Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Quand la complosphère lance une campagne de dénigrement des « fact-checkeurs »

Publié par La Rédaction26 novembre 2022,

Scoop : les complotistes ont une dent contre nous !

Montage CW.

Twitter, YouTube, Radio Courtoisie, Sud Radio… : c'est l'émoi dans la complosphère. Deux de ses figures les plus influentes, Xavier Azalbert, du site complotiste FranceSoir, et Idriss Aberkane, conférencier et youtubeur maintes fois épinglé pour les travestissements de la réalité auxquels il se livre régulièrement, instruisent depuis mardi auprès de leurs communautés le procès du journalisme de vérification.

En quelques jours, ce sont des heures et des heures cumulées de vidéos qui ont ainsi été mises en ligne. Sans compter les innombrables commentaires générés par cette campagne d'intimidation qui tente de donner à une collection de pseudo-révélations les apparences d’un véritable Watergate du fact-checking.

La frénésie avec laquelle sont portées ces accusations a pour effet de noyer tout contradicteur sous une avalanche de contenus diffamatoires auxquels il est pratiquement impossible de répondre de manière complète dans un laps de temps limité. On remobilise ainsi la base de ses suiveurs tout en appliquant concrètement cette loi de Brandolini qui veut que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter de fausses allégations soit significativement supérieure à celle mobilisée pour les répandre.

Connus pour être des acteurs influents de la désinformation en France, Azalbert et Aberkane n'hésitent pas à dénoncer un « scandale d'Etat » et prétendent avoir dévoilé rien de moins qu’« un réseau structuré et sans scrupules conçu pour discréditer les ennemis du pouvoir ». Le ton est donné. Dans leur viseur, des « officines » de fact-checking qui se seraient « affranchies de toute déontologie journalistique […] pour coller à telle ou telle personne des étiquettes précises ». Pour parvenir à ces conclusions, le patron de FranceSoir et celui qui revendique le titre d'« hyper doctor » s’appuient sur les allégations d’une personne, Malika Daoust, la conjointe d'Antoine Daoust, fondateur du site de fact-checking « Fact & Furious ».

Une pseudo-affaire prétexte à une attaque en règle contre leurs détracteurs

Dans une vidéo diffusée mardi 22 novembre en direct sur sa chaîne YouTube à plus de 700 000 abonnés, Idriss Aberkane s'auto-institue procureur d'un tribunal installé par lui-même. Il y fait comparaître Malika Daoust dans le rôle de principale témoin de l'accusation. Celle-ci reproche à son mari, dont elle est aujourd’hui séparée, d’être un escroc, un arriviste et un exécutant au service d’un « clan » (sic). Elle évoque une plainte pour « violence aggravée » déposée contre son conjoint et affirme aussi en avoir informé l’Elysée dont elle explique avoir reçu une lettre de réponse officielle. Un élément qu’Idriss Aberkane s’ingénie, d’interviews en interviews, à présenter comme crucial, afin de suggérer qu'il s'agit là d'un signe de fébrilité de la part du chef de l'exécutif. Las, selon les informations que nous avons pu recueillir, Malika Daoust a reçu un courrier-type de réponse que les services de l’Elysée – à l'instar de ceux de Matignon – adressent à tout citoyen faisant la démarche d’écrire au président de la République ou au Premier ministre.

Pendant près d'une heure, Aberkane répète qu'il n'est pas là pour juger Antoine Daoust mais bien pour « faire le procès d'un réseau » qui aurait eu un « comportement presque mafieux » (sic). Selon lui, Daoust serait au service de « commanditaires » qui le considèreraient comme un « pion très utile sur leur échiquier ».

De son côté, Xavier Azalbert assure qu'une « enquête » sera prochainement publiée sur FranceSoir, multipliant sur Twitter les threads attaquant Antoine Daoust sur sa vie professionnelle et personnelle et allant jusqu'à mentionner publiquement l'une de ses maîtresses supposées, victime collatérale d'une campagne de diffamation visant en réalité tous ceux qui se risquent à documenter la malhonnêteté intellectuelle des influenceurs complotistes.

La finalité de l’opération est cousue de fil blanc : il ne s’agit de rien de plus que d'essayer de salir par association une série de journalistes, parfois pigistes, et de médias comme L’Express, l’AFP, Conspiracy Watch et même le site collaboratif Wikipédia.

