C'est un scrutin hors-norme : près d'un milliard de citoyens sont appelés aux urnes jusqu'au 1er juin. Les élections législatives se déroulent depuis le 19 avril, six semaines durant lesquelles les électeurs se pressent dans les bureaux de vote pour élire les 543 députés de la chambre basse du Parlement. Au total, plus d'un million de bureaux de votes déployés à travers le pays.
Le Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi est le favori de cette élection. Il se présente pour un troisième mandat consécutif. Son parti, le BJP, est à la tête de l'Alliance démocratique nationale (NDA). Face à la machine électorale élaborée par Narendra Modi, l'opposition indienne réunie au sein de la coalition "India" éprouve toutes les peines du monde à exister. Le Congrès, le principal parti d'opposition dirigé par Raoul Gandhi, n'a pas pu mener une campagne digne de ce nom.
Existe-t-il un complotisme utilisé à des fins électorales ? "Il y a un complot qui est fréquemment agité, c'est celui des forces étrangères qui chercheraient à salir l'image de l'Inde, explique Côme Bastin, correspondant en Inde pour plusieurs médias francophones. Ces dernières années, le pays a été rétrogradé dans la plupart des classements sur la liberté de la presse ou la démocratie à cause des pratiques autoritaires du gouvernement Modi. Et à chaque fois, la réponse des porte-parole du BJP est de pointer un complot. Le nom du milliardaire américain George Soros revient fréquemment. La semaine dernière, lors d'une interview, Narendra Modi a encore pointé les forces étrangères qui s'immiscent dans les élections sans préciser lesquelles."
Ces élections, avec presque 1 milliard d'Indiens appelés aux urnes, sont devenues "le terrain de jeu de l'intelligence artificielle", poursuit Côme Bastin. "Il n'y a pas une semaine sans qu'un deep fake fasse le tour des médias. Arvind Kejriwal, un célèbre opposant qui a été emprisonné dans des conditions contestées, est vu menant la belle vie dans sa cellule. Et puis le jour d'après, c'est une superstar de Bollywood qui appelle à voter pour l'opposition."
"Officiellement, le gouvernement est vent debout contre ces pratiques et il prépare d'ailleurs une loi régulant l'intelligence artificielle. Dans les faits, il n'est pas impossible que ces cellules numériques l'utilisent car elles sont connues pour être spécialistes de la désinformation."
Côme Bastin, correspondant en Inde
"Si ces deep fakes anonymes concentrent l'attention, poursuit le journaliste, l'IA s'invite aussi dans la campagne légalement. Narendra Modi l'utilise par exemple pour parler en plusieurs langues indiennes qu'il ne maîtrise pas. Des entreprises proposent d'envoyer des messages personnalisés de leaders politiques aux militants ou aux électeurs en les appelant par leur nom grâce au clonage vocal. Des pratiques qui posent question au minimum en termes de désinformation."
Ces deep fakes circulent essentiellement sur les réseaux sociaux, "le tout essentiellement propulsé sur WhatsApp qui reste un terrain d'influence majeur", note Tristan Mendès France, qui précise que lors des législatives en 2019, le réseau social avait posé de gros problèmes d'intégrité informationnels, de désinformation et de circulation de théories complotistes.
Depuis son arrivée au pouvoir, Narendra Modi et son parti, le BJP, imposent une vision de l'Inde empreinte de nationalisme hindou. "On a vu Narendra Modi agiter comme jamais la peur des musulmans pour discréditer l'opposition, explique Côme Bastin depuis l'Inde. Dans un discours devant une foule immense, il a affirmé que si l'opposition était élue, elle volerait l'or des honnêtes travailleurs pour le donner aux musulmans. Ce n'est évidemment marqué nulle part dans son programme. Sur les réseaux sociaux, son parti fait circuler des caricatures où l'on voit les musulmans prendre la place des basses castes hindoues, de clairs appels à la haine qui restent pourtant impunis par la commission électorale qui les interdit théoriquement."
Mardi 7 mai, lors de la campagne, Narendra Modi a utilisé le terme très controversé de "vote jihad" pour désigner les votes des musulmans, "insinuant que ces votes seraient une forme de jihad contre son parti", explique Rudy Reichstadt. Une autre théorie du complot, le "corona jihad", accuse les musulmans en Inde de propager intentionnellement le Covid-19 pour nuire à la population hindoue.