L'ancien président américain n'hésite plus à reprendre ouvertement à son compte des éléments appartenant au folklore complotiste QAnon.
En difficulté sur le plan judiciaire après la perquisition par le FBI de son domicile de Mar-a-Lago (Floride), où des documents confidentiels classifiés ont été retrouvés après son départ de la Maison Blanche, Donald Trump voit sa cote de popularité chuter malgré le maintien de son emprise sur le Parti Républicain. En guise de réponse, l’ancien président tente de radicaliser encore un peu plus la base de ses partisans jusqu’à se positionner comme nouveau chef de file de la mouvance complotiste d’extrême droite QAnon.
Apparu fin 2017 suite à la publication sur le forum de discussion 4chan de messages par un utilisateur anonyme (« Q ») se faisant passer pour un haut responsable de l’Administration Trump, ce mouvement quasi-sectaire suivi par des millions de personnes aux États-Unis entend dévoiler un prétendu complot pédocriminel organisé par les élites de Washington et soutenir la ligne populiste et conservatrice du 45ème président des États-Unis. Avec la pandémie de Covid-19, l'imaginaire conspirationniste issu de QAnon s'est mondialisé et diffusé en Europe et au-delà, jusqu'au Japon, obligeant médias et autorités à se saisir du problème et à démonter de nombreuses allégations infondées concernant des sacrifices d'enfants, l'adrénochrome, le trucage de l'élection présidentielle, la mise en scène de sosies ou encore les arrestations et exécutions imminentes de dirigeants démocrates.
Si le milliardaire new-yorkais s'était jusqu'à présent astreint à maintenir relativement à distance le mouvement QAnon, se bornant à n’être qu’une sorte de figure messianique et affirmant même ne rien connaître de cette mouvance tout en saluant son « combat » contre la pédophilie, Donald Trump multiplie depuis quelques semaines les signes de sympathie en direction des adeptes de « Q ».
Ce basculement s’est tout d’abord révélé sur son compte personnel de la plateforme Truth Social dans les semaines qui ont suivi la perquisition de sa résidence floridienne pour l’affaire des documents d’État détenus illégalement. Donald Trump a massivement partagé les publications de comptes appartenant ouvertement à la mouvance jusqu’à « retruther » un montage le présentant en leader QAnon : pin’s « Q » sur le costard, slogan « The Storm is Coming » (« la tempête approche ») et devise WWG1WGA (pour « Where We Go One, We Go All », en français : « un pour tous, tous pour un »).
Alors que l’ancien président et une partie des comptes les plus influents de ce mouvement ont été exclus de Twitter après l'assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole, l’idée d’une nouvelle plateforme de micro-blogging autonome a germé dans l’esprit des proches de Trump. C’est ainsi qu’est né Truth Social en mars 2022. Sans modération, hormis pour les contenus portant atteinte à l’image de Donald Trump comme les comptes rendus de la commission d'enquête sur les événements du Capitole, elle laisse le champ libre aux conspirationnistes les plus extrêmes.
« Grâce aux informations relayées par Donald Trump, à des comptes certifiés et d’autres méthodes, Truth Social est devenu un canal majeur de promotion de ce mouvement extrémiste en ligne » rapporte ainsi l'organisme de notation des médias NewsGuard.
A part ça, Donald Trump partage un montage de lui en leader complotiste QAnon: devise WWG1WGA, pin’s Q et slogan « La tempête approche ». On imagine la joie des adeptes qui attendaient cela depuis 5 ans. pic.twitter.com/JoOsjKclZf
— Théo Laubry 🇺🇸 (@TheoLaubry) September 13, 2022
Les meetings politiques de Donald Trump sont l’autre relais conspirationniste de la sphère trumpiste. On peut y observer depuis plusieurs années des militants revêtus de tee-shirt ou de casquettes « MAGA » (pour « Make America Great Again », le slogan de campagne de Donald Trump) et brandissant des drapeaux frappés de la lettre « Q ». Depuis peu, l’ancien président se prend lui aussi au jeu et adresse des signaux de plus en plus appuyés aux QAnon. A Philadelphie au début du mois de septembre, dans l’Ohio deux semaines plus tard ou encore en Caroline du Nord peu après, la conclusion de ses discours se fait à chaque fois sur fond d'une mélodie ayant une signification particulière dans la sphère QAnon, un morceau intitulé WWG1WGA, référence directe au slogan QAnon. Les adeptes n’ont pas manqué de relever ce clin d’œil et de faire part de leur satisfaction. Dans les salles, certains spectateurs se sont même mis à pointer leur doigt en l’air, en signe de salut.
