Vendredi 5 mai, la Komsomolskaïa Pravda a publié une interview du polémiste conspirationniste Alain Soral sur l’élection présidentielle en France intitulée « La marionnette de Rothschild : qui êtes-vous Monsieur Macron ? – Les médecins considèrent que le favori à la course à la présidence est un psychopathe typique ». Dominique Derda, correspondant de France 2 à Moscou, rapporte que Soral y est présenté comme « l’un des meilleurs analystes de France » (sic) sans que soit nullement mentionnées ses positions politiques (il se définit lui-même comme « national-socialiste ») et ses multiples condamnations pour antisémitisme. Décryptage avec Cécile Vaissié, professeur en études russes et soviétiques à l'université Rennes 2 et auteur de Les réseaux du Kremlin en France (Les Petits Matins, 2016).
Conspiracy Watch : Que dit Alain Soral à propos du candidat du mouvement « En Marche ! » ?
Cécile Vaissié : D’abord, il faut préciser que cet article a été publié dès le 4 mai sur le site internet du journal avec un titre un peu différent, sans point d’interrogation (« Qui est Emmanuel Macron : la marionnette de Rothschild, un psychopathe et "Mister Nobody" »). Le « chapô » n’est pas non plus le même dans les deux éditions. La légende qui accompagne la photographie du couple Macron dans la version papier est également très lourde de sous-entendus. On lit : « Emmanuel Macron assure qu’une différence de 24 ans avec son épouse n’est pas un obstacle pour un mariage heureux. Mais les sceptiques sont certains que le candidat à la présidence française ne s’intéresse pas du tout aux dames ».
L’article, signé par Daria Aslamova, est une attaque en règle, d’une violence rare, contre Emmanuel Macron qui, peut-on lire, « brille comme de la fausse monnaie et dit des bêtises avec une assurance incroyable ». Alain Soral, quant à lui, explique que Macron est un « psychopathe », « un produit de l’oligarchie française » – « et pas seulement française » croit-il devoir préciser – choisi pour perpétuer sa domination. La candidature d’Emmanuel Macron n’est ainsi envisagée que comme une opération des « impérialistes » et des « mondialistes », un « putsch » orchestré par le ministère de l’Intérieur sous la direction de François Hollande à coups de manipulation des votes et de faux sondages destinés à « modifier l’opinion des gens ». On lit par exemple : « Qui est Macron ? Un employé de la banque Rothschild et rien d’autre. Un gay joyeux. Mister Nobody. Un robot qui dit ce qu’il faut quand il le faut. Le nouveau Frankenstein. Mais, derrière lui, il y a les mondialistes, l’Amérique de Rothschild et tout le pouvoir des médias. L’Amérique, ce n’est pas Trump. C’est la Federal Reserve Bank, le complexe militaro-industriel, les médias mainstream et Hollywood. C’est l’empire mondialiste. » Soral poursuit en expliquant que la rencontre entre Emmanuel Macron et son épouse n’est rien d’autre qu’une « histoire de pédophilie ». Et la journaliste de demander si « c’est de là que vient son homosexualité ». Et Soral d’abonder dans son sens : « Oui, et c’est la conséquence de la perversion subie dans l’enfance »…
C. W. : Qui est Daria Aslamova, qui interviewe Alain Soral ?
C. V. : Daria Aslamova est « envoyée spéciale » à la Komsomolskaïa Pravda. Elle est aussi l’auteur d’un roman publié en 1999, Les Aventures d’une sale fille, qui n’a pas laissé de traces inoubliables dans la littérature russe, mais a été précédé par deux tomes de Notes d’une sale fille (1994 et 1995) et a eu une suite, La Sale fille. Les aventures continuent (2001)... Madame Aslamova a poursuivi son œuvre littéraire : Les Notes d’une journaliste folle (2002), La Dolce Vita (2002), A l’amour comme à la guerre (2005)… D’après sa page Wikipedia, elle a également travaillé comme correspondante de guerre pour la Komsomolskaïa Pravda en Abkhazie, dans le Haut-Karabakh, en Tchétchénie et en Ossétie, c’est-à-dire dans les « points chauds » en Russie et chez les voisins de celle-ci, des « points chauds » où la Russie est très présente. Daria Aslamova a également travaillé en Yougoslavie, au Cambodge et en Afrique.