Chasse aux sorcières

Dès le début des attaques le concernant, le 22 novembre, Antoine Daoust a publié sur Twitter un communiqué dans lequel il « réfute catégoriquement » les « affirmations diffamantes » portées à son encontre. Il accompagne son tweet d'une copie de son extrait de casier judiciaire numéro 3 pour attester qu’il est vierge de toute condamnation pour crimes et délits supérieure à 2 ans d'emprisonnement sans sursis [EDIT : un peu plus d'une heure après la publication du présent article, Antoine Daoust a publié un nouveau communiqué informant de la dissolution de « Fact & Furious »].

Mais les accusations enflent de plus en plus. Ceux qui, parmi les détracteurs les plus actifs des complotistes, ont été, de près ou de loin, en contact avec le fondateur de « Fact & Furious » – sans qu'aucun mystère ne soit du reste entretenu par quiconque à cet endroit – sont présumés coupables d’appartenir à un vaste réseau de barbouzerie informationnelle où des personnes puissantes tapies dans l’ombre auraient « commandé » à Antoine Daoust des articles visant à détruire la réputation de personnalités trop dérangeantes pour le « pouvoir ». On les soupçonne aussi d'avoir eu connaissance des faits pour lesquels son épouse le poursuit en justice et d'en être ainsi les complices.

Sur Twitter, Xavier Azalbert dresse une liste de « noms des personnes impliquées avec Fact and Furious et/ou commanditaires ». On y retrouve l'infectiologue Karine Lacombe (récemment relaxée des poursuites en diffamation engagées contre elle par Didier Raoult), les journalistes Pierre Plottu et Maxime Macé (qui collaborent régulièrement à Libération, à Street Press et ont également collaboré à Conspiracy Watch), le vidéaste Sylvain Cavalier, de la chaîne anti-complotiste « Débunker des Etoiles », Thomas Durand, de la chaîne sceptique « La Tronche en Biais », Ari Kouts, consultant en services numériques, ainsi que Tristan Mendès France et Rudy Reichstadt (Conspiracy Watch). Tous ont pour point commun d’avoir usé de leur droit à critiquer la ligne éditoriale conspirationniste de FranceSoir ou encore les fausses informations et contenus à caractère complotiste propagés par Idriss Aberkane. Et ils sont nombreux, comme on peut par exemple le constater ici, , ou encore .

Dans un thread publié sur Twitter, Rudy Reichstadt a dénoncé dans ces méthodes un « maccarthysme 2.0 » :

« La méthode est simple et peu coûteuse. Il s'agit d'enjoindre de manière comminatoire vos détracteurs de répondre à une série d'accusations déshonorantes. […] Comme toujours, on compense le ridicule des accusations par l'esbroufe (on prétend avoir fait une "enquête"), l'écume ("scandale", "affaire"). On rend mystérieux et interlope ce qui ne l'est pas ("mafia", "officines"...). Ce qui permet de mobiliser tout son petit écosystème. On brosse de vous le portrait d'un suspect. D'ailleurs on dresse littéralement des listes nominatives de suspects, de personnes prétendument "impliquées" (dans quoi ?!). […]
Gros avantage de cette technique : cela vous permet, à peu de frais, de vous placer dans la position de surplomb de l'arbitre impartial (que vous n'êtes évidemment pas). Autre avantage : elle fait perdre un temps précieux à ceux que vous choisissez d’attaquer. […] C’est proprement pervers car : soit vous répondez et, ce faisant, vous tombez dans le piège qui vous a été tendu puisque vous confortez par là même la position de surplomb usurpée par votre accusateur. Comme si vous aviez à vous justifier de quoi que ce soit. Soit vous ne répondez pas et vous leur laissez alors le champ libre pour continuer à se répandre en insinuations calomnieuses à votre sujet. Pile je gagne, face tu perds ! »

Vendredi 24 novembre, Idriss Aberkane a réitéré ses accusations dans « Ligne Droite », la matinale de la radio d’extrême droite Radio Courtoisie, au micro de Clémence Houdiakova. Malika Daoust est également présente. Interrogée sur l’identité du chef de l’hypothétique réseau dont elle dénonce l’existence, cette dernière élude, incriminant « un certain Rudy » (sic). Voici l’échange :