Interrogées par la presse, les équipes de campagne du leader républicain affirment qu’il s’agissait d’une autre musique ayant quasiment les mêmes notes. Mais malgré les interrogations et la polémique, le titre n'a pas été retiré de la playlist de campagne.
Spécialiste du complotisme et auteur de The Storm Is Upon Us: How QAnon Became a Movement, Cult, and Conspiracy Theory of Everything (Melville House, 2021), Mike Rothschild (qui ne partage qu'une homonymie avec la célèbre famille Rothschild) explique que Trump et ses partisans QAnon s'adressent mutuellement des signes de reconnaissance. Selon lui, « c'est une relation à double sens où tout le monde se tape dans le dos, lève le pouce et dit, "hé, nous allons gagner ce truc ensemble". Et le reste d'entre nous essayons juste de comprendre ce qui est en train de se passer ici. »
L’amplification du principal phénomène complotiste en vogue aux États-Unis et dans le monde occidental par l’ancien président de la première puissance mondiale doit être prise au sérieux. D’une part parce qu’il n’est pas exclu qu’il revienne au pouvoir s’il est candidat à la prochaine élection, d’autre part parce que QAnon est un mouvement dangereux qui pousse à la désocialisation, à la défiance la plus extrême et, in fine, à la remise en cause du cadre démocratique.
Les témoignages de proches ou d’anciens adeptes, qui s’accumulent sur les réseaux sociaux et dans les médias, permettent de prendre la mesure de la gravité d’un basculement dans cette mouvance conspirationniste. Si l’extrême droite y apparaît bien plus sensible, personne ne semble totalement immunisé contre cette nébuleuse attrape-tout. En témoigne Jitarth Jadeja, qui se définit comme progressiste et sympathisant de Bernie Sanders, figure de l'aile gauche du Parti Démocrate :
« Je me levais le matin, je vérifiais si Q avait publié de nouveaux messages. Après, j’allais sur n’importe quel forum, Reddit ou 8chan, pour parler des derniers Q-drops […]. J’étais agité, fâché, et quand j’entrais dans une pièce, la tension montait. Tout le monde détestait ça […]. Les adeptes de QAnon croient participer à la bataille du bien contre le mal. Ils pensent affronter des méchants qui boivent le sang des enfants, qui veulent tuer leurs familles. Quand tu crois à des choses pareilles, tu veux que tes ennemis brûlent. »
Il arrive aussi parfois que les adeptes passent à la vitesse supérieure et commettent l'irréparable. Au moins quatre histoires dramatiques ont fait la une des journaux aux États-Unis ces dernières années, sans compter l'affaire Edgar Maddison Welch en décembre 2016 sur fond de Pizzagate. Dans chacune d’elles, QAnon a joué un rôle central.
En mars 2019, un homme a assassiné un membre de la famille mafieuse Gambino à New York, convaincu qu’il était partie prenante d’un vaste complot et s’est présenté au tribunal avec un « Q » dessiné sur la main.
En 2021, en Californie, une mère de famille, Liliana Carrillo, psychologiquement fragile et intoxiquée par les thèses QAnon, a noyé ses trois enfants âgés respectivement de 3 ans, 2 ans et 6 mois. S'étant persuadée qu'ils étaient menacés par un réseau pédophile, elle croyait ainsi les soustraire à une vie de tortures et d'abus sexuels.
Quelques semaines plus tard, toujours en Californie, un père de famille, Matthew Taylor Coleman, adepte lui-aussi de la mouvance et influencé par David Icke et sa théorie du « complot reptilien », a sauvagement assassiné ses deux enfants, âgés respectivement de 2 ans et de 10 mois, lors de vacances au Mexique pour « éviter qu’il ne se transforment en monstres », convaincu que de « l’ADN de serpent » coulait dans leurs veines.
Plus récemment, le 11 septembre 2022, un père de famille du Michigan sans histoire, Igor Lanis, a abattu sa femme et l’une de ses filles. D’après des proches, il était devenu obsédé par QAnon et toutes sortes de théories du complot après la défaite de Donald Trump à l'élection présidentielle de novembre 2020.
Le rapprochement de l’ancien président avec la sphère QAnon accroît un peu plus le risque de décrochage et de radicalisation d’une partie de la population américaine. Cette manœuvre politique, qui trahit une certaine fuite en avant, redonne un nouvel élan à une mouvance en perte de vitesse depuis son départ de la Maison Blanche et la fin des campagnes de vaccination. En agissant de la sorte, Donald Trump se détache de son rôle d’acteur passif de la dystopie QAnon pour en devenir un membre à part entière. Un gourou ?
