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Les Protocoles des Sages de Sion

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Les Protocoles des Sages de Sion (Nouvelle édition, Paris, 1924 ; crédits : Ishtar, il.bidspirit.com, 2018).

Un faux à la diffusion planétaire

Cette image est la couverture du livre Les protocoles des sages de Sion. L’ouvrage se présente comme la transcription des actes d’une rencontre secrète des dirigeants d’une société secrète juive d’inspiration sioniste. Elle met au point un plan diabolique de prise de contrôle du monde et d’avènement du « royaume d’Israël » : « Le roi des juifs sera le vrai pape de l’univers, le patriarche de l’Eglise internationale » ; « Les chrétiens sont un troupeau de moutons, et nous sommes pour eux des loups ». Les Protocoles insistent sur le noyautage de la police grâce à la Franc-maçonnerie, instrument au service des conspirateurs et sur l’utilisation des ressources infinies de la finance internationale.

Ce texte relève à la fois du plagiat, puisqu’il reprend notamment de nombreux passages d’un texte satirique de Maurice Joly, hostile à Napoléon III : Dialogue aux enfers entre Machiavel et de Montesquieu (1864), et du faux, fabriqué par un informateur de l’Okhrana, la police secrète tsariste, Matveï Golovinski, pour servir de justification à une politique de persécution des juifs. Plusieurs éditions sont publiées entre 1903 et 1907. La première paraît dans le journal de Saint-Pétersbourg Znamia (Le Drapeau), dirigé par P. A. Krouchevan, un antisémite notoire qui a fomenté quelques semaines plus tôt le pogrom de Kichinev. Après la Première guerre mondiale, il est traduit et adapté dans de nombreuses langues. Son succès est alors immense.

Le 8 mai 1920, le Times, quotidien anglais de référence, interpelle ses lecteurs à l’occasion de la parution quelques semaines plus tôt d’une édition anonyme des Protocoles destinée à pousser le gouvernement anglais à poursuivre son intervention militaire en Russie, alors en proie à la guerre civile. « Que signifient-ils, ces ‘Protocoles’ ? Sont-ils authentiques ? Une bande de criminels ont-ils réellement élaboré pareils projets, et se réjouissent-ils en ce moment même de leur accomplissement ? S’agit-il d’un faux ? Mais comment expliquer alors le terrible don prophétique qui a prédit tout ceci à l’avance ? ». Le Times ne reconnaîtra le faux qu’un an plus tard, mais il est trop tard pour endiguer la vague. Quant au milliardaire américain Henri Ford, antisémite forcené, il utilise son immense fortune pour les diffuser largement aux Etats-Unis dans son journal, le Dearborn Independant, dont les articles sont repris dans un livre au titre emblématique de la théorie de la conspiration juive mondiale : Le Juif international : le principal problème mondial, bientôt traduit en 16 langues. C’est l’un des principaux relais des Protocoles.

Une caricature antisémite grossière et sanglante

Cette image se distingue par son format puisqu’elle occupe toute la couverture du livre. Le titre (Le Péril juif) et plus encore le sous-titre (Les Protocoles des sages de Sion) sont rejetés à ses deux extrémités, car c’est bien la caricature, brutale et grossière, qui doit frapper d’emblée le lecteur. Elle fait appel aux représentations alors banales du juif : des cheveux crépus, un nez proéminent, des mains aux doigts crochus.

Ici, le « péril juif » a planté ses ongles acérés dessinés comme des griffes sur l’Europe et les Etats-Unis. Ils dégoulinent de sang. Le choix de ces deux espaces bien identifiés sur un globe terrestre dépourvus de toute légende et de toute frontière politique ne doit rien au hasard. Le « péril juif » a d’abord saigné à blanc l’Europe et l'Amérique où des gouvernements coupables et complices l’ont laissé faire, et il n’a pas l’intention de s’arrêter avant d’avoir subverti l’ensemble du Monde. A la base de l’image, les victimes gisent dénudées dans un bain de sang. Le sous-titre est significativement imprimé en rouge vif. Le sang des victimes contraste avec le fond noir de l’image – qui renvoie au caractère mortifère du complot juif mondial – mais aussi avec le blanc des corps. Le bain de sang renvoie le lecteur à tout un imaginaire antisémite marqué par les meurtres rituels de victimes innocentes.