Clémence Houdiakova : Vous ne savez pas qui dirigeait ?
Malika Daoust : Non, je sais pas qui dirigeait mais il [Antoine Daoust – ndlr] appelait souvent un certain Rudy.
Clémence Houdiakova : Ah oui… Donc on peut penser à Rudy Reichstadt de Conspiracy Watch.
Idriss Aberkane : De toute évidence oui – permettez-moi d’intervenir. De toute évidence, pour l’instant, le suspect numéro un de ce « Rudy » est Rudy Reichstadt, qui possède une officine très louche aussi, très suspecte, pas nette, sur laquelle très peu d’enquêtes ont été faites et qui a des procédés identiques […].

Quelques heures plus tard encore, seul cette fois-ci, Idriss Aberkane intervient au micro de l'inénarrable André Bercoff sur Sud Radio. Il y affirme notamment :

« Malika Daoust a dit qu'[Antoine Daoust] prenait des ordres notamment d'un certain Rudy. Et je peux dire clairement que, dans notre enquête, aujourd'hui, le suspect numéro un est Rudy Reichstadt de Conspiracy Watch ! »

Concernant Conspiracy Watch et son directeur, les insinuations d'Idriss Aberkane sont mensongères en plus d'être ineptes. Or, ce n'est pas la première fois qu'il se livre à des accusations de ce genre. Aberkane trompe-t-il sciemment son public ou se peut-il que ce titulaire de trois doctorats ne sache pas lire ? Un élément périphérique de son réquisitoire contre nous a l’avantage d’être éloquent sur les libertés qu’il s'autorise à prendre avec les faits : dans la même interview en effet, il prétend que Rudy Reichstadt aurait soutenu dans les colonnes de L’Express que la Charte de Munich sur les devoirs et droits des journalistes était un « document complotiste ».

C'est faux, là encore. Non seulement il s’agit d’une dénaturation éhontée des propos du directeur de Conspiracy Watch – comme chacun peut le vérifier en consultant l’article concerné sur le site de L’Express – mais il se trouve que Conspiracy Watch se réclame explicitement des principes de la Charte de Munich, et ce depuis plusieurs années. Ainsi, dans la section du site consacrée aux partenariats noués entre l’Observatoire du conspirationnisme et d’autres entités comme la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS) ou la Dilcrah, on lit :

« Les contenus proposés par Conspiracy Watch ne reflètent pas nécessairement les vues de la FMS ou d'une quelconque autre entité qui serait amenée à prendre part à son financement. Sauf mention contraire, ils sont issus de son équipe rédactionnelle, laquelle travaille dans un esprit de totale indépendance et conformément à la ligne éditoriale qu'elle a adoptée et aux principes énoncés dans la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes adoptée à Munich en 1971. »

Au détour de quelques tweets, Aberkane s'en prend également au média suisse Heidi News qui avait publié, le 11 novembre dernier, un article critique à son sujet. Même tarif pour L'Express et son journaliste Victor Garcia, l'une des cibles privilégiées d'Aberkane depuis la publication de plusieurs enquêtes embarrassantes le concernant (ici, ou encore ). « Maintenant qu'est tombé Fact and Furious, ce sont ses dealers de fausses informations, ses petits distributeurs de rue, qu'il faut mettre devant leurs lourdes responsabilités » écrit l'« hyper doctor ». Et d'ajouter : « Les organes d'influence comme Heidi News ou L'Express qui ont blanchi l'inacceptable doivent être incriminés ». Quant à Xavier Azalbert, il plaide pour l'organisation d’« assises du fact checking voire des médias » accompagnées d’« une véritable enquête judiciaire » et d’une « enquête parlementaire et sénatoriale ».

Rappelons que Xavier Azalbert a vu son nom ressurgir publiquement dans le dernier numéro de l’émission « Complément d'Enquête », sur France 2, consacré à Didier Raoult. Une enquête journalistique qui établit qu’il était l'administrateur d'un groupe baptisé « CIA », soupçonné de coordonner des campagnes de cyberharcèlement et décrit par Le Monde comme « une boucle de messagerie Twitter privée réunissant Eric Chabrière, Yannis Roussel (porte-parole de l’IHU) et une trentaine d’influenceurs très actifs dans la défense du ponte marseillais ».

