Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Couvertures de derniers numéros du magazine Compact (Capture d'écran CW, 12/01/2024)
Couvertures de numéros du magazine Compact sortis en 2023 (capture d'écran CW, 12/01/2024)

Compact est une publication allemande conspirationniste interdite le 16 juillet 2024. Fondé en 2010 par le journaliste et activiste Jürgen Elsässer sous la forme d'un magazine mensuel, il s’écoule à 40 000 exemplaires outre-Rhin. Au fil des ans, il s’est radicalisé et affiche désormais une ligne néo-nazie.

Jusqu'en 2015, Compact était une publication à la ligne souverainiste, anti-américaine, pro-russe, pro-iranienne et conspirationniste. La dénonciation d’Angela Merkel, de Barack Obama (« Obama est Bush », octobre 2013), du président turc Recep Tayyip Erdogan ou de Benyamin Netanyahou (« Génocide à Gaza », septembre 2014) ainsi que des politiques européennes y tenaient alors une place de choix ; ses idoles étant Vladimir Poutine (contre qui l'Occident mènerait une « guerre mondiale »), Edward Snowden ou même Heino, chanteur d’airs traditionnels extrêmement populaire en Allemagne.

Le choix des sujets secondaires était cependant déjà marqué par une forte radicalité, avec une couverture complaisante du procès de l’unique survivante de la NSU (un groupuscule néo-nazi actif entre 2000 et 2011 et auteur d’attentats contre la communauté turque) et de l’actualité de l’AfD (Alternative für Deutschland). Compact a aussi été un soutien fidèle du mouvement anti-musulmans Pegida pendant toute la durée de son existence. Fondé en octobre 2014 à Dresde, ce dernier a connu un pic de popularité, surtout à l’Est, jusqu’en 2016.

L’imagerie nazie est mobilisée dès ses débuts par le magazine : en mai 2011, une responsable écologiste est figurée en « Une » vêtue d’une tenue de combat SS dans un numéro dénonçant la « dictature écologiste ». En août de la même année, un portrait d’Adolf Hitler sur fond de drapeau européen est frappé du bandeau « Ein Volk, ein Reich, ein Euro » (« un peuple, un Reich, un Euro ») en lettres gothiques, sous-titré de la question : « L’Europe est-elle en train de devenir le 4e Reich ? »

En dehors de ces deux couvertures, peut-être destinées à « marquer le coup » à ses débuts, il faudra attendre ensuite 2016 et 2017 pour voir réapparaître cette iconographie, pour dénoncer notamment Angela Merkel ou les écologistes (« Kein Volk, kein Recht, kein Diesel » - « Aucun peuple, aucun droit, pas de diesel », mars 2019) ou encore les mesures sanitaires (« Wollt ihr den totalen Lockdown ? » - « Voulez-vous le confinement total ? », février 2021, en référence au discours de Goebbels du 18 février 1943 sur la guerre totale).

Compact use et abuse d'un procédé propagandiste consistant à instuire un procès en nazisme aux cibles qu'il s'est choisies tout en célébrant, fut-ce de manière paradoxale, un corpus iconographique et symbolique emprunté au nazisme.

Outre l’imagerie nazie, celle de l’ex-RDA est aussi utilisée pour attaquer la chancelière d’alors, dépeinte en officier d’une « Stasi 2.0 ». Angela Merkel a aussi été représentée tour à tour voilée, coiffée d'un fez aux couleurs du drapeau turc ou affublée d'une moustache hitlerienne.

Couvertures du magazine Compact mobilisant l'idéologie nazie (montage CW).
Couvertures du magazine Compact mobilisant des références nazies (montage CW).

Radicalisation  

C’est aussi à partir de fin 2016 qu’on a pu observer une radicalisation concernant les choix des thématiques principales des « unes » du magazine et de leur iconographie. Cette année-là, Compact célèbre l’élection de Donald Trump – seul Américain à trouver grâce à ses yeux – dans le numéro de décembre, puis l’ambition de Marion Maréchal-Le Pen (« Jeune, sauvage, patriote ») deux mois plus tard.  

