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Pourquoi la rhétorique antisémite de Trump va s’intensifier

Publié par Maurice Ronai07 octobre 2019

Les stéréotypes antisémites et la rhétorique complotiste véhiculés par Donald Trump et ses fils sont l'envers d'une judéophilie des plus ambigües.

Donald Trump (capture d'écran YouTube ; clip de campagne "Donald Trump's Argument For America", 6 novembre 2016)

Donald Trump aime bien affubler ses adversaires de surnoms dépréciatifs : Joe Biden est « Sleepy Creepy Joe », Hillary Clinton est « Crooked Hillary », et Bernie Sanders, « Crazy Bernie ». Autant de sobriquets que ses supporters aiment scander dans les meetings et relayer sur les réseaux sociaux.

Pour disqualifier Adam Schiff, le président de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants, en première ligne dans l’enquête visant à le destituer, Trump accole désormais à son nom le sobriquet « Shifty Schiff ». Comprendre : « Schiff le Sournois ». « Si vous pensez que cela sonne vaguement antisémite, vous avez raison », souligne Peter Beinart dans The Forward. Richard Silverstein rappelle qu’à l'époque de l’esclavage, les Blancs racistes traitaient les Noirs de « shiftless and lazy » (fainéants et paresseux) et que les antisémites qualifiaient les Juifs de « shifty and conniving » (sournois et fourbes).

S’il y avait un doute sur la portée de ces sous-entendus, il est levé par deux tweets de Donald Trump Jr, le fils aîné du président, qui, le 2 octobre, expliquait qu'Adam Schiff avait été « choisi et soutenu par George Soros ».

Le milliardaire américain est une cible récurrente de Donald Trump et de ses partisans. Pendant sa campagne, Donald Trump faisait siffler le nom de Soros dans ses meetings. Un clip de fin de campagne en 2016, aux accents conspirationnistes, mettait en scène les travailleurs américains et les puissances de l’argent, incarnées par George Soros, Janet Yellen, alors présidente de la Réserve fédérale, et Lloyd Blankfein, ex-patron de Goldman Sachs : le clip suggerait que ces derniers poursuivaient des « intérêts particuliers mondiaux ». « Une rhétorique et ses métaphores qui ont historiquement été utilisées contre les juifs et alimentent toujours l’antisémitisme », dénoncée par l’Anti-Demation League (ADL). Fin mai 2018, Donald Trump Jr est allé jusqu’à relayer un tweet de l'actrice Roseanne Barr qui accusait Soros d’avoir été « un nazi qui a trahi ses compatriotes juifs assassinés dans des camps de concentration allemands et leur a volé leur richesse » – c'est faux : Soros n’avait pas 15 ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale et il n’a survécu à la Shoah qu’en recourant à une fausse identité.

Régulièrement mis en cause pour ses dérapages et sa complaisance vis-à-vis de l'extrême droite antisémite, Trump adopte avec constance la même ligne de défense : son soutien sans faille à Israël et à son Premier ministre Benyamin Nétanyahou. Il va même jusqu’à retourner l’accusation contre les démocrates quand il déclare, en août dernier, que « tout juif qui vote pour un démocrate témoigne soit d’un manque total de connaissances, soit d’une grande déloyauté ».

L’antisémitisme de Donald Trump présente, ainsi, au moins trois dimensions :