« Officines mafieuses »

Exultant dans un mélange de joie mauvaise, de calomnies et de désirs se prenant pour des réalités, tout le ban et l’arrière-ban de la complosphère a fait son miel des pseudo-révélations du duo Aberkane-Azalbert. Didier Maïsto, ex-directeur de Sud Radio, l'assure : « Les fact-checkers, on ne va pas les lâcher. Il y a pas mal d'officines mafieuses derrière. On va dérouler tranquillement l’écheveau en suivant l’argent. » Même son de cloche du côté d’Erik Loridan, qui dénonce l'action des « défakeurs », tandis que Louis Fouché vilipende « le scandale de la construction du faux, des fact checkers jusqu'à wikipedia »Myriam Palomba, ex-directrice déléguée de la rédaction chez Public, devenue célèbre pour sa participation comme chroniqueuse dans l’émission de Cyril Hanouna et ses multiples sorties complotistes sur les réseaux sociaux, se demande quant à elle d'où viennent les financements des fact-checkeurs. Sur sa chaîne Telegram, le gourou du crudivorisme Thierry Casasnovas « encourage vivement à écouter cette interview exceptionnelle réalisée par Idriss Aberkane [qui] donnera des éléments essentiels pour comprendre [...] l'existence d'un système structuré visant à détruire personnellement les personnes désirant mettre en lumière des alternatives au modèle dominant. » Dans le même registre, le blogueur soralien Marcel D. avance qu’« Antoine Daoust est le maillon faible d'un réseau mafieux de blanchiment d'information qui remonte jusqu'aux sommets de l'État ». Autre figure de la complosphère d'extrême droite, Philippe Herlin assène : « Les #FactCheckeurs sont des officines de manipulation au service du pouvoir. Leur légitimité s'effondre, bon débarras. » D'autres comme Salim Laïbi, Laurent Mucchielli, Christine Cotton, Philippe Murer ou Ivan Rioufol y vont également de leurs commentaires.

Didier Raoult, qui signe la préface du dernier livre de Louis Fouché, évoque quant à lui des « révélations sensationnelles » en invitant ses 947 000 abonnés à aller regarder la vidéo d'Idriss Aberkane.

 

(Dernière mise à jour le 26/11/2022 à 22h14 avec ajout du communiqué sur « Fact & Furious »)

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Twitter, YouTube, Radio Courtoisie, Sud Radio… : c'est l'émoi dans la complosphère. Deux de ses figures les plus influentes, Xavier Azalbert, du site complotiste FranceSoir, et Idriss Aberkane, conférencier et youtubeur maintes fois épinglé pour les travestissements de la réalité auxquels il se livre régulièrement, instruisent depuis mardi auprès de leurs communautés le procès du journalisme de vérification.

En quelques jours, ce sont des heures et des heures cumulées de vidéos qui ont ainsi été mises en ligne. Sans compter les innombrables commentaires générés par cette campagne d'intimidation qui tente de donner à une collection de pseudo-révélations les apparences d’un véritable Watergate du fact-checking.

La frénésie avec laquelle sont portées ces accusations a pour effet de noyer tout contradicteur sous une avalanche de contenus diffamatoires auxquels il est pratiquement impossible de répondre de manière complète dans un laps de temps limité. On remobilise ainsi la base de ses suiveurs tout en appliquant concrètement cette loi de Brandolini qui veut que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter de fausses allégations soit significativement supérieure à celle mobilisée pour les répandre.

Connus pour être des acteurs influents de la désinformation en France, Azalbert et Aberkane n'hésitent pas à dénoncer un « scandale d'Etat » et prétendent avoir dévoilé rien de moins qu’« un réseau structuré et sans scrupules conçu pour discréditer les ennemis du pouvoir ». Le ton est donné. Dans leur viseur, des « officines » de fact-checking qui se seraient « affranchies de toute déontologie journalistique […] pour coller à telle ou telle personne des étiquettes précises ». Pour parvenir à ces conclusions, le patron de FranceSoir et celui qui revendique le titre d'« hyper doctor » s’appuient sur les allégations d’une personne, Malika Daoust, la conjointe d'Antoine Daoust, fondateur du site de fact-checking « Fact & Furious ».