Le numéro de janvier 2019 propose un dossier sur les Gilets Jaunes, qui sont vus comme les précurseurs d’une « Révolution en Europe ». En mai de la même année, Compact dénonce, en lettres gothiques noires frappées sur le disque blanc sur fond rouge du drapeau nazi, « La guerre contre l’extrême droite » (« Rechts ») puis, dans le numéro suivant, il présente le trio Salvini-Le Pen-Orban comme « l’espoir pour l’Europe ».

D’autres obsessions apparaissent ou se renforcent pendant la période : le « pouvoir de la finance », le trop-plein de taxes, le multiculturalisme, les antifascistes, puis, à partir de 2020–2021 : « l’État profond », les « abuseurs d’enfants », « Satan à Hollywood », la « République homosexuelle », « le complot des OVNIs », le « Great Reset »,  le « Grand Remplacement » et la « remigration », ainsi que, bien sûr, le Covid 19 et les vaccins.  

Compact a consacré pas moins de 15 « unes » en deux ans à ce dernier sujet, de juin 2020 à juillet 2022, ainsi que trois hors-séries. La ligne défendue est celle du mouvement des Querdenker, fer-de-lance des antivax allemands auxquels a été consacrée la « une » de septembre 2020. Celle-ci était frappée d’un grand « Q », allusion au mouvement QAnon. 

Dans le même temps, le « magazine pour la souveraineté » s’est rapproché de la Nouvelle Droite allemande et s’est mis aussi à cibler le public des Reichsbürger. Depuis 2021, l’Office fédéral pour la protection de la Constitution, qui est chargé de surveiller les activités constituant des menaces contre la démocratie, ne le classe plus parmi les cas suspects, mais bien parmi les extrémistes. 

Querfront 

"Querfront", Compact, avril 2023.
Couverture de Compact, avril 2023.

A partir de fin 2022, Compact s’intéresse à une personnalité issue de la gauche, Sarah Wagenknecht, alors cadre de Die Linke, le parti de gauche allemand, dont elle a démissionné en septembre 2023 pour fonder son propre parti, l'Alliance Sarah Wagenknecht. En effet, cette dernière tient déjà depuis plusieurs années un discours anti-migrants, thématique qu’il convient selon elle de ne pas laisser à l’AfD. Ainsi, alors que le magazine de Jürgen Elsässer estimait en mars 2016 que Frauke Petry, à l’époque porte-parole de l’AfD, ferait la meilleure chancelière, le son de cloche est désormais différent puisque le magazine a décerné ce titre en décembre 2022 à Sarah Wagenknecht.

On a d’ailleurs pu apercevoir Jürgen Elsässer avec les drapeaux de Compact et sa banderole « Ami go home » (équivalent allemand de « Yankees go home ») lors de plusieurs manifestations « pour la paix » (c’est-à-dire pro-Poutine) en 2023, en particulier celles organisées par Sarah Wagenknecht le 25 février et le 25 novembre. A l’issue de cette dernière, le petit groupe a d’ailleurs rejoint une deuxième manifestation organisée par des Querdenker.

En avril 2023, le magazine a titré sur le « Querfront » (littéralement : « front transversal »), figurant en « une » et vus de dos un militant de l’AfD et la responsable de Die Linke unis autour du drapeau du mouvement allemand pour la paix. Dans le même temps, Kai Homilius, la maison d’édition de Compact, a publié le livre Querfront – la dernière chance de la démocratie allemande, de Manfred Kleine-Hartlage, un membre de la Nouvelle Droite, ainsi qu’une biographie non autorisée de Sarah Wagenknecht intitulée « la diva rouge ».

Le terme de « Querfront » remonte à la République de Weimar et désignait à l’époque une forme de coopération stratégique entre révolutionnaires conservateurs et organisations d’extrême gauche en vue d’accéder au pouvoir. Il a depuis ressurgi en plusieurs occasions depuis la chute du Mur de Berlin et Compact est régulièrement décrit comme un « magazine du Querfront ».