Dans la Komsomolskaïa Pravda, elle a récemment consacré plusieurs articles aux élections présidentielles françaises : « Même dans les quartiers arabes [sic], des audacieux se trouveront, prêts à se lever pour Marine Le Pen » (5 mai) ; « "Le choix entre Le Pen et le banquier Macron, c’est le choix entre une France souveraine et la mondialisation" » (1er mai ) ; « Marine Le Pen : que doivent attendre la Russie et le monde de l’Union européenne et de la France dans un avenir proche ? » - et cette interview de Marine Le Pen, publiée le 26 avril 2017, a été réalisée en 2012. Daria Aslamova a aussi écrit sur les frappes ordonnées par Trump en Syrie (7 avril 2017), et elle a interviewé Bachar El-Assad (14 octobre 2016) – après Saddam Hussein en 2003 .
Elle développe dans de nombreux articles la peur des migrants et des musulmans en Europe : « Les Français s’arment pour faire face aux migrants » ; « L’Europe est mortellement empoisonnée par le radicalisme musulman. Auront-ils le temps de trouver une antidote ? » ; « La Suède violentée souffre du syndrome de Stockholm » ; etc. Le 15 janvier 2015, elle a d’ailleurs signé une interview de Jean-Marie Le Pen
: après les exécutions des collaborateurs de Charlie Hebdo, Le Pen dénonçait l’immigration de musulmans en France et assurait « ne pas être Charlie ». Il ajoutait : « L’exécution à Charlie Hebdo porte la signature d’une opération de services secrets, mais nous n’avons pas de preuves. Je ne pense pas que les organisateurs de ce crime soient les autorités françaises, mais elles ont permis l’exécution de ce crime. Ce ne sont pour l’instant que des suppositions. » La Komsomolskaïa Pravda utilisait en titre une citation de Le Pen : « Nous avons besoin d’une Europe unie de Paris à Vladivostok. Sinon, nous deviendrons une colonie des Etats-Unis ». L’instrumentalisation politique du drame était donc évidente, mais elle montrait ce que désirent les autorités russes : rompre les liens entre l’Union européenne et les Etats-Unis, et reconstituer une organisation européenne sur des bases nouvelles, en y incluant la Russie.
Daria Aslamova a également interviewé l'auteur conspirationniste Thierry Meyssan dans un article paru le 25 février 2011 et dont le titre résumait l’une des thèses du pouvoir poutinien sur les évolutions politiques chez ses ses voisins et dans le monde arabe : « Les Etats-Unis ont préparé une révolution "de couleur" en Egypte sur les scénarios géorgien et ukrainien. Mais cela a raté ».
En fait, Madame Aslamova rappelle, dans une version contemporaine plus « légère », ces journalistes soviétiques qui, souvent liés au KGB, avaient le droit de parcourir le monde et de mener une vie très privilégiée, parce qu’ils se faisaient l’écho des positions et interprétations du Kremlin.
C. W. : Quelle est l’audience en Russie de la Komsomolskaïa Pravda ?
C. V. : La Komsomolskaïa Pravda est l’ancien organe de presse des Jeunesses communistes. C’est, depuis les années 1990, un tabloïd, en couleur, très lu, notamment sur Internet, connu notamment pour son concours de la « Miss KP », qui lui permet d’afficher des photos de jeunes filles plus ou moins dénudées. Dans les années 1990 et au début des années 2000, c’était une sorte de Parisien, un peu plus léger peut-être, qui avait pour mérite de présenter des articles courts – ce n’était pas la pratique à l’époque soviétique – et rédigés dans une langue simple, sur des thèmes de société, avec des graphiques et des interviews. Je m’en servais, par exemple, pour des cours, ce que je ne fais plus aujourd’hui.
En effet, un tournant très net s’est marqué en mai 2013 lorsque la Komsomolskaïa Pravda a publié l’article de sa journaliste Ouliana Skoïbeda qui, évoquant le politicien d’opposition Léonid Gozman, écrivait : « On regrette parfois que les nazis n’aient pas transformé en abat-jours les ancêtres des libéraux. Il y aurait moins de problèmes ». Devant le scandale, ce passage a été modifié . Mais Madame Skoïbeda, qui a également tenu des propos très ambigus, en 2013, sur la femme de lettres, russophone et juive, Dina Roubina, travaille toujours à la Komsomolskaïa Pravda. Ce journal soutient en tout les interprétations géopolitiques du pouvoir russe, et contribue à les répandre dans le grand public.
C. W. : Est-ce que la manière dont Emmanuel Macron est présenté dans cette interview est représentative de ce qu’on peut lire ou entendre en Russie au sujet de ce candidat ?
