Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Quand Céline racontait que Hitler avait dû être remplacé par un sosie juif

AVERTISSEMENT : Le texte qui suit est extrait de Céline, la race, le Juif d’A. Duraffour et P.-A. Taguieff (Fayard, 2017, chap. XVI, pp. 578-580). Il est protégé par le droit d'auteur. Merci aux auteurs et aux éditions Fayard de nous autoriser à le reproduire.

La scène se déroule en février 1944, à l’ambassade d’Allemagne à Paris. Céline dîne en compagnie de son hôte, l’ambassadeur Otto Abetz, de l’écrivain Pierre Drieu La Rochelle, de l’historien Jacques Benoist-Méchin et du peintre Gen Paul. Les différents revers infligés à la Wehrmacht sur le front de l’Est annoncent des temps difficiles pour les collaborationnistes français.

Montage : L. S. pour Conspiracy Watch.

C’est au cours de cette discussion, toujours d’après le récit de J. Benoist-Méchin (1), que Céline lance : « Pourquoi ne dites-vous pas qu’Hitler est mort? […] Vous le savez aussi bien que nous ! Seulement, vous ne voulez pas le dire. Mais on n’a pas besoin d’être ambassadeur pour le savoir : ça crève les yeux ! Les Juifs l’ont remplacé par un des leurs ! » Et Céline de justifier ses soupçons : « Je vous dis que c’est plus le même homme […] On l’a changé du tout au tout. On a mis un autre à sa place. Regardez-le ! Chacun de ses gestes, chacune de ses décisions sont faits pour assurer le triomphe des Juifs. Alors, faut être logique ! Les Juifs ont réussi un coup fumant, la plus grande mystification de l’histoire ! » C’est là que Gen Paul imite Hitler pour prouver que personne n’est plus facile à imiter que lui.

Céline prouve une fois de plus son désir irrépressible de sidérer l’auditoire. Il trouve à coup sûr dans ce délire de quoi ébahir la compagnie, de quoi distraire et se distraire. Car il s’agit davantage d’une fantaisie que d’une conviction forte, de celles, nombreuses, qui tiennent obstinément dans l’imaginaire de l’écrivain. Mais cette invention d’un sosie juif de Hitler (2) est révélatrice de la psychologie célinienne. La perspective, dramatique pour les collaborationnistes français, d’une défaite allemande implique immédiatement, dans l’esprit de Céline, le « triomphe des Juifs ». Un Juif qui aurait pris la place de Hitler, ce serait la démonstration magistrale de la véracité des accusations céliniennes, la preuve de la ruse diabolique, de l’habileté, de l’infiltration juives (au plus haut niveau!). On retrouve ici la surestimation paranoïaque du pouvoir juif, l’obsession de la mystification juive. Mais le délire se mêle de raisons politiques, et de petites observations. Céline, en effet, n’est pas le seul à avoir remarqué le changement de Hitler à la fin de la guerre. On a parlé de sa déchéance physique, médecins et témoins ont relevé son vieillissement rapide. L’historien François Delpla note : « Cheveux grisonnants, dos voûté, démarche traînante… Il est certain que Hitler sortait de moins en moins […]. On a comparé sa condition à celle d’un prisonnier : il sortait de ses bunkers une fois par jour, pour aller et venir avec sa chienne dans un espace restreint (3). » Par ailleurs, la toute-puissance d’un régime totalitaire est exposée à une faiblesse de son chef, à sa disparition par mort naturelle ou attentat. Staline (4), par exemple, avait son sosie pour certaines situations à risque. Les régimes qui reposent sur un Chef suprême ont de bonnes raisons de ne pas divulguer sa mort avant d’avoir organisé la relève du pouvoir. Et puis, lorsque le régime qui devait assurer le triomphe des aryens tourne à la déconfiture, c’est le réflexe de pensée qui revient chez Céline, toujours le même, puisque tout le malheur vient des Juifs. S’y mêle sans doute l’habitude de décrypter l’histoire officielle en cherchant « à qui profite le crime ». Si la défaite allemande et les erreurs du Führer profitent aux Juifs, c’est que les Juifs sont derrière tout ça…

« Des engrais, à ce qu’on m’assure. »

La suite des propos de Céline rapportés par J. Benoist-Méchin est escamotée dans toutes les biographies de l’écrivain :

« Hitler fait tout pour préparer leur avènement, pour faire sauter le dernier bastion qui les sépare de la domination universelle. Merveilleux collaborateur ! Il les rafle partout, pour les envoyer dans ses camps. Pour en faire quoi ? Je vous le demande ? Des engrais, à ce qu’on m’assure. Il n’y avait qu’un Juif pour avoir une idée pareille ! » (5)

Comment, là, ne pas sursauter ? Les Juifs qui vont faire de l’engrais, est-ce que ce sont les cadavres ? Ou la cendre ? La cendre peut servir d’engrais. Et puis ce « à ce qu’on m’assure » : on a dû lui parler. Il connaît suffisamment d’Allemands bien placés pour cela, et qui peuvent lui faire confiance pour l’antisémitisme : il a la bonne doctrine, impeccable, raciale, et pas « seulement » maurrassienne ou vichyssoise.