Le premier numéro de la revue pour 2024 est en revanche revenu à ses premières amours, figurant Björn Höcke de l’AfD et Donald Trump sous le titre « Le tournant ».

Néo-nazisme et négationnisme 

En 2017, Compact a lancé une collection de hors-séries dédiée à l’histoire, où la mythologie germanique (« Allemagne mythique »), la célébration des « héros allemands », du « Reich de 1000 ans » (1000 ans d’histoire allemande et rappel du projet nazi) et la Seconde Guerre mondiale occupent une place centrale. S’agissant de cette dernière, plus de la moitié des vingt numéros déjà parus y sont consacrés. À côté des interrogations sur « Qui a financé Hitler ? », des deux numéros consacrés l’un aux panzers de Rommel, l’autre aux « armes secrètes d’Hitler », les thèses qui y sont défendues vont jusqu’au négationnisme.

Compact entend ainsi briser « le tabou du 20e siècle », soit « les crimes contre les Allemands », notamment le bombardement de Dresde en février 1945. Un numéro entier est consacré aux camps de prisonniers de guerre allemands gérés par les Américains, qui sont qualifiés de « camps de la mort américains » dans lesquels auraient été commis des « meurtres de masse contre les Allemands ». Les crimes soviétiques, pourtant bien documentés (en particulier les viols de masse), constituent en revanche un angle mort de cette réécriture de l’histoire.

Un autre numéro encore prétend enquêter sur « la culpabilité secrète de la Pologne ». Surtout, le numéro 13, sur lequel figure la photo célèbre de l’exécution d’une femme juive et de son bébé par les Einsatzgruppen, est titré « Les mensonges historiques contre l’Allemagne ».

Ces thématiques sont largement développées également dans la collection de livres proposés à la vente sur le site de Compact. Les produits dérivés ne sont pas non plus en reste. Ainsi, à partir de mars 2024, il sera possible de se procurer pour 69,95 euros des médailles en argent à la gloire de « héros allemands », dont Hans-Ulrich Rudel, « as » de la Luftwaffe, militaire allemand le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale et nazi impénitent jusqu’à sa mort en 1982. Les tee-shirts « Liberté pour l’Allemagne » et « Victoire pour l’Allemagne » sont quant à eux disponibles sur la boutique du site.

Goodies Compact (montage CW).
Goodies vendus par Compact (montage CW).

Autres canaux d'influence

Le magazine dispose d’un club auquel il est possible d'adhérer pour 4,95 euros par mois. Sa chaîne YouTube cumule en janvier 2024 plus de 271 000 abonnés et presque 109 millions de vues, tandis que sa chaîne Telegram regroupe 60 000 auditeurs.

De plus, Compact organise des conférences annuelles, dont l'auteur complotiste français Thierry Meyssan est un invité régulier. Ce dernier a ainsi participé à la conférence du 4 novembre 2023 à Magdebourg autour du thème « Sortie de l’OTAN, paix avec la Russie ». Parmi les autres invités notables, on a pu compter le complotiste Ken Jebsen (2011) mais aussi le leader de Pegida, Lutz Bachmann, celui de l’AfD, Björn Höcke, et celui des Identitaires autrichiens, Martin Sellner (2013).

Grâce à la mobilisation de 100 000 citoyens qui ont signé une pétition initiée par l'ONG Campact, le magazine de Jürgen Elsässer a été définitivement banni des kiosques des gares allemandes en février 2024, avant d’être interdit sur décision du ministère de l’intérieur allemand le 16 juillet 2024. A cette occasion, des perquisitions ont été menées dans ses locaux, ses filiales et chez ses cadres à travers toute l’Allemagne. Le mouvement d’extrême droite Jeune Nation a relayé en France cette information, parlant d’« accusations creuses » visant à « justifier cette tyrannie euro-atlantiste ».