Voir aussi :
Les théories du complot, une menace prise très au sérieux par le FBI
En difficulté sur le plan judiciaire après la perquisition par le FBI de son domicile de Mar-a-Lago (Floride), où des documents confidentiels classifiés ont été retrouvés après son départ de la Maison Blanche, Donald Trump voit sa cote de popularité chuter malgré le maintien de son emprise sur le Parti Républicain. En guise de réponse, l’ancien président tente de radicaliser encore un peu plus la base de ses partisans jusqu’à se positionner comme nouveau chef de file de la mouvance complotiste d’extrême droite QAnon.
Apparu fin 2017 suite à la publication sur le forum de discussion 4chan de messages par un utilisateur anonyme (« Q ») se faisant passer pour un haut responsable de l’Administration Trump, ce mouvement quasi-sectaire suivi par des millions de personnes aux États-Unis entend dévoiler un prétendu complot pédocriminel organisé par les élites de Washington et soutenir la ligne populiste et conservatrice du 45ème président des États-Unis. Avec la pandémie de Covid-19, l'imaginaire conspirationniste issu de QAnon s'est mondialisé et diffusé en Europe et au-delà, jusqu'au Japon, obligeant médias et autorités à se saisir du problème et à démonter de nombreuses allégations infondées concernant des sacrifices d'enfants, l'adrénochrome, le trucage de l'élection présidentielle, la mise en scène de sosies ou encore les arrestations et exécutions imminentes de dirigeants démocrates.
Si le milliardaire new-yorkais s'était jusqu'à présent astreint à maintenir relativement à distance le mouvement QAnon, se bornant à n’être qu’une sorte de figure messianique et affirmant même ne rien connaître de cette mouvance tout en saluant son « combat » contre la pédophilie, Donald Trump multiplie depuis quelques semaines les signes de sympathie en direction des adeptes de « Q ».
Ce basculement s’est tout d’abord révélé sur son compte personnel de la plateforme Truth Social dans les semaines qui ont suivi la perquisition de sa résidence floridienne pour l’affaire des documents d’État détenus illégalement. Donald Trump a massivement partagé les publications de comptes appartenant ouvertement à la mouvance jusqu’à « retruther » un montage le présentant en leader QAnon : pin’s « Q » sur le costard, slogan « The Storm is Coming » (« la tempête approche ») et devise WWG1WGA (pour « Where We Go One, We Go All », en français : « un pour tous, tous pour un »).
Alors que l’ancien président et une partie des comptes les plus influents de ce mouvement ont été exclus de Twitter après l'assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole, l’idée d’une nouvelle plateforme de micro-blogging autonome a germé dans l’esprit des proches de Trump. C’est ainsi qu’est né Truth Social en mars 2022. Sans modération, hormis pour les contenus portant atteinte à l’image de Donald Trump comme les comptes rendus de la commission d'enquête sur les événements du Capitole, elle laisse le champ libre aux conspirationnistes les plus extrêmes.
« Grâce aux informations relayées par Donald Trump, à des comptes certifiés et d’autres méthodes, Truth Social est devenu un canal majeur de promotion de ce mouvement extrémiste en ligne » rapporte ainsi l'organisme de notation des médias NewsGuard.
A part ça, Donald Trump partage un montage de lui en leader complotiste QAnon: devise WWG1WGA, pin’s Q et slogan « La tempête approche ». On imagine la joie des adeptes qui attendaient cela depuis 5 ans. pic.twitter.com/JoOsjKclZf
— Théo Laubry 🇺🇸 (@TheoLaubry) September 13, 2022
Les meetings politiques de Donald Trump sont l’autre relais conspirationniste de la sphère trumpiste. On peut y observer depuis plusieurs années des militants revêtus de tee-shirt ou de casquettes « MAGA » (pour « Make America Great Again », le slogan de campagne de Donald Trump) et brandissant des drapeaux frappés de la lettre « Q ». Depuis peu, l’ancien président se prend lui aussi au jeu et adresse des signaux de plus en plus appuyés aux QAnon. A Philadelphie au début du mois de septembre, dans l’Ohio deux semaines plus tard ou encore en Caroline du Nord peu après, la conclusion de ses discours se fait à chaque fois sur fond d'une mélodie ayant une signification particulière dans la sphère QAnon, un morceau intitulé WWG1WGA, référence directe au slogan QAnon. Les adeptes n’ont pas manqué de relever ce clin d’œil et de faire part de leur satisfaction. Dans les salles, certains spectateurs se sont même mis à pointer leur doigt en l’air, en signe de salut.