Malaise après tout cela. Benoist-Méchin aurait-il revu Céline après la guerre ? Mélangerait-il les époques ? Il est historien pourtant. Pourquoi inventerait-il ? Eric Roussel, qui a assuré l’édition de ce texte, souligne l’importance et la sincérité de ce témoignage de mémorialiste. L’ouvrage est commencé en 1950 environ, d’après des notes personnelles, prises sur le vif. La publication, posthume, n’est pas de son initiative. Il aurait peut-être supprimé ce passage trop lourd de sens, et porteur d’une information accablante. Ou attendu la disparition de l’écrivain, car il peut être difficile de sacrifier « un morceau d’anthologie ».

Notes :
(1) Jacques Benoist-Méchin, À l’épreuve du temps. Souvenirs, t.2 : 1940-1947, édition établie, présentée et annotée par Eric Roussel, « La sibylle de la rue Girardon (février 1944) » Paris, Julliard, 1989, pp. 345-358.
(2) Ce n’est pas Céline qui invente l’idée du sosie de Hitler. Le cinéma antinazi, avec Charlie Chaplin dans Le Dictateur (1940) et Ernst Lubitsch dans To be or not to be (1942), y avait pensé avant lui. Ces films n’étaient pas sortis en France en 1944, mais on sait que Céline s’intéressait à la propagande antinazie américaine qu’il avait déjà dénoncée sous toutes ses formes dans les pamphlets. Il a peut-être eu connaissance de ces films par la presse collaborationniste, attentive à la propagande du camp adverse.
(3) François Delpla, Hitler, Paris, Grasset, 1999, p. 411.
(4) D’autres témoins évoquent une scène comparable en présence de Fernand de Brinon, le ministre Schleier et Achenbach, conseiller politique à l’Ambassade. Selon Adry de Carbuccia qui rapporte le récit que lui en fait Zuloaga à la fin de l’été 1942, Céline aurait alors invoqué l’exemple de Staline : « Je ne parle pas du ballot qui est en place, un bon à rien qu’il semble. L’autre était un as, mais vous savez bien qu’il est dans la tombe depuis longtemps. Vous avez imité vos petits amis russes, il paraît que ce Staline est le sixième » (A. de Carbuccia, Du tango à Lily Marlène 1900-1940, Paris, Éd. France-Empire, 1987, p. 315).
(5) J. Benoist-Méchin, op. cit., p. 352.

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AVERTISSEMENT : Le texte qui suit est extrait de Céline, la race, le Juif d’A. Duraffour et P.-A. Taguieff (Fayard, 2017, chap. XVI, pp. 578-580). Il est protégé par le droit d'auteur. Merci aux auteurs et aux éditions Fayard de nous autoriser à le reproduire.

La scène se déroule en février 1944, à l’ambassade d’Allemagne à Paris. Céline dîne en compagnie de son hôte, l’ambassadeur Otto Abetz, de l’écrivain Pierre Drieu La Rochelle, de l’historien Jacques Benoist-Méchin et du peintre Gen Paul. Les différents revers infligés à la Wehrmacht sur le front de l’Est annoncent des temps difficiles pour les collaborationnistes français.

Montage : L. S. pour Conspiracy Watch.

C’est au cours de cette discussion, toujours d’après le récit de J. Benoist-Méchin (1), que Céline lance : « Pourquoi ne dites-vous pas qu’Hitler est mort? […] Vous le savez aussi bien que nous ! Seulement, vous ne voulez pas le dire. Mais on n’a pas besoin d’être ambassadeur pour le savoir : ça crève les yeux ! Les Juifs l’ont remplacé par un des leurs ! » Et Céline de justifier ses soupçons : « Je vous dis que c’est plus le même homme […] On l’a changé du tout au tout. On a mis un autre à sa place. Regardez-le ! Chacun de ses gestes, chacune de ses décisions sont faits pour assurer le triomphe des Juifs. Alors, faut être logique ! Les Juifs ont réussi un coup fumant, la plus grande mystification de l’histoire ! » C’est là que Gen Paul imite Hitler pour prouver que personne n’est plus facile à imiter que lui.