  • La première est tactique ou instrumentale : les remarques antisémites, plus ou moins codées, qui ont émaillé sa campagne, lui ont permis de mobiliser l’alt-right et de s’attacher une partie de sa base électorale. Dans un tweet, en juillet 2016, Trump désignait Hillary Clinton, représentée encadrée d’une pile de billets et d’une étoile à six branches, comme la « candidate la plus corrompue de l’histoire ». Alors que sa victoire est suivie par une recrudescence d’actes antisémites, Trump tarde plusieurs semaines à les condamner. Dans le discours qu’il devait prononcer en souvenir de l’Holocauste le 27 janvier 2017, Trump a rayé dans le brouillon de son discours qui lui avait été préparé par le Département d’État le passage mentionnant les six millions de juifs exterminés. Au lendemain de l’attentat contre la synagogue de Pittsburgh, en octobre 2018, commis par un tenant du nationalisme blanc qui dénonçait la caravane des migrants et reprochait aux juifs de les aider, la première réaction de Donald Trump fut... de reprocher à la synagogue de ne pas avoir eu de garde armé ! Quelques jours plus tard, il déclarait : « beaucoup de gens disent que Soros a financé la caravane des migrants ».
  • La seconde dimension est un racialisme sommaire, qui essentialise l’ensemble des groupes humains en mobilisant des stéréotypes liés à la race, à la religion ou au sexe. Pour Trump, si les Mexicains sont violeurs et les Noirs pauvres et sales, ce qui caractérise les Juifs, c’est le pouvoir et l’argent. Son ex-avocat lui attribue ce propos : « J'ai des Noirs qui comptent mon argent ! Je déteste ça. Les seules personnes que je veux pour compter mon argent, ce sont les petits qui portent des kippas tous les jours. C'est le genre de personnes que je veux pour compter mon argent. Personne d'autre ». En 2015, il déclare devant la Republican Jewish Coalition : « Je suis un négociateur, comme vous tous. C’est d’accord, vous voulez contrôler votre propre homme politique. Je comprends ça. Vous n'allez pas me soutenir même si je suis la meilleure chose qui puisse arriver à Israël. C'est parce que je ne veux pas de votre argent ».
  • La troisième dimension procède de la « judéophilie opportuniste ». Pour Pierre-André Taguieff, les judéophiles opportunistes « sont ceux qui se rallient stratégiquement au plus fort ou au plus puissant, en pensant que les Juifs sont les maîtres de tout ». Il faut, ici, revenir sur la biographie de Trump. Au sein de l’immobilier new-yorkais, rapporte Michael Wolff dans Fire and Fury: Inside the Trump White House (2018), « une fracture existait entre les juifs et les non-juifs et les Trump appartenaient au camp le plus faible. Les juifs représentaient le haut du panier et Donald Trump, davantage encore que son père, était perçu comme un parvenu. Il mettait son nom sur les immeubles, ce qui paraissait vulgaire. Trump a grandi et monté son affaire dans la plus grande métropole juive du monde ». Trump a bâti sa carrière en courtisant des milliardaires comme Carl Icahn, Ike Perlmutter (Marvel), Ronald Perelman (Revlon), Steven Roth (immobilier) Sheldon Adelson (casinos). Son mentor fut longtemps Roy Cohn, un avocat new-yorkais connu pour ses méthodes impitoyables. Cette obsession de l’argent juif conduit Eric Trump, le second fils de Donald Trump, à qualifier le livre de Bob Woodward sur la Maison Blanche (Fear: Trump in the White House, 2018) d’ouvrage « à sensation insensé » que l’auteur a écrit « pour se faire trois shekels supplémentaires » (sic). Comme le souligne Taguieff : « La peur, l’envie, la jalousie et le ressentiment conduisent soit à déclarer la guerre aux Juifs, soit à prendre stratégiquement leur parti. Dans tous les cas, l’objectif, plus ou moins avoué, est de prendre leur place enviée ». Chez les Trump, père, fils et petit-fils, l’admiration pour les Juifs en tant que puissants s’inverse en motif de haine : on les courtise tout en les redoutant.

« Au fur et à mesure que l'enquête sur la destitution va s'intensifier, la rhétorique antisémite de Trump va probablement s’intensifier » prévient Peter Beinart. « Elle va s’aggraver non pas tant parce que Trump serait plus hostile aux Juifs qu’aux autres minorités religieuses ou raciales. Non, elle va s'aggraver parce que Trump pense en termes de stéréotypes. Et pour les prochains mois, alors que sa présidence est sur la sellette, son plus grand adversaire sera Adam Schiff, un Juif ».