C. V. : Oui, c’est grosso modo ce que disent et écrivent les journalistes des médias les plus grand-public et idéologiques. Ceux-ci manifestent notamment un intérêt très surprenant pour la vie privée d’Emmanuel Macron. Surprenant, car très peu d’informations circulent en Russie sur la famille et la vie privée du président Poutine, et l’on ne peut donc prétendre que cette approche du monde politique soit une spécificité russe – c’est plutôt une tendance des pires tabloïds anglo-saxons. Mais, sur ce plan aussi, les médias populaires russes font une distinction nette entre « leurs » politiciens et les politiciens occidentaux à abattre. Car c’est bien le but de cet article sur Macron. Néanmoins, des médias et des journalistes russes ont des approches plus fines et intellectuelles de la politique française et des relations franco-russes. Sur ce plan, comme sur d’autres, la Komsomolskaïa Pravda représente ce qu’il y a de plus « bas de gamme ». Mais, encore une fois, ce quotidien est très lu.
C. W. : Diriez-vous que cette affaire est emblématique de la manière dont le public russe est informé sur la réalité de ce qui se passe en France ?
C. V. : Malheureusement, cette affaire est emblématique de la manière dont le public russe est informé sur de nombreux problèmes, y compris internationaux. La propagande la plus agressive a repris, surtout depuis 2013 et l’attaque de la Crimée et du Donbass ukrainiens. Elle s’affiche dans des émissions grand-public (notamment sur la première chaîne) et, dans des médias tels que la Komsomolskaïa Pravda, elle allie les procédés les plus soviétiques au pire trash de tabloïds tels que le National Enquirer américain. Ces médias ne reculent ni devant les attaques personnelles, ni devant les suppositions et allégations non démontrées, mais, dans le cas présent, la Komsomolskaïa Pravda a « l’habileté » de se cacher derrière Alain Soral.
Certes, les Russes peuvent obtenir une information autre, via des médias plus confidentiels et grâce à internet, mais encore faut-il qu’ils aient le temps et l’énergie de chercher cette information. Bref, tout ceci est désolant pour qui aime la culture russe…
Voir aussi :
* "C Politique" : comment les médias russes RT et Sputnik travaillent en France
Vendredi 5 mai, la Komsomolskaïa Pravda a publié une interview du polémiste conspirationniste Alain Soral sur l’élection présidentielle en France intitulée « La marionnette de Rothschild : qui êtes-vous Monsieur Macron ? – Les médecins considèrent que le favori à la course à la présidence est un psychopathe typique ». Dominique Derda, correspondant de France 2 à Moscou, rapporte que Soral y est présenté comme « l’un des meilleurs analystes de France » (sic) sans que soit nullement mentionnées ses positions politiques (il se définit lui-même comme « national-socialiste ») et ses multiples condamnations pour antisémitisme. Décryptage avec Cécile Vaissié, professeur en études russes et soviétiques à l'université Rennes 2 et auteur de Les réseaux du Kremlin en France (Les Petits Matins, 2016).
Conspiracy Watch : Que dit Alain Soral à propos du candidat du mouvement « En Marche ! » ?
Cécile Vaissié : D’abord, il faut préciser que cet article a été publié dès le 4 mai sur le site internet du journal avec un titre un peu différent, sans point d’interrogation (« Qui est Emmanuel Macron : la marionnette de Rothschild, un psychopathe et "Mister Nobody" »). Le « chapô » n’est pas non plus le même dans les deux éditions. La légende qui accompagne la photographie du couple Macron dans la version papier est également très lourde de sous-entendus. On lit : « Emmanuel Macron assure qu’une différence de 24 ans avec son épouse n’est pas un obstacle pour un mariage heureux. Mais les sceptiques sont certains que le candidat à la présidence française ne s’intéresse pas du tout aux dames ».