Une pseudo-affaire prétexte à une attaque en règle contre leurs détracteurs

Dans une vidéo diffusée mardi 22 novembre en direct sur sa chaîne YouTube à plus de 700 000 abonnés, Idriss Aberkane s'auto-institue procureur d'un tribunal installé par lui-même. Il y fait comparaître Malika Daoust dans le rôle de principale témoin de l'accusation. Celle-ci reproche à son mari, dont elle est aujourd’hui séparée, d’être un escroc, un arriviste et un exécutant au service d’un « clan » (sic). Elle évoque une plainte pour « violence aggravée » déposée contre son conjoint et affirme aussi en avoir informé l’Elysée dont elle explique avoir reçu une lettre de réponse officielle. Un élément qu’Idriss Aberkane s’ingénie, d’interviews en interviews, à présenter comme crucial, afin de suggérer qu'il s'agit là d'un signe de fébrilité de la part du chef de l'exécutif. Las, selon les informations que nous avons pu recueillir, Malika Daoust a reçu un courrier-type de réponse que les services de l’Elysée – à l'instar de ceux de Matignon – adressent à tout citoyen faisant la démarche d’écrire au président de la République ou au Premier ministre.

Pendant près d'une heure, Aberkane répète qu'il n'est pas là pour juger Antoine Daoust mais bien pour « faire le procès d'un réseau » qui aurait eu un « comportement presque mafieux » (sic). Selon lui, Daoust serait au service de « commanditaires » qui le considèreraient comme un « pion très utile sur leur échiquier ».

De son côté, Xavier Azalbert assure qu'une « enquête » sera prochainement publiée sur FranceSoir, multipliant sur Twitter les threads attaquant Antoine Daoust sur sa vie professionnelle et personnelle et allant jusqu'à mentionner publiquement l'une de ses maîtresses supposées, victime collatérale d'une campagne de diffamation visant en réalité tous ceux qui se risquent à documenter la malhonnêteté intellectuelle des influenceurs complotistes.

La finalité de l’opération est cousue de fil blanc : il ne s’agit de rien de plus que d'essayer de salir par association une série de journalistes, parfois pigistes, et de médias comme L’Express, l’AFP, Conspiracy Watch et même le site collaboratif Wikipédia.

Chasse aux sorcières

Dès le début des attaques le concernant, le 22 novembre, Antoine Daoust a publié sur Twitter un communiqué dans lequel il « réfute catégoriquement » les « affirmations diffamantes » portées à son encontre. Il accompagne son tweet d'une copie de son extrait de casier judiciaire numéro 3 pour attester qu’il est vierge de toute condamnation pour crimes et délits supérieure à 2 ans d'emprisonnement sans sursis [EDIT : un peu plus d'une heure après la publication du présent article, Antoine Daoust a publié un nouveau communiqué informant de la dissolution de « Fact & Furious »].

Mais les accusations enflent de plus en plus. Ceux qui, parmi les détracteurs les plus actifs des complotistes, ont été, de près ou de loin, en contact avec le fondateur de « Fact & Furious » – sans qu'aucun mystère ne soit du reste entretenu par quiconque à cet endroit – sont présumés coupables d’appartenir à un vaste réseau de barbouzerie informationnelle où des personnes puissantes tapies dans l’ombre auraient « commandé » à Antoine Daoust des articles visant à détruire la réputation de personnalités trop dérangeantes pour le « pouvoir ». On les soupçonne aussi d'avoir eu connaissance des faits pour lesquels son épouse le poursuit en justice et d'en être ainsi les complices.

Sur Twitter, Xavier Azalbert dresse une liste de « noms des personnes impliquées avec Fact and Furious et/ou commanditaires ». On y retrouve l'infectiologue Karine Lacombe (récemment relaxée des poursuites en diffamation engagées contre elle par Didier Raoult), les journalistes Pierre Plottu et Maxime Macé (qui collaborent régulièrement à Libération, à Street Press et ont également collaboré à Conspiracy Watch), le vidéaste Sylvain Cavalier, de la chaîne anti-complotiste « Débunker des Etoiles », Thomas Durand, de la chaîne sceptique « La Tronche en Biais », Ari Kouts, consultant en services numériques, ainsi que Tristan Mendès France et Rudy Reichstadt (Conspiracy Watch). Tous ont pour point commun d’avoir usé de leur droit à critiquer la ligne éditoriale conspirationniste de FranceSoir ou encore les fausses informations et contenus à caractère complotiste propagés par Idriss Aberkane. Et ils sont nombreux, comme on peut par exemple le constater ici, , ou encore .