 

Voir aussi :

Le fils du Premier ministre israélien poste (puis efface) une caricature aux relents antisémites

De la dangerosité des accusations de complot visant George Soros

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Les stéréotypes antisémites et la rhétorique complotiste véhiculés par Donald Trump et ses fils sont l'envers d'une judéophilie des plus ambigües.

Donald Trump (capture d'écran YouTube ; clip de campagne "Donald Trump's Argument For America", 6 novembre 2016)

Donald Trump aime bien affubler ses adversaires de surnoms dépréciatifs : Joe Biden est « Sleepy Creepy Joe », Hillary Clinton est « Crooked Hillary », et Bernie Sanders, « Crazy Bernie ». Autant de sobriquets que ses supporters aiment scander dans les meetings et relayer sur les réseaux sociaux.

Pour disqualifier Adam Schiff, le président de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants, en première ligne dans l’enquête visant à le destituer, Trump accole désormais à son nom le sobriquet « Shifty Schiff ». Comprendre : « Schiff le Sournois ». « Si vous pensez que cela sonne vaguement antisémite, vous avez raison », souligne Peter Beinart dans The Forward. Richard Silverstein rappelle qu’à l'époque de l’esclavage, les Blancs racistes traitaient les Noirs de « shiftless and lazy » (fainéants et paresseux) et que les antisémites qualifiaient les Juifs de « shifty and conniving » (sournois et fourbes).

S’il y avait un doute sur la portée de ces sous-entendus, il est levé par deux tweets de Donald Trump Jr, le fils aîné du président, qui, le 2 octobre, expliquait qu'Adam Schiff avait été « choisi et soutenu par George Soros ».

Le milliardaire américain est une cible récurrente de Donald Trump et de ses partisans. Pendant sa campagne, Donald Trump faisait siffler le nom de Soros dans ses meetings. Un clip de fin de campagne en 2016, aux accents conspirationnistes, mettait en scène les travailleurs américains et les puissances de l’argent, incarnées par George Soros, Janet Yellen, alors présidente de la Réserve fédérale, et Lloyd Blankfein, ex-patron de Goldman Sachs : le clip suggerait que ces derniers poursuivaient des « intérêts particuliers mondiaux ». « Une rhétorique et ses métaphores qui ont historiquement été utilisées contre les juifs et alimentent toujours l’antisémitisme », dénoncée par l’Anti-Demation League (ADL). Fin mai 2018, Donald Trump Jr est allé jusqu’à relayer un tweet de l'actrice Roseanne Barr qui accusait Soros d’avoir été « un nazi qui a trahi ses compatriotes juifs assassinés dans des camps de concentration allemands et leur a volé leur richesse » – c'est faux : Soros n’avait pas 15 ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale et il n’a survécu à la Shoah qu’en recourant à une fausse identité.

Régulièrement mis en cause pour ses dérapages et sa complaisance vis-à-vis de l'extrême droite antisémite, Trump adopte avec constance la même ligne de défense : son soutien sans faille à Israël et à son Premier ministre Benyamin Nétanyahou. Il va même jusqu’à retourner l’accusation contre les démocrates quand il déclare, en août dernier, que « tout juif qui vote pour un démocrate témoigne soit d’un manque total de connaissances, soit d’une grande déloyauté ».

L’antisémitisme de Donald Trump présente, ainsi, au moins trois dimensions :