L’article, signé par Daria Aslamova, est une attaque en règle, d’une violence rare, contre Emmanuel Macron qui, peut-on lire, « brille comme de la fausse monnaie et dit des bêtises avec une assurance incroyable ». Alain Soral, quant à lui, explique que Macron est un « psychopathe », « un produit de l’oligarchie française » – « et pas seulement française » croit-il devoir préciser – choisi pour perpétuer sa domination. La candidature d’Emmanuel Macron n’est ainsi envisagée que comme une opération des « impérialistes » et des « mondialistes », un « putsch » orchestré par le ministère de l’Intérieur sous la direction de François Hollande à coups de manipulation des votes et de faux sondages destinés à « modifier l’opinion des gens ». On lit par exemple : « Qui est Macron ? Un employé de la banque Rothschild et rien d’autre. Un gay joyeux. Mister Nobody. Un robot qui dit ce qu’il faut quand il le faut. Le nouveau Frankenstein. Mais, derrière lui, il y a les mondialistes, l’Amérique de Rothschild et tout le pouvoir des médias. L’Amérique, ce n’est pas Trump. C’est la Federal Reserve Bank, le complexe militaro-industriel, les médias mainstream et Hollywood. C’est l’empire mondialiste. » Soral poursuit en expliquant que la rencontre entre Emmanuel Macron et son épouse n’est rien d’autre qu’une « histoire de pédophilie ». Et la journaliste de demander si « c’est de là que vient son homosexualité ». Et Soral d’abonder dans son sens : « Oui, et c’est la conséquence de la perversion subie dans l’enfance »…
C. W. : Qui est Daria Aslamova, qui interviewe Alain Soral ?
C. V. : Daria Aslamova est « envoyée spéciale » à la Komsomolskaïa Pravda. Elle est aussi l’auteur d’un roman publié en 1999, Les Aventures d’une sale fille, qui n’a pas laissé de traces inoubliables dans la littérature russe, mais a été précédé par deux tomes de Notes d’une sale fille (1994 et 1995) et a eu une suite, La Sale fille. Les aventures continuent (2001)... Madame Aslamova a poursuivi son œuvre littéraire : Les Notes d’une journaliste folle (2002), La Dolce Vita (2002), A l’amour comme à la guerre (2005)… D’après sa page Wikipedia, elle a également travaillé comme correspondante de guerre pour la Komsomolskaïa Pravda en Abkhazie, dans le Haut-Karabakh, en Tchétchénie et en Ossétie, c’est-à-dire dans les « points chauds » en Russie et chez les voisins de celle-ci, des « points chauds » où la Russie est très présente. Daria Aslamova a également travaillé en Yougoslavie, au Cambodge et en Afrique.
Dans la Komsomolskaïa Pravda, elle a récemment consacré plusieurs articles aux élections présidentielles françaises : « Même dans les quartiers arabes [sic], des audacieux se trouveront, prêts à se lever pour Marine Le Pen » (5 mai) ; « "Le choix entre Le Pen et le banquier Macron, c’est le choix entre une France souveraine et la mondialisation" » (1er mai ) ; « Marine Le Pen : que doivent attendre la Russie et le monde de l’Union européenne et de la France dans un avenir proche ? » - et cette interview de Marine Le Pen, publiée le 26 avril 2017, a été réalisée en 2012. Daria Aslamova a aussi écrit sur les frappes ordonnées par Trump en Syrie (7 avril 2017), et elle a interviewé Bachar El-Assad (14 octobre 2016) – après Saddam Hussein en 2003 .
Elle développe dans de nombreux articles la peur des migrants et des musulmans en Europe : « Les Français s’arment pour faire face aux migrants » ; « L’Europe est mortellement empoisonnée par le radicalisme musulman. Auront-ils le temps de trouver une antidote ? » ; « La Suède violentée souffre du syndrome de Stockholm » ; etc. Le 15 janvier 2015, elle a d’ailleurs signé une interview de Jean-Marie Le Pen
: après les exécutions des collaborateurs de Charlie Hebdo, Le Pen dénonçait l’immigration de musulmans en France et assurait « ne pas être Charlie ». Il ajoutait : « L’exécution à Charlie Hebdo porte la signature d’une opération de services secrets, mais nous n’avons pas de preuves. Je ne pense pas que les organisateurs de ce crime soient les autorités françaises, mais elles ont permis l’exécution de ce crime. Ce ne sont pour l’instant que des suppositions. » La Komsomolskaïa Pravda utilisait en titre une citation de Le Pen : « Nous avons besoin d’une Europe unie de Paris à Vladivostok. Sinon, nous deviendrons une colonie des Etats-Unis ». L’instrumentalisation politique du drame était donc évidente, mais elle montrait ce que désirent les autorités russes : rompre les liens entre l’Union européenne et les Etats-Unis, et reconstituer une organisation européenne sur des bases nouvelles, en y incluant la Russie.