 

(Dernière mise à jour le 17/07/2024)

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Couvertures de derniers numéros du magazine Compact (Capture d'écran CW, 12/01/2024)
Couvertures de numéros du magazine Compact sortis en 2023 (capture d'écran CW, 12/01/2024)

Compact est une publication allemande conspirationniste interdite le 16 juillet 2024. Fondé en 2010 par le journaliste et activiste Jürgen Elsässer sous la forme d'un magazine mensuel, il s’écoule à 40 000 exemplaires outre-Rhin. Au fil des ans, il s’est radicalisé et affiche désormais une ligne néo-nazie.

Jusqu'en 2015, Compact était une publication à la ligne souverainiste, anti-américaine, pro-russe, pro-iranienne et conspirationniste. La dénonciation d’Angela Merkel, de Barack Obama (« Obama est Bush », octobre 2013), du président turc Recep Tayyip Erdogan ou de Benyamin Netanyahou (« Génocide à Gaza », septembre 2014) ainsi que des politiques européennes y tenaient alors une place de choix ; ses idoles étant Vladimir Poutine (contre qui l'Occident mènerait une « guerre mondiale »), Edward Snowden ou même Heino, chanteur d’airs traditionnels extrêmement populaire en Allemagne.

Le choix des sujets secondaires était cependant déjà marqué par une forte radicalité, avec une couverture complaisante du procès de l’unique survivante de la NSU (un groupuscule néo-nazi actif entre 2000 et 2011 et auteur d’attentats contre la communauté turque) et de l’actualité de l’AfD (Alternative für Deutschland). Compact a aussi été un soutien fidèle du mouvement anti-musulmans Pegida pendant toute la durée de son existence. Fondé en octobre 2014 à Dresde, ce dernier a connu un pic de popularité, surtout à l’Est, jusqu’en 2016.

L’imagerie nazie est mobilisée dès ses débuts par le magazine : en mai 2011, une responsable écologiste est figurée en « Une » vêtue d’une tenue de combat SS dans un numéro dénonçant la « dictature écologiste ». En août de la même année, un portrait d’Adolf Hitler sur fond de drapeau européen est frappé du bandeau « Ein Volk, ein Reich, ein Euro » (« un peuple, un Reich, un Euro ») en lettres gothiques, sous-titré de la question : « L’Europe est-elle en train de devenir le 4e Reich ? »

En dehors de ces deux couvertures, peut-être destinées à « marquer le coup » à ses débuts, il faudra attendre ensuite 2016 et 2017 pour voir réapparaître cette iconographie, pour dénoncer notamment Angela Merkel ou les écologistes (« Kein Volk, kein Recht, kein Diesel » - « Aucun peuple, aucun droit, pas de diesel », mars 2019) ou encore les mesures sanitaires (« Wollt ihr den totalen Lockdown ? » - « Voulez-vous le confinement total ? », février 2021, en référence au discours de Goebbels du 18 février 1943 sur la guerre totale).

Compact use et abuse d'un procédé propagandiste consistant à instuire un procès en nazisme aux cibles qu'il s'est choisies tout en célébrant, fut-ce de manière paradoxale, un corpus iconographique et symbolique emprunté au nazisme.

Outre l’imagerie nazie, celle de l’ex-RDA est aussi utilisée pour attaquer la chancelière d’alors, dépeinte en officier d’une « Stasi 2.0 ». Angela Merkel a aussi été représentée tour à tour voilée, coiffée d'un fez aux couleurs du drapeau turc ou affublée d'une moustache hitlerienne.

Couvertures du magazine Compact mobilisant l'idéologie nazie (montage CW).
Couvertures du magazine Compact mobilisant des références nazies (montage CW).

Radicalisation  

C’est aussi à partir de fin 2016 qu’on a pu observer une radicalisation concernant les choix des thématiques principales des « unes » du magazine et de leur iconographie. Cette année-là, Compact célèbre l’élection de Donald Trump – seul Américain à trouver grâce à ses yeux – dans le numéro de décembre, puis l’ambition de Marion Maréchal-Le Pen (« Jeune, sauvage, patriote ») deux mois plus tard.  