  • La première est tactique ou instrumentale : les remarques antisémites, plus ou moins codées, qui ont émaillé sa campagne, lui ont permis de mobiliser l’alt-right et de s’attacher une partie de sa base électorale. Dans un tweet, en juillet 2016, Trump désignait Hillary Clinton, représentée encadrée d’une pile de billets et d’une étoile à six branches, comme la « candidate la plus corrompue de l’histoire ». Alors que sa victoire est suivie par une recrudescence d’actes antisémites, Trump tarde plusieurs semaines à les condamner. Dans le discours qu’il devait prononcer en souvenir de l’Holocauste le 27 janvier 2017, Trump a rayé dans le brouillon de son discours qui lui avait été préparé par le Département d’État le passage mentionnant les six millions de juifs exterminés. Au lendemain de l’attentat contre la synagogue de Pittsburgh, en octobre 2018, commis par un tenant du nationalisme blanc qui dénonçait la caravane des migrants et reprochait aux juifs de les aider, la première réaction de Donald Trump fut... de reprocher à la synagogue de ne pas avoir eu de garde armé ! Quelques jours plus tard, il déclarait : « beaucoup de gens disent que Soros a financé la caravane des migrants ».
  • La seconde dimension est un racialisme sommaire, qui essentialise l’ensemble des groupes humains en mobilisant des stéréotypes liés à la race, à la religion ou au sexe. Pour Trump, si les Mexicains sont violeurs et les Noirs pauvres et sales, ce qui caractérise les Juifs, c’est le pouvoir et l’argent. Son ex-avocat lui attribue ce propos : « J'ai des Noirs qui comptent mon argent ! Je déteste ça. Les seules personnes que je veux pour compter mon argent, ce sont les petits qui portent des kippas tous les jours. C'est le genre de personnes que je veux pour compter mon argent. Personne d'autre ». En 2015, il déclare devant la Republican Jewish Coalition : « Je suis un négociateur, comme vous tous. C’est d’accord, vous voulez contrôler votre propre homme politique. Je comprends ça. Vous n'allez pas me soutenir même si je suis la meilleure chose qui puisse arriver à Israël. C'est parce que je ne veux pas de votre argent ».
  • La troisième dimension procède de la « judéophilie opportuniste ». Pour Pierre-André Taguieff, les judéophiles opportunistes « sont ceux qui se rallient stratégiquement au plus fort ou au plus puissant, en pensant que les Juifs sont les maîtres de tout ». Il faut, ici, revenir sur la biographie de Trump. Au sein de l’immobilier new-yorkais, rapporte Michael Wolff dans Fire and Fury: Inside the Trump White House (2018), « une fracture existait entre les juifs et les non-juifs et les Trump appartenaient au camp le plus faible. Les juifs représentaient le haut du panier et Donald Trump, davantage encore que son père, était perçu comme un parvenu. Il mettait son nom sur les immeubles, ce qui paraissait vulgaire. Trump a grandi et monté son affaire dans la plus grande métropole juive du monde ». Trump a bâti sa carrière en courtisant des milliardaires comme Carl Icahn, Ike Perlmutter (Marvel), Ronald Perelman (Revlon), Steven Roth (immobilier) Sheldon Adelson (casinos). Son mentor fut longtemps Roy Cohn, un avocat new-yorkais connu pour ses méthodes impitoyables. Cette obsession de l’argent juif conduit Eric Trump, le second fils de Donald Trump, à qualifier le livre de Bob Woodward sur la Maison Blanche (Fear: Trump in the White House, 2018) d’ouvrage « à sensation insensé » que l’auteur a écrit « pour se faire trois shekels supplémentaires » (sic). Comme le souligne Taguieff : « La peur, l’envie, la jalousie et le ressentiment conduisent soit à déclarer la guerre aux Juifs, soit à prendre stratégiquement leur parti. Dans tous les cas, l’objectif, plus ou moins avoué, est de prendre leur place enviée ». Chez les Trump, père, fils et petit-fils, l’admiration pour les Juifs en tant que puissants s’inverse en motif de haine : on les courtise tout en les redoutant.

« Au fur et à mesure que l'enquête sur la destitution va s'intensifier, la rhétorique antisémite de Trump va probablement s’intensifier » prévient Peter Beinart. « Elle va s’aggraver non pas tant parce que Trump serait plus hostile aux Juifs qu’aux autres minorités religieuses ou raciales. Non, elle va s'aggraver parce que Trump pense en termes de stéréotypes. Et pour les prochains mois, alors que sa présidence est sur la sellette, son plus grand adversaire sera Adam Schiff, un Juif ».

 

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à propos de l'auteur
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Maurice Ronai
Co-fondateur de Courrier international en 1990, Maurice Ronai est un expert des politiques publiques numériques. Il a enseigné, de 1997 à 2001, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) avant de devenir membre de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de 2014 à 2019.
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