Dans un thread publié sur Twitter, Rudy Reichstadt a dénoncé dans ces méthodes un « maccarthysme 2.0 » :

« La méthode est simple et peu coûteuse. Il s'agit d'enjoindre de manière comminatoire vos détracteurs de répondre à une série d'accusations déshonorantes. […] Comme toujours, on compense le ridicule des accusations par l'esbroufe (on prétend avoir fait une "enquête"), l'écume ("scandale", "affaire"). On rend mystérieux et interlope ce qui ne l'est pas ("mafia", "officines"...). Ce qui permet de mobiliser tout son petit écosystème. On brosse de vous le portrait d'un suspect. D'ailleurs on dresse littéralement des listes nominatives de suspects, de personnes prétendument "impliquées" (dans quoi ?!). […]
Gros avantage de cette technique : cela vous permet, à peu de frais, de vous placer dans la position de surplomb de l'arbitre impartial (que vous n'êtes évidemment pas). Autre avantage : elle fait perdre un temps précieux à ceux que vous choisissez d’attaquer. […] C’est proprement pervers car : soit vous répondez et, ce faisant, vous tombez dans le piège qui vous a été tendu puisque vous confortez par là même la position de surplomb usurpée par votre accusateur. Comme si vous aviez à vous justifier de quoi que ce soit. Soit vous ne répondez pas et vous leur laissez alors le champ libre pour continuer à se répandre en insinuations calomnieuses à votre sujet. Pile je gagne, face tu perds ! »

Vendredi 24 novembre, Idriss Aberkane a réitéré ses accusations dans « Ligne Droite », la matinale de la radio d’extrême droite Radio Courtoisie, au micro de Clémence Houdiakova. Malika Daoust est également présente. Interrogée sur l’identité du chef de l’hypothétique réseau dont elle dénonce l’existence, cette dernière élude, incriminant « un certain Rudy » (sic). Voici l’échange :

Clémence Houdiakova : Vous ne savez pas qui dirigeait ?
Malika Daoust : Non, je sais pas qui dirigeait mais il [Antoine Daoust – ndlr] appelait souvent un certain Rudy.
Clémence Houdiakova : Ah oui… Donc on peut penser à Rudy Reichstadt de Conspiracy Watch.
Idriss Aberkane : De toute évidence oui – permettez-moi d’intervenir. De toute évidence, pour l’instant, le suspect numéro un de ce « Rudy » est Rudy Reichstadt, qui possède une officine très louche aussi, très suspecte, pas nette, sur laquelle très peu d’enquêtes ont été faites et qui a des procédés identiques […].

Quelques heures plus tard encore, seul cette fois-ci, Idriss Aberkane intervient au micro de l'inénarrable André Bercoff sur Sud Radio. Il y affirme notamment :

« Malika Daoust a dit qu'[Antoine Daoust] prenait des ordres notamment d'un certain Rudy. Et je peux dire clairement que, dans notre enquête, aujourd'hui, le suspect numéro un est Rudy Reichstadt de Conspiracy Watch ! »

Concernant Conspiracy Watch et son directeur, les insinuations d'Idriss Aberkane sont mensongères en plus d'être ineptes. Or, ce n'est pas la première fois qu'il se livre à des accusations de ce genre. Aberkane trompe-t-il sciemment son public ou se peut-il que ce titulaire de trois doctorats ne sache pas lire ? Un élément périphérique de son réquisitoire contre nous a l’avantage d’être éloquent sur les libertés qu’il s'autorise à prendre avec les faits : dans la même interview en effet, il prétend que Rudy Reichstadt aurait soutenu dans les colonnes de L’Express que la Charte de Munich sur les devoirs et droits des journalistes était un « document complotiste ».