Le numéro de janvier 2019 propose un dossier sur les Gilets Jaunes, qui sont vus comme les précurseurs d’une « Révolution en Europe ». En mai de la même année, Compact dénonce, en lettres gothiques noires frappées sur le disque blanc sur fond rouge du drapeau nazi, « La guerre contre l’extrême droite » (« Rechts ») puis, dans le numéro suivant, il présente le trio Salvini-Le Pen-Orban comme « l’espoir pour l’Europe ».

D’autres obsessions apparaissent ou se renforcent pendant la période : le « pouvoir de la finance », le trop-plein de taxes, le multiculturalisme, les antifascistes, puis, à partir de 2020–2021 : « l’État profond », les « abuseurs d’enfants », « Satan à Hollywood », la « République homosexuelle », « le complot des OVNIs », le « Great Reset »,  le « Grand Remplacement » et la « remigration », ainsi que, bien sûr, le Covid 19 et les vaccins.  

Compact a consacré pas moins de 15 « unes » en deux ans à ce dernier sujet, de juin 2020 à juillet 2022, ainsi que trois hors-séries. La ligne défendue est celle du mouvement des Querdenker, fer-de-lance des antivax allemands auxquels a été consacrée la « une » de septembre 2020. Celle-ci était frappée d’un grand « Q », allusion au mouvement QAnon. 

Dans le même temps, le « magazine pour la souveraineté » s’est rapproché de la Nouvelle Droite allemande et s’est mis aussi à cibler le public des Reichsbürger. Depuis 2021, l’Office fédéral pour la protection de la Constitution, qui est chargé de surveiller les activités constituant des menaces contre la démocratie, ne le classe plus parmi les cas suspects, mais bien parmi les extrémistes. 

Querfront 

"Querfront", Compact, avril 2023.
Couverture de Compact, avril 2023.

A partir de fin 2022, Compact s’intéresse à une personnalité issue de la gauche, Sarah Wagenknecht, alors cadre de Die Linke, le parti de gauche allemand, dont elle a démissionné en septembre 2023 pour fonder son propre parti, l'Alliance Sarah Wagenknecht. En effet, cette dernière tient déjà depuis plusieurs années un discours anti-migrants, thématique qu’il convient selon elle de ne pas laisser à l’AfD. Ainsi, alors que le magazine de Jürgen Elsässer estimait en mars 2016 que Frauke Petry, à l’époque porte-parole de l’AfD, ferait la meilleure chancelière, le son de cloche est désormais différent puisque le magazine a décerné ce titre en décembre 2022 à Sarah Wagenknecht.

On a d’ailleurs pu apercevoir Jürgen Elsässer avec les drapeaux de Compact et sa banderole « Ami go home » (équivalent allemand de « Yankees go home ») lors de plusieurs manifestations « pour la paix » (c’est-à-dire pro-Poutine) en 2023, en particulier celles organisées par Sarah Wagenknecht le 25 février et le 25 novembre. A l’issue de cette dernière, le petit groupe a d’ailleurs rejoint une deuxième manifestation organisée par des Querdenker.

En avril 2023, le magazine a titré sur le « Querfront » (littéralement : « front transversal »), figurant en « une » et vus de dos un militant de l’AfD et la responsable de Die Linke unis autour du drapeau du mouvement allemand pour la paix. Dans le même temps, Kai Homilius, la maison d’édition de Compact, a publié le livre Querfront – la dernière chance de la démocratie allemande, de Manfred Kleine-Hartlage, un membre de la Nouvelle Droite, ainsi qu’une biographie non autorisée de Sarah Wagenknecht intitulée « la diva rouge ».

Le terme de « Querfront » remonte à la République de Weimar et désignait à l’époque une forme de coopération stratégique entre révolutionnaires conservateurs et organisations d’extrême gauche en vue d’accéder au pouvoir. Il a depuis ressurgi en plusieurs occasions depuis la chute du Mur de Berlin et Compact est régulièrement décrit comme un « magazine du Querfront ».