Céline prouve une fois de plus son désir irrépressible de sidérer l’auditoire. Il trouve à coup sûr dans ce délire de quoi ébahir la compagnie, de quoi distraire et se distraire. Car il s’agit davantage d’une fantaisie que d’une conviction forte, de celles, nombreuses, qui tiennent obstinément dans l’imaginaire de l’écrivain. Mais cette invention d’un sosie juif de Hitler (2) est révélatrice de la psychologie célinienne. La perspective, dramatique pour les collaborationnistes français, d’une défaite allemande implique immédiatement, dans l’esprit de Céline, le « triomphe des Juifs ». Un Juif qui aurait pris la place de Hitler, ce serait la démonstration magistrale de la véracité des accusations céliniennes, la preuve de la ruse diabolique, de l’habileté, de l’infiltration juives (au plus haut niveau!). On retrouve ici la surestimation paranoïaque du pouvoir juif, l’obsession de la mystification juive. Mais le délire se mêle de raisons politiques, et de petites observations. Céline, en effet, n’est pas le seul à avoir remarqué le changement de Hitler à la fin de la guerre. On a parlé de sa déchéance physique, médecins et témoins ont relevé son vieillissement rapide. L’historien François Delpla note : « Cheveux grisonnants, dos voûté, démarche traînante… Il est certain que Hitler sortait de moins en moins […]. On a comparé sa condition à celle d’un prisonnier : il sortait de ses bunkers une fois par jour, pour aller et venir avec sa chienne dans un espace restreint (3). » Par ailleurs, la toute-puissance d’un régime totalitaire est exposée à une faiblesse de son chef, à sa disparition par mort naturelle ou attentat. Staline (4), par exemple, avait son sosie pour certaines situations à risque. Les régimes qui reposent sur un Chef suprême ont de bonnes raisons de ne pas divulguer sa mort avant d’avoir organisé la relève du pouvoir. Et puis, lorsque le régime qui devait assurer le triomphe des aryens tourne à la déconfiture, c’est le réflexe de pensée qui revient chez Céline, toujours le même, puisque tout le malheur vient des Juifs. S’y mêle sans doute l’habitude de décrypter l’histoire officielle en cherchant « à qui profite le crime ». Si la défaite allemande et les erreurs du Führer profitent aux Juifs, c’est que les Juifs sont derrière tout ça…

« Des engrais, à ce qu’on m’assure. »

La suite des propos de Céline rapportés par J. Benoist-Méchin est escamotée dans toutes les biographies de l’écrivain :

« Hitler fait tout pour préparer leur avènement, pour faire sauter le dernier bastion qui les sépare de la domination universelle. Merveilleux collaborateur ! Il les rafle partout, pour les envoyer dans ses camps. Pour en faire quoi ? Je vous le demande ? Des engrais, à ce qu’on m’assure. Il n’y avait qu’un Juif pour avoir une idée pareille ! » (5)

Comment, là, ne pas sursauter ? Les Juifs qui vont faire de l’engrais, est-ce que ce sont les cadavres ? Ou la cendre ? La cendre peut servir d’engrais. Et puis ce « à ce qu’on m’assure » : on a dû lui parler. Il connaît suffisamment d’Allemands bien placés pour cela, et qui peuvent lui faire confiance pour l’antisémitisme : il a la bonne doctrine, impeccable, raciale, et pas « seulement » maurrassienne ou vichyssoise.

Malaise après tout cela. Benoist-Méchin aurait-il revu Céline après la guerre ? Mélangerait-il les époques ? Il est historien pourtant. Pourquoi inventerait-il ? Eric Roussel, qui a assuré l’édition de ce texte, souligne l’importance et la sincérité de ce témoignage de mémorialiste. L’ouvrage est commencé en 1950 environ, d’après des notes personnelles, prises sur le vif. La publication, posthume, n’est pas de son initiative. Il aurait peut-être supprimé ce passage trop lourd de sens, et porteur d’une information accablante. Ou attendu la disparition de l’écrivain, car il peut être difficile de sacrifier « un morceau d’anthologie ».

Notes :
(1) Jacques Benoist-Méchin, À l’épreuve du temps. Souvenirs, t.2 : 1940-1947, édition établie, présentée et annotée par Eric Roussel, « La sibylle de la rue Girardon (février 1944) » Paris, Julliard, 1989, pp. 345-358.
(2) Ce n’est pas Céline qui invente l’idée du sosie de Hitler. Le cinéma antinazi, avec Charlie Chaplin dans Le Dictateur (1940) et Ernst Lubitsch dans To be or not to be (1942), y avait pensé avant lui. Ces films n’étaient pas sortis en France en 1944, mais on sait que Céline s’intéressait à la propagande antinazie américaine qu’il avait déjà dénoncée sous toutes ses formes dans les pamphlets. Il a peut-être eu connaissance de ces films par la presse collaborationniste, attentive à la propagande du camp adverse.
(3) François Delpla, Hitler, Paris, Grasset, 1999, p. 411.
(4) D’autres témoins évoquent une scène comparable en présence de Fernand de Brinon, le ministre Schleier et Achenbach, conseiller politique à l’Ambassade. Selon Adry de Carbuccia qui rapporte le récit que lui en fait Zuloaga à la fin de l’été 1942, Céline aurait alors invoqué l’exemple de Staline : « Je ne parle pas du ballot qui est en place, un bon à rien qu’il semble. L’autre était un as, mais vous savez bien qu’il est dans la tombe depuis longtemps. Vous avez imité vos petits amis russes, il paraît que ce Staline est le sixième » (A. de Carbuccia, Du tango à Lily Marlène 1900-1940, Paris, Éd. France-Empire, 1987, p. 315).
(5) J. Benoist-Méchin, op. cit., p. 352.

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