C'est faux, là encore. Non seulement il s’agit d’une dénaturation éhontée des propos du directeur de Conspiracy Watch – comme chacun peut le vérifier en consultant l’article concerné sur le site de L’Express – mais il se trouve que Conspiracy Watch se réclame explicitement des principes de la Charte de Munich, et ce depuis plusieurs années. Ainsi, dans la section du site consacrée aux partenariats noués entre l’Observatoire du conspirationnisme et d’autres entités comme la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS) ou la Dilcrah, on lit :

« Les contenus proposés par Conspiracy Watch ne reflètent pas nécessairement les vues de la FMS ou d'une quelconque autre entité qui serait amenée à prendre part à son financement. Sauf mention contraire, ils sont issus de son équipe rédactionnelle, laquelle travaille dans un esprit de totale indépendance et conformément à la ligne éditoriale qu'elle a adoptée et aux principes énoncés dans la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes adoptée à Munich en 1971. »

Au détour de quelques tweets, Aberkane s'en prend également au média suisse Heidi News qui avait publié, le 11 novembre dernier, un article critique à son sujet. Même tarif pour L'Express et son journaliste Victor Garcia, l'une des cibles privilégiées d'Aberkane depuis la publication de plusieurs enquêtes embarrassantes le concernant (ici, ou encore ). « Maintenant qu'est tombé Fact and Furious, ce sont ses dealers de fausses informations, ses petits distributeurs de rue, qu'il faut mettre devant leurs lourdes responsabilités » écrit l'« hyper doctor ». Et d'ajouter : « Les organes d'influence comme Heidi News ou L'Express qui ont blanchi l'inacceptable doivent être incriminés ». Quant à Xavier Azalbert, il plaide pour l'organisation d’« assises du fact checking voire des médias » accompagnées d’« une véritable enquête judiciaire » et d’une « enquête parlementaire et sénatoriale ».

Rappelons que Xavier Azalbert a vu son nom ressurgir publiquement dans le dernier numéro de l’émission « Complément d'Enquête », sur France 2, consacré à Didier Raoult. Une enquête journalistique qui établit qu’il était l'administrateur d'un groupe baptisé « CIA », soupçonné de coordonner des campagnes de cyberharcèlement et décrit par Le Monde comme « une boucle de messagerie Twitter privée réunissant Eric Chabrière, Yannis Roussel (porte-parole de l’IHU) et une trentaine d’influenceurs très actifs dans la défense du ponte marseillais ».

« Officines mafieuses »

Exultant dans un mélange de joie mauvaise, de calomnies et de désirs se prenant pour des réalités, tout le ban et l’arrière-ban de la complosphère a fait son miel des pseudo-révélations du duo Aberkane-Azalbert. Didier Maïsto, ex-directeur de Sud Radio, l'assure : « Les fact-checkers, on ne va pas les lâcher. Il y a pas mal d'officines mafieuses derrière. On va dérouler tranquillement l’écheveau en suivant l’argent. » Même son de cloche du côté d’Erik Loridan, qui dénonce l'action des « défakeurs », tandis que Louis Fouché vilipende « le scandale de la construction du faux, des fact checkers jusqu'à wikipedia »Myriam Palomba, ex-directrice déléguée de la rédaction chez Public, devenue célèbre pour sa participation comme chroniqueuse dans l’émission de Cyril Hanouna et ses multiples sorties complotistes sur les réseaux sociaux, se demande quant à elle d'où viennent les financements des fact-checkeurs. Sur sa chaîne Telegram, le gourou du crudivorisme Thierry Casasnovas « encourage vivement à écouter cette interview exceptionnelle réalisée par Idriss Aberkane [qui] donnera des éléments essentiels pour comprendre [...] l'existence d'un système structuré visant à détruire personnellement les personnes désirant mettre en lumière des alternatives au modèle dominant. » Dans le même registre, le blogueur soralien Marcel D. avance qu’« Antoine Daoust est le maillon faible d'un réseau mafieux de blanchiment d'information qui remonte jusqu'aux sommets de l'État ». Autre figure de la complosphère d'extrême droite, Philippe Herlin assène : « Les #FactCheckeurs sont des officines de manipulation au service du pouvoir. Leur légitimité s'effondre, bon débarras. » D'autres comme Salim Laïbi, Laurent Mucchielli, Christine Cotton, Philippe Murer ou Ivan Rioufol y vont également de leurs commentaires.

Didier Raoult, qui signe la préface du dernier livre de Louis Fouché, évoque quant à lui des « révélations sensationnelles » en invitant ses 947 000 abonnés à aller regarder la vidéo d'Idriss Aberkane.

 

(Dernière mise à jour le 26/11/2022 à 22h14 avec ajout du communiqué sur « Fact & Furious »)

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