Interrogées par la presse, les équipes de campagne du leader républicain affirment qu’il s’agissait d’une autre musique ayant quasiment les mêmes notes. Mais malgré les interrogations et la polémique, le titre n'a pas été retiré de la playlist de campagne.
Spécialiste du complotisme et auteur de The Storm Is Upon Us: How QAnon Became a Movement, Cult, and Conspiracy Theory of Everything (Melville House, 2021), Mike Rothschild (qui ne partage qu'une homonymie avec la célèbre famille Rothschild) explique que Trump et ses partisans QAnon s'adressent mutuellement des signes de reconnaissance. Selon lui, « c'est une relation à double sens où tout le monde se tape dans le dos, lève le pouce et dit, "hé, nous allons gagner ce truc ensemble". Et le reste d'entre nous essayons juste de comprendre ce qui est en train de se passer ici. »
L’amplification du principal phénomène complotiste en vogue aux États-Unis et dans le monde occidental par l’ancien président de la première puissance mondiale doit être prise au sérieux. D’une part parce qu’il n’est pas exclu qu’il revienne au pouvoir s’il est candidat à la prochaine élection, d’autre part parce que QAnon est un mouvement dangereux qui pousse à la désocialisation, à la défiance la plus extrême et, in fine, à la remise en cause du cadre démocratique.
Les témoignages de proches ou d’anciens adeptes, qui s’accumulent sur les réseaux sociaux et dans les médias, permettent de prendre la mesure de la gravité d’un basculement dans cette mouvance conspirationniste. Si l’extrême droite y apparaît bien plus sensible, personne ne semble totalement immunisé contre cette nébuleuse attrape-tout. En témoigne Jitarth Jadeja, qui se définit comme progressiste et sympathisant de Bernie Sanders, figure de l'aile gauche du Parti Démocrate :
« Je me levais le matin, je vérifiais si Q avait publié de nouveaux messages. Après, j’allais sur n’importe quel forum, Reddit ou 8chan, pour parler des derniers Q-drops […]. J’étais agité, fâché, et quand j’entrais dans une pièce, la tension montait. Tout le monde détestait ça […]. Les adeptes de QAnon croient participer à la bataille du bien contre le mal. Ils pensent affronter des méchants qui boivent le sang des enfants, qui veulent tuer leurs familles. Quand tu crois à des choses pareilles, tu veux que tes ennemis brûlent. »
Il arrive aussi parfois que les adeptes passent à la vitesse supérieure et commettent l'irréparable. Au moins quatre histoires dramatiques ont fait la une des journaux aux États-Unis ces dernières années, sans compter l'affaire Edgar Maddison Welch en décembre 2016 sur fond de Pizzagate. Dans chacune d’elles, QAnon a joué un rôle central.
En mars 2019, un homme a assassiné un membre de la famille mafieuse Gambino à New York, convaincu qu’il était partie prenante d’un vaste complot et s’est présenté au tribunal avec un « Q » dessiné sur la main.
En 2021, en Californie, une mère de famille, Liliana Carrillo, psychologiquement fragile et intoxiquée par les thèses QAnon, a noyé ses trois enfants âgés respectivement de 3 ans, 2 ans et 6 mois. S'étant persuadée qu'ils étaient menacés par un réseau pédophile, elle croyait ainsi les soustraire à une vie de tortures et d'abus sexuels.
Quelques semaines plus tard, toujours en Californie, un père de famille, Matthew Taylor Coleman, adepte lui-aussi de la mouvance et influencé par David Icke et sa théorie du « complot reptilien », a sauvagement assassiné ses deux enfants, âgés respectivement de 2 ans et de 10 mois, lors de vacances au Mexique pour « éviter qu’il ne se transforment en monstres », convaincu que de « l’ADN de serpent » coulait dans leurs veines.
Plus récemment, le 11 septembre 2022, un père de famille du Michigan sans histoire, Igor Lanis, a abattu sa femme et l’une de ses filles. D’après des proches, il était devenu obsédé par QAnon et toutes sortes de théories du complot après la défaite de Donald Trump à l'élection présidentielle de novembre 2020.
Le rapprochement de l’ancien président avec la sphère QAnon accroît un peu plus le risque de décrochage et de radicalisation d’une partie de la population américaine. Cette manœuvre politique, qui trahit une certaine fuite en avant, redonne un nouvel élan à une mouvance en perte de vitesse depuis son départ de la Maison Blanche et la fin des campagnes de vaccination. En agissant de la sorte, Donald Trump se détache de son rôle d’acteur passif de la dystopie QAnon pour en devenir un membre à part entière. Un gourou ?
Voir aussi :
Les théories du complot, une menace prise très au sérieux par le FBI
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