Voilà une affaire qui régale la complosphère : l'affaire Epstein, du nom de ce financier de Wall Street accusé de crimes sexuels et mort à 66 ans. Depuis le 3 janvier, des centaines de documents judiciaires relatifs à l'affaire ont été rendus publics, contenant les noms de personnes liées à Jeffrey Epstein. Selon la complosphère, il s'agirait d'une "liste" de clients de Jeffrey Epstein, qui dévoilerait l'identité secrètement gardée de tous les pédophiles qui ont profité du réseau de trafic d'être humain organisé par le milliardaire américain.
Mais que contiennent ces documents ? "Le terme 'liste' me pose un peu problème parce que d'abord, ce sont des documents qui ont été publiés, et non des 'listes', explique Tristan Mendès France. Cette formule de 'liste', c'est quelque chose qui est très prégnant dans l'imaginaire complotiste, une sorte de millefeuille accusatoire qui donne l'impression d'une collusion généralisée de noms qui sont mentionnés dedans alors qu'ils ne sont accusés pour certains de rien". Aucun acte répréhensible n'est attribué aux personnes citées dans ces documents. "On n'a aucune révélation d'importance, les noms pour l'essentiel avaient déjà été mentionnés auparavant dans la presse, note Rudy Reichstadt. Ça ne préjuge en rien d'un rebondissement ultérieur de l'affaire, mais en l'état, l'implication de personnes célèbres, puissantes, relève de la spéculation non étayée au minimum." La publication de fausses listes, mais aussi de faux documents, a aussi été rendue virale sur les réseaux sociaux, Stephen Hawking et le pape ayant d'ailleurs été accusés à tort.
En juillet 2019, Jeffrey Epstein est arrêté par le FBI puis incarcéré. Un mois plus tard, il se suicide en prison. Un événement qui alimentera les théories conspirationnistes. "C'est vraiment le lancement complotiste de l'affaire puisqu'immédiatement, ce qui vient à l'esprit c'est : il en savait trop, on l'a donc éliminé pour l'empêcher de parler", affirme Rudy Reichstadt. "Près de 42% des Américains, dans un sondage de 2019, pensent que Jeffrey Epstein a été assassiné, donc ce bruit complotiste a eu un résultat dans l'opinion publique américaine générale", estime Tristan Mendès France. D'autres théories naissent, affirmant que le milliardaire américain ne serait pas mort et serait gardé au chaud dans une résidence surveillée.
Le suicide de Jean-Luc Brunel, ancien agent de mannequins français proche de Jeffrey Epstein, a alimenté le discours complotiste. Parmi les autres personnes impliquées dans ce trafic, Ghislaine Maxwell, l’ex-compagne de Jeffrey Epstein, a été condamnée à 20 ans de prison pour crimes sexuels en juin 2022. Mais son procès a été très déceptif pour la sphère complotiste, la prophétie selon laquelle on l’empêcherait de parler ayant échoué. "Je crois vraiment qu'Epstein est entré dans le Panthéon mythologique de la complosphère internationale, conclut Tristan Mendès France. Il est une figure qui va taper dans l’imaginaire complotiste de ce fameux complot mondial des élites pédocriminelles."
"Jeffrey Epstein, l’affaire de tous les fantasmes pour la complosphère", c'est le 59e épisode de Complorama avec Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférences et membre de l'observatoire du conspirationnisme, spécialiste des cultures numériques. Un podcast à retrouver sur le site de franceinfo, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.