN réactive ici un langage inhérent à l’extrême droite : la théorie du complot. Elle devient la « victime » d’un complot, au sens large du terme, puisqu’il est politique, médiatique et judiciaire.
La candidate frontiste opère ainsi, par ce discours, un retour aux fondamentaux. Elle renoue aussi avec l’histoire paternelle. Une affiche placardée au moment de l’émergence du parti dans les années 1980 disait à propos de Jean-Marie Le Pen : « Le Pen dit la vérité, ils le bâillonnent. » Ce « ils » visait les adversaires politiques et médiatiques de Jean-Marie Le Pen.
En même temps, Mme Le Pen se positionne en « victime » d’un système et s’arroge ce rôle qu’elle aime tant, celui du seul contre tous. Il s’agit, pour elle, de faire adhérer à la vision du monde qu’elle décrit et qu’elle propose à ses électeurs. Aux Estivales de Fréjus (les 17 et 18 septembre 2016), elle expliquait justement que le « moment [était] venu de voir le monde comme il va, et pas comme on nous le raconte ».
On voit bien la logique qui est à l’œuvre ici. La presse et les intellectuels figurent au premier rang de ceux que le FN désigne comme ses adversaires. Selon Marine Le Pen, les « médias ont perdu la confiance des Français ». Il n’est donc pas étonnant de l’entendre s’en prendre à la presse ou aux « médias officiels », selon le vocabulaire frontiste.
Elle sait aussi que certains de ses électeurs – une majorité de jeunes – s’informent de moins en moins par le biais de la presse et qu’ils font davantage confiance à Internet et aux réseaux sociaux. (...)
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Voir aussi :
* Complot (éditorial de Libération, par Laurent Joffrin, 23 février 2017)
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