Daria Aslamova a également interviewé l'auteur conspirationniste Thierry Meyssan dans un article paru le 25 février 2011 et dont le titre résumait l’une des thèses du pouvoir poutinien sur les évolutions politiques chez ses ses voisins et dans le monde arabe : « Les Etats-Unis ont préparé une révolution "de couleur" en Egypte sur les scénarios géorgien et ukrainien. Mais cela a raté ».
En fait, Madame Aslamova rappelle, dans une version contemporaine plus « légère », ces journalistes soviétiques qui, souvent liés au KGB, avaient le droit de parcourir le monde et de mener une vie très privilégiée, parce qu’ils se faisaient l’écho des positions et interprétations du Kremlin.
C. W. : Quelle est l’audience en Russie de la Komsomolskaïa Pravda ?
C. V. : La Komsomolskaïa Pravda est l’ancien organe de presse des Jeunesses communistes. C’est, depuis les années 1990, un tabloïd, en couleur, très lu, notamment sur Internet, connu notamment pour son concours de la « Miss KP », qui lui permet d’afficher des photos de jeunes filles plus ou moins dénudées. Dans les années 1990 et au début des années 2000, c’était une sorte de Parisien, un peu plus léger peut-être, qui avait pour mérite de présenter des articles courts – ce n’était pas la pratique à l’époque soviétique – et rédigés dans une langue simple, sur des thèmes de société, avec des graphiques et des interviews. Je m’en servais, par exemple, pour des cours, ce que je ne fais plus aujourd’hui.
En effet, un tournant très net s’est marqué en mai 2013 lorsque la Komsomolskaïa Pravda a publié l’article de sa journaliste Ouliana Skoïbeda qui, évoquant le politicien d’opposition Léonid Gozman, écrivait : « On regrette parfois que les nazis n’aient pas transformé en abat-jours les ancêtres des libéraux. Il y aurait moins de problèmes ». Devant le scandale, ce passage a été modifié . Mais Madame Skoïbeda, qui a également tenu des propos très ambigus, en 2013, sur la femme de lettres, russophone et juive, Dina Roubina, travaille toujours à la Komsomolskaïa Pravda. Ce journal soutient en tout les interprétations géopolitiques du pouvoir russe, et contribue à les répandre dans le grand public.
C. W. : Est-ce que la manière dont Emmanuel Macron est présenté dans cette interview est représentative de ce qu’on peut lire ou entendre en Russie au sujet de ce candidat ?
C. V. : Oui, c’est grosso modo ce que disent et écrivent les journalistes des médias les plus grand-public et idéologiques. Ceux-ci manifestent notamment un intérêt très surprenant pour la vie privée d’Emmanuel Macron. Surprenant, car très peu d’informations circulent en Russie sur la famille et la vie privée du président Poutine, et l’on ne peut donc prétendre que cette approche du monde politique soit une spécificité russe – c’est plutôt une tendance des pires tabloïds anglo-saxons. Mais, sur ce plan aussi, les médias populaires russes font une distinction nette entre « leurs » politiciens et les politiciens occidentaux à abattre. Car c’est bien le but de cet article sur Macron. Néanmoins, des médias et des journalistes russes ont des approches plus fines et intellectuelles de la politique française et des relations franco-russes. Sur ce plan, comme sur d’autres, la Komsomolskaïa Pravda représente ce qu’il y a de plus « bas de gamme ». Mais, encore une fois, ce quotidien est très lu.
C. W. : Diriez-vous que cette affaire est emblématique de la manière dont le public russe est informé sur la réalité de ce qui se passe en France ?
C. V. : Malheureusement, cette affaire est emblématique de la manière dont le public russe est informé sur de nombreux problèmes, y compris internationaux. La propagande la plus agressive a repris, surtout depuis 2013 et l’attaque de la Crimée et du Donbass ukrainiens. Elle s’affiche dans des émissions grand-public (notamment sur la première chaîne) et, dans des médias tels que la Komsomolskaïa Pravda, elle allie les procédés les plus soviétiques au pire trash de tabloïds tels que le National Enquirer américain. Ces médias ne reculent ni devant les attaques personnelles, ni devant les suppositions et allégations non démontrées, mais, dans le cas présent, la Komsomolskaïa Pravda a « l’habileté » de se cacher derrière Alain Soral.
Certes, les Russes peuvent obtenir une information autre, via des médias plus confidentiels et grâce à internet, mais encore faut-il qu’ils aient le temps et l’énergie de chercher cette information. Bref, tout ceci est désolant pour qui aime la culture russe…
Voir aussi :
* "C Politique" : comment les médias russes RT et Sputnik travaillent en France
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