Une référence complotiste majeure

Grossière et peu travaillée, cette caricature antisémite et antisioniste a rencontré un très grand succès car son message est très simple. Elle ne nécessite aucune légende ni aucune mise en contexte. Des variantes ont cependant été proposées pour les nombreuses rééditions des Protocoles. Le globe est toujours présent pour mettre en évidence la portée de la menace, mais dans une autre édition française, c’est une araignée qui l’enserre. Sa tête reprend les traits mentionnés plus haut. Les victimes ensanglantées ont disparu, et le sous-titre a été légèrement modifié en « Protocole des sages d’Israël ».

Si les chercheurs ont très tôt apporté la preuve que Les Protocoles sont un faux, ni leurs arguments ni la rétractation de Ford n’entament les certitudes des partisans des thèses complotistes. Au contraire, ils y voient la confirmation qu’on veut cacher l’ampleur prise par la conspiration. La révélation de la Shoah n’éteint pas le succès des Protocoles, notamment au Proche et au Moyen-Orient, où ils alimentent l’antisémitisme et l’antisionisme. Ils sont par ailleurs largement diffusés sur internet, tandis que la caricature de la couverture des Protocoles a directement influencé l’affiche du film de Béatrice Pignède : L’Oligarchie et le sionisme (2013). Une araignée chevauchée par un squelette habillé en banquier et brandissant la faux de la spéculation s’abat sur le globe. Le réalisateur américain Marc Levin a tenté de répondre en 2005 à ceux qui croient que les attaques du 11 septembre 2001 font partie de la conspiration mondiale par un documentaire intitulé précisément Protocols of Zion – il est diffusé en français sous Les Protocoles de la rumeur. Sur l’affiche, les deux tours jumelles du World Trade Center sont devenues deux tours de papier, dont l’une s’embrase. L’actualité éditoriale, médiatique et graphique des Protocoles ne fait donc aucun doute.

 

Source : Pierre-Yves Beaurepaire, « Les Protocoles des sages de Sion », Histoire par l'image, septembre 2016.

 

Voir aussi :

Mécaniques du complotisme : « Les Protocoles des Sages de Sion », le complot centenaire

 

(Dernière mise à jour le 10/09/2020)

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Les Protocoles des Sages de Sion (Nouvelle édition, Paris, 1924 ; crédits : Ishtar, il.bidspirit.com, 2018).

Un faux à la diffusion planétaire

Cette image est la couverture du livre Les protocoles des sages de Sion. L’ouvrage se présente comme la transcription des actes d’une rencontre secrète des dirigeants d’une société secrète juive d’inspiration sioniste. Elle met au point un plan diabolique de prise de contrôle du monde et d’avènement du « royaume d’Israël » : « Le roi des juifs sera le vrai pape de l’univers, le patriarche de l’Eglise internationale » ; « Les chrétiens sont un troupeau de moutons, et nous sommes pour eux des loups ». Les Protocoles insistent sur le noyautage de la police grâce à la Franc-maçonnerie, instrument au service des conspirateurs et sur l’utilisation des ressources infinies de la finance internationale.

Ce texte relève à la fois du plagiat, puisqu’il reprend notamment de nombreux passages d’un texte satirique de Maurice Joly, hostile à Napoléon III : Dialogue aux enfers entre Machiavel et de Montesquieu (1864), et du faux, fabriqué par un informateur de l’Okhrana, la police secrète tsariste, Matveï Golovinski, pour servir de justification à une politique de persécution des juifs. Plusieurs éditions sont publiées entre 1903 et 1907. La première paraît dans le journal de Saint-Pétersbourg Znamia (Le Drapeau), dirigé par P. A. Krouchevan, un antisémite notoire qui a fomenté quelques semaines plus tôt le pogrom de Kichinev. Après la Première guerre mondiale, il est traduit et adapté dans de nombreuses langues. Son succès est alors immense.

