En réalité, Martine Aubry n’a pas dîné au Siècle depuis dix ans. Or, si l’on en croit une vidéo postée récemment sur Dailymotion (voir ci-dessous), les fantasmes autour de ce club de réflexion créé en 1944 vont bon train :
Présenté, à tort, comme un think-tank (le Siècle n'organise ni colloque ni conférence mais des dîners ; il ne publie aucun acte, contrairement à la Fondation Saint-Simon par exemple), ce club élitaire n’est, de toute évidence, qu’une institution un peu désuète où se réunissent hommes et femmes, de gauche ou de droite, dirigeants d’entreprise, banquiers, haut fonctionnaires, magistrats, élus, journalistes, acteurs de la vie culturelle, etc. Anne Martin-Fugier, une historienne spécialiste des cercles de sociabilités, lui a consacré un article fouillé et démystificateur. On y apprend que le Siècle est une association loi de 1901 dont les statuts sont publics et dont le principe est de « faire un pont entre des mondes qui s’ignorent trop en France (politiques, hauts fonctionnaires, journalistes, industriels, banquiers) ». Il se fixe également pour but d’être « un tremplin pour des éléments brillants que la naissance ou le milieu ne prédisposent pas à se constituer un tissu de relations dans les antichambres du pouvoir ». Le Siècle organise un dîner tous les quatrième mercredi du mois. L’admission s’y fait par cooptation. Quant au caractère occulte du lieu, il est si « secret » qu’on en parle jusque dans les colonnes du Monde...
L’écrivain François Nourissier racontait ainsi son expérience au Siècle : « Je suis un des rares démissionnaires. On m’a proposé d’entrer, j’avais pour parrains Jacques Rigaud et Simon Nora. J’ai fréquenté les dîners pendant environ trois ans et puis tout d’un coup j’ai pris conscience que je m’ennuyais. De plus, devenant un peu sourd, avec le bruit des conversations, je n’entendais pas mes voisins de table. J’ai donc démissionné. Tout le monde avait été très gentil avec moi mais je n’ai le souvenir que d’un seul dîner intéressant. Il y avait quelque chose de tendu dans l’air, c’était une journée de manifestations ou un lendemain d’élection, et, pour une fois, j’ai eu l’impression d’entendre des propos que je n’aurais pas entendus ailleurs. Mais une fois en trois ans ! »
Et si le problème n'était pas le complot des élites, mais tout simplement leur homogénéité. L'ancien président du Siècle, Gérard Worms, regrettait que les 4/5 de ses membres étaient issus de « la haute fonction publique, de la société politique et du monde des affaires ». Il y a vingt ans de cela, l'Express parlait du club dans ces termes : « Imaginer Le Siècle comme une “loge” toute puissante serait faire preuve de naïveté ou de fantaisie romanesque. Mais n’y voir qu’un dîner mondain serait ignorer que la capitale est faite de réseaux, de codes non écrits, de relations personnelles, qui transcendent les frontières trop simples de l’univers politique. Et témoignent de l’homogénéité de l’élite française » (Olivier Jay, « Un dîner dans le Siècle », L’Express, 25-31 mars 1988).
Source :
Anne Martin-Fugier, «
LE SIECLE (1944-2004). Un exemple de sociabilité des élites », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 81, 2004/1, pp. 21-29. Lire l'article en format PDF sur le site CAIRN.
En réalité, Martine Aubry n’a pas dîné au Siècle depuis dix ans. Or, si l’on en croit une vidéo postée récemment sur Dailymotion (voir ci-dessous), les fantasmes autour de ce club de réflexion créé en 1944 vont bon train :
Présenté, à tort, comme un think-tank (le Siècle n'organise ni colloque ni conférence mais des dîners ; il ne publie aucun acte, contrairement à la Fondation Saint-Simon par exemple), ce club élitaire n’est, de toute évidence, qu’une institution un peu désuète où se réunissent hommes et femmes, de gauche ou de droite, dirigeants d’entreprise, banquiers, haut fonctionnaires, magistrats, élus, journalistes, acteurs de la vie culturelle, etc. Anne Martin-Fugier, une historienne spécialiste des cercles de sociabilités, lui a consacré un article fouillé et démystificateur. On y apprend que le Siècle est une association loi de 1901 dont les statuts sont publics et dont le principe est de « faire un pont entre des mondes qui s’ignorent trop en France (politiques, hauts fonctionnaires, journalistes, industriels, banquiers) ». Il se fixe également pour but d’être « un tremplin pour des éléments brillants que la naissance ou le milieu ne prédisposent pas à se constituer un tissu de relations dans les antichambres du pouvoir ». Le Siècle organise un dîner tous les quatrième mercredi du mois. L’admission s’y fait par cooptation. Quant au caractère occulte du lieu, il est si « secret » qu’on en parle jusque dans les colonnes du Monde...
L’écrivain François Nourissier racontait ainsi son expérience au Siècle : « Je suis un des rares démissionnaires. On m’a proposé d’entrer, j’avais pour parrains Jacques Rigaud et Simon Nora. J’ai fréquenté les dîners pendant environ trois ans et puis tout d’un coup j’ai pris conscience que je m’ennuyais. De plus, devenant un peu sourd, avec le bruit des conversations, je n’entendais pas mes voisins de table. J’ai donc démissionné. Tout le monde avait été très gentil avec moi mais je n’ai le souvenir que d’un seul dîner intéressant. Il y avait quelque chose de tendu dans l’air, c’était une journée de manifestations ou un lendemain d’élection, et, pour une fois, j’ai eu l’impression d’entendre des propos que je n’aurais pas entendus ailleurs. Mais une fois en trois ans ! »
Et si le problème n'était pas le complot des élites, mais tout simplement leur homogénéité. L'ancien président du Siècle, Gérard Worms, regrettait que les 4/5 de ses membres étaient issus de « la haute fonction publique, de la société politique et du monde des affaires ». Il y a vingt ans de cela, l'Express parlait du club dans ces termes : « Imaginer Le Siècle comme une “loge” toute puissante serait faire preuve de naïveté ou de fantaisie romanesque. Mais n’y voir qu’un dîner mondain serait ignorer que la capitale est faite de réseaux, de codes non écrits, de relations personnelles, qui transcendent les frontières trop simples de l’univers politique. Et témoignent de l’homogénéité de l’élite française » (Olivier Jay, « Un dîner dans le Siècle », L’Express, 25-31 mars 1988).
Source :
Anne Martin-Fugier, «
LE SIECLE (1944-2004). Un exemple de sociabilité des élites », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 81, 2004/1, pp. 21-29. Lire l'article en format PDF sur le site CAIRN.
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