Le premier numéro de la revue pour 2024 est en revanche revenu à ses premières amours, figurant Björn Höcke de l’AfD et Donald Trump sous le titre « Le tournant ».

Néo-nazisme et négationnisme 

En 2017, Compact a lancé une collection de hors-séries dédiée à l’histoire, où la mythologie germanique (« Allemagne mythique »), la célébration des « héros allemands », du « Reich de 1000 ans » (1000 ans d’histoire allemande et rappel du projet nazi) et la Seconde Guerre mondiale occupent une place centrale. S’agissant de cette dernière, plus de la moitié des vingt numéros déjà parus y sont consacrés. À côté des interrogations sur « Qui a financé Hitler ? », des deux numéros consacrés l’un aux panzers de Rommel, l’autre aux « armes secrètes d’Hitler », les thèses qui y sont défendues vont jusqu’au négationnisme.

Compact entend ainsi briser « le tabou du 20e siècle », soit « les crimes contre les Allemands », notamment le bombardement de Dresde en février 1945. Un numéro entier est consacré aux camps de prisonniers de guerre allemands gérés par les Américains, qui sont qualifiés de « camps de la mort américains » dans lesquels auraient été commis des « meurtres de masse contre les Allemands ». Les crimes soviétiques, pourtant bien documentés (en particulier les viols de masse), constituent en revanche un angle mort de cette réécriture de l’histoire.

Un autre numéro encore prétend enquêter sur « la culpabilité secrète de la Pologne ». Surtout, le numéro 13, sur lequel figure la photo célèbre de l’exécution d’une femme juive et de son bébé par les Einsatzgruppen, est titré « Les mensonges historiques contre l’Allemagne ».

Ces thématiques sont largement développées également dans la collection de livres proposés à la vente sur le site de Compact. Les produits dérivés ne sont pas non plus en reste. Ainsi, à partir de mars 2024, il sera possible de se procurer pour 69,95 euros des médailles en argent à la gloire de « héros allemands », dont Hans-Ulrich Rudel, « as » de la Luftwaffe, militaire allemand le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale et nazi impénitent jusqu’à sa mort en 1982. Les tee-shirts « Liberté pour l’Allemagne » et « Victoire pour l’Allemagne » sont quant à eux disponibles sur la boutique du site.

Goodies Compact (montage CW).
Goodies vendus par Compact (montage CW).

Autres canaux d'influence

Le magazine dispose d’un club auquel il est possible d'adhérer pour 4,95 euros par mois. Sa chaîne YouTube cumule en janvier 2024 plus de 271 000 abonnés et presque 109 millions de vues, tandis que sa chaîne Telegram regroupe 60 000 auditeurs.

De plus, Compact organise des conférences annuelles, dont l'auteur complotiste français Thierry Meyssan est un invité régulier. Ce dernier a ainsi participé à la conférence du 4 novembre 2023 à Magdebourg autour du thème « Sortie de l’OTAN, paix avec la Russie ». Parmi les autres invités notables, on a pu compter le complotiste Ken Jebsen (2011) mais aussi le leader de Pegida, Lutz Bachmann, celui de l’AfD, Björn Höcke, et celui des Identitaires autrichiens, Martin Sellner (2013).

Grâce à la mobilisation de 100 000 citoyens qui ont signé une pétition initiée par l'ONG Campact, le magazine de Jürgen Elsässer a été définitivement banni des kiosques des gares allemandes en février 2024, avant d’être interdit sur décision du ministère de l’intérieur allemand le 16 juillet 2024. A cette occasion, des perquisitions ont été menées dans ses locaux, ses filiales et chez ses cadres à travers toute l’Allemagne. Le mouvement d’extrême droite Jeune Nation a relayé en France cette information, parlant d’« accusations creuses » visant à « justifier cette tyrannie euro-atlantiste ».

 

(Dernière mise à jour le 17/07/2024)

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