Le 8 mai 1920, le Times, quotidien anglais de référence, interpelle ses lecteurs à l’occasion de la parution quelques semaines plus tôt d’une édition anonyme des Protocoles destinée à pousser le gouvernement anglais à poursuivre son intervention militaire en Russie, alors en proie à la guerre civile. « Que signifient-ils, ces ‘Protocoles’ ? Sont-ils authentiques ? Une bande de criminels ont-ils réellement élaboré pareils projets, et se réjouissent-ils en ce moment même de leur accomplissement ? S’agit-il d’un faux ? Mais comment expliquer alors le terrible don prophétique qui a prédit tout ceci à l’avance ? ». Le Times ne reconnaîtra le faux qu’un an plus tard, mais il est trop tard pour endiguer la vague. Quant au milliardaire américain Henri Ford, antisémite forcené, il utilise son immense fortune pour les diffuser largement aux Etats-Unis dans son journal, le Dearborn Independant, dont les articles sont repris dans un livre au titre emblématique de la théorie de la conspiration juive mondiale : Le Juif international : le principal problème mondial, bientôt traduit en 16 langues. C’est l’un des principaux relais des Protocoles.

Une caricature antisémite grossière et sanglante

Cette image se distingue par son format puisqu’elle occupe toute la couverture du livre. Le titre (Le Péril juif) et plus encore le sous-titre (Les Protocoles des sages de Sion) sont rejetés à ses deux extrémités, car c’est bien la caricature, brutale et grossière, qui doit frapper d’emblée le lecteur. Elle fait appel aux représentations alors banales du juif : des cheveux crépus, un nez proéminent, des mains aux doigts crochus.

Ici, le « péril juif » a planté ses ongles acérés dessinés comme des griffes sur l’Europe et les Etats-Unis. Ils dégoulinent de sang. Le choix de ces deux espaces bien identifiés sur un globe terrestre dépourvus de toute légende et de toute frontière politique ne doit rien au hasard. Le « péril juif » a d’abord saigné à blanc l’Europe et l'Amérique où des gouvernements coupables et complices l’ont laissé faire, et il n’a pas l’intention de s’arrêter avant d’avoir subverti l’ensemble du Monde. A la base de l’image, les victimes gisent dénudées dans un bain de sang. Le sous-titre est significativement imprimé en rouge vif. Le sang des victimes contraste avec le fond noir de l’image – qui renvoie au caractère mortifère du complot juif mondial – mais aussi avec le blanc des corps. Le bain de sang renvoie le lecteur à tout un imaginaire antisémite marqué par les meurtres rituels de victimes innocentes.

Une référence complotiste majeure

Grossière et peu travaillée, cette caricature antisémite et antisioniste a rencontré un très grand succès car son message est très simple. Elle ne nécessite aucune légende ni aucune mise en contexte. Des variantes ont cependant été proposées pour les nombreuses rééditions des Protocoles. Le globe est toujours présent pour mettre en évidence la portée de la menace, mais dans une autre édition française, c’est une araignée qui l’enserre. Sa tête reprend les traits mentionnés plus haut. Les victimes ensanglantées ont disparu, et le sous-titre a été légèrement modifié en « Protocole des sages d’Israël ».

Si les chercheurs ont très tôt apporté la preuve que Les Protocoles sont un faux, ni leurs arguments ni la rétractation de Ford n’entament les certitudes des partisans des thèses complotistes. Au contraire, ils y voient la confirmation qu’on veut cacher l’ampleur prise par la conspiration. La révélation de la Shoah n’éteint pas le succès des Protocoles, notamment au Proche et au Moyen-Orient, où ils alimentent l’antisémitisme et l’antisionisme. Ils sont par ailleurs largement diffusés sur internet, tandis que la caricature de la couverture des Protocoles a directement influencé l’affiche du film de Béatrice Pignède : L’Oligarchie et le sionisme (2013). Une araignée chevauchée par un squelette habillé en banquier et brandissant la faux de la spéculation s’abat sur le globe. Le réalisateur américain Marc Levin a tenté de répondre en 2005 à ceux qui croient que les attaques du 11 septembre 2001 font partie de la conspiration mondiale par un documentaire intitulé précisément Protocols of Zion – il est diffusé en français sous Les Protocoles de la rumeur. Sur l’affiche, les deux tours jumelles du World Trade Center sont devenues deux tours de papier, dont l’une s’embrase. L’actualité éditoriale, médiatique et graphique des Protocoles ne fait donc aucun doute.

 

Source : Pierre-Yves Beaurepaire, « Les Protocoles des sages de Sion », Histoire par l'image, septembre 2016.

 

Voir aussi :

Mécaniques du complotisme : « Les Protocoles des Sages de Sion », le complot centenaire

 

(Dernière mise à jour le 10/